La pratique réaliste des arts internes_2001
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La pratique réaliste des arts internes_2001
La pratique réaliste des arts internes Gérald Ansart Article publié dans Arts Martiaux Magazine n° 50 La pratique réaliste des arts internes Gérald Ansart est un expert qui enseigne, dans cadre de l'Ecole d'Arts Martiaux Sakura, l'art du Poing dans ses racines japonaises et chinoises, défini comme Kenjûkaï Goshin-dô. Il ne s'agit pas d'une nouvelle synthèse, car chaque forme pratiquée et étudiée respecte les fondements de ses sources. Dans le cadre de cet article, il parle de l'intégration du corps, de l'exigence de la relaxation, la nécessité de pratiquer le combat et de la réalité d'une transmission avec un professeur. INTEGRATION DU CORPS Nous avons, dans nos entretiens précédents avec: Jean-Paul Sagniez et Raymond Pain, abordé l'étude de la posture dans le cadre du Yi Quan. Mais il est plus juste de rappeler que dans toutes les disciplines martiales «Internes", les postures d'enracinement sont vivantes, toutes développent le Yi (l'intention) selon leurs particularités et leurs richesses. Cependant, tout Art Martial pose la question de l'efficacité quel que soit le sens que l'on donne à ce mot. Tous les courants proposent l'acquisition de l'homogénéité et de la sensibilité du corps pour devenir efficient. Aussi, afin de nous situer face aux paramètres qu'exige notre discipline, il est nécessaire de travailler le Tui Shou (Suishu en japonais) et le combat. Sans échange, on peut facilement se leurrer et rendre intellectuel tout discours sur le Qi (Chi), la force, etc. La mystification n'est alors pas loin. En effet, c'est par le Tui Shou (mains collantes) que nous pouvons nous rendre compte de notre intégration et de notre disponibilité. Prenons un exemple : vous êtes face à un partenaire très résistant, qui tient ses bras hauts en garde, dans une attitude posturale inébranlable. Si vous souhaitez baisser cette garde et ensuite exercer une poussée ou une projection, dans le cas où l'intégration corporelle n'est pas complète, seule la force de vos épaules travaillera. Vous y parviendrez certes, si vous êtes costaud (du moins plus que lui), mais non sans fatigue et non sans blocages. Dans le cas du Zheng-Ti (intégration totale du corps dans la technique), la force se propagera des jambes jusque dans nos bras, le dos étant partie prenante de l'exécution du mouvement et nous permettra de réaliser cet « exploit". Il s'agit en fait d'une seule et même conduction. Même les pratiquants de Taï Ji Quan devraient connaître ces principes. Dans le domaine interne, on peut vite se leurrer si l'on ne s'exerce pas avec un partenaire et si l'on ne rencontre pas d'opposition. Toutes les méthodes d'apprentissage, même si elles ont des pédagogies différentes, visent à intégrer le schéma corporel par la perception interne-externe. Pour les femmes, ce travail est très positif afin de développer leur émission de force ; sans une telle éducation du Zheng-Ti, comment pourraientelles prétendre obtenir une efficacité réelle en combat !? Sans parler du côté éducatif pour l'enfant ; progressivement il apprendra à utiliser son corps de manière plus optimale, plus rationnelle, en évitant nombre d'aspects traumatiques. Ainsi quand vous exécutez le Fa Li (émettre la force), si votre corps n'est pas en intégration totale, c'est votre articulation isolée qui va subir les phases de contraction et de relâchement. Il y a un risque évident de traumatisme au niveau de cette dernière qui n'est pas reliée à la globalité du corps dans l'exécution du mouvement. L'homogénéité est acquise selon le principe de la détente, qui sous-entend une prise de conscience de la relaxation, ce qui est rarement le cas où du moins elle n'est bien souvent que partielle. © Sakura L’Art du Mouvement – 2013 www.ecolesakura.com 1/4 La pratique réaliste des arts internes Gérald Ansart Article publié dans Arts Martiaux Magazine n° 50 LA RELAXATION Dans tous les Arts Martiaux, obtenir la relaxation pour pouvoir intégrer un mouvement homogène et global, est un travail minutieux, très minutieux et difficile. Il faut avoir une maîtrise progressive, consciente, de notre corps et des émotions qui s’y rattachent. Dans le Taï Ji Quan de Chen nous parlons du Fa Jing (émettre le subtil, la force intérieure), la conception du corps y est vécue très différemment par rapport au Yi Quan. Il n'empêche que la recherche de l'intégration du corps y est tres prononcée. J'ai eu l'occasion de rencontrer un expert très surprenant, qui pratiquait avec un total relâchement, une totale décontraction. Il excellait quand il fallait dégager la poussée et il était très difficile « de le bouger », bien qu'étant d'une taille très fine. Le Maître de Xing I Quan, Sung-Shih-jung a dit : « Détente complète, régulation de la respiration complète et une coordination du corps complète ». Dans un document, un maître japonais de Kei I Ken (prononciation du Xing I Quan en Japonais) rappelait qu'une totale détente doit accompagner des postures droites (poitrine « effacée »), un abaissement de la taille, des hanches et un fléchissement sur les jambes pour appréhender la gravité. Ces principes ne sont pas étrangers à une conduction musculaire unie au moment de la frappe et de l’impact. Dans son livre le professeur Yu Yong Nian insiste également sur la relaxation. Ainsi cette dimension semble être une clef de voûte qui doit s’étendre en profondeur au fond de nous même. En effet, la prise de conscience de la relaxation physique et mentale est très délicate, surtout dans le mouvement et encore plus dans un exercice avec un partenaire non conciliant. Certes, dans des conditions privilégiées, nous pouvons nous mettre dans un état de sensorialité, de proprioception, un état que l’on pourrait qualifier plus près d’un langage actuel de « sophronique ». Mais une fois que nous sommes dans l’action, cela devient plus difficile. Pourquoi ? Parce qu'en fait, ce sont de nouveau nos impulsions inconscientes, nos émotions enfouies et nos mémoires qui nous animent. Arriver à les suppléer, à les maîtriser, demande un travail de connaissance sur soi très important. Pour cela, il ne suffit pas simplement de s'exercer à l'imagerie mentale, au risque d'une auto-manipulation qui nous éloigne de notre réel : une illusion ! On ne peut pas aborder les Arts Martiaux (internes ou externes), si on souhaite les intégrer à notre culture, sans s'intéresser à nos caractéristiques psychologiques et sans rencontrer d'une manière personnelle, les mécanismes qui nous nous amènent à agir. Dans les Disciplines Martiales on parle souvent de maîtrise, de vertu, de calme, de philosophie. Personnellement, j’ai vu des gens d’un rang social très élevé, qui dans leurs discussions présentaient beaucoup d'intelligence et de discernement. Une fois qu'elles se trouvaient en combat, ce n'étaient plus les-mêmes. Elles devenaient tendues, crispées, agressives et agitées, avec des réactions parfois complètement infantiles. A chaque fois qu'il y a un affrontement, aucune tolérance n'existe. Chacun veut prouver qu'il a raison, chacun rentre dans un processus de force primaire et essaye de combler ses propres frustrations, tous les discours philosophiques n'y feront rien (je parle de l'entraînement en salle, au dojo, dehors il est parfois nécessaire de se montrer ferme !!). Alors, il est certain que l'on peut éviter le combat, l'affrontement et théoriser. On échappe ainsi à une réalité sur soi et on devient dans son langage très éthéré, très spirituel. Attention, je ne nie pas la valeur de ce langage, mais je dis qu'il est très rarement assimilé. Pourquoi ? Car nous n'osons pas aborder, chacun individuellement, les zones d'ombre, le travail sur l'inconscient, qui nous amènent justement à pratiquer et qui se révèlent quand tout se débride dans le cadré du combat. Il y a un vide et la vérité n'est pas aussi belle que celle que l'on écrit. L'épanouissement promis par la pratique des Arts Martiaux ne doit pas être un leurre ou un mensonge. Tant que nous n'accepterons pas de toucher les phases de notre inconscient et d'y mettre à jour bien des comportements ombrageux, nous vivrons avec un masque. C'est pourquoi, je pense qu'il est nécessaire parfois de vivre avec intensité en expérimentant sa vie dans le cadre de sa pratique. Il ne s'agit pas du tout de psychanalyse, mais d'une réalité que nous portons, à laquelle il faut être confronté. Beaucoup de mythes dans le patrimoine culturel universel, nous parlent de ce guerrier ou de ce chevalier qui va affronter son fantôme. Sans cette approche, il n'existe pas de voie. C'est souvent là, hélas, que certains s'arrêtent. L'INTÉRÊT DU COMBAT Combattre un adversaire c'est rencontrer ces « monstres intérieurs », un autre nous-même qui demeure le moyen de voir où nous en sommes, de connaître notre disponibilité mentale, physique dans une situation de « stress », « non protégée » par des discours ou des enseignements. Pratiquer des boxes souples ou internes, c'est essayer de connaître notre potentiel de maîtrise véritable. Attention, je parle d'un combat qui est respectueux de l'esprit. C'est-à-dire que nous considérons notre adversaire comme un partenaire, car il est l'élément révélateur de nos manques. © Sakura L’Art du Mouvement – 2013 www.ecolesakura.com 2/4 La pratique réaliste des arts internes Gérald Ansart Article publié dans Arts Martiaux Magazine n° 50 La différence entre le sport de combat et l'Art Martial vécu comme un Budô se place dans une perspective culturelle qui nous est très difficilement accessible. Les « codes » de l'Art du Combat se situent au Japon avec les principes du Maai, du Hyoshi et du Yomi, que nous traduisons souvent par distance, cadence, intuition ou divination. Le Maître Kenji Tokitsu en a fait un descriptif culturel et pratique très précis dans le cadre de ses écrits. Il ne s'agit donc pas que de mots, car dans la culture japonaise, ils introduisent des modes relationnels très profonds et ce dans la vie de tous les jours. Ce sont des notions qui reflètent un état d'être. Pour un pratiquant, aborder ces fondements du combat, ne doit pas se faire avec l'idée de marquer des points, mais de saisir ces dimensions avec la recherche d'efficacité, qui va s'étendre à la vie de tous les jours. Même pour un occidental qui veut s'imprégner du Budo il est tout à fait possible dans le cadre de sa propre culture, de poser un regard sur son existence et de voir les passages de son destin avec l'idée du Maai, du Hyoshi et du Yomi. En effet par rapport à des évènements vécus, comment ai-je été dans ma distance, dans ma cadence et dans ma perception des choses ? En fait, quelle était véritablement mon émanation ? Si nous considérons ces notions comme des bases éducatives, que nous abordons dans le cadre du combat et qui doivent s'étendre à notre quotidien, nous rentrons automatiquement, dans l'auto responsabilité de ce qui nous arrive. C'est pourquoi, je ne crois pas à la notion de victime. Si un pratiquant qui a quelques années d'études se place comme victime, c'est qu'il n'a pas saisi l'exigence de sa voie martiale, il oublie qu'il en est l'acteur. Dans la psychologie des profondeurs, Jung montre l'interrelation qui peut exister entre nos états intérieurs et les phénomènes extérieurs. Il parlait alors de synchronicité. Toutes les traditions ont marqué cette interrelation entre l'individu et son environnement, une transformation intérieure entraînant d'ailleurs inévitablement des conditions extérieures différentes. Nous sommes souvent séparés de notre entourage par un certain mode de perception de nous-même et du monde. Il s'agit donc dans le cadre du Budo et du combat, d'une philosophie pratique. Autrement, à quoi bon chercher l'enracinement, la décontraction et le développement de notre perception ? LA TRANSMISSION Cet archétype éducatif nous est enseigné automatiquement par une personne qui devient un modèle pour nous. C'est là où le rôle de la transmission est fondamental. Avancer dans les Arts Martiaux, s'est se réaliser soi-même et qu'on le veuille ou non, il restera toujours une partie de nous-même qui sera liée à notre premier véritable professeur. Pour ma part, c'est le Maître Kenji Tokitsu qui fut mon guide et il reste pour moi une référence, même s'il m'arrive de côtoyer et d'échanger avec d'autres experts de grand talent. Car, indépendamment de tous les aléas qui peuvent nous unir ou nous désunir à un maître, si celui-ci vous a éduqué, automatiquement d'une manière indélébile, nous avons une partie de lui qui est inscrite en nous. La renier, c'est renier ce fragment de nous-même. C'est renier également toute la part de talent qui a pu être déposée et qui peut germer, certes avec notre propre investissement. Personnellement, je suis certain que dans l'enseignement de l'Art Martial authentique, il y a un lien qui unit les gens quand ils sont reliés véritablement, je dis bien véritablement, par la Foi et l'Art. Il demeure un fil qui transcende à la fois tous les phénomènes d'excès, de débordements des relations affectives et émotionnelles qui ont pu se prêter et qui sont sous-jacentes à ce type de transmission. Au-delà de cette réalité, il subsiste un germe qui unit deux personnes indépendamment des tourments de nos psychés égocentrées. S'il s'avère qu'à l'issue d'une transmission, ce lien n'a pas été mis en évidence, c'est qu'il n'a jamais existé. C'est pour cela que vous verrez souvent des élèves avoir une attitude revancharde, cynique ou médiocre avec leur propre Senseï. Dans le cadre d'un apprentissage structurel, de postures, de techniques énergétiques, de sensibilisation et de combat, indépendamment des défauts du Senseï, c'est à l'essence de nous-mêmes qu'il essaye de faire appel. Mais lui, reste tout le temps un être humain. Nous pouvons alors avoir cette attitude d'être déçu par le fait que notre Maître ou ce professeur que nous avons placé si haut, ne soit en réalité qu'un simple homme, avec ses limites et ses défauts (et pourtant, heureusement !) ou alors, nous sommes émerveillés que dans les contours d'une personne humaine puisse s'exprimer une dimension géniale, qui dépasse sa condition, tout en l'intégrant, qui se développe, qui grandit et qui peut nous permettre d'être toujours en inspiration avec, ceci au-delà de nos chemins capables de divergences. Le discernement ne peut s'acquérir qu'en se confrontant et en vivant les situations dans notre vie. Pratiquer et cultiver l'enracinement, la flexibilité, la souplesse, donnent lieu à travailler sur notre discernement et nous conduire à une réelle connaissance de nous, tolérante et consciente, autrement notre pratique ne restera hélas qu'une illusion. © Sakura L’Art du Mouvement – 2013 www.ecolesakura.com 3/4 La pratique réaliste des arts internes Gérald Ansart Article publié dans Arts Martiaux Magazine n° 50 © Sakura L’Art du Mouvement – 2013 www.ecolesakura.com 4/4