Sûreté consentie en garantie de la dette d`un associé
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Sûreté consentie en garantie de la dette d`un associé
La question de l’octroi par une société d’une sûreté en garantie de la dette personnelle d’un dirigeant relève d’un régime différent selon la forme sociale : Dans les sociétés à risques limités, l’octroi d’une garantie au profit d’un associé ou dirigeant se trouve limitée ou interdite par des dispositions spéciales : Dans les SA, il est interdit, sous peine de nullité de cautionner ou d’avaliser les engagements des administrateurs, personnes physiques, envers les tiers ainsi que ceux des directeurs généraux et DG délégués et des représentants des personnes morales administrateurs, sauf exceptions (art. L.225-43 C.com.). Les autres « cautions, avals et garanties » donnés par les sociétés en garantie de la dette d’un tiers doivent faire l’objet d’une autorisation par le conseil d’administration (L.225-35, al. 4) selon les modalités prévues à l’article R.225-28. Dans les SARL, sont interdits les « cautions ou avals » donnés par la société en garantie des LETTRE CREDA-SOCIETES n° 2014-26 Sûreté consentie en garantie de la dette d’un associé : distinction entre objet social statutaire et intérêt social engagements pris, envers les tiers, par les associés ou gérants personnes physiques, les représentants légaux des personnes morales associées et leurs conjoints et descendants ; ce, à peine de nullité (L.22321 C.com.). En revanche, le cautionnement consenti au profit d’un associé personne morale n’est pas interdit ; il ne peut être déclaré nul que si est établie sa contrariété à l’intérêt social (Com. 17 déc. 2003, n° 02-11.245, inédit). Dans les sociétés à risques illimités, il n’existe aucune disposition faisant état d’une quelconque limitation de la faculté pour une société de garantir les engagements personnels de leurs associés ou dirigeants. La jurisprudence a dû préciser les conditions d’octroi d’une telle garantie, selon les règles générales relatives à la préservation de l’objet social et de l’intérêt social (art. 1832 et 1833) et à la détermination des pouvoirs du gérant er (art. 1849 C.civ. et L.221-6, al. 1 C.com.). Par un arrêt du 23 septembre dernier (Com. 23 sept. 2014, n° 13-17.347, à paraître au Bulletin), la Cour de cassation est venue consolider cette construction, qui recèle cependant encore quelques incertitudes. « n’est pas valide la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé dès lors qu’étant de nature à compromettre l’existence de la société, elle est contraire à l’intérêt social ; qu’il en est ainsi même dans le cas où un tel acte entre dans son objet statutaire ; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que l’immeuble donné en garantie du prêt consenti par la Caisse à M. X… constituait le seul bien de la SCI, de sorte que cette dernière, qui ne tirait aucun avantage de son engagement, mettait en jeu son existence même, la cour d’appel a statué à bon droit ». 1 Ce document provient du site internet du CREDA : http://www. creda.cci-paris-idf.fr Les droits de reproduction sont réservés et strictement limités le 20 octobre 2014 Dans une espèce assez classique, une SCI familiale avait constitué une hypothèque portant sur son unique bien immobilier au profit d’une banque, en garantie des sommes prêtées à l’associé gérant. La SCI avait contesté la délivrance du commandement valant saisie adressé par la banque en arguant de la nullité de la sûreté du fait de sa contrariété à l’intérêt social. La Cour d’appel ayant accueilli cette argumentation, la banque s’était pourvue en cassation en soutenant que la garantie octroyée ne pouvait être contraire à l’intérêt social du fait de son inclusion expresse dans l’objet social résultant de la modification statutaire réalisée à l’unanimité. Rejetant le pourvoi, la chambre commerciale a jugé que : Par sa formulation, l’arrêt s’appuie sur les principes suivants : En visant la « sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un tiers », la chambre commerciale re vise tant les sûretés personnelles que les sûretés réelles (au sujet d’un cautionnement hypothécaire, déjà 1 Civ. 8 nov. 2007, n° 04-17.893, Bull. civ. I n° 345) ; La conformité à l’intérêt social s’apprécie indépendamment de la prévision d’un tel acte dans l’objet social statutaire. Tel est là l’enseignement essentiel de l’arrêt, en réponse au pourvoi : L’argument du demandeur fondé sur le caractère « unanime » de la modification statutaire ayant inclus l’octroi d’une sûreté dans l’objet social est écarté. L’accord unanime des associés ne permet de surmonter les limites de l’objet social et des pouvoirs reconnus au gérant que si les garanties ne sont pas contraires à l’intérêt social, ainsi que l’a déjà affirmé la chambre commerciale pour les SCI (Com. 28 mars 2000, n° 96-19.260, Bull. civ. IV n° 69), puis pour les SNC (Com. 18 mars 2003, n° 00-20.041, e Bull. civ. IV, n° 46) par application des articles L.221-6 C.com. et 1852 C.civ. (récemment, 3 Civ. 12 sept. 2012, n° 11-17948, Bull. civ. III n° 121). La conformité d’un acte à l’intérêt social ne peut être déduite mécaniquement de la possibilité de le conclure reconnue par les statuts. Elle s’apprécie au regard de ses conséquences concrètes sur l’activité de la société. Si la prévision de l’octroi d’une garantie dans les statuts peut être nécessaire re (1 Civ. 8 nov. 2007, préc.), elle n’est pas suffisante. Les éléments de nature à établir la conformité de la sûreté à l’intérêt social ont été correctement établis par la Cour d’appel. Celle-ci a en effet constaté que : La société ne tirait aucun avantage de son engagement au profit de l’associé. Il y a là rappel implicite que la conformité à l’intérêt social peut résulter de la communauté d’intérêts existant entre la société et l’associé garanti (Com. 8 nov. 2005, n° 01-15.503, inédit). L’immeuble hypothéqué était l’unique bien de la société, de sorte que le risque de réalisation de la sûreté mettait en jeu son existence même (déjà, Com. 3 juin 2008, n° 07-11.785, inédit). Cette considération de fait se prête à deux interprétations, en fonction de la rédaction des statuts. La saisie de l’unique bien appartenant à la société peut être analysée comme : Une disparition de la possibilité de réaliser toute activité immobilière, donc la disparition de tout objet réel; Une dissipation de l’objet social statutaire. L’octroi de la garantie équivaut alors à un risque de de dissolution du fait de « la réalisation ou l'extinction de son objet » au sens de l’article 1844-7, 2°, du Code civil. Une incertitude n’est cependant pas levée. Quelles sont les sociétés concernées ? L’arrêt ne se réfère qu’à la sûreté accordée « par une société civile », on peut s’interroger sur son éventuelle application par analogie aux sûretés réelles consenties par les SNC. Alors que les solutions acquises au sujet des SCI concernent tous les types de sûretés ainsi que le confirme clairement l’arrêt commenté, la jurisprudence relative aux SNC semble refuser d’admettre la conformité à l’intérêt social de la constitution d’une sûreté réelle (Com. 25 janv. 2005, n° 02-18287, inédit). Peut-être est-ce la jurisprudence relative aux SCI qui vient ici se rapprocher de celle qui concerne les SNC en venant restreindre les possibilités de recours au crédit de ces dernières ? En revanche, si la préservation de l’objet social est indispensable au fonctionnement de la société, on ne voit plus bien en quoi une garantie qui fait l’objet d’un contrôle strict et vital pour les SCI pourrait être refusée à des sociétés qui, par leur forme, n’accordent pas une importance aussi capitale à leur patrimoine immobilier. Jérôme Chacornac Docteur en droit 2 Ce document provient du site internet du CREDA : http://www. creda.cci-paris-idf.fr Les droits de reproduction sont réservés et strictement limités