Un article ()

Transcription

Un article ()
Génération «GossipGirI»
Pensées libre, par Philippe Petit
I
l y a des jours comme
chez que la bête fait des
ça. Regarder la série
ravages. Elle ronge la psy« Gossip Girl » en dichologie des midinettes et
rect, on préférerait « ne pas
des jeunes garçons, les por», comme Bartleby, le pertant vers ce qu'il y a de plus
sonnage de Melville. On
trivial, de plus faux, de plus
aimerait pouvoir renoncer.
rutile, de plus niais, de plus
Se dire qu'après tout une
égocentrique, de plus persérie ne fait pas le prinvers, de plus impitoyable. Je
temps. Mais quand même.
l'avoue, sans le livre de MoLes très jeunes adolescents
na Chollet, Beauté fatale,
des collèges en parlent, ils
consacré aux nouveaux visont nombreux à la regarder
sages de l'aliénation fémientre deux cours, deux renine, je n'aurais pas eu l'idée
pas familiaux. Il faut bien se
de m'en soucier. Longtemps
mettre à leur
j'ai cru que l'école
place pour cométait plus forte. Je
prendre. Quoi?
le crois plus. La
La lutte entre la ne
La bêtise
lutte entre la télétélévision et
contemporaine.
vision et l'école se
L'expression est
l'école se joue à joue à parties inétrop facile. Et
gales. Sans la
parties inégatout le monde
famille, sans la
les. Sans la fasait que la pluculture, les adomille, la culture, lescents sont
part des parents
ne contrôlent
les adolescents condamnés. Les
pas le contenu
garçons demeusont condamdes chaînes.
rent immatures,
nés.
Cette série est
incapables de
accablante. La
surmonter leur
vie de la jeuadolescence, et
nesse dorée des élèves de
les filles grandissent trop
deux écoles privées newvite. Elles sont sommées de
yorkaises, vue à travers les
devenir des séductrices acyeux ironiques d'une mystécomplies, la mode - pas tous
rieuse blogueuse, surnomles créateurs - ayant mis fin
mée « Gossip Girl », cela
à la jeune fille conquérante,
pourrait être drôle, or c'est
susceptible de traverser les
désespérant. Cinq saisons,
apparences, au profit de
quatre-vingt-onze épisodes.
cette fille-femme qui est au
Disponible en DVD. Surtout,
centre du livre de Mona
ne l'achetez pas. Mais saChollet. L'auteur a du cou-
rage de s'être ainsi coltiné
l'intégrale de la presse féminine ; heureusement qu'elle
a lu les féministes américaines pour faire contrepoids.
On savait déjà que
chez Dior, on ne rigolait
pas. Et que chez L'Oréal, on
était prêt à tout. On imaginait
un peu ce qui s'écrit sur certains sites. Mais on avait un
train de retard. Le Petit Écho
de la mode, comparé à ce
qui se dit aujourd'hui de la
beauté, de l'art du shopping
et des codes de la féminité,
c'est David contre Goliath.
Les grosses machines à
décerveler ne ; reculent devant rien. De nos jours, il
faut faire du buzz avec son
corps. Cela commence avec
la frénésie épilatoire et
s'achève parla chirurgie esthétique. Mona Chollet va
même jusqu'à parler de «
mentalité eugéniste ». Elle
n'a pas tort. « Il en va de la
survie des plus belles »,
comme l'a d'ailleurs déclaré
un ponte de la chirurgie esthétique, en 2007. La blogueuse Gossip s'en amuse.
Le grand Yamamoto s'en
afflige. C'est toute la différence entre la mode qui
écrase les femmes et celle
qui les aide à respirer.
* Beauté fatale, de Mona Choltet,
Zones/La Découverte, 250 p., 18 €.
In : Marianne No 775, p 85 / 25 février au 2 mars 2012
pf - mars 12