Dans le champ de tensions entre profession, politique
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Dans le champ de tensions entre profession, politique
Travail social en mutation Dans le champ de tensions entre profession, politique et économie Conférence Atelier VI Le travail social et les mutations du paysage professionnel Quel impact les travailleurs sociaux ont-ils dans la construction de leur identité professionnelle? Par Michel Bonjour, Directeur romand des institutions sociales de l’Armée du Salut Laupenstrasse 5, 3001 Berne Le même constat est fait partout dans le monde : l’aggravation de la crise sociale, les contextes économique et politique actuels demandent d’être innovants. Le travail social doit se faire plus flexible, réfléchir à ses objectifs et ses valeurs fondamentales et s’adapter aux besoins des usagers tout en renforçant au mieux leurs propres compétences et capacités d’action. Au fil du temps, les structures changent, la perception de l’être humain comme celle du rôle de l’Etat sont différentes. Plus que jamais, il est nécessaire de rechercher un véritable esprit de coopération et d’innovation entre partenaires politiques, économiques et sociaux pour trouver des réponses aux questions actuelles au sein des dispositifs locaux et régionaux, dans une constante clarification des missions et tâches de chaque acteur de l’action sociale et des projets de société. Cela touche directement à la formation des intervenants sociaux, mais aussi certainement à un changement d’attitude fondamentale et d’état d’esprit dans leur culture professionnelle. Introduction En juin 2008 a eu lieu la 33e Conférence mondiale du Conseil International d’Action Sociale (CIAS) à Tours (France), duquel l’Armée du Salut est membre. Le thème de cette année portait sur « La dynamique du développement social dans un contexte de mondialisation : leçons du passé, défis pour aujourd’hui et pour demain ». Une excellente opportunité de découvrir les pratiques, questions et défis de tous les continents, et découvrir à quel point nous partageons les mêmes préoccupations et mêmes thèmes de réflexions, sur tous les continents. 75 pays représentés, 600 participants, des délégations de nombreuses organisations, associations et ONG, des praticiens, des chercheurs, des experts de haut niveau sur le plan du développement social et économique et deux constats: - la solidarité sociale et les systèmes traditionnels d’entraide souffrent aujourd’hui et l’aggravation de la crise sociale demande d’être innovants dans le cadre de la globalisation pour trouver des réponses aux questions liées à l’individualisation, aux inégalités et aux conflits économiques et sociaux. - En dépit des changements multiples auxquels nos sociétés doivent faire face, les besoins et comportements fondamentaux de l’homme restent cependant remarquablement constants : nourriture, habitat, soins, famille, sécurité et spiritualité. Les valeurs et idéaux humanitaires de base se retrouvent avec une constance remarquable à travers le monde entier (1). L’évolution du travail social et une dynamique en pleine mutation Dans le contexte de l’évolution politique et économique actuelle, un parallèle intéressant peut être fait avec le travail social d’aujourd’hui : « il doit se faire plus flexible, ses interventions doivent s’adapter à la démarche des usagers tout en s’assurant que ceux-ci mettent en œuvre tout ce qui AvenirSocial/Colloques/travailsocialenmutation/21.11.2008 est en leur pouvoir pour réussir leur réintégration dans la société » (2). J’aimerais aussi ajouter: « viser à la restauration de la dignité de la personne, et certainement adapter nos programmes à sa personne entière, sur les plans matériel, physique, psychologique et spirituel ». Tout travailleur social doit se resituer en permanence face aux changements multiples de notre société. L’action caritative du 19e siècle n’est pas la même que celle du 21e siècle, les structures ont changé, la perception de l’être humain comme celle du rôle de l’Etat sont différentes. Et pourtant, partout où il y a des êtres humains, les besoins fondamentaux sont les mêmes, quelle que soit la période ou le lieu de nos interventions sur la planète entière! Le pilotage et le management des structures sociales Un autre constat a été relevé, sous forme de défi particulier : pour que les entreprises, organisations, associations et ONG puissent assurer leur mission et se développer, les valeurs et le style de management doivent être en harmonie avec les objectifs et les valeurs avec les objectifs et valeurs de l’organisation et être en phase avec les prestations et services proposés ! (1). Si une prise de conscience concernant les mécanismes de gestion d’entreprise au sein des structures sociales a été menée depuis de nombreuses années, force est de constater qu’il est plus que vital de travailler en profondeur sur la culture de base de nos équipes (culture professionnelle et culture d’entreprise). Et comme dans n’importe quel domaine d’activité (le même constat est fait dans les entreprises dites « économiques » et de profit), il est vital pour l’organisation comme pour les personnes d’accepter les changements constants. Rappelons cependant une évidence : les bénéficiaires du travail social doivent rester au centre des préoccupations, bien que le danger soit grand quotidiennement d’inverser les priorités, simplement pour répondre à la nécessité de faire fonctionner la structure avec ses multiples contraintes administratives et financières. Il est aussi important de nous poser la question suivante : « Qui est notre client? ». Et de fait, une autre évidence apparaît, que nous omettons trop souvent : nos clients sont aussi par exemple les dispositifs d’aide et de soins dans lesquels nos structures sont implantées, donc de fait aussi l’Etat, les Communes et/ou les administrations qui sont subventionneurs et avec lesquelles des contrats de prestations ou autres conventions sont convenus. « Selon David Jones, Président de la Fédération Internationale des Travailleurs Sociaux (IFSW), « […] La gestion des performances s’est imposée comme une nécessité aux quatre coins du monde quoiqu’avec des variantes locales. Elle affecte tous les secteurs d’activité et prend en compte les notions de ‘rapport qualité/prix’ et d’‘efficience’. Cette tendance a également été ressentie dans le domaine du travail social et des services sociaux. Les recherches en la matière ont néanmoins clairement établi que la mise en œuvre de systèmes de gestion des performances tels que cibles quantitatives, évaluation individuelles et parfois récompenses financières, ont eu un effet négatif tant sur les employés que sur l’exécution. L’importance d’optimiser la gestion des ressources et la nécessité de traquer les mauvaises performances ne font aucun doute. La difficulté pour les cadres est d’obtenir l’engagement de leurs employés. Une conclusion simple est ressortie de mes propres recherches pour le gouvernement britannique dans le domaine de la gestion des performances pour le travail social. Lorsque les valeurs et le style de management sont en harmonie avec les objectifs et valeurs qui sous-tendent l’objet ou la mission de l’entreprise et en phase avec les attentes en termes prestation de service, ces entreprises ou organisations prospèrent. Lorsqu’il y a conflit entre les deux, les services en souffrent. Les cadres qui se distancient de leurs employés et ne s’identifient pas avec le travail de base sont d’autant moins efficaces. Les cadres et les travailleurs sociaux doivent par conséquent s’attacher à améliorer les services tout en se faisant les apôtres d’une identité commune, il s’agit d’inspirer et non d’éperonner les travailleurs! » (1) AvenirSocial/Colloques/travailsocialenmutation/21.11.2008 2 Une conviction issue du travail en alcoologie: la nécessité du partenariat et du travail en réseau En effet, « les compétences médicales, psychiatriques et sociales sont généralement indispensables ensemble au bon déroulement du processus thérapeutique. De par la spécificité même de leur intervention, les travailleurs sociaux y assurent le plus souvent un rôle déterminant de liaison du réseau autour du patient. La pratique de réseau doit être comprise en tant que mise en place d’un cadre, vecteur du processus thérapeutique. Elle comporte des difficultés réelles et exige de chaque intervenant des efforts importants. Mais elle offre également de nombreux bénéfices, pour les patients comme pour les soignants: projet adapté aux besoins du patient, cohérence des interventions, complémentarité des compétences inter-professionnelles, formation réciproque. Ceci tout en maintenant le patient au centre du projet thérapeutique » (3). Baldwin et Tsukuda (4) ont identifié 5 questions qui devraient être posées dans tout processus de décision multidisciplinaire: 1. Quelle décision doit être prise? 2. Qui doit être impliqué dans le processus de décision? 3. Quel processus de décision doit être choisi? 4. Qui sera responsable de mener à terme la décision? 5. Qui doit être informé de la décision? « Ce type de questions nécessite bien évidemment un effort certain d'entrer en contact et de communiquer entre intervenants, dans le respect des spécificités et compétences des uns et des autres, et dans l'acceptation de la mise en évidence des désaccords, divergences ou conflits, même inavoués ou latents. D'autre part, […] une véritable thérapie en réseau demande que le système de soins soit coordonné, cette responsabilité devant être attribuée clairement à un - ou plusieurs - intervenants ayant une action significative à ce moment de l'évolution du patient. Responsabilité qui peut d'ailleurs changer selon la dynamique du processus et les modifications des objectifs thérapeutiques » (3). Par analogie, les activités plus orientées « stratégie et politique » menées dans le cadre du travail social, ressemblent fortement à ce type de questionnement. Le dispositif d'institutions , de structures ambulatoires, de services sociaux ou médico-sociaux mis en place dans une région doit répondre à un certain nombre de besoins identifiés. Des choix politiques et économiques dictent souvent les ressources attribuées. Il est donc nécessaire que les travailleurs sociaux et les responsables de leurs structures se considèrent comme des acteurs et des partenaires à part entière, cherchent à influencer les choix stratégiques et prennent leur place dans les négociations. Le processus sera souvent long, difficile et certainement parsemé d'échecs, de réajustements, ou de désillusions. Mais c'est à ce prix que le travail social pourra continuer à remplir sa mission! Citons encore une fois David Jones: « […] Le travail social peut être considéré comme la profession idéale pour répondre à ces conditions. Aucune profession ou technique n’a le monopole de la résolution de problème mais le travail social repose en son cœur sur une approche pluridisciplinaire et impliquant les usagers des services publics, il fait partie de la solution. Les travailleurs sociaux sont habitués à travailler en réseau et devraient être formés pour travailler en partenariat dans les situations complexes et à risque. Le métier de travail social peut se targuer de compétences particulières en matière d’aide familiale, de réconciliation communautaire et plus spécialement en termes de gestion de risque. Le travail social est une composante-clé de la réponse aux problèmes individuels et sociaux […]. AvenirSocial/Colloques/travailsocialenmutation/21.11.2008 3 […] J’ai observé que dans le monde entier on redécouvrait les vertus des compétences pratiques et qu’elles pourraient être même plus précieuses en termes d’efficacité que les structures de management. Je vois que l’on redécouvre les notions de ‘respect’ et la nécessité de construire les ‘relations’ de manière pérenne pour le plus grand bénéfice du travail social et de l’évolution sociale. Il importe de renforcer les liens entre politique, gestion et pratique – toutes trois doivent s’inspirer les unes des autres, en associant les dimensions sociologique et psychologique, locale et globale. Cela est indispensable pour répondre à la complexité et à la diversité (du contexte actuel) […] » (1). Un outil issu des théories du développement organisationnel : le modèle planifié / émergent Parmi les nombreux outils que nous pouvons emprunter à différentes disciplines, j’aimerais citer à titre d’exemple un modèle emprunté aux théories du développement organisationnel, développé notamment par Madelaine Laugeri et Pierre Grand - groupe GATE (5) - (inspiré de la théorie organisationnelle de Eric Bern, le fondateur de l’Analyse Transactionnelle). Je ne le développerai pas, mais préfère simplement en citer les schémas, très parlant en euxmêmes: - Les scénarios perdants 1 et 2 (quand l’une ou l’autre des parties en présence cherche à écraser l’autre, de manière objective ou psychologique, etc.) Le scénario perdant n°1 © Bourdais et Laugeri Le scénario perdant n°2 © Bourdais et Laureri - Le scénario gagnant: les clés du dialogue organisationnel (quand chacune des parties a suffisamment de conscience de ses compétences et possibilités – et confiance en celles-ci pour chercher le dialogue sur un mode équilibré, dans une relation « gagnante-gagnante »). Le scénario gagnant – Les clefs du dialogue organisationnels © Bourdais et Laugeri En effet, mon expérience m’amène à expérimenter que ce modèle, finalement assez simple, peut être appliqué autant en organisation d’entreprise (team-buildings, gestion de conflits hiérarchiques, développement d’une organisation, etc) que dans les projets de société ou programmes sociaux, au sein des dispositifs intégrant de multiples partenaires dans les champs politiques, économiques, sociaux et de la santé. AvenirSocial/Colloques/travailsocialenmutation/21.11.2008 4 Perspectives Dans un monde en pleine mutation, la recherche d’un équilibre entre le respect fondamental de la personne et les contraintes financières et administratives, le professionnalisme et le cœur, la gestion professionnelle et des structures de proximité qui permettent une action simple et efficace, sont des défis constants. Plus que jamais, il est nécessaire pour l’ensemble des partenaires sociaux, politiques et économiques, de rechercher un véritable esprit de coopération et d’innovation pour trouver des réponses aux questions liées à l’individualisation, aux inégalités et aux conflits économiques et sociaux. Il reste bien sûr encore beaucoup à faire, et les défis ne seront jamais terminés. Mais c’est en tant que partenaire et acteur à part entière que les intervenants du travail social doivent poursuivre leur action au sein des dispositifs locaux et régionaux, dans une constante clarification des missions et tâches de chaque entité. Les lieux de formation (de base et formation continue) ont évidemment un rôle fondamental à tenir dans cette évolution ! C’est ainsi que le travail social pourra relever le défi de l’innovation et de la créativité indispensables à la coopération et au dialogue avec l’ensemble des partenaires de notre société, au service de sa mission spécifique et surtout des personnes qu’elle entend aider ! Références e (1) 33 Conférence mondiale du Conseil International d’Action Sociale (CIAS) à Tours (France), Jones D. (Royaume-Uni), Président de la Fédération Internationale des Travailleurs Sociaux (IFSW) (2) ActualitéSociale n°14, mai-juin 2008, Grand O., compte-rendu 1er Congrès international de la Société suisse du travail social (3) Thérapie en réseau, Bonjour M. In: Revue Médicale de la Suisse Romande, mars 1997 (4) Interdisciplinary teams, Baldwin D, Tsukuda R:. In: Cassel C., Walsh J, eds Geriatric Medicine Vol. 2: Fundamentals of Geriatric Care, New York: Springer-Verlag, 1984 - cité dans: Mariano C, RN, Ed.D: Interdisciplinary Collaboration in the Treatment of Addictions , Addictions nursing network, vol 1, n°4, 1989 (5) Le modèle planifié/emergent, présentation GATE, Laugeri M. & Grand P., Human Systems Engineering, Yverdon, 2007 AvenirSocial/Colloques/travailsocialenmutation/21.11.2008 5