Le depot de bilan outil de gestion 1 Introduction

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Le depot de bilan outil de gestion 1 Introduction
1996.07
Le depot de bilan outil de gestion
(A propos des lois Françaises de 1984 1985 1994 et de la loi Tunisienne du 17 avril 1995.)
Roger Percerou
Professeur à l'I.A.E de Paris
Professeur Emérite à l'Université Paris I
Résumé : Le traitement judiciaire de la situation de Entreprises en difficultées - ou, si l’on
préfère ce qu’il était convenu d’appeler la législation des Faillites (aujourd’hui du redressement
ou de la liquidation judiciaire)-est très certainement depuis fort longtemps, et dans tous les
pays, l’un des problèmes dont la solution reste entachée d’une inefficacité chronique peut
acceptable. Le législateur, en France en particulier puis plus récemment en Tunisie, semble
penser qu’il serait possible de remédier à cette situation en organisant le traitement à partir
d’une approche fondée sur deux idées essentielles : "le dépôt de bilan" outil de gestion pour le
chef d’entreprise honnteement désireux de sortir de ses difficultés, et le "partenariat" débiteur
en difficulté économiquement récupérable - créanciers, dans la mesure ou, pour ceux-ci, le
maintien dans l’avenir de relations commerciales avec l’entreprise en difficulté peut représenter
un chiffre d’affaires justifiant de nécessaires sacrifices. Mais ne faut-il pas - pour qu’une telle
conception ait une chance de réussite - qu’un certain nombre de conditions très concrètes - mais
très difficile à satisfaire - soient réaliseés (I) et le sont-elles ? (II).
Mots-clés : dépôt de bilan, entreprise en difficulté.
1
Introduction
1-1
Le dépôt de bilan outil de gestion. Mythe ou idée en devenir ?
Le caractère paradoxal - voire provocateur - du titre de cet article est manifeste.
En effet présenter à des juristes, et peut être plus encore à des chefs d'entreprises ou plus
largement à des gestionnaires, le dépôt de bilan comme une méthode de gestion de l'entreprise
relève, a l'évidence, de la gageure sinon de l'absurdité.
Le dépôt de bilan marque, traditionnellement, en effet, le début d'une procédure judiciaire
redoutée et du reste redoutable pour tous, qu'il s'agisse des chefs d'entreprises, des salariés, des
créanciers de l'entreprise ou d'autres partenaires de celle-ci puisqu'elle se termine dans 95 % des
cas au moins par la disparition de l'entreprise, le chômage des salariés, le non paiement quasi
intégral des créanciers, ou au moins des créanciers chirographaires, et l'appauvrissement du
tissu économique local, régional ou même national.
Nous sommes parfaitement conscients de l'exactitude de l'anomalie qui précède. Si nous
avons choisi ce titre c'est donc en réalité pour une raison bien précise :
La loi Tunisienne du 17/4/95 relative aux redressements des entreprises en difficulté
économique et les lois Françaises de 1984-1985, voire 1994, dont le législateur tunisien s'est,
dans une certaine mesure, inspiré reposent sur une idée force : Faire de l'intervention judiciaire
un moyen de donner aux procédures de traitement de la situation des entreprises en difficulté le
caractère d'un remède permettant de prévenir l'aggravation de ces difficultés dès leur apparition, ou d'y remédier alors qu'elles sont déjà clairement apparues, en évitant la disparition de
l'entreprise et les conséquences graves inhérentes à cette disparition.
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Or cette idée force, très largement nouvelle, ne saurait à l'évidence prospérer qu'au prix d'une
évolution considérable, voire d'une révolution dans le comportement des acteurs concernés par
les nouvelles dispositions légales
1-2
Fondements et objectifs des lois nouvelles
A vrai dire les causes qui ont amené le législateur à décider de confier à la Justice une mission
de “traitement (préventif ou curatif)” de la situation des entreprises en difficulté sont faciles à
comprendre. Jusqu'à une époque récente (1955 ou même 1967 en France) les tribunaux étaient
essentiellement chargés d'assurer la liquidation des entreprises défaillantes et le meilleur paiement possible de leurs créanciers ou, dans quelques cas peu nombreux d'avaliser un accord
conclu entre l'entreprise et ses créanciers, en vue d'une ultime tentative de sauvetage
(concordat(s)).
Mais les inconvénients de ce système qui, comme nous l'avons déjà dit conduisaient dans
plus de 95 % des cas à la disparition des entreprises en difficulté avec le cortège des dommages
que cette disparition provoquait, sont apparus de plus en plus, depuis une quarantaine d'années,
comme inacceptables.
Une analyse de plus en plus fine des intérêts en cause dans une situation de survenance de
difficultés affectant une entreprise a en effet imposé l'idée selon laquelle, au delà des intérêts du
débiteur ou des créanciers, traditionnellement pris en considération, il fallait tenir compte des
intérêts des salariés, moins pour les payer que pour éviter leur mise au chômage, et des intérêts
de l'entreprise elle-même qui, si elle demeure malgré ses difficultés une organisation conservant
un potentiel de productivité appréciable, constitue un élément du tissu économique qu'il est de
l'intérêt de tous de sauvegarder si possible pour éviter la déchirure grave de ce tissu qui découlerait d'effets “boule de neige” bien connus.
Pour les créanciers eux-mêmes “partenaires” de l'entreprise en difficulté, qui est à l'origine
d'une part plus ou moins grande de leur chiffre d'affaires, ne serait-il pas d'ailleurs préférable
dans bien des cas, même au prix d'un effacement d'une partie de leur créance, ou d'un rééchelonnement de celle-ci, de sauvegarder l'avenir en sauvant le partenaire plutôt que d'obtenir, dans
le présent, un règlement plus ou moins complet... qui sera le dernier. Liée à la prise de
conscience du rôle fondamental de la cellule entreprise dans les économies modernes, cette
analyse plus fouillée des différents intérêts à prendre en compte dans l'Organisation de la ou des
procédures de traitement de la situation des entreprises en difficulté s'est accompagnée d'une
réflexion sur les problèmes de hiérarchisation de ces intérêts face au fléau économique de plus
en plus préoccupant que constituent les défaillances d'entreprises.
Cette réflexion a conduit le législateur Français de 1985, mais aussi de 1994 (avec quelques
nuances toutefois) et le législateur Tunisien de 1995 à dégager trois types d'objectifs fondamentaux que les dispositions légales doivent permettre d'atteindre simultanément en satisfaisant
chacun d'entre eux le mieux ou le moins mal possible par la recherche d'une solution globalement optimisée.
I1 s'agit ainsi comme l'énonce l'article 1 de la loi française de 1985 de :
- Sauvegarder l'outil entreprise et l'emploi
- Sauvegarder le tissu économique dont l'entreprise est une composante1
- Sauvegarder les intérêts des créanciers.
De même la loi Tunisienne du 17/4/95 énonce-t-elle : Le régime de redressement tend essentiellement à aider les entreprises qui connaissent des difficultés économiques à poursuivre leur
activité à y maintenir les emplois et à payer leurs dettes.
1. On observera que ceci rejoint, dans une certaine mesure, les développements récents, en gestion, sur la notion
d’ “Entreprise Réseau”.
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Environnement et problèmes des "Prérequis" au succès éventuel de
la législation nouvelle.
I1 est évidemment difficile de ne pas souscrire, en principe, à la définition d'un tel objectif.
Mais il ne faut pas se dissimuler pour autant l'ampleur des mutations psychologiques que ces
lois récentes supposent implicitement réalisés. La définition nouvelle des objectifs à atteindre
implique en effet une certaine “association” des instances judiciaires ou parajudiciaires à une
gestion des entreprises et donc l'instauration d'un climat de confiance entre ces instances et les
dirigeants des entreprises. Elle implique aussi la renonciation au principe traditionnel de
primauté absolue de l'objectif de paiement des dettes et donc une certaine remise en cause du
principe de souveraineté des créanciers touchant les décisions d'aide à l'entreprise en vue de la
poursuite de son activité.
Elle implique, encore, l'acceptation par le créancier d'une vision du débiteur défaillant, partenaire à aider plutôt qu'infidèle à exécuter qui n'est certainement pas évidente!
Indépendamment de toute considération sur le mérite technique des législations nouvelles et
particulièrement de la loi Tunisienne du 17/4/95, l'éventuel succès des innovations proposées
suppose la réalisation, de “prérequis” extrêmement précis.
La première partie de cette étude s'efforcera d'en.préciser la nature et de mettre en évidence
les difficultés à vaincre pour y satisfaire. La seconde partie traitera - très rapidement par la force
des choses - de l'adéquation du système nouveau d'organisation du traitement de la situation des
entreprises en difficulté que l'on s'est efforce de mettre en place au respect des contraintes
définies dans le cadre de la première partie.
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Les “prérequis” à l’éventuel succès des reformes proposées
Le contenu des contraintes pratiques à satisfaire pour que le nouveau système proposé de
“traitement de la situation des entreprises en difficulté' atteigne, lorsque cela est possible tout au
moins, les objectifs proposés est assez simple à préciser. Il s'agit de :
- La précocité de détection des difficultés de l'entreprise et de l'intervention de la procédure
(cf.§ 2-1).
- La nécessité d'un diagnostic rapide et correct de l'origine (ou des origines) réelle (s) des
difficultés de l'entreprise et la mise au point corrélative d'un plan de retour à un fonctionnement normal (cf.§ 2-2).
- La rapidité de déroulement de la procédure et l'intervention également rapide d'une décision définitive quant à son issue. Le caractère supportable pour l'entreprise du coût de
l'opération.(cf.§ 2-3)
- La mise en place d'organes judiciaires ou parajudiciaires capables d'assurer le respect des
contraintes ci-dessus énumérées.
- Enfin - et surtout peut être - l'effectivité des mutations psychologiques nécessaires chez
les différents acteurs impliqués dans ces procédures.
Quelques mots suffiront dans chaque cas, pensons-nous,-complétés bien sûr par la réflexion
personnelle de chacun - pour justifier de la réalité des “prérequis” ci-dessus et faire comprendre
leur contenu.
2-1
Détection précoce des difficultés de l’Entreprise
S'agissant de la précocité de détection des difficultés de l'entreprise et de l'intervention de la
procédure destinée à y remédier, il est reconnu par tous, depuis bien longtemps, que la raison
essentielle qui, jusqu'ici, a transformé l'intervention de la Justice en matière de traitement de
situations d'entreprises en difficulté en un rituel relevant de l'ordonnancement des Pompes
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Funèbres plus que de toute autre chose, réside dans le fait que, lorsque la Justice est saisie,
l'entreprise est déjà dans une situation irrémédiablement compromise... sauf cas rarissimes.
C'est, du reste, le motif qui a conduit législateurs français et Tunisiens à mettre en place des
“procédures d’alerte” qui devraient permettre d'intervenir bien avant la cessation des paiements..... dès l'instant où se profilent à l'horizon des difficultés que l'entreprise a peu de chance
de surmonter par elle-même.
On notera du reste que le législateur Français de 1994 a, dans cet ordre d'idées, cherché à
renforcer considérablement le dispositif mis en place par la loi du 1/3/84... dispositif qui n'a,
malheureusement, que bien rarement fonctionné de façon conforme à l'esprit de la loi.
La loi Tunisienne du 17/4/95 procède manifestement de cette même volonté de faire du traitement parajudiciaire ou judiciaire préventif l'élément essentiel destiné à combattre les défaillances d'entreprises. Les chapitres II (la notification des signes précurseurs de difficultés
économiques) et le chapitre III (le règlement amiable) de la loi en administrent la preuve.
De même la très ancienne obligation faite au débiteur qui cesse ses paiements de déposer son
bilan dans les 15 jours - obligation jamais respectée ou presque, malheureusement - marquait
bien elle aussi le souci d'assurer une possibilité d'un traitement réellement curatif de la maladie
lorsqu'elle est déclarée, puisqu'il est évident que la rapidité des soins est une condition sine qua
non de leur efficacité.
La persistance des préoccupations du législateur dans ce domaine est naturellement certaine,
dans le cas de la législation nouvelle... en Tunisie comme en France. Mais l'expérience passée
montre bien qu'il ne suffit pas d'inscrire dans la loi une obligation de dépôt de bilan quasi instantané, ou de mettre en place des procédures d'alerte pour que, en pratique, les voeux du législateur
aient une chance d'être satisfaits. Il faut encore que les différents acteurs concernés, dirigeants
d'entreprises, partenaires de l'entreprise, organismes investis d'un devoir d'alerte aient la volonté
réelle et les moyens de respecter la loi.
Or ceci nous renvoie, compte tenu des expériences passées, à des problèmes “d'intendance”
(moyens d'information, de diagnostic, d'action...) mais aussi à des problèmes de formation des
acteurs, et de façonnement de leur psychologie que nous retrouverons à la fin de cette analyse
des “prérequis” à mettre en place.
2-2
- Rapidité et exactitude du diagnostic
La nécessité d'un diagnostic rapide, et bien entendu correct, touchant l'origine des risques de
difficultés insurmontables pour l'entreprise, ou de ses difficultés elles-mêmes lorsqu'elles dont
déjà avérées est une évidence. Il n'est pas de traitement possible ou de préconisation valables
d'un remède si le diagnostic de la maladie est inexact.
Mais il est parfaitement évident, aussi, que l'aptitude à l'exercice et à la formulation rapide
d'un diagnostic correct en matière de difficultés atteignant une entreprise ne font pas partie des
aptitudes naturelles que l'on est en droit d'attendre des Magistrats ni même des compétences
forcément acquises par eux au cours de leurs carrières.
Une information et même une formation spécifique parait nécessaire... d'autant plus que les
collaborateurs habituels des juges (administrateurs judiciaires, experts, commissaires aux
comptes... ou a fortiori syndics de faillites) ne sauraient être réputés automatiquement capables
de guider les juges en ces matières. Penser le contraire relèverait, hélas, d'un opportunisme
totalement infondé que la réalité se chargerait sans aucun doute de démentir rapidement.
Or, il ne suffirait pas pour que la législation nouvelle atteigne ses objectifs que la justice intervienne à temps et rapidement, il faudrait encore que les plans de retour à un fonctionnement
normal réussissent dans leur grande majorité. Dans le cas inverse on peut s'attendre, en effet, à
ce que les acteurs et en particulier les chefs d'entreprises concernés s'en tiennent ou en reviennent très rapidement à leur attitude traditionnelle : dissimuler par tous les moyens, et jusqu'à la
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dernière extrémité, les difficultés de l'entreprise pour retarder l'exécution finale que constituait
et que constitue encore à leurs yeux l'intervention de la justice dans leurs affaires.
Ici encore nous en arrivons à l'idée d'une mutation psychologique nécessaire et surtout à la
nécessité d'une mutation psychologique durable... car, de toutes façons, il est bien certain qu'elle
ne sera que progressive et, pendant longtemps, fragile.
2-3
Rapidité de la procédure
La rapidité du déroulement procédural du traitement à administrer à l'entreprise ne saurait
être considéré seulement comme un objectif hautement souhaitable mais dont l'atteinte approximative ne ferait pas réellement catastrophique... notamment parce que si, pendant le traitement,
les poursuites contre l'entreprise sont suspendues, la situation de celle-ci ne saurait s'aggraver.
Une telle vision des choses ne tient compte ni de la réticence inévitable des partenaires
extérieurs à traiter avec une entreprise dont l'avenir est affecté d'une grave incertitude, ni du
pourrissements interne (risque de départ des meilleurs éléments, démotivation de l'ensemble du
personnel, prévalence du souci de tirer son épingle personnelle du jeu par rapport à l'esprit de
solidarité). Il faut donc clarifier très rapidement la situation pour y mettre un terme. L'expérience
enseigne que ce pourrissement, extrêmement difficile à éviter, n'est pas maîtrisable au delà de
quelques semaines... en étant optimiste.
Sans doute touchons nous ici à l'un des écueils les plus difficilement franchissables dans la
perspective d'une réussite des lois nouvelles.
Sans faire preuve d'un mauvais esprit systématique, il faut bien admettre que rapidité et fonctionnement du système juridiciaire sont deux notions apparemment inconciliables... au moins si
l'on donne au terme rapidité le sens qu'il a dans la vie des affaires et non pas celui qu'une tradition séculaire 1ui a donné en matière judiciaire.En matière judiciaire une affaire règlée en un an
est une affaire vite règlée; Dans la vie réelle de l'économie une affaire vite règlée est une affaire
règlée dans la journée (voire dans le quart d'heure).
L'opposition - certes poussée à l'extrême pour nous faire comprendre - est d'une telle importance que la recherche d'une conciliation des points de vue sera sans nul doute, extraordinairement difficile...d'autant plus que l'optique judiciaire est fondée, au delà de la tradition et de
l'insuffisance caractérisée des moyens matériels de fonctionnement mis à la disposition de la
plupart des juridictions, sur des raisons de fond parfaitement valables:
Une justice expéditive n'est que rarement une “bonne justice” et cela n'est pas vrai qu'en
matière pénale. Une fois encore l'atteinte d'un résultat satisfaisant dans la mise en oeuvre de la
législation nouvelle n'apparaît envisageable que grâce à une volonté commune d'aboutir, face
aux prises de changement drastiques de comportement.
C'est donc la psychologie des acteurs concernés qui sera déterminante.
Face à la gravité du problème que nous venons d'évoquer, celui de la minimisation du coût
financier du traitement à administrer à l'entreprise peut paraître mineur. Il n'en reste pas moins
que s'agissant de remédier à la situation économique difficile d'une entreprise, il ne saurait être
question de lui demander de supporter des frais qui lui permettraient peut être de mourir
guérie...mais avant de s'en être rendu compte
Or, là encore, la solution à trouver n'est pas évidente car le diagnostic d'entreprise n'est pas
gratuit... surtout si la qualité du ou des auteurs du diagnostic doit être considérée comme une
contrainte primordiale.
2-4
Moyens judiciaires ou parajudiciaires nécessaires
Les paragraphes qui précédent ont, pensons nous, suffisamment mis en évidence les aptitudes (diagnostics d'entreprises, élaboration de plans de redressement, appréciation de la
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validité interne et externe d'un tel plan) et les qualités de fonctionnement (rapidité en particulier)
que doivent ou devraient avoir les organes judiciaires ou parajudiciaires chargés de “gérer” le
système mis en place par la législation nouvelle pour que les évolutions à réaliser apparaissent
à chacun... en particulier sur le double plan des moyens matériels et humains d'actions mises à
la disposition de ces organes judiciaires ou parajudiciaires et des informations à dispenser.
2-5
L’évolution des mentalités. Condition fondamentale de réussite
En fait - et nous souhaiterions très vivement que cette pensée se soit déjà imposée dans
l'esprit de nos lecteurs - une idée domine toute l'analyse qui précède :
Une loi nouvelle, quelles que soient ses qualités techniques ne pourra s'appliquer de façon
satisfaisante que si elle est comprise et acceptée par les justiciables à qui elle doit sans doute
s'appliquer mais par qui elle doit surtout être appliquée le plus rapidement et le mieux possible.
Comme nous l'avons dit et écrit il y a plus de 20 ans1 une loi nouvelle est ou -devrait être considérée par le législateur comme un produit nouveau qu'il propose à un client.
Un client n'achètera évidemment jamais un produit qu'il ignore même s'il lui est en réalité
indispensable. De même qu'une entreprise, de nos jours, fait précéder le lancement d'un produit
nouveau d'études et de tests multiples, ainsi que d'une campagne d'information massive au
moment du lancement, de même le législateur doit ou devrait, au-delà des travaux de préparation d'une loi nouvelle, effectuer quelques tests lorsque cela est possible (cf. infra 3) ou au moins
faire précéder l'entrée en application de la loi d'une campagne d'explication et d'information très
intense.
Sans prétendre, à cet égard, que l'on en soit encore, en France, en Tunisie, et du reste dans la
quasi totalité des Etats, à l'époque où la publication au Journal Officiel constituait le seul mode
d'information réputé à la fois nécessaire et suffisant nous pensons très sincèrement - et nous y
reviendrons dans notre conclusion - que d'énormes progrès restent à faire... et mériteraient sans
doute d'être faits, notamment peur une réforme de l'importance de celle que le présent article a
pour objet de présenter.
Ceci dit, l'information sur un produit nouveau ne saurait assurer son succès si les conditions
de son acceptation par le marché ne sont pas remplies (problème examiné dans les développements précédents) ou si le produit est mauvais.
I1 nous faut donc maintenant, laissant à d’autres le soin d'approfondir sous l'angle technique
les dispositions des lois Françaises et Tunisiennes récentes en matière de traitement de la situation des entreprises en difficulté, examiner rapidement si, envisagé globalement, le système
législatif nouveau - et en particulier la loi Tunisienne du 17 Avril 1995 - parait susceptible de
répondre aux exigences pratiques qui viennent d'être analysées.
3
Les dispositifs legaux de traitement de la situation des entreprises en difficulte dans la loi tunisienne du 17 avril 1995
“Dans quelle mesure permettent-ils d'assurer le respect des contraintes ci-dessus analysées”?
Cette seconde partie traitera essentiellement des dispositions de la loi Tunisienne du
17/4/1995. Les lois Françaises de 85 et 94 ne seront évoquées qu'à titre d'éléments de
comparaison.
La loi Tunisienne du 17/4/1995 s'applique en principe toute personne physique ou morale
exerçant une activité commerciale, industrielle “ou artisanale (art. 3), c'est à dire en fait, nous
semble-t-il, à toute “entreprise autre que les entreprises agricoles. Elle comporte 3 volets bien
différents.
1. R. Percerou, “Pour un marketing du Droit”, (Mélange Vigreux) I.A.E. TULOUSE, 1974
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-Le premier volet concerne la “notification” des signes précurseurs des difficultés
économiques... en fait la détection des difficultés économiques des entreprises (chapitre
II art. 4 à 8 de la loi).
- Le second volet du dispositif comporte l'instauration d'un “règlement amiables”, procédure de traitement préventif d'une éventuelle cessation des paiements, ou plus largement
de difficultés sérieuses qui menaceraient l'entreprise (chapitre III art. 9 à 17 de la loi).
- Le dernier volet du dispositif tend, enfin, à instaurer une procédure de traitement curatif
de la situation des entreprises en difficulté, qui suppose constaté l'état de cessation des
paiements. Le dispositif peut, du reste, comporter, selon la gravité de la situation et se
succédant dans le temps deux phases distinctes :
Le règlement judiciaire qui relève encore très largement d'une démarche amiable sous
contrôle judiciaire, puis, lorsque le règlement judiciaire n'a débouché sur aucune solution mais
qu'il apparaît au tribunal qu'il existe possibilités d'élaboration de plan de redressement (règlement ?) avec maintien de l'activité de l'entreprise ou sa cession à un tiers”, “une procédure de
redressement judiciaire au sens des lois françaises de 1985 et 94, comportant une “période
d'observation” (chapitre IV art. 18 à 52 de la loi Tunisienne).
3-1
La détection des difficultés économiques des entreprises
Le législateur Tunisien a, bien entendu, pour que soient connues très tôt les difficultés
économiques graves prévisibles pour une entreprise, fait appel en premier lieu au(x) dirigeant
(s) de ces entreprises qui peuvent avant la cessation des paiements, prendre l'initiative du
déclenchement d'une procédure de règlement amiable (art. 2 et 9 combinés de la loi) ; mais se
faisant sans doute peu d'illusion sur l'accueil fait par les chefs d'entreprises à cette suggestion il a également confié le soin de donner l'alerte et de provoquer une démarche en vue de trouver
des solutions, à trois catégories d'acteurs. - La commission de suivi des entreprises - Le commissaires aux comptes de l'entreprise - Le président du Tribunal de Première Instance
- La Commission de suivi des entreprises économiques, créée auprès du Ministère de
l'Industrie, est chargée de “centraliser les données sur l'activité des entreprises” ainsi que”
de fournir au Président du Tribunal de Première Instance dans le ressort duquel le débiteur
a son siège principal, chaque fois qu'il les lui demande, tous les renseignements dont elle
dispose “(art. 4 de la loi).
La Commission est elle-même informée obligatoirement par l'inspection du Travail, la
Caisse Nationale de Sécurité Sociale et les Services de Comptabilité Publique de “tous
actes constatés par eux et menaçant la continuité de l'activité de l'entreprise” (art. 5 de la
loi).
- Le Commissaire aux Comptes de l'entreprise (ce qui suppose évidemment que la forme
de celle-ci implique l'existence d'un commissaire aux comptes). A l'issue des démarches
qu'il est tenu d'effectuer, ce commissaire aux comptes fait rapport à la Commission de
suivi des entreprises (art. 6 et 7 de la loi).
- Le Président du Tribunal de Première Instance dans le ressort duquel le débiteur a son
siège principal, semble-t-il, qui “à la réception de l'une des notifications citées à l'article
4 “de la loi - ou, sans doute, plus largement dès qu'il est informé d'une manière quelconque
- convoque aussitôt le dirigeant de l'entreprise pour lui demander de faire valoir les
mesures qu'il envisage pour remédier aux difficultés de celle-ci...et lui suggérer notamment une demande d'ouverture d'un règlement amiable, s'il n'y a pas cessation des paiements. Le président peut, du reste, s'il le juge nécessaire (et s'il y a cessation des
paiements) ordonner l'ouverture d'une procédure de règlement judiciaire (art 8 - 18 et 19
combinés de la loi).
Envisagé globalement le dispositif qui vient d'être décrit paraît, s'il est appliqué comme
on doit le souhaiter, pouvoir produire des effets bénéfiques. Cependant la rédaction des
textes ou - ce dont nous ne pouvons juger - la mauvaise traduction en langue Française du
texte original en Arabe, soulève un certain nombre de difficultés de pure technique
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juridique, dont il sera certainement question dans d’autres études et que nous laisserons
donc de côté pour l'essentiel.
3-1.1
En restant sur le strict terrain des considérations pratiques touchant la mise en oeuvre du
système, nous désirerions néanmoins mettre en évidence quelques problèmes.
Au stade actuellement envisagé de la détection des signes précurseurs des difficultés des
entreprises, ces problèmes concernent, à nos yeux, 3 points :
- la nature des informations collectées,
- la fréquence des observations permettant de recueillir les dites informations et la rapidité
de remontée de celles-ci;
- le sort enfin des informations collectées.
3-1.1.1 Nature des informations collectées
La nature des informations collectées parait bien devoir être essentiellement financière...
notamment pour ce qui est des observations en provenance de l'inspection du Travail, de la
Caisse Nationale de Sécurité Sociale, de la Comptabilité Publique.
Or, si l'on peut admettre que les dysfonctionnements d'une entreprise se répercutent assez
vite sur sa situation financière cela n'est, d'une part pas toujours vrai (une baisse de qualité de la
production notamment peut, pendant un certain temps, ne déboucher sur aucun non paiement)
et d'autre part, le constat de difficultés financières actuelles où à venir prochainement n'informe
pas nécessairement sur l'origine des difficultés... et par voie de conséquence sur les mesures à
prendre.
Chose plus grave, à notre sens, l'article 5 de la loi concernant l'inspection du Travail, la Caisse
Nationale de Sécurité Sociale. de même que l'article 6 concernant le Commissaire aux Comptes
semblent n'envisager la nécessité de l'information et de l'alerte que lorsqu'on est en présence
d”actes” menaçant la “continuité de l'activité de l'entreprise” (article 5) ou “l'actif de l'entreprise” (article 6), alors qu'il est tout à fait évident qu'un simple fait indépendant de toute décision
des dirigeants - (l'arrivée à terme d'un contrat de sous-traitante qui n'est pas renouvelé, par
exemple)- peut être infiniment plus grave pour l'avenir de l'entreprise qu'une décision en bonne
et due forme.
I1 est hautement souhaitable que la jurisprudence donne ici une interprétation large du texte,
afin que la matière de l'information ne soit pas réduite d'une façon qui serait très gênante.
3-1.1.2 Fréquence des observations et rapidité de leur remontée
“L'alerte” qui doit permettre une détection des signes précurseurs de difficultés de l'entreprise n'a d'intérêt que si elle est rapide. Ceci veut dire que les observations qui conduiront les
donneurs d'alerte à jouer leur rôle doivent être aussi fréquentes que possible... Or si les Organismes visés à l'article 5 (inspection du travail etc...) devraient naturellement disposer d'informations juridiques régulières (encore faudrait-il qu'ils les transmettent immédiatement), il est
permis de se demander si les pratiques actuelles de la plupart des Commissaires aux comptes
permettront autre chose qu'une information annuelle.
Certes, juridiquement, et la jurisprudence l'a rappelé bien souvent en France, la mission du
commissaire aux comptes est permanente et ne se limite pas à un examen des comptes annuels
après la clôture de l'exercice... mais, jusqu'à une époque récente tout au moins, la réalité était en
France, sauf, en général, dans les grandes entreprises ou dans certains cas particuliers, passablement différente. En est-il, ou en sera-t-il, différemment en Tunisie?... Nous ne pouvons pas en
juger. Mais il faut bien comprendre qu'au delà d'habitudes bien ancrées à modifier, la continuité
du contrôle des commissaires aux comptes pose des problèmes d'équipement des cabinets et des
problèmes de rémunération... donc de coût pour les entreprises. De plus, le commissaire qui
contrôle réellement et fréquemment - ce qui est son devoir - adopte une attitude difficile à tenir
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si l'on veut éviter le double écueil de verser dans le conseil aux dirigeants (immixtion?) ou de
se retrouver dans une situation conflictuelle avec les dirigeants peu tenable dans le temps.
3-1.1.3 Sort des informations collectées.
Les informations collectées ne pourront déboucher sur le déclenchement d'une procédure de
traitement, quelle qu'elle soit, qu'à l'initiative spontanée des dirigeants, ce qui sera peu fréquent,
au début surtout, ou à celle du Président du Tribunal de Première Instance... ce qui implique que
l'information remonte rapidement jusqu'à lui.
Or, assez curieusement, l'article 8 de la loi laisse entendre que le Président ne convoquerait
le dirigeant de l'entreprise que “à la réception de l'une des notifications citées à l'article 4" alors
que le dit article 4 ne prévoit de notification qu'en cas de perte atteignant le tiers du capital de
l'entreprise... La commission se bornant, dans les autres cas, à répondre à des demandes d'information émanant du Président du Tribunal.
Il nous parait tout à fait inenvisageable de s'en tenir à l'interprétation littérale des textes... si
l'on veut que la loi s'applique utilement. Peut être, du reste, le texte en langue Arabe a-t-il une
signification différente de ce que la lecture stricte du texte en langue Française suggère.
3-2
Le règlement amiable - Procédure de traitement préventif
3-2.1 Ouverture et organisation du réglement amiable
“L'alerte” qui doit résulter normalement du jeu du système d'information qui vient d'être
décrit doit déboucher, s'il n'y a pas cessation des paiements et si, cependant, les difficultés
prévisibles ne semblent pas pouvoir être surmontées sans une intervention judiciaire, sur une
demande - spontanée ou plus ou moins provoquée par le Président du Tribunal - faite par le chef
d'entreprise en vue de l'ouverture d'un règlement amiable (article 9 de 12 loi). On observera que
le Président du Tribunal ne peut pas d'office ouvrir un règlement amiable alors qu'il peut - mais
cela suppose qu'il y ait cessation des paiements - ouvrir un “règlement judiciaire”.
Ceci peut se comprendre dans la mesure ou, qu'on le veuille ou non, l'intervention d'une
procédure ne peut guère être imposée à un dirigeant d'entreprise tant que - et cela reste sans
doute vrai en Tunisie comme en France - l'effet de révélation d'une intervention judiciaire à
l'égard d'une entreprise sur ses relations avec ses différents partenaires restera largement négatif.
Or il faudra sans doute des années pour que les choses changent en ce domaine et que,
comme le voudrait le législateur, l'intervention des tribunaux puisse être envisagée comme une
aide efficace pour l'entreprise.
Il n'en demeure pas moins, à nos yeux, que laisser aux chefs d'entreprises le choix, lorsque
certaines difficultés se présentent à lui, entre traiter confidentiellement à l'amiable avec
“certains” partenaires (créanciers, fournisseurs, clients etc) et traiter ouvertement, sous l'égide
du tribunal et avec l'aide d'un conciliateur, avec l'ensemble de ses créanciers, ne laisse guère de
doute sur le choix qui sera fait : Dans 90 %des cas le ou les dirigeants d'entreprises préféreront
la discrétion...
Ceci veut dire que le Président ne pourra amener un dirigeant à faire une demande d'arrangement amiable que lorsque il aura, vis-à-vis de ce dirigeant des moyens de pression très fort (en
pratique une menace d'ouverture d'un règlement amiable) ce qui veut dire que la cessation des
paiements sera sinon acquise du moins extrêmement proche.
Ce n'est certainement pas ce que l'on peut souhaiter et ce que souhaiterait le législateur tant
en Tunisie qu'en France.
Laissant de côté ces considérations pessimistes, nous en viendrons à la description du
dispositif que comporte la procédure d'arrangement amiable : “Il est ouvert par le Président du
Tribunal s'il le juge opportun “, sur demande du dirigeant de l'entreprise. Le Président désigne
un conciliateur “chargé d'amener à l'entente le débiteur et ses créanciers “dans un délai qui ne
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dépasse trois mois prorogeables d'un mois - “- Le Président peut, du reste, assumer lui-même la
mission de conciliateur.
Tous renseignements sur la situation de l'entreprise peuvent être demandés “à toute administration ou établissement administratif ou financier “, ainsi qu'à la commission de suivi des entreprises économiques, par le Président lui-même.
Un expert peut être chargé de procéder à la vérification de la situation de l'entreprise. Enfin,
et ceci est fort important, le Président du Tribunal peut ordonner la suspension des poursuites
contre l'entreprise Jusqu'à la fin de la mission du conciliateur.
L'accord de règlement doit en principe être accepté par l'ensemble des créanciers de l'entreprise. Toutefois il résulte de l'article 13, concernant l'homologation de l'accord éventuel par le
Président du Tribunal qu'un accord signé par “les créanciers dont le montant des créances
représente les 2/3 du montant global des dettes “est également acceptable et homologable. Dans
ce cas le Président du Tribunal peut rééchelonner les “autres dettes quelle que soit leur nature
sur une période ne dépassant pas 3 ans “.
Notons enfin que les modalités de l'accord de règlement peuvent être modifiées pendant la
durée de son exécution.
3-2.2
Efficacité du dispositif
Le dispositif qui vient d'être décrit est cohérent. La durée de déroulement de la procédure
est courte. Cependant, en dehors, comme plus haut, de problèmes de pure technique juridique
que nous laisserons de côté, un certain nombre de difficultés pratiques de mise en oeuvre nous
paraissent devoir être signalées :
- En premier lieu - cela a déjà été évoqué - le caractère essentiellement comptable et financier des informations disponibles au départ permettra t-il, dans les délais prévus, de mettre
au point autre chose que des remèdes purement financiers... sans grande efficacité si les
causes de la situation de l'entreprise se trouvent ailleurs.
Or, pour déceler ces causes, il faut du temps... et il faudrait aussi un conciliateur capable
d'effectuer un diagnostic.
- Le rôle capital qu'auront à jouer, en pratique, le Président du Tribunal et le Conciliateur
implique, de la part de l'un et de l'autre, une disponibilité et une compétence dont l'obtention n'est pas évidente dans immédiat, car cela peut poser des problèmes d'organisation du
temps de l'un et de l'autre... et des problèmes de formation.
- Les honoraires du conciliateur sont.à la charge du débiteur et fixés par le Président du
Tribunal (ce qui risque du reste de lui poser quelques problèmes s'il se charge directement
de la mission de Conciliateur).
Il est évident qu'ils ne devront pas être.trop élevés si l'on veut que la situation de l'entreprise ne s'en trouve pas aggravée.
- On observera que si l'article 55 de la loi limite les recours contre les décisions du tribunal
en matière de règlement judiciaire, rien n'est dit concernant les recours contre l'homologation d'un accord amiable. Ce qui risque de poser quelques problèmes. Enfin et nous
nous excuserons presque de ce leitmotiv, il est certain que le système ne produira des
effets bénéfiques (parmi lesquels, à terme, l'éventuelle acceptation par les dirigeants
d'entreprises de l'idée qu'un recours spontané aux tribunaux peut être un moyen de gérer
leurs difficultés) que dans la mesure où un climat de confiance se sera établi entre les
acteurs du règlement amiable... ce qui est loin d'être évident.
3-3
Règlement Judiciaire et Redressement Judiciaire (Chapitre IV de la
loi du 17/4/1995)
La cessation des paiements, lorsqu'elle est constituée, justifie à l'évidence un traitement
énergique si l'on veut trouver véritablement des remèdes efficaces à la situation de l'entreprise.
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3-3.1 Le dispositif mis en place
Le constat de la cessation des paiements, tel qu'il est prévu dans la loi du 17/4/95, parait
devoir être effectué de la manière la plus classique : l'initiative de la saisine du Président (et non
du Tribunal) appartient soit au débiteur lui-même soit à l'un ou l'autre de ses créanciers, étant
entendu, cependant, que le Président peut se saisir d'office. Par contre la recherche de solutions
éventuelles permettant de venir en aide à l'entreprise est organisée par le législateur Tunisien
d'une façon originale, assez séduisante à première vue.
Cette recherche doit effectivement s'effectuer en deux temps :
Dans un premier temps phase de “règlement judiciaire” (chapitre IV section I de la loi art. 18
à 27 inclus) - une “enquête préliminaire” doit être confiée à un “expert en matière de comptabilité" qui aura à scruter la situation économique et financière réelle de l'entreprise et les possibilités de l'aider.
Cet expert agit sous le contrôle d'un juge-commissaire, également nommé par le président.
Il doit soumettre ses conclusions au dit juge-commissaire dans le délai d'un mois de sa nomination.
Ce délai peut être prorogé d'un mois encore.
La nomination de l'expert et du juge-commissaire par le juge-président devant intervenir dans
le délai d'un mois du constat de l'état de cessation de paiements, l'ensemble du processus ne peut
donc, en principe, s'étaler sur plus de 3 mois.
L'objet de la “période préliminaire” est la mise au point par le juge-commissaire avec le
concours de l'expert, de la commission de suivi des entreprises économiques et des créanciers,
d'un éventuel “plan de règlement” qui pourra être proposé au tribunal.
Mais le juge-commissaire peut également conclure à l'inopportunité du règlement ou même
“proposer de soumettre l'entreprise à la faillite ou à la liquidation”.
Son choix doit être fait dans le délai de 3 mois qui suit sa désignation... mais il peut également
être beaucoup plus rapide.
Le “plan de règlement”, s'il en a été établi est soumis à l'avis de la commission de suivi des
entreprises économiques, puis soumis au tribunal qui dispose (art. 25 et 27 combinés de la loi)
de 3 possibilités :
Il peut homologuer le plan de règlement, soumettre l'entreprise à la faillite ou à la liquidation,
ou “décider l'ouverture d'une période d'observation chaque fois qu'il lui apparaît l'existence de
possibilités d'élaborer un plan de redressement, avec maintient de l'activité de l'entreprise, ou sa
cessation à un tiers”.
-Ainsi, après la période préliminaire et si aucune solution immédiate ou quasi immédiate n'a
pu être trouvée, il subsiste encore une possibilité de traitement : l'ouverture d'une période
d'observation consacrée à la recherche d'un plan de redressement .
L'organisation de la période d'observation, qui comporte normalement la poursuite de
l'activité de l'entreprise, est très proche de celle adoptée par la loi française de 1985 modifiée en
1994.
Elle comporte notamment, outre la suspension des poursuites, la continuation des contrats en
cours, sauf décisions contraires de l'administrateur judiciaire, l'octroi d'une priorité de règlement pour les “dettes nouvelles de l'entreprise nées à partir de l'ouverture de la période d'observation et qui sont en relation directe et nécessaire avec la poursuite de l'activité de l'entreprise”
(art. 2 de la loi) 1
1. L'art. 27 emploi, curieusement, l'expression “plan de règlement” mais il nous paraît évident qu'il s'agit là d'une
erreur matérielle car, par la suite dans les articles 28-32-39-40-47 notamment, le législateur emploi l'expression
de “plan de redressement”.
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Il est toutefois à noter que la longueur maximale de la période d'observation est de 3 mois +
3 mois, soit 6 mois au total, ce qui est nettement inférieur à la durée admise par la loi française
(1an voire 18 mois).
De plus les remises de dettes au profit du débiteur doivent obtenir l'accord des créanciers.
Enfin l'avis de la commission de suivi des entreprises sur l'élaboration du plan est obligatoire.
A l'issue de la période d'observation le tribunal peut homologuer un plan de redressement par
continuation s'il lui est proposé. Il peut également (art. 47 de la loi) “ordonner la cession de
l'entreprise à un tiers” lorsque le redressement se révèle impossible et que cette cession paraît
constituer “une garantie pour la poursuite de son activité ou le maintient total ou partiel de
l'emploi, et l'apurement de son passif”.
La cession peut être globale ou partielle et s'accompagner de la vente des biens non
concernés.
Il est à noter que la décision de cession doit être publiée au Journal Officiel de la République
Tunisienne et que (art. 50 L) le “dirigeant de l'entreprise, son conjoint, ses ascendants et descendants, ses parents jusqu'au 20ème degré et ses alliés ne peuvent, ni directement, ni par personne
interposée, présenter une offre d'achat de l'entreprise”.
Bien entendu tous les éléments qui viennent d'être résumés à l'extrême, seront repris et, sans
doute, discutés dans le détail, dans le cadre des études plus détaillées de la loi.
Nous plaçant, une fois encore d'un point de vue global et essentiellement pratique - quelles
seront les chances d'application satisfaisantes du système ? - Nous voudrions signaler quelques
problèmes.
3-3.2 Les problèmes de mise en oeuvre du dispositifCinq remarques importantes nous semblent devoir être formulées :
- La première de ces remarques concerne la “bonne utilisation” par le président et le jugecommissaire des possibilités que leur ouvre les pouvoirs dont ils sont investis pendant la
période préliminaire.
En effet, si la situation de l'entreprise leur apparaît dès l'abord ou après une très brève
enquête “désespérée” ils peuvent soumettre l'entreprise à la faillite ou à la liquidation judiciaire.
Il nous semble que ce pouvoir doit être regardé en même temps comme un devoir. En l'état
actuel des choses, même si cela est très regrettable, 95% des dossiers de défaillances
d'entreprises concernent des situations totalement irrémédiables.
Il est parfaitement inutile - et l'expérience française le démontre - de perdre du temps et
de l'argent, et surtout d'encombrer les cabinets d'experts en diagnostics ou d'administrateurs judiciaires par des dossiers dont l'étude les empêchera de travailler sérieusement sur
les quelques dossiers valables qui peuvent se présenter.
De surcroît l'image de la loi nouvelle ne pourra être valorisée vis-à-vis des chefs d'entreprises que si, dans les cas où un “règlement judiciaire”, ou un redressement est ouvert et
conduit à son terme, le pourcentage de réussite est élevé.
La “période préliminaire” instaurée par la loi tunisienne peut se révéler extrêment
bénéfique si elle permet réellement un tri rapide entre les hypothèses ou une recherche de
“traitement” au profit de l'entreprise est justifiée et les hypothèses où rien ne peut être fait.
Sans doute au départ, ceci devrait conduire les magistrats à faire preuve d'une rigueur
extrême, mais nous pensons que cela est nécessaire.
- Notre seconde remarque concernera la durée sur laquelle, dans le système Tunisien peut
s'étaler la tentative de sauvetage :
Quatre mois pour un règlement judiciaire, plus éventuellement 6 mois (3+3) pour le
“redressement judiciaire”, ce qui nous donne un total de 10 mois. C'est encore trop, selon
nous.
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Mais nous admettrons bien volontiers qu'il est difficile - pour ne pas dire impossible - de
faire mieux. Sans doute, même, sera -t-il difficile de tenir les délais.
Ceci veut dire que c'est par la voie de l'arrangement amiable envisagé plus haut, et éventuellement par la voie du règlement judiciaire que l'on peut espérer obtenir les meilleurs
résultats.
C'est donc là qu'il faudrait porter l'effort maximum et mettre en place, du point de vue
moyens en hommes (magistrats, experts, commissaires aux comptes...) et moyens matériels, moyens les plus importants.
Un troisième point paraît capital :
tout système suppose que, face à l'entreprise en difficulté, il est opéré un diagnostic rapide
et correct de sa situation et des remèdes à y apporter.
Ceci exige une compétence très remarquable de tous ceux qui auront à manier l'outil...
magistrats, experts comptables, administrateurs judiciaires, membres de la commission de
suivi des entreprises économiques, etc.
Information et formation des intéressés devront donc accompagner la mise en application
de la loi.
Mais il est également évident qu'une collaboration sans réticence et une volonté commune
d'aboutir devra caractériser les rapports entre les acteurs du système.
Il faudrait donc qu'on les aide à se connaître et à comprendre les points de vue, souvent
très différents, de chacun.
Une dernière remarque, moins importante, a peut être un certain intérêt :
la loi Tunisienne, comme la loi française, interdit aux dirigeants eux-même de l'entreprise
ou à leurs parents ou alliés de présenter des projets de reprise par cession de l'entreprise.
Cela est sans doute nécessaire pour éviter que certaines personnes peu scrupuleuses voient
- et éventuellement trouvent - dans un recours à la procédure légale de dépôt de bilan
débouchant sur un redressement ou une cession, une nouvelle illustration des possibilités
bien connues de “faire fortune en faisant faillite”.
Cependant, pour de petites et moyennes entreprises en particulier, la reprise familiale est,
en fait, très souvent le seul moyen de sauvetage ; parce que la famille est la plus motivée
pour accepter des sacrifices financiers qui, au-delà de toutes préoccupations économiques,
sont de nature à sauver la réputation familiale.
Dans ces conditions l'interdiction légale absolue qui a été prévue n'est-elle pas regrettable
et ne faudrait-il pas laisser au juge la possibilité d'y apporter une exception s'il lui est
démontré qu'aucune fraude n'est recherchée ?
Certes la responsabilité qui lui serait confiée serait lourde... mais au point où il en est, un
juge aurait-il réellement à redouter cette responsabilité, alors qu'il lui est déjà demandé de
se transformer en expert en diagnostic et en conseil en gestion d'entreprise ?
Conclusion
Nous avons déjà, à de multiples reprises, souligné le fait que d'un point de vue pratique, le
succès ou l’échecs de la législation nouvelle, en Tunisie comme en France, sera fonction des
conditions matérielles de son application et de l'attitude des acteurs qui auront à l'appliquer, face
à la loi elle-même, mais aussi dans leurs rapports entre eux1.
Ceci revient à dire qu'un effort d'accompagnement considérable tant sur le plan des moyens
matériels à mettre à disposition des acteurs, que sur celui de leur information et de leur formation est pour nous indispensable.
1. A cet égard, les données ne sont évidemment pas les mêmes en France et en Tunisie?ous signalons, en particulier,
pour les lecteurs français, que, jusqu’à une époque très récente, les tribunaux de commerce n’existaient pas en
Tunisie et que, du reste, lors de sa promulgation la loi Tunisienne du 17 avril 1995 a vu son application confiée
(provisoirement ?) aux tribunaux civils.
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Pour être très franc, nous pensons même que cet effort aurait dû précéder la mise en place de
la législation nouvelle, beaucoup plus que cela n'a été le cas dans la réalité. Nous souhaiterons,
en terminant, que le propos de Crozier “on ne réforme pas la société par décrets”, excessif car
on ne réforme pas non plus la société sans décrets, soit démenti le domaine du traitement de la
situation des entreprises en difficulté1
1. L’idée de "tests préparatoires" à l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle, évoquée plus haut mériterait , selon nous,
d’être très sérieusement approfondie.
En effet espérer obtenir dans l’ensemble d’un pays, lors de l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle, une information suffisante fût-elle limitée comme la force des choses y oblige à ceux qui seront le plus directement
concernés par cette loi nouvelle, est probablement chimérique.
De même espérer avoir mis en place partout, au moment de l’entrée en vigueur de loi nouvelle, les moyens
d’accompagnement financiers, matériels et humains qui seraient souhaitables, relève d’un optimisme certainement inconsidéré.
Vrai en France, ceci est sans doute également vrai en Tunisie.
On peut donc songer à tourner la difficulté en mettant le système nouveau imaginé par le législateur "en observation, dans le cadre d’une application limitée à telle ou telle circonscription judiciaire.
Cela permettrait, en effet, d’une part de mieux évaluer les moyens de toute nature nécessaires à l’application de
la loi, et d’autre de détecter des causes de dysfonctionnement non aperçues dans la la phase d’élaboration.
Malheureusement nous avons parfaitement conscience de l’imposibilité juridique absolue du recours à de tels
procédés dans le cadre des conceptions actuelles, notamment en raison du principe d’application universelle de
la loi et de celui d’égalité des citoyens devant cette même loi.
Il est permis de douter que l’abandon de ces principes soit envisagreable dans un avenir prochain. Mais ne pourrait-on comme cela s’est fait et se fait encore dans certaines entreprises lorsqu’on introduit des procédures
nouvelles de fonctionnement (informatisation de tel ou tel secteur par exemple, comptabilité, fabrication, etc.)
avoir recours à la méthode qui consiste pendant un temps, à continuer à faire fonctionner le service selon les
méthodes anciennes tout en réalisant en même temps les mêmes opérations selon les méthodes nouvelles.
Les initiatives prises en France après 1985, par les chambres de commerce et les tribunaux de commerce ("observatoire" des entreprises entre autre à Paris et en Ile de France), allant non pas "contre" mais "au-delà" de la loi
- initiatives dont le succès permet après un départ difficile, de ne pas désespérer du succès final de la législation
nouvelle - confirmant, en tout cas, l’importance capitale des pratiques d’application du système pour en exploiter
les possibilités.
1996.07
Le depot de bilan outil de gestion
(A propos des lois Françaises de 1984 1985 1994 et de la loi Tunisienne du 17 avril 1995.)
Roger Percerou
Professeur à l'I.A.E de Paris
Professeur Emérite à l'Université Paris I
Les papiers de recherche du GREGOR sont accessibles
sur INTERNET à l’adresse suivante :
http://www.univ-paris1.fr/GREGOR/
Secrétariat du GREGOR : Claudine DUCOURTIEUX ([email protected])
IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.07 -
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