Marc Meneau - Bourgogne Aujourd`hui

Transcription

Marc Meneau - Bourgogne Aujourd`hui
Gastronomie
Marc Meneau
Un tournant
Homme de contrastes, Marc Meneau, chef trois
macarons à Saint-Père-Sous-Vézelay traverse une
difficile passe financière. L’occasion de revenir sur
un métier qui ne sera plus jamais comme avant et
sur un grand cuisinier à un tournant de sa vie…
Marc Meneau en discussion
avec Jean-Pierre Colinot,
vigneron à Irancy.
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“
J
e me lève le matin sans avoir envie
de me lever et je me couche le soir
sans avoir envie de me coucher.”
Hautain et arrogant pour les uns,
sensible et affectif pour les autres,
Marc Meneau promène tous ses contrastes.
Derrière cette double carapace, l’homme
ne laisse rien apparaître. Il protège ses
émotions, gère ses sentiments, contrôle sa
révolte. Parce qu’il est un animateur de vie,
un marchand de bonheur, le chef étoilé de
Saint-Père puise, dans le plaisir affiché par
ses clients, l’énergie nécessaire pour repartir de l’avant.
Pourtant, rien ne lui a été épargné ces dernières années. Il commençait juste à savourer cette troisième étoile au Michelin,
retrouvée à force de persévérance et forcément de talent qu’une nouvelle contrariété
l’atteignait. Là, c’est un problème de trésorerie qui l’a amené à passer par la case “tribunal de commerce”, dans le cadre d’une
procédure de redressement judiciaire.
Un accident de parcours qui a touché
autant la fierté que le portefeuille de ce cuisinier philosophe. “La cuisine a au moins
fait que je suis riche de moi”, constate-t-il
sans amertume. Pour autant Marc Meneau
sait bien que plus rien ne sera comme
avant. Parce que les grands cuisiniers chefs
d’entreprises n’ont plus les moyens de supporter, seuls, le coût de leurs maisons.
Parce que leurs produits de luxe se commercialisent plus difficilement dans un
écrin de verdure, fût-il au pied de la basilique de Vézelay, que place de la Madeleine
à Paris ou place du Casino à Monaco. “La
cuisine des palaces et de certains Relais et
Châteaux est déjà régie par de grands
groupes financiers. Le sponsoring, le mécénat, c’est la seule façon de s’en sortir pour
“Le sponsoring,
le mécénat,
c’est la seule façon
de s’en sortir pour
des établissements
comme les nôtres
qui appartiennent
au patrimoine
culinaire français.”
des établissements comme les nôtres qui
appartiennent au patrimoine culinaire français”, plaide Marc Meneau. Et de rappeler
qu’à la Renaissance il y avait bien des
mécènes pour l’art. Alors pourquoi pas,
aujourd’hui, pour la grande cuisine, activité artistique par excellence ? Le chef de
l’Espérance trouve aussi, dans l’évolution
de la société, des explications aux difficultés rencontrées par la profession. “Il y a
quinze ans, j’avais le double de clients
venant d’Auxerre que d’Avallon. Aujourd’hui, c’est l’inverse, parce que bon
nombre de ceux qui viennent d’Auxerre
restent coucher, ce qui ne représente pas le
même budget. Or, si je garde des chambres
abordables, je ne vais pas les vendre à la
clientèle de luxe. C’est un constat qui
plombe nos entreprises. Comme la réglementation
sur
l’alcool.
Les gens ont pris l’habitude de moins
consommer. La bouteille d’eau demande le
même travail au serveur que la bouteille de
montrachet sans procurer la même recette.”
“On se bat pour survivre ici, mais on n’est
pas aidé”, constate encore Marc Meneau,
ulcéré autant par le manque d’investissements dans le tourisme que par l’absence
de réglementation pour les chambres
d’hôtes ou les hésitations de la clientèle
locale. “Nous devrions davantage être
considérés comme des acteurs de la vie
économique que comme des commerçants”, renchérit-il. Acteur ! C’est sans
doute le qualificatif qui colle le mieux au
personnage Marc Meneau, autant attaché à
l’esthétisme des lieux qu’à l’excellence des
produits. Sa scène à lui c’est l’Espérance où
la cuisine doit être ludique et le service
joyeux. “On écrit des spectacles différents
chaque jour. Avec mes équipes, j’ai l’impression de faire du catéchisme en transmettant mes expériences et mes folies, sans
jamais exclure la rigueur.” Acteur, animateur, mais aussi bouffon, le cuisinier se plait
à rappeler qu’il se produit à Saint-Père
comme quelqu’un qui a quarante ans d’apprentissage derrière lui et qui connaît
quelques formules toutes simples pour
remémorer les goûts oubliés. Son souci
aujourd’hui, c’est bien de transmettre son
patrimoine culinaire et les murs qui vont
avec. Trouver des investisseurs intéressés
par un lieu mythique au pied de la basilique,
à condition de continuer à jouer la partition
devant les convives. “Libéré ainsi des
contraintes de gestion, un chef ne peut que
s’épanouir”, constate Marc Meneau. Et ajouter un peu de piquant dans ses saveurs ? ■
Gérard Delorme
Photographies : Lionel Georgeot
Le fantasme
du goût
Si l'huître creuse en gelée d'eau de mer et
le cromesquis fourré de foie gras restent
deux belles signatures de Marc Meneau,
on connaît sans doute moins l'attachement
du cuisinier à tout ce qui concerne le goût.
C'est avec le goût des produits qu'il va restituer une sensation, une émotion, un souvenir d'enfance. Deux exemples tout
simples, que l'on trouve sur sa carte, pour
illustrer cette approche gustative à remonter le temps. D'abord, le vol au vent de ris et
rognons de veau que chacun d'entre nous
a pu déguster lors des repas de famille sous
le nom de bouchée à la reine. Et puis cet
œuf de poule à la florentine, un œuf poché
avec des épinards et du parmesan râpé
que l'on servait autrefois comme plat de
jour maigre. Autant de saveurs ancrées
dans les mémoires que le chef remet au
goût du jour sur sa table “3 étoiles”.
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