Conseil économique et social

Transcription

Conseil économique et social
NATIONS
UNIES
E
Conseil économique
et social
Distr.
GENERALE
E/CN.4/2002/NGO/140
13 février 2002
ANGLAIS ET FRANÇAIS
SEULEMENT
COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-huitième session
Point 11 (c) de l’ordre du jour provisoire
DROITS CIVILS ET POLITIQUES, NOTAMMENT LES QUESTIONS SUIVANTES:
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Exposé écrit*/ présenté par Reporters sans frontières international, organisation non
gouvernementale dotée du statut consultatif spécial
Le Secrétaire général a reçu l’exposé écrit suivant, qui est distribué conformément à la
résolution 1996/31 du Conseil économique et social.
[18 janvier 2002]
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*/ Exposé écrit publié tel quel, dans la/les langue(s) reçue (s), sans avoir été revu par les
services d’édition.
GE.02-10820
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Chine : Renforcement de la censure
A l'approche d'un Congrès du Parti communiste décisif prévu en 2003, le régime de Pékin a
engagé une purge dans les médias : au moins cinq responsables de rédactions ont été
sanctionnés et douze médias ont été censurés. Au même moment, la police arrêtait seize
cyberdissidents. Les journalistes étrangers sont toujours empêchés de couvrir les sujets
sensibles.
Le 11 janvier 2001, le président chinois Jiang Zemin affirme que "les médias d'information
sont les porte-voix du Parti et du peuple" et qu'ils ont un devoir "d'éducation et de propagation
de l'esprit du Comité central du Parti". Selon lui, le respect de cette discipline doit être assuré
par le département de la "publicité" (anciennement département de la propagande) du Parti
communiste chinois. Dans les semaines qui suivent ces déclarations, des nouvelles consignes
sont adressées aux responsables des principaux médias, notamment de se concentrer sur la
couverture des "événements positifs". Et les sanctions tombent sans avertissement. L'enjeu de
cette purge est double : éviter les critiques à l'approche du départ de Jiang Zemin de la
présidence, et restructurer la presse pour éliminer des médias de province trop indépendants.
Cette reprise en main n'a heureusement pas conduit à une vague d'arrestations de journalistes.
Bien que certains d'entre eux fassent preuve d'audace en testant régulièrement les limites de la
censure sur des sujets sensibles. A plusieurs reprises, des rédactions ont forcé les consignes du
Parti en couvrant, sans autorisation, des accidents, comme des explosions dans une mine ou
une école. En revanche, la police s'est concentrée sur le contrôle des "activités subversives" sur
Internet. Pas moins de seize cyberdissidents ont été arrêtés en 2001. Au 1er janvier 2002, au
moins quatorze journalistes croupissent toujours en prison, dont quatre sont emprisonnés
depuis la répression du printemps de Pékin de 1989.
La bataille pour les ondes s'est poursuivie en 2001 entre le gouvernement chinois et les radios
internationales qui émettent en mandarin, en tibétain ou en ouighour. Malgré les brouillages
fréquents, les émissions en ouighour de Voice of America (VOA), de Radio Free Asia (RFA)
et de Radio Almaty (basée au Kazakhstan) sont très écoutées par la population du Xinjiang. En
octobre, RFA passe d'une à deux heures de transmission par jour. Les programmes en tibétain
diffusés par Voice of Tibet, VOA, BBC et RFA sont la cible des autorités qui déploient
d'importants moyens pour les rendre inaudibles. Les radios étrangères restent une véritable
"bouffée d'air" pour les Ouighours et les Tibétains. Les auditeurs sont conscients des risques
qu'ils encourent et choisissent la plupart du temps de les écouter en secret. "Nous n'avons
jamais d'informations à propos du Xinjiang à la télévision et à la radio nationale. Juste des
chants, des danses et de la propagande politique. Nous sommes bombardés par les opinions
politiques du gouvernement. C'est utile d'entendre des avis divergents sur les radios libres",
témoigne un Ouighour. En revanche, l'agence officielle Xinhua affirme en mars que "les
infiltrations par des radios étrangères hostiles deviennent de plus en plus dangereuses".
Au Tibet, les consignes sont appliquées très strictement. Ainsi, en novembre 2001, le
responsable de la propagande dans la province rappelle qu'à "tous les niveaux de
l'administration, les journaux du Parti doivent être lus et étudiés". En Mongolie intérieure, le
contrôle est également très strict. Ainsi, les autorités interdisent toujours la parution du
magazine dissident La Voix de la Mongolie du Sud, interdit en 1995.
En 2001, le gouvernement chinois a de nouveau montré son obstination à empêcher la presse
étrangère de couvrir les sujets sensibles. Ainsi, le Parti communiste chinois dénie aux
correspondants étrangers le droit d'enquêter librement sur la dissidence, les mouvements
religieux clandestins, la corruption, le SIDA dans la province du Henan, les catastrophes
naturelles, et les séparatismes tibétains et ouighours. Selon les règles imposées par le régime de
Pékin, les journalistes étrangers doivent demander à l'avance une autorisation du ministère des
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Affaires étrangères pour sortir de la capitale. Une fois en province, ils sont placés sous le
contrôle, souvent très strict, du bureau local du ministère.
Impunité dans une affaire de journaliste assassiné
Le 15 janvier 2001, Feng Zhaoxia, journaliste du quotidien Gejie Daobao, publié dans la ville
de Xi'an (province du Shanxi), est retrouvé mort, la gorge profondément tranchée. Une
semaine après la découverte du corps, la police conclut à un suicide malgré les affirmations
contraires de sa famille, de ses collègues et d'associations de journalistes locaux. Pour eux, il
s'agit d'un assassinat lié aux articles publiés par le journaliste. Selon le quotidien de Canton,
Yangcheng Wanbao, et le journal de Hong Kong, Ming Pao, Feng Zhaoxia avait enquêté sur
les activités de groupes mafieux locaux et avait dénoncé les connivences entre ces groupes et
certaines autorités. Selon son épouse, Feng Zhaoxia, âgé de 48 ans et père de deux enfants,
n'avait aucune raison de se suicider. La veille de sa disparition, le journaliste avait reçu un
appel téléphonique. Il est sorti de chez lui et n'est jamais rentré. Par ailleurs, le corps portait de
profondes entailles à la gorge et il semble peu probable que la victime ait pu se taillader de la
sorte. La famille et les collègues du journaliste, indignés par les conclusions hâtives de la
police, demandent à plusieurs reprises que le dossier soit rouvert et qu'une enquête sérieuse
soit menée. Par ailleurs, le département public de l'information de la province interdit quelques
jours après le crime que de nouveaux articles soient publiés sur la mort du journaliste.
Quatorze journalistes incarcérés en Chine
Yu Dongyue, Hu Liping, Chen Yanbin, Zhang Yafei, Liu Jingsheng, Ma Tao, Wu Shishen,
Tenpa Kelsang, Wang Yiliang, Qi Yanchen, Ngawang Choephel et Lu Wanbin.
Deux journalistes emprisonnés pour avoir enquêté sur la corruption de responsables du Parti
communiste
Gao Qinrong, journaliste à l'agence Xinhua dans la province du Shanxi, a été arrêté le 4
décembre 1998 et condamné à treize ans de prison pour "corruption", "détournement de fonds
et "proxénétisme", grâce à des faux témoignages. Les autorités locales lui reprochent en fait
d'avoir révélé l'échec d'un grand projet d'irrigation imputable au dirigeant provincial du Parti
communiste. Selon le témoignage de l'épouse de Gao Qinrong, Duan Maoying, en novembre
2001, le journaliste emprisonné "s'est beaucoup affaibli. Il a perdu ses cheveux. Il ne peut plus
écrire, ses mains tremblent trop". Duan n'est autorisée à lui rendre visite qu'une fois par mois.
Le 9 septembre 2001, Gao Qinrong fait parvenir une lettre à Mary Robinson, haut-commissaire
aux droits de l'homme des Nations unies dans laquelle il lui demande d'intervenir en sa faveur
auprès des autorités chinoises. Malgré cette initiative, Gao affirme que les autorités n'ont prêté
aucune attention à son cas et que Huang Youquan, un haut responsable du Parti dans le
Shanxi, est protégé par certains membres du Comité central de Pékin, notamment Hu Fuguo,
ancien responsable du Parti dans le Shanxi. Le 8 décembre 2001, c'est au tour de Duan
Maoying de s'adresser au président Jiang Zemin et au Premier ministre, à l'occasion de la
Journée des journalistes (célébration officielle de la profession). L'épouse du journaliste
affirme que la Cour suprême, la commission centrale de discipline du Parti, les organes de
presse locaux et nationaux, refusent de soutenir le cas de Gao. Seuls quelques journalistes
chinois courageux, notamment de l'hebdomadaire Nanfang Zhoumo, ont publié des articles sur
le journaliste emprisonné, mais ils ont été licenciés depuis. "Tout le monde a peur car il y a de
nombreuses pressions d'en haut", conclut Duan qui s'est rendue à Pékin pour défendre le cas de
son mari. Elle affirme avoir déjà dépensé cent mille yuans (plus de dix mille euros) pour mener
cette campagne en faveur de la libération de son mari.
Le 5 septembre, Jiang Weiping, responsable du bureau du quotidien Wen Wei Po (publié à
Hong Kong) à Dalian (province de Liaoning), est jugé dans le plus grand secret par la Cour
intermédiaire de Dalian. Ses proches ne sont pas autorisés à assister à l'audience ni à lui rendre
visite dans la prison de la ville. La sentence n'est prononcée qu'au début du mois de novembre :
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Jiang Weiping est condamné à une peine de neuf ans de prison pour "divulgation de secrets
d'Etat", "tentative de renversement du pouvoir d'Etat" et "détention illégale de documents
confidentiels". Il a été arrêté le 5 décembre 2000 et il est détenu dans la prison de Dalian, dans
la province du Liaoning. La justice reproche au journaliste d'avoir publié une série de quatre
articles dans le magazine de Hong Kong Qianshao, sur la corruption de hauts fonctionnaires
dans le nord-est de la Chine. Ces articles mettaient notamment en cause le gouverneur de la
province du Liaoning, Bo Xilai, fils du vétéran du Parti communiste chinois Bo Yibo. Ma
Xiangdong, ancien maire adjoint de Shenyang, condamné à mort pour corruption, était
également visé par les enquêtes de Jiang. Selon le journaliste, Ma a détourné plus de trois
millions d'euros pour jouer dans les casinos de Macao. Enfin, Jiang affirmait dans l'un de ses
articles que Qian Duhua, maire de Daqing (province de Heilongjian), utilisait de l'argent public
pour acheter des appartements pour ses vingt-neuf maîtresses.
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