Psychologie et orientation : des liens contre nature
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Psychologie et orientation : des liens contre nature
Psychologie et orientation : des liens contre nature ? Yannis est élève de 4ème dans un collège de la banlieue parisienne. Le professeur principal a demandé à la conseillère d’orientation-psychologue d’intervenir dans la classe qui devient de plus en plus agitée et démotivée .La Co-Psy propose deux interventions ; l’une centrée sur la question de « l’ennui en classe » ( Qu’est ce qui fait qu’on ne s’intéresse pas ?Qu’est ce qui , au contraire, pousse à travailler en classe ?) L’autre sur les liens entre diplômes et insertion professionnelle. A la fin de cette seconde séance Yannis vient, de manière un peu provocatrice, voir la Co-Psy et le professeur principal pour leur dire que selon lui les études ne servent à rien et qu’il souhaite, comme son cousin, devenir vendeur dans un fast food. La co-psy reprend les arguments développés en classe et l’invite à prendre rendez vous pour en discuter . Quelques jours plus tard, Yannis passe sans rendez vous pour « se renseigner sur les CAP de vente ».Lors de l’entretien il apparaît que ses centres d’intérêts sont encore très fluctuants. Le choix du commerce est très lié à l’image de ce cousin, dont il se sent très proche et auquel il voudrait ressembler. Mais il renvoie aussi à son père, qui tient une épicerie mais avec lequel il ne vit pas . Il finit par exprimer la fierté qu’il ressent pour son père « qui au début n’avait rien » mais aussi à prendre en compte les attentes de celui ci quant à l’avenir de son fils. Le père de Yannis, comme de nombreux parents n’ayant pas poursuivi d’études, l’encourage à ne pas suivre son exemple , à ne pas faire les mêmes erreurs. Dilemme difficile qui sollicite l’adolescent à concilier inscription dans une filiation et construction de sa propre histoire. Yannis choisit finalement de différer son choix après la classe de 3ème. Cette année , lors de l’entretien avec la co-psy se dégage un intérêt pour l’Electrotechnique Yannis est allé avec d’autres élèves du collège visiter le lycée. Ses bons résultats en maths et en physique lui sont apparus comme un atout et le bac technologique comme une piste possible de résolution de ce dilemme. Que se serait il passé si, sur la foi de cette demande, on avait encouragé Yannis dans son choix en fin de 4ème, sans recul, en prenant son projet « au pied de la lettre » ? Aurait il pris conscience et formulé de nouveaux choix ou plus probablement se serait il résigné ou aurait il abandonné, déçu par ce qui n’était au bout du compte qu’une étape dans son développement ? Bryan est élève de seconde dans le lycée de son secteur de rattachement. Elève moyen en 3ème, qui réussissait sans trop d’efforts, il a choisi les options les plus « courantes » (LV2+SES). Dès la fin du premier trimestre il vient voir le conseiller d’orientation-psychologue « pour savoir s’il est possible de changer de lycée en cours d’année ». En fait, Bryan voudrait aller au lycée professionnel où sont scolarisés ses anciens camarades de 3ème, en seconde pro pour un BEP des métiers de la comptabilité. Ses résultats sont faibles et, ce qui l’inquiète beaucoup, dans les disciplines où il réussissait bien au collège. Il voudrait quitter le lycée dès le mois de Janvier. L’entretien avec le Co-Psy l’amène à approfondir les raisons qui lui font demander cette réorientation. Il y retrouverait ses copains et « la bonne ambiance du collège ; il aurait des bonnes notes alors qu’au lycée « tout va mal » ; il aurait « un métier dans les mains » après le BEP alors que les études longues se présentent comme très incertaines pour lui. Il apparaît assez vite que Bryan bute sur les nouvelles exigences du lycée , non seulement en terme de rapport au savoir et de compréhension des attentes des professeurs, mais aussi en terme de place par rapport à son histoire : A t il eu raison de se lancer au lycée alors que ses meilleurs copains sont en lycée professionnel ? Lui qui était perçu comme un « bon élève » dans son milieu, n’ose plus parler de se qu’il fait en cours. Sa mère s’inquiète. A-t-elle eu raison de le pousser à essayer alors que personne n’a le bac dans la famille ? Toutes ces interrogations, tous ces doutes Bryan ne les livre pas d’emblée mais les élabore progressivement au cours de l’entretien. Il cerne un peu plus précisément ce qui lui fait regretter le collège , mais aussi les sollicitations qui le poussent à évoluer , à changer. Transformation de soi difficile à conduire quand elle peut être perçue comme une trahison sociale et familiale. C’est pourtant finalement cette voie plus risquée mais aussi porteuse de développement qu’il choisira. Que se serait il passé si un « professionnel de l’orientation, nouvelle manière » avait remué ciel et terre pour le faire changer de lycée en cours d’année , voir lui avait proposé des métiers « en déficit de main d’œuvre » ? Combien d’autres cas d’élèves de 6ème , de 1ère, de terminale pourraient être décrits, pas nécessairement élèves en difficulté, même s’ils sont nombreux, mais des élèves qui à un moment de leur parcours, doutent du sens de ce qu’ils font, s’inquiètent de leurs capacités, traversent des histoires personnelles difficiles ou se posent tout simplement les questions inévitables à l’adolescence.. Le titre de psychologue mis en cause Pourtant les attaques récurrentes contre les conseillers d’orientation-psychologues se sont focalisées sur leur statut de psychologue, rendu responsable « d’attitudes de repli et d’individualisme », « d’un manque d’ouverture d’esprit », « d’une méconnaissance du monde professionnel et des débouchés » 1. Les critiques ne manquent pas d’ailleurs de souligner qu’il s’agit là d’une bizarrerie française qu’il serait temps de prendre pour modèle les pays d’Europe du Nord où les enseignants sont beaucoup plus impliqués, ou bien le « Career service » anglais externalisé qui dispense aujourd’hui des conseils en ligne sur internet. 2 Pourquoi cette suspicion constante à propos du titre de psychologue des co-psy ? Plusieurs raisons peuvent être invoquées. La régulation des flux qu’un système éducatif met en place est évidemment cohérente avec la manière dont il est structuré mais également avec ses objectifs en matière de politique éducative. En Europe,Certains systèmes sélectionnent formellement déjà à l’entrée en 6ème et considèrent donc que les jeux sont faits ; D’autres repoussent toute orientation avant la fin de l’Ecole moyenne ; Le système français organise des possibilités d’orientation tout au long du système. La loi de 89 et ses décrets d’application ont fixé des procédures d’orientation qui permettent aux familles de choisir un redoublement plutôt qu’une orientation non choisie. Le gouvernement actuel qui souhaite assujettir la formation et l’orientation aux possibilités d’insertion, aimerait bien revenir sur ces textes. Mais les mentalités ont changé et de telles mesures seraient bien contraires aux discours sur « les choix des individus », « acteurs de leur vie ». 1 Rapport de l’inspection générale Novembre 2005 Actuellement trois pays qui avaient largement confié aux enseignants de nombreuses tâches effectuées en France par des personnels spécialisés font marche arrière : il s’agit des Pays Bas, de la Suède et du Royaume Uni 2 L’information et le conseil deviennent donc des enjeux essentiels de cette nouvelle conception de l’Education. Comme les politiques l’avouent eux-mêmes, le choix de bloquer les recrutements de co-psy ne correspond pas seulement à une logique gestionnaire, puisqu’il est envisagé de recruter d’autres personnels pour faire ce travail. Il existe également une vision assez stéréotypée de la psychologie sur la scène sociale. La représentation dominante est attachée au champ de la santé mentale. Dès lors le rapport entre orientation et psychologie semble assez obscur. La profession de psychologue n’échappe pas plus que les autres aux représentations réductrices. On oublie qu’il y a des psychologues dans le champ du travail, du sport , du social, de la formation et de l’Education et dont les interventions ne peuvent être considérées comme des sous produit du modèle médical. La particularité de la formation des co-psy réside dans sa pluridisciplinarité, ouverte sur les différentes spécialités de la psychologie ainsi que sur la sociologie, les sciences de l’Education, la connaissance des milieux de travail et d’emploi. C’est ce qui leur permet d’articuler les enjeux singuliers, individuels et collectifs lorsqu’ils aident les élèves à élaborer leurs projets d’avenir. Que risque de devenir l’orientation dans le cadre des projets gouvernementaux ? ¾ Le passage d’une conception éducative et développementale de l’orientation à une orientation diagnostique visant à repérer au plus tôt les « talents » (nouvelle désignation des aptitudes) aboutirait à renforcer la sélection sociale et le poids des représentations sociales ; Le rôle de l’Ecole n’est pas tant de détecter les talents que de les faire naître et de les diversifier. Le parti pris de se focaliser sur une démarche d’information et d’aide à la décision , en ignorant les processus psychologiques qui lient construction de l’identité et projets d’avenir ne peut qu’opérer une forte discrimination entre les élèves au détriment des plus fragiles et de ceux qui du fait de leur origine sociale doutent de leur légitimité à faire des études. Ceux qui sont trop en échec ou qui ont une image d’eux mêmes trop dévalorisée , doutent de leurs capacités, n’arrivent pas à s’approprier les enjeux et les exigences du travail scolaire, tous ceux là risquent de se réfugier dans des projets magiques ou d’adopter une attitude de renoncement. ¾ Le transfert à des non-psychologues du conseil personnalisé aurait des conséquences désastreuses sur le devenir des élèves Ainsi une personne non formée en psychologie aura tendance à prendre les projets des jeunes au pied de la lettre. Or, comme les cas ci-dessus nous le montrent, l’élaboration des projets est marquée par les étapes du développement psychologique et suit pour la majorité des adolescents et adolescentes des passages « obligés ». Mais en outre à l’adolescence la question du projet est prise dans les remaniements profonds qui affectent la personnalité. Les projections dans l’avenir ne peuvent pas être extérieures à ces transformations Les co-psy savent bien qu’à certains moments le choix énoncé va servir à signifier quelque chose (opposition à la famille ou au contraire conformité pour avoir la paix, identification à une personne significative, réparation d’une blessure ou d’un manque dans la famille, appropriation pour soi des attentes parentales etc.) ¾ Le conseil personnalisé donné sans référents théoriques pour comprendre ce qui se passe chez l’autre et pour soi risque d’entraîner la projection sur l’élève de ce qu’on juge bon pour lui en fonction de son histoire personnelle ou familiale, de ses convictions, de la perception que l’on a de l’élève ou de l’étudiant ¾ Sans formation spécifique le « conseiller non psychologue » pourrait également avoir l’illusion que les projets des élèves se construisent de manière linéaire et rationnelle ; que l’adéquation entre profils personnels et type d’emploi existe réellement alors que l’examen approfondi de l’évolution des métiers, leur polyvalence, l’instabilité de la conjoncture et le développement non prédictible de l’évolution des élèves nous démontre chaque jour le contraire. Si l’on ne voit pas bien ce que les élèves auraient à gagner avec de telles mesures, on voit précisément par contre, ce qu’ils auraient à y perdre. Orientations précoces sur la foi de projets peu stables, sur la base d’éléments économiques peu fiables, renforcement des discriminations sociales, limitation des possibilités d’orientation à la sphère locale, abaissement des ambitions et risque de décrochage accru. Sous couvert de meilleures réponses aux besoins des jeunes c’est une opération de manipulation des choix et des parcours des adolescents les plus fragiles qui se prépare. En tant que psychologues, se référant au code de déontologie, les co-psy ne « roulent » pour aucun lobby , ni groupe de pression. Ils sont essentiellement préoccupés d’offrir aux adolescents et aux jeunes adultes des espaces leur permettant d’élaborer des projections dans l’avenir qui soient de nouvelles ressources de développement psychologique et de réalisation de soi, des pistes de réussite . C’est peut être surtout cela qu’on leur reproche ? ( Article paru dans le journal du Syndicat national des psychologues en 2007)