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Les preuves de la fortune de l’UMP Balkany dans les paradis fiscaux / 25 octobre 2013 | Par Fabrice Arfi et Mathilde Mathieu
Après la publication du livre French Corruption, dont il est le témoin central, l’ancien élu des Hauts-de-Seine Didier Schuller a remis à la
justice, mercredi 23 octobre, quatre documents accablants sur les montages offshore et la fortune de Patrick Balkany en Suisse, au
Liechtenstein et à Saint-Martin. Mediapart les publie en intégralité.
L’heure de la vengeance a sonné pour Didier Schuller. L’ancien élu des Hauts-de-Seine, qui avait porté bien seul le chapeau judiciaire dans
l’affaire des HLM 92, n’est pas venu les mains vides, mercredi 23 octobre, dans le cabinet des juges anti-corruption Renaud Van Ruymbeke
et Roger Le Loire.
À l’origine, l’ancien conseiller général RPR de Clichy-la-Garenne, où il se présente pour les prochaines élections municipales, était entendu sur
des confidences du marchand d’armes Ziad Takieddine dont il a dit, dans le livre French Corruption (Stock), avoir été le destinataire
concernant le financement de la campagne d’Édouard Balladur en 1995.
Mais n’étant qu’un témoin très indirect dans ce dossier, c’est sur une tout autre affaire que Didier Schuller a apporté aux juges des
éléments probants, sous la forme de documents bancaires, traces de versements et rapports de police édifiants, que Mediapart publie en
intégralité (voir page 2 de cet article). Tous portent sur les montages offshore et la fortune en Suisse, au Liechtenstein ou à Saint-Martin,
de l’actuel maire et député de Levallois-Perret, Patrick Balkany (UMP).
Président de l’Office des HLM des Hauts-de-Seine quand Didier Schuller en était le directeur général (1988-1995), Patrick Balkany, un
intime de l’ancien président Nicolas Sarkozy, est aujourd’hui – et plus que jamais – dans le viseur de son ancien complice.
Didier Schuller, qui a connu la prison et le bracelet électronique après avoir été condamné en 2005 puis en 2007 en appel, contrairement à
Patrick Balkany, relaxé, n’a pas caché sa rancune devant les magistrats : « J’ai payé ma dette, je constate aujourd’hui que le président de
l’office des HLM de l’époque, M. Balkany, a été relaxé. Il s’en est bien mieux sorti que moi. Je n’ai aucun patrimoine si ce n’est qu’un quart
d’appartement en indivision, ayant appartenu à ma mère », a-t-il dit sur procès-verbal.
« Par contre, a-t-il ajouté, M. Balkany, comme la presse le relate et comme semblent le confirmer les documents que je vous ai remis en
copie et qui étaient à la disposition de la justice, aurait à sa disposition un palais à Marrakech, une résidence de luxe à Saint-Martin et
l’usufruit du Moulin de Giverny. »
Il a terminé sa déposition d’une phrase assassine : « Je suis heureux de voir que ce que je pensais être du financement politique a pu
profiter à d’autres fins et sans doute personnelles. » Lui qui fut de tous les secrets de Patrick Balkany dans les années 1980 et 90 sait de
quoi il parle. Au terme de l’audition, les juges ont donc annexé quatre documents accablants pour l’actuel député et maire de Levallois, que
leur a remis le témoin.
Fait surprenant : tous ces documents sont issus de la procédure judiciaire sur l’affaire des HLM, vieille de quinze ans, mais, étrangement,
n’ont pas provoqué la mise en cause de Patrick Balkany sur les faits précis qu’ils révèlent. « C’est extravagant ! Je n’ai jamais été interrogé
dessus, ni à l’instruction, ni lors des procès en première instance ou en appel, alors que c’était dans le dossier », s’étrangle aujourd’hui Didier
Schuller, interrogé par Mediapart. « C’est évident : Balkany, dont ces documents montrent qu’il a quand même blanchi 33 millions de francs
et qu’il possède un patrimoine caché, a été protégé », poursuit-il.
Nul ne sait, pour l’heure, quelles suites judiciaires vont donner les juges Van Ruymbeke et Le Loire à cette remise de documents, qui
s’avèrent totalement extérieurs à leur champ d’investigation sur les ventes d’armes et la campagne Balladur. Contacté, le parquet de Paris
dit n’exclure aucune hypothèse. D’autant que se pose clairement la question de l’éventuelle pérennité d’un tel système ou de sa
transformation grâce à d’autres montages, toujours au profit de Patrick Balkany, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Des preuves deux fois entre les mains de la justice...
Voici le détail des documents remis par Didier Schuller à la justice :

1) UN RAPPORT DE POLICE DE 1998
Après une « série de vérifications bancaires », un officier de police judiciaire résume en juin 1998 ses trouvailles, à l’intention du juge
d’instruction Philippe Vandingenen : une holding suisse baptisée “Supo” apparaît avoir versé en trois fois, sur le compte bancaire parisien de
Patrick Balkany, quelque 31,5 millions de francs (soit 4,8 millions d’euros entre 1989 et 1991) pour acheter « près de 50 % » de la société de
prêt-à-porter familiale des Balkany, Laine et soie Réty.
Une drôle d’affaire pour Supo, puisque l’entreprise d’habillement est « endettée à hauteur de 28 millions d’euros » et ne vaut pas grandchose – ces actions seront d’ailleurs revendues « un franc symbolique » quelques années plus tard. Conclusion de l’enquêteur : cette belle
opération commerciale « peut avoir servi à masquer le versement de fonds à M. Patrick Balkany, alors président de l’Office départemental
HLM du 92 ».
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2) UN VERSEMENT DU LIECHTENSTEIN VERS LA SUISSE
Saisi par un magistrat suisse à la demande du juge Vandingenen, ce document inédit révèle un versement de 11,025 millions de francs (soit
1,7 million d’euros), ordonné en 1991 par la société Lecaya basée au Liechtenstein au profit de la société “Supo”, dans une banque suisse de
Zurich. Celle-ci semble avoir ensuite transféré l'argent sur le compte parisien de Patrick Balkany, dans le cadre du rachat de Laine et soie
Réty.
Dans le livre French Corruption, Didier Schuller assure que « l’ayant droit de Lecaya était… Patrick Balkany ». « C’est par cette discrète
société au Liechtenstein que transitaient les fonds issus des marchés publics destinés à Patrick Balkany », affirme-t-il. En clair, l’étrange
vente des actions de Laine et soie aurait permis à l’élu UMP de blanchir l’argent détourné sur les marchés publics du 9-2. De fait, ce
versement de 1991 doit bien bénéficier indirectement à Patrick Balkany, puisque le juge helvète qui a saisi le document bancaire prend soin
de lui communiquer la pièce (voir page 2).
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3) UN RAPPORT DE POLICE DE 2001
En 2001, la police judiciaire s’est déplacée sur l’île antillaise de Saint-Martin, où Patrick Balkany a ses habitudes. Et dans une synthèse
destinée à la juge d’instruction Michèle Vaubaillon, jamais publiée, l’officier rapporte que « Monsieur Balkany possède un compte bancaire
dans la partie hollandaise de l’île (…) qu’il utilise pour ses besoins personnels ». A-t-il jamais été déclaré au fisc français ? L’enquêteur
estime surtout que Patrick Balkany, officiellement locataire d'une villa avec piscine baptisée Maison du soleil, « est dans les faits
propriétaire ». Grâce à des informations préalablement recueillies sur une société « paravent » liée à l'élu UMP, Atlas Finanz service, il se
permet même « de supposer que M. Balkany est également propriétaire » d'un second bien sur Saint-Martin, la villa Serena.
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
4) UN COMPTE EN SUISSE
Déjà publiée par Le Point, cette quatrième pièce atteste de l’ouverture d’un compte en Suisse par Patrick Balkany, au sein de la banque ABN
Amro, en juillet 1994. Dès lors, se pose la même question que pour le compte à Saint-Martin : a-t-il bien été déclaré ? Dans le livre French
Corruption, Didier Schuller croit se souvenir qu’à un moment, « il y avait au moins 18 millions de francs, il me l’avait dit ».
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Sollicité par Mediapart, Patrick Balkany n’a pas souhaité répondre à nos questions. Dans un communiqué publié sur Twitter après les
révélations du Point, il était tout de même revenu sur l’opération concernant Laine et soie Réty, affirmant : « J’ai vendu à un investisseur
suisse, en toute légalité, mes actions de l’entreprise familiale de prêt-à-porter, à la fin des années 1980. Le produit de la vente de ces
actions a été intégralement transféré à l’époque au CCF de Levallois. »
Les autres affaires Balkany en cours
Plus d’un an après le départ de son ami Nicolas Sarkozy de l’Élysée, Patrick Balkany apparaît désormais de plus en plus cerné par la justice,
qui investigue en outre sur plusieurs affaires liées à son mandat de maire de Levallois-Perret.
Le procureur de Nanterre, Robert Gelli, vient certes de classer sans suite l’enquête ouverte en 2012 sur certaines dérives au sein de la
police municipale, en particulier sur les écoutes illégales mises en place par la ville à l’insu des agents – « la régularisation de la situation est
intervenue », a bien voulu considérer le parquet. Mais deux autres dossiers plus encombrants, explorés par la police judiciaire parisienne,
ont de quoi donner des sueurs froides à l’élu UMP.
Dans le cadre d’une enquête préliminaire, les enquêteurs de la PJ s’intéressent en effet aux chauffeurs du maire (des policiers municipaux
pour la plupart), que Patrick Balkany a embarqués lors de plusieurs vacances à Saint-Martin. Ils cherchent à savoir qui a payé leurs billets
(de l’élu ou de la municipalité), si les agents ont conduit sur place ou fait bronzette, s’ils ont voyagé sur leur temps de travail (en clair aux
frais de la collectivité) ou bien posé des vacances.
Début octobre, lors d’une visite surprise à la mairie de Levallois, les policiers ont ainsi saisi plusieurs documents administratifs, plannings et
feuilles de congés, susceptibles d’étayer – ou non – le scénario d’une prise illégale d’intérêts. (Voir notre enquête ici.)
Par ailleurs, comme l’a révélé Le Parisien le 17 octobre, une information judiciaire a été discrètement ouverte en 2012 par le parquet de
Paris, qui vise l’emploi présumé fictif d’un certain Jean Testanière, recruté par la ville de 2006 à 2010, bizarrement injecté dans
l’organigramme du Levallois Sporting Club en 2009, avec pour mission officielle la préparation psychologique des athlètes du pôle olympique.
Surnommé « Le Mage » pour des dons supposés de guérisseur (dont il aurait fait profiter Isabelle Balkany), Jean Testanière s’est surtout
retrouvé accusé d’« abus de confiance » et d’« association de malfaiteurs » au récent procès du cercle Wagram, cet établissement de jeux
parisien lié au grand banditisme corse.
Si l’instruction a été prudemment ouverte « contre X... », elle menace aujourd'hui le maire, qui a défendu lui-même cette embauche devant
son conseil municipal.
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