Après une Journée sans crédit, une vie sans dettes

Transcription

Après une Journée sans crédit, une vie sans dettes
Question de point de vue
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En réaction à l'accord du gouvernement :
Rue de Gembloux, 48 - 5002 Saint-Servais
Tél : 081/73.40.86 - Fax : 081/74.28.33
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Cette analyse est téléchargeable sur :
www.equipespopulaires.be
Après une Journée sans crédit,
une vie sans dettes ?
Avec le soutien de
Décembre 2011
Auteure : Monique Van Dieren,
responsable des campagnes et des publications aux Equipes Populaires
Le nombre de personnes en difficulté financière ne cesse d’augmenter, et l’usage du crédit
pour combler un manque chronique de revenus se généralise.
Au nord comme au sud du pays, les médiateurs de dettes sont débordés et confrontés de plus
en plus à des ménages insolvables. Les derniers chiffres de la Centrale des crédits aux
particuliers, ainsi que diverses études confirment la progression de l'endettement et du
surendettement, liés au crédit et/ou aux charges de la vie courante (soins de santé, énergie,
taxes, etc.) On ne peut pas ignorer la réalité actuelle qui est celle d’une pauvreté
grandissante.
La plate-forme Journée Sans Crédit (constituée
de 21 organisations de protection des
consommateurs, de prévention du
surendettement et de lutte contre la pauvreté1)
fait depuis de nombreuses années des
propositions en vue de mieux protéger les
1
consommateurs et combattre de façon plus
efficace le surendettement.
Une bonne loi ne suffit pas
Il faut souligner que la législation belge est l'une
des plus performantes sur le plan européen en
termes de lutte contre le surendettement. On
pouvait craindre un recul de la protection du
consommateur du fait de la transposition de la
directive européenne sur le crédit2 dans le droit
belge qui a eu lieu en avril 20103, mais ce ne fut
pas le cas.
La plate-forme souligne à cet égard les dangers
d'une approche anglo-saxonne selon laquelle un
Equipes Populaires, Centre d'Appui Médiation de
dettes (anciennement Grepa), CRIOC – OIVO,
Groupe Action Surendettement, Centre de
Référence du Hainaut (CRéNo),
Verbruikersateljee, Vlaams Centrum
Schuldbemiddeling (VCS), Beweging van
mensen met laag inkomen en kinderen , Centre
de référence de Liège (GILS), Réseau
Financement Alternatif, Vlaams netwerk van
verenigingen waar armen het woord nemen,
Centre de référence de Namur (MEDENAM),
CSC/ACV, FGTB/ABVV, JOC/F, Réseau belge
de lutte contre la pauvreté, Forum bruxellois de
lutte contre la pauvreté, Réseau wallon de lutte
contre la pauvreté, KWB, KAV, UROC-Nord
Pas-de-Calais
Directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les
contrats de crédit aux consommateurs
3 Loi sur le crédit à la consommation adoptée le 12 avril 2010
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consommateur « informé » n'a plus à être
« protégé ». Car si l'information et l'éducation
financière peuvent permettre d'accroître les
connaissances du consommateur en matière de
crédit ou de gestion de son budget, elles ne
résolvent pas tout.
consommation laisse franchement à désirer,
notamment en matière d'octroi d'ouvertures de
crédit dans le secteur de la grande distribution.
Le devoir d'information et de conseil des
prêteurs est peu respecté, et encore moins
l’obligation de vérifier sérieusement la
solvabilité des candidats emprunteurs. Certains
d’entre eux allant même jusqu’à "omettre" ou
mentionner des informations erronées sur la
situation financière du candidat emprunteur
pour augmenter les chances d’acceptation du
dossier par la Centrale des crédits aux
particuliers.
Tout d'abord, parce que dans un marché du
crédit complexe, en pleine expansion, où les
pratiques de marketing sont extrêmement
agressives et efficaces, où le consommateur se
voit proposer sans cesse de nouvelles offres, de
nouveaux "produits" via un nombre grandissant
de canaux (internet, mailings, les réseaux de
grande distribution, les vendeurs…), il est
évidemment utopique de croire que l'on pourra
"informer" suffisamment le consommateur
pour qu'il soit à même de poser un choix en
toute connaissance de cause.
Ensuite, parce que la prise de décision du
consommateur peut être affectée par bien
d'autres considérations (sentiments, émotions,
symboles, accidents de la vie, nécessité de
trouver une solution urgente pour faire face à
une dette, ...) qui peuvent le pousser à agir dans
une logique de très court terme, en sachant que
le choix posé risque d'aggraver sa situation à
plus long terme.
Des recommandations au
gouvernement
Si les associations de protection des
consommateurs reconnaissent que la loi belge
est performante sur papier, force est donc de
constater que son application laisse
franchement à désirer. La plate-forme Journée
sans crédit a formulé des recommandations au
gouvernement Di Rupo et a été partiellement
entendue. Mais elle reste vigilante quant à
l’application des mesures promises et
demandent qu’on renforce les dispositifs de
lutte contre le surendettement, notamment en
augmentant les revenus minimaux et de
remplacement, et en assurant l’accès aux
besoins vitaux.
Parmi les points positifs de l’accord de
gouvernement, soulignons un renforcement de
la protection du consommateur via un meilleur
contrôle des pratiques de crédit et des
publicités agressives, en particulier pour les
ouvertures de crédit.
Par ailleurs, la plate-forme a formulé d'autres
propositions au gouvernement telles que
l'obligation de formation des intermédiaires de
crédit, l'amélioration de la procédure visant à
vérifier la solvabilité de l'emprunteur ou encore
l'interdiction du démarchage en rue, forme
ultime de banalisation du crédit.
Enfin, informer le consommateur n'a jamais
suffi à empêcher ni les taux d'intérêt usuriers, ni
l'exploitation des plus faibles, ni le
surendettement.
Face à ces réalités, la plate-forme estime qu'il
est plus que jamais nécessaire de continuer à
encadrer et réguler le marché du crédit et de
rester extrêmement vigilants.
Plusieurs enquêtes de terrain, dont deux
récentes menées par des journalistes4 sous
couvert de l’anonymat, ont mis en évidence que
l'application de la nouvelle loi sur le crédit à la
4
Olivier Bailly relate l’enquête qu’il a réalisée auprès des
grandes surfaces dans son livre « Ces vies en faillite », Ed.
Renaissance du livre, paru en octobre 2011. Olivier
Coroenne, journaliste à la RTBF, a quant à lui mené le
même type d’enquête en caméra cachée pour l’émission
« On n’est pas des pigeons » diffusée le 24 novembre
2011.
2
La plate-forme demande au gouvernement de
prêter une attention particulière à la position
vulnérable des consommateurs dans d'autres
secteurs, notamment en imposant un plafond
maximal pour les clauses pénales et les intérêts
de retard dans tous les contrats de vente de
biens et services. Le gouvernement doit
également être très vigilant quant aux risques
de nivellement par le bas sur pression des
instances européennes.
Enfin, la plate-forme avait obtenu en 2009 la
suspension de la modification de la loi sur la
« procédure d’injonction de payer » (qui permet
au créancier de récupérer des factures
impayées d’un consommateur sur base d’une
procédure rapide et unilatérale auprès du
tribunal). Celle-ci ne sera pas étendue au-delà
des exigences européennes en la matière, qui
prévoient en effet l'injonction de payer pour le
recouvrement de "dettes non contestées", mais
uniquement pour des transactions
transfrontalières entre commerçants.
Le gouvernement estime à juste titre qu’il faut
tenir compte du fait que les particuliers ne
jouent pas à arme égale face à des entreprises
qui ont davantage de moyens pour se défendre.
Face à l'augmentation du surendettement, la
plate-forme a également tiré la sonnette
d'alarme. Elle salue l'intention du
gouvernement d'humaniser la procédure de
règlement collectif de dettes (RCD), notamment
en améliorant la relation entre le médiateur et la
personne surendettée et en lui garantissant un
revenu conforme à la dignité humaine, tenant
compte des situations familiales spécifiques. La
plate-forme a d'ailleurs fait de nombreuses
propositions allant dans ce sens en septembre
dernier lors d’un débat à la Chambre concernant
diverses propositions de loi visant à améliorer la
loi sur le RCD. (Consultez l’avis que la plate-forme
a transmis à la Chambre sur
www.journeesanscredit.be )
Lutter contre le surendettement
Même si le crédit est encore présent dans la
majorité des dossiers de surendettement et doit
rester une préoccupation majeure pour nos
pouvoirs politiques, une autre réalité ne peut
plus être ignorée, c’est celle d’une pauvreté
grandissante.
Bien loin du stéréotype de la personne
surendettée qui gère mal son budget, dépense
sans compter, consomme à outrance, use et
abuse du crédit, on constate dans les
statistiques de la Banque Nationale qu’un tiers
des personnes qui font appel à la procédure de
règlement collectif de dettes n’ont pas de
dettes de crédit5. Les derniers chiffres de la
Centrale des crédits aux particuliers récemment
publiés par la Banque Nationale confirment
encore cette tendance.
La progression de l’endettement (non crédit) lié
à des charges de la vie courante (soins de santé,
énergie, taxes, etc.) est corroborée par diverses
études.
Ainsi, dans un article publié en 2008,
l’Observatoire du crédit et de l’endettement
notait que de 2001 à 2007, la « proportion des
La plate-forme se réjouit également que dans la
procédure de recouvrement amiable de dettes,
le cadre d’action des huissiers, des avocats et
des sociétés de recouvrement soit clarifié. Mais
elle demande que des démarches soient
entreprises pour humaniser les procédures de
saisie, notamment en garantissant plus de
transparence dans les tarifs des huissiers de
justice, en décourageant les saisies trop
coûteuses et inutiles et en actualisant la liste
des biens non saisissables.
Et elle regrette que l’accord gouvernemental
prévoie désormais de soumettre les notaires et
les huissiers de justice à une TVA de 21%, ce qui
risque encore d’alourdir les frais de procédure
des personnes en grosses difficultés financières
alors que l’intervention d'un huissier coûte déjà
très cher.
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Rapport Statistiques 2009 de la Centrale des crédits aux
particuliers sur le site de la Banque Nationale de Belgique,
téléchargeable sur le site www.nbb.be
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dossiers comprenant exclusivement un
endettement non lié au crédit est passée, de
manière plus ou moins linéaire, d’environ un
cinquième à plus d’un quart ».
Parallèlement, l’article constate que « plus les
revenus des ménages surendettés sont faibles,
plus l’endettement non lié au crédit est fréquent
et révèle ainsi les difficultés du ménage à accéder
à des biens et services vitaux et nécessaires à une
vie digne (notamment ; eau, énergie, soins de
santé) »6.
Au nord comme au sud du pays, les médiateurs
de dettes sont de plus en plus confrontés à des
ménages insolvables7, c'est-à-dire qui
parviennent à peine à faire face à leurs
dépenses quotidiennes de base mais n’ont
aucun disponible supplémentaire à affecter au
remboursement de leurs dettes. Ou plus grave
encore, qui ont des revenus insuffisants qui ne
leur permettent même pas d’avoir un budget en
équilibre. On parle alors de surendettement
structurel puisqu’il est alors impossible pour ces
personnes de ne pas créer de nouvelles dettes8.
Et pour ces personnes, le recours au crédit
(pour payer des biens de consommation
courante tels que la nourriture ou pour
rembourser d'autres dettes) ne fait que
renforcer la spirale du surendettement.
Dans ce contexte, la plate-forme demande que
des mesures soient prises pour augmenter les
revenus minimaux et fixer les revenus de
remplacement au-dessus du niveau du seuil de
pauvreté européen. Elle veut aussi que l’accès
aux besoins essentiels tels que l’énergie et les
soins de santé soit assuré, et que tous les droits
spécifiques et aides sociales visant la protection
des groupes sociaux vulnérables soient
automatiquement accordés.
Retrouvez l'analyse en profondeur de la nouvelle
loi sur le crédit à la consommation et les
recommandations complètes sur le site internet
de la Plate-forme www.journeesanscredit.be
Etre surendetté ? Etre pauvre ? Observatoire du Crédit et
de l’Endettement in les Cahiers de l’Education Permanente,
« Les nouvelles formes de pauvreté », n°32, 2008.
« Endetté sans avoir emprunté », Observatoire du Crédit et
de l’Endettement in Les Echos du Crédit n°21, janvier
février mars 2009, sous le titre « coup de projecteur sur
l’autre endettement ».
7 Il s’agit d’une définition de l’insolvabilité plus large que celle
liée aux montants du revenu d'intégration sociale et des
quotités insaisissables prévues aux articles 1409 et
suivants du Code judiciaire. La référence est celle du
budget, l'élément le plus objectif possible : le budget le plus
vrai possible, représentant le vécu de la personne.
L’insolvabilité apparaîtra donc au terme de l’examen attentif
du budget « réalité » du débiteur.
8 Cette situation n’est pas nouvelle, l’analyse des données
statistiques récoltées en 2006 par le Centre d’Appui aux
services de médiation de dettes de la Région de BruxellesCapitale (ex Grepa) avait déjà permis de constater qu’un
quart des ménages suivis par les Services de médiation de
dettes bruxellois avaient des dépenses supérieures à leurs
revenus.
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