justice du xxi° siecle

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justice du xxi° siecle
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Syndicat National
des Magistrats
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JUSTICE DU XXI° SIECLE:
REFORME GLOBALE OU « CLOUD » CONCEPTUEL ?
L'été s'achève alors que le ministère de la justice vient d'annoncer le déploiement de
plusieurs réformes en lien avec la « justice du 21° siècle ». Ces textes n'ayant pas
encore été soumis au Parlement, il est donc impossible de prendre position sur autre
chose que sur des projets.
Ceux-ci sont si nombreux et en pratique si nébuleux qu'il convient avant de
s'interroger sur leurs dispositions de se demander si le processus en cours ne relève
pas plus du nuage de concepts vaporeux, que de la fondation d'une analyse nouvelle.
Une fois la nuée dissipée, le risque sera grand de voir la « réforme de la justice du
21° siècle » s'évaporer comme bon nombre de celles qui les ont précédées car le
fond du problème, tel que nous l'analysons reste sans solution pérenne.
Et comme d'habitude, seule la situation des magistrats risque d'en être durablement
affectée.
ETUDE D'IMPACT NON COMMUNIQUEE
Lors des échanges avec les organisations professionnelles représentatives l'administration n'a produit aucune
étude d'impact relative à l'application des textes préparés. Cela n'a absolument rien de rassurant.
SIMPLIFICATION POUR LES JUSTICIABLES
Lorsqu'au sortir du dernier Conseil des ministres de juillet la Garde des sceaux est venue présenter la réforme
de la justice du 21° siècle, elle a beaucoup insisté sur l'intérêt qui existait à permettre à un justiciable d'être
informé des suites réservées à une de ses demandes depuis n'importe quel endroit du territoire, ou peu s'en faut.
COMPLEXIFICATION POUR LES GREFFES
La simplification de formalités ne peut être qu' approuvée. Elle suscite toutefois des inquiétudes.
Les textes pris pour l'application du projet prévoient dès à présent qu'une juridiction pourrait être amenée à
donner des informations sur des procédures suivies dans un autre ressort que le sien. L'administration a présenté
un projet de texte l'autorisant à calibrer les effectifs en conséquence, y compris avec des mécanismes de gestion
allégés.
Sous couvert de meilleur service universel, un risque réel de redéploiement officieux des effectifs se profile à
l'horizon.
Par ailleurs la ministre a prévu d'autoriser un possible usage de la communication électronique pour assurer
l'information « des justiciables qui le souhaitent ».
Si du point de vue des justiciables il s'agit d'une évolution favorable, l'existence d'un double système obligera à
prévoir un double circuit de vérification de réalisation de la formalité: le système « classique » par courrier, et
le système par la voie électronique.
La simplification ainsi opérée entraînera mécaniquement dans les services un niveau de complexité
supplémentaire.
VALSE-HESITATION SUR LA CONDUITE SANS PERMIS
S'agissant d'une des nouvelles dispositions pénales à venir, la répression par voie de simple contravention des
faits de conduite sans permis, la ministre s'est clairement montrée hésitante après plusieurs prises de position
d'associations d'usagers de la route.
Rapportée à la nécessité affichée de conduire les autres réformes une telle annonce est curieuse. Des dépenses
considérables ont précédé l'élaboration de ces projets de textes afin d'organiser de nombreuses consultations , le
ministère de la Justice allant par exemple jusqu'à louer les locaux de l'UNESCO pour les organiser.
L'INSTANCE A LA TRAPPE
Au nombre des innovations proposées par l'administration figure la possibilité de nommer un «magistrat
référent » au sein des juges des tribunaux d'instance d'un même ressort chargé de les « coordonner » .
Traduction: Garde à vous, fixe !
NOUVELLES MESURES VEXATOIRES POUR LES MAGISTRATS
La communication officielle du ministère au sujet de la Justice du 21° siècle est en fait presque pour moitié
centrée sur la réforme de la loi organique portant statut de la magistrature. Ce qui est surprenant car les
consultations conduites sur ce chantier l'ont été de manière complètement indépendante de la réforme de la
Justice du 21° siècle.
Le ministère prévoit de reprendre trois projets distincts:
– d'une part l'alignement des modes de nominations des magistrats du ministère public sur celui du siège
après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature,
– d'autre part, la nécessité devant laquelle se trouveront certains magistrats de déclarer leur patrimoine, et
la totalité du corps de procéder à des « déclarations de conflits d'intérêt »,
– et enfin une réforme de l'Ecole nationale de la magistrature autorisant celle-ci à former d'autres publics.
Or selon nous:
- le premier terme du projet a peu de chances d'aboutir, car il nécessite en fait une réforme de la
Constitution. Sans elle la possibilité de voir le texte passer le filtre du Conseil constitutionnel est assez
hypothétique. L'affirmation de la conduite de cette réforme apparaît donc plus cosmétique que réaliste.
- le second projet qui peut être mis en oeuvre par une réforme de la loi organique, sans réforme
constitutionnelle a en revanche toutes les chances d'aboutir car il se trouve curieusement toujours une majorité
conséquente pour ajouter à la magistrature judiciaire de nouvelles obligations professionnelles.
Nous avons en son temps vivement protesté contre le projet de déclaration de patrimoine et l'instauration
d'entretiens déontologiques.
Depuis 2007 de nombreuses dispositions du statut de la magistrature ont durci les conditions de la
répression disciplinaire sans qu'aucune analyse sérieuse ne soit conduite pour mesurer les effets de ces réformes
et sans que la volonté d'assurer en matière disciplinaire un procès équitable aux magistrats ne soit aujourd'hui
garanti.
Ces obligations nouvelles viennent se rajouter à un ensemble de dispositions statutaires et disciplinaires
relatives à la déontologie de la profession dont la rigueur excède tout autre statut de la Fonction publique de
l'Etat.
La réforme de l'ENM enfin est hasardeuse car elle intègre la formation des conseillers Prud'hommes. Or
la plupart des centrales syndicales, ainsi que notre organisation, sont opposées à une telle perspective.
UN PROBLEME DE GOUVERNEMENT ET PAS SEULEMENT DE « GOUVERNANCE »
Depuis de nombreuses années, l'accent est mis sur le fait que l'insatisfaction ressentie par les Français au sujet
du fonctionnement de leur système judiciaire tiendrait au fait que les juridictions seraient mal gérées et mal
organisées.
Au nom de cette insatisfaction les réformes de gestion et d'organisation de la justice et de la magistrature se
sont multipliées depuis 20 ans. Chaque fois la méthode est la même: un constat de carence dressé par le pouvoir
exécutif, une ou plusieurs commission ad hoc avec des intervenants bien choisis, et un cycle de réformes
parfois sans grand lien avec l'objet initial.
La critique qui impute une partie des dysfonctionnements à la mauvaise gestion des magistrats est sans doute
marginalement pertinente car administrer et juger sont des choses différentes en dépit des efforts de formation
faits en la matière. Cependant , il est aussi indéniable que la question de l'attribution des moyens et du contrôle
de leur affectation, tout comme la qualité des normes applicables sont elles aussi en cause.
Même si ces difficultés font parfois figure « tarte à la crème » elles n'en sont pas moins réelles. L'obscurité de
la loi sape l'autorité du juge et les magistrats ne sont pas responsables des arbitrages pris pour la gestion de
l'Etat .
13 régions 38 cours d'appels ?
Enfin à qui fera-t-on croire que la réforme territoriale en cours sera sans incidence à terme sur l'architecture du
système judiciaire ?
Même si l'on adhère pas à cette réforme, désormais applicable, la nouvelle région Rhône-Alpes-Auvergne, pour
ne prendre qu'un seul exemple ne comptera pas moins de 5 cours d'appel sur son territoire, autrement dit un seul
préfet et cinq procureur généraux. Combien de temps une telle dissociation subsistera-t-elle avant que de
nouvelles adaptations ne soient déclarées indispensables ?
LA JUSTICE, AVEUGLE OU SANS VISION ?
Pour notre organisation ce qui fait réellement obstacle à l'émergence d'une autorité judiciaire dont la légitimité
serait réaffirmée c'est l'absence d'une vision d'ensemble partagée par l'ensemble des responsables politiques sur
un minimum de données incontestables.
La première source de légitimité du fonctionnement d'un système judiciaire c'est son efficacité. Celle-ci dans un
contexte de budgets contraints ne peut pas être absolue et ne peut être que relative.
Mais cette relativité doit être adaptée aux besoins du pays. Elle impose donc des choix de gestion et des choix
politiques. Enfin elle doit clairement être assurée.
Il importerait donc de construire de normes de fonctionnement réalistes permettant le calcul de la dévolution
des moyens alloués au système judiciaire pour fonctionner et une juste évaluation des besoins réels pour
parvenir à assurer ces objectifs.
C'est pourquoi une réforme indispensable serait de ne pas laisser l'administration centrale d'un ministère seule
responsable de l'élaboration des études d'impact relatives aux lois nouvelles.
Car il existe un véritable « conflit d'intérêt » à procéder ainsi.
L'exercice d'un contrôle extérieur au seul gouvernement sur la faisabilité d'un certain nombre de réformes
devient chaque jour plus indispensable.
La deuxième source de légitimité d'un système judiciaire réside donc dans le soutien des autres instances de
l'Etat pour assumer les choix de gestion faits au nom du « Peuple français ».
Ici aussi, il est nécessaire de dépassionner le débat, d'interdire les invectives politiciennes et de séparer les
exercices budgétaires « courts » des exercices budgétaires « longs ».
L'autorité judiciaire a besoin de visibilité dans le déploiement de projets structurels . La mise en place de
normes nouvelles doit être clairement séparée des besoins constants des juridictions pour fonctionner et des
investissements à long terme nécessaires pour financer les réformes de fond.
Juger ou contrôler ?
Cela ne serait pas si grave si l'autorité judiciaire n'était confrontée depuis plusieurs années à une véritable
remise en question de la manière dont elle doit exercer sa fonction principale qui est de juger.
Bon nombre d'évolutions récentes ont limité l'implication de la magistrature dans le fonctionnement de
l'autorité judiciaire.
Certains contentieux ont été clairement privatisés.
Le rôle de la magistrature dans leur traitement a donc été réduit d'autant.
D'autre évolutions ont eu pour effet de modifier de manière plus indirecte l'intervention des tribunaux.
De plus en plus souvent les magistrats sont positionnés comme des vérificateurs d'actes faits par d'autres au lieu
d'être utilisés comme les producteurs d'une construction intellectuelle que l'on appelle une procédure. Le rôle
des magistrats dans l'application « directe » de la loi subit donc depuis des années une forme de « baisse
tendancielle ».
S'agissant de la matière civile les dispositions du projet de loi qui visent à rendre obligatoire une phase de
médiation familiales sont sous-tendues par ce nouveau rôle du juge.
S'agissant de la matière pénale, cette tendance s'est manifesée à travers notamment le développement de la
« troisième voie ». Elle a fait du juge l'instance d'homologation de décisions initiées par le ministère public, qui
est lui-même devenu un organe de contrôle non pas de l'action de la police, mais des flux qu'orientent vers lui
ses différents services. Parallèlement le rôle du juge d'instruction a été réduit d'autant.
Le système français d'un juge gardien du droit est donc en train d'évoluer vers un juge gardien de la procédure,
« à l'anglo-saxonne », serait-on tenté d'écrire.
Changer la magistrature pour changer la justice ?
Le biais qui a consisté à rendre la magistrature responsable de l'entier dysfonctionnement du système judiciaire
mérite d' être abandonné parce que la magistrature ne forme pas l'intégralité des professions judiciaires et que
son action dépend de l'intervention d'acteurs qu'elle ne maîtrise pas.
Le procès n'est pas la chose des parties mais une mise à disposition d'argent public
Pour notre organisation dans un tel contexte il est vain de chercher à réformer le système judiciaire si l'on ne
réfléchit pas à coordonner dans le même temps une profonde évolution d'un certain nombre de professions
judiciaires. Il n'est pas possible de changer les critères de fonctionnement du système judiciaire sans assumer de
changer la culture du système judiciaire.
Et cela non pas seulement au niveau de leurs structures d'organisation, mais bien aussi au niveau d'un certain
normes de fonctionnement communes.
En cela la « réforme de la justice du 21° siècle » a dès à présent manqué son effet puisqu'elle n'envisage pas de
telles avancées . Dans le même temps la « loi Macron » n'a apporté aucun élément nouveau engageant une
réflexion de fond sur de telles normes de fonctionnement adaptées aux exigences sociales nouvelles.
Or ces avancées sont indispensables car en l'absence de politique commune sur ce que doit garantir le
fonctionnement cohérent du système judiciaire les risques de déstabilisation de celui-ci seront nombreuses.
Sur le plan économique, la gestion des crédits de l'aide juridictionnelle, mais aussi de tous les frais induits par le
droit au respect à un procès équitable en matière pénale constituent un enjeu financier considérable qui ne peut
pas être réglé sans une analyse fine des enjeux.
Enfin sur le plan statutaire si les exigences imposées aux magistrats tendent à la perfection, alors que les
moyens qui leur sont alloués confinent à l'indigence, leur mise en difficulté sera grandement facilitée.
L'ABSENCE D'UNE PENSEE GLOBALE ET D'UN « TEMPS LONG » EMPECHE TOUTE
EVOLUTION REELLE
Or l'actualité récente fait apparaître que la question du fonctionnement de l'autorité judiciaire est aujourd'hui
fragmentée au sein même du gouvernement.
Une partie des problématiques relatives aux professions réglementées et notamment les huissiers et les notaires
ont été conduites sous l'impulsion du ministre de l'économie, le ministère de la justice n'étant pas le premier
moteur de la réforme. Mais au-delà de cet aspect purement conjoncturel, la difficulté apparait plus profonde.
NOTRE REVENDICATION: REFONDER L'ANALYSE
Dans le courant de l'année 2004 lors de la mise en place de la « LOLF » notre organisation avait publié un
communiqué titré « les payeurs seront-ils les décideurs ? » qui traduisait tous les risques de dérive consistant à
« plaquer » un système de gestion financière sur une institution qui ne peut pas être gérée sur cette seule base
intellectuelle.
Dix ans plus tard l'avenir nous a totalement donné raison: l'absence d'indicateurs pertinents dans l'évaluation
des besoins des juridictions a contribué à rendre encore plus difficile le fonctionnement des juridictions et à
faire perdre presque toute légitimité à l'autorité judiciaire.
Cette cécité volontaire traduit une absence de pensée judiciaire.
Il est plus que temps de sortir par le haut du cycle infernal des réformes perpétuelles pour conceptualiser une
nouvelle organisation judiciaire à même de restaurer la confiance des citoyens envers les tribunaux.
Et à l'heure ou nous écrivons ce dont la justice apparaît avoir le plus besoin c'est avant tout d'une analyse sur ce
qu'elle est devenue depuis l'introduction des réformes managériales visant à « améliorer » son fonctionnement.
Fo-Magistrats soutient la nécessité de tenir des états généraux de la justice judiciaire.
INFORMATIONS RAPIDES
Une pensée pour Sabine Maillard-Chardonnay, vice-président à Fort de France
Notre collègue Sabine Maillard a récemment mis fin à ses jours à Fort-de-France. Nous avons une pensée pour
elle et ses proches.
Conseil constitutionnel: Les héros sont fatigués.
Si l'on en croit l'édition du « Canard Enchaîné » du 12 août 2015 les membres du Conseil constitutionnel
seraient au bord du burn-out en raison du grand nombre de dispositions nouvelles récemment soumises à son
contrôle et à la faiblesse du nombre de rapporteurs présents en son sein (en l'absence notamment de plusieurs
anciens présidents de la République, mais aussi en raison de l'absence de rédaction de rapports par son
président...): une juridiction sinistrée de plus.