Combat d`abrutis, chiens et porcs ou le triomphe de la
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Combat d`abrutis, chiens et porcs ou le triomphe de la
Combat d’abrutis, chiens et porcs ou le triomphe de la démocratie en ligne Je me lève mardi dernier, je prends ma douche, suivie d’un café avec pain, beurre et confiture. Je me taille la barbe pour ne pas avoir l’air d’un papy boomer rescapé de Woodstock et je m’installe devant l’écran de mon Mac. Rien de spécial jusqu’à ce qu’une guirlande de vignettes me saute au nez au milieu de quoi je reconnais Robert Anthony De Niro, acteur né le 17 aout 1943 à Greenwich Village, New York City. J’active la vignette et des insultes volent en anglais : « tu es un chien », « un porc », « un guignol », « un maudit crétin » : litanie martelée avec le flow de « Raging Bull » quand il croit que son pote a manqué de respect à sa femme. Pris à froid, j’ai besoin d’un moment pour réaliser que cette charrette de douceurs ne m’est pas destinée, mais à Donald John Trump, né le 14 juin 1946 dans le Queens, New York City, homme qui a fait de l’insulte un art aux dépens des femmes, des « nègres », des « dagos » (mot péjoratif pour désigner les latinos), des juifs, des homosexuels et des artistes, une bande de parasites libéraux à la solde de la Clinton. Comme je n’ai aucune confiance dans les réseaux dits sociaux et dans la toile (nous des chimpanzés en cage, eux à nous balancer des cacahuètes et des pétards), je me repasse le clip de l’ex « Affranchi » (1990) et je comprends qu’il a été posté avec un travail de post-production composé de six coupes et autant de cadrages et de coups d’œil furtifs vers la gauche. Tout le monde n’est pas d’accord : « Ce ton et cette sincérité plaisent aux électeurs américains », commente l’ancien directeur de campagne de Bush sur Fox News. Quand je sors pour acheter le journal, les « chien » et les « porc » de De Niro ont fait un million de fois le tour de la planète. Aucun doute pour les gens que je croise : un De Niro-Trump vaut un Ali-Foreman ou un Tyson-Holyfield. « On nous cache tout, on nous dit rien » chantait Jacques Dutronc en 67. « On nous dit tout, on n’y comprend rien », chanterait-il aujourd’hui. Confusion mentale que les sociologues appellent « infobésité », autrement dit, l’engloutissement de l’info comme des flocons d’avoine sur son divan. Gavé et embrumé, l’esprit se remplit de « perles », de « breaking news » et de « flashs » (quelle belle langue le français...) et - perdu dans son propre enfumage - en oublie l’hécatombe en Syrie et au Yémen, l’ouragan en Amérique Centrale, jusqu’à la liste de ses commissions et qui doit aller chercher les gosses à l’école... Le phénomène des insultes comme ersatz des arguments n’est pas exclusivement états-unien. En 1989, Paul Amar, le présentateur du JT de la 2, pose quatre gants de boxe rouges devant Bernard Tapie, homme d’affaire et futur éphémère ministre de Mitterrand, et Jean Marie Le Pen, le fondateur du FN (on le met à la porte). En 2004 en Italie, c’est Adel Smith et Carlo Pelanda qui se coltinent en direct au sujet des crucifix dans les écoles. En 2011, Vittorio Sgarbi, le turbulent ex ministre de la Culture, et la fille Mussolini, en viennent quasiment aux mains. Question : dans le débat démocratique, il faut forcément en arriver à ces échanges d’insultes et à cette pluie de marrons pour établir qui a raison ? Si la réponse est oui, revenons-en aux Grecs et aux Troyens qui, épuisés par des lustres de bataille, choisissent Ajax et Hector pour faire cesser le massacre. Jugement de Dieu que les anciens Germains appelaient « ordalie », du germanique « Urteil », le jugement. Quand on accusait quelqu’un d’un crime, on appliquait une lame ardente sur la paume des mains. S’il n’était pas guéri dans les trois jours, on le passait de vie à trépas. Une variante consistait à jeter le malheureux d’une barque une pierre attachée au cou. S’il mourait, c’était la preuve qu’il était coupable ; s’il s’en sortait, il mourait aussi pour conjuration avec le Diable. Des siècles plus tard, on ne se délecte plus en allant assister à des pendaisons ou des supplices. On va au stade ou au cinéma en famille et, de retour à la maison, on frémit devant le spectacle de gosses couverts de sang, de cadavres infestés de mouches, de réfugiés qui meurent du choléra, de viols en réunion, de mares de sang dans les rues de Naples et de fusillades entre extra-communautaire en périphérie. J’exagère, je m’en rends compte, mais, chers amis, a-t-on vraiment besoin de ces « abruti », de ces « chien » et de ces « porc » pour désigner la ou le Président qui arrêtera les guerres au Moyen-Orient et mettra la finance délétère sous tutelle ? Le talent de George Clooney, de Barbra Streisand, de Meryl Streep e de Stephen Spielberg (aux comptes en banque globalisés) suffiront-ils à convaincre l’Américain qui perd les pédales de glisser le nom d’Hillary, la chouchoute de Wall Street, dans les urnes ? Si vous voulez mon avis, ce n’est pas gagné d’avance. Car si De Niro a un sacré uppercut, Trump est soutenu par Iron Mike Tyson, la catcheur Hulk Hogan et Denis Rodman, trois grands Américains. La frontière entre gladiateurs, histrions et politiciens est de plus en plus ténue. A une nuance près. Si un cataclysme emporte l’humanité entière par leur faute, il n’y aura pas d’effets spéciaux : ce sera « The End » pour de bon. Mario Morisi, mine parue dans « Brescia-Oggi » le lundi 17 octobre 2016. Adaptation en français par l’auteur lui-même.