SI01 Les journalistes dans les films de cinéma
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SI01 Les journalistes dans les films de cinéma
SI01 Les journalistes dans les films de cinéma Julien Silland Automne 2003 M. Le Bohec 1 Sommaire Introduction 1. La relation du journaliste avec la vérité et le pouvoir 2. Derrière le journaliste, la presse Conclusion Annexe Annexe A : Analyse des films étudiés. 2 La plus grande partie des films qui ont pour héros un ou des journalistes ont été réalisés aux Etats-Unis : de « Citizen Kane » d’Orson Welles en 1941 à « La vie de David Gale » d’Alan Parker en 2002 en passant par « Batman » de Tim Burton en 1987, nombreux sont les films américains célèbres dont le ou les personnages principaux sont des journalistes. Un film français cependant traite de la presse, si l'on exclut toutefois « Paparazzi» qui traite plus du reportage à scandale, Il s’agit du film « Le quatrième pouvoir » de S. Leroy, film moins connu et sans doute moins réussi que les exemples américains cités précédemment. Peutêtre les réalisateurs français s’intéressent-ils moins aux thèmes que l’on trouve de manière récurrente dans les films relatifs au journaliste. Un des points communs de tous ces films est, en effet, la relation du journaliste avec la vérité et avec le pouvoir, qu’il soit économique ou politique (I). En outre, de tels films mettent souvent l’accent sur l’opposition entre le journaliste pris en tant qu’ individu (le plus souvent valeureux et attachant) et la profession, enserrée dans des contraintes économiques ou des habitudes professionnelles discutables (II). 3 1. La relation du journaliste avec la vérité et avec le pouvoir Tous les films étudiés traitent de ce thème. C’est le cas en premier lieu de « Citizen Kane ». Le jeune Kane est moins un journaliste qu’un patron de presse. Il reprend le New-York Inquirer, journal qui se fait le dénonciateur des pratiques des grandes firmes capitalistes. Au départ, Kane rêve d’un journal qui ne dirait que la vérité. Son immense succès résulte de l’engagement solennel pris auprès des lecteurs de toujours respecter celle-ci. Cependant, Kane n’honorera pas cet engagement et finira par utiliser son journal pour servir ses propres intérêts. Sa volonté de conquête personnelle du pouvoir explique ses choix. Il épouse la nièce du président des Etats-Unis, se présente aux élections pour devenir gouverneur de New-York. Sur le point d’être battu, il prépare deux « unes » du journal, la première titre « Kane élu », l’autre « Votes truqués ». Le film traduit ainsi les relations ambivalentes du journaliste avec la vérité et avec le pouvoir. En tant que magnat de la presse, Kane se promet de répondre aux aspirations de ses lecteurs et prend des engagements d’honnêteté. Par la suite, son ambition même le conduit à vouloir mener une carrière politique et à trahir ses engagements premiers. Le journaliste est, dans ce film, d’abord présenté comme une personne, avec son histoire personnelle, sa volonté de puissance et ses tourments qui, parfois, remontent à l’enfance. Un autre personnage de journaliste, moins puissant, moins séduisant mais professionnellement plus honnête, existe dans « Citizen Kane », en contrepoint du personnage principal. En effet, à la mort de Kane, c’est un journaliste, Jerry Thompson, qui va mener une enquête sur sa vie, découvrant ses tricheries, sa tyrannie envers des journalistes qu’il a licenciés dès lors qu’ils ont voulu faire leur métier ainsi que les mensonges des articles qui encensaient son épouse en tant que cantatrice. Le journaliste est double : capable de tyrannie s’il commande un empire, capable de lâcheté, d’obéissance et de mensonges s’il obéit à un patron sans scrupules, il peut aussi parvenir à reconstituer avec courage et ténacité une vérité difficile sur un personnage puissant. La recherche de la vérité comme les relations avec un pouvoir corrompu sont également au cœur des films sur le journalisme d’investigation . « L’affaire Pélican », d’A.J.Pakula, « Révélations », de M. Mann, sont des exemples typiques de ce genre cinématographique. « L’affaire Pélican » raconte une histoire proche de celle du Watergate. Pour obtenir le droit d’exploiter un gisement de pétrole situé dans une zone écologiquement sensible, un riche homme d’affaires, qui a financé la campagne du 4 président américain, fait assassiner deux juges de la Cour suprême sensibles aux problèmes d’environnement. Le président et son entourage empêchent le FBI de chercher dans la bonne direction et s’efforcent de gêner l’enquête. Au départ, le journaliste (qui appartient à la presse écrite) n’est pas le personnage central du film. L’héroïne qui va découvrir la vérité est une simple étudiante à l’esprit curieux, un personnage jeune, inconnu et sans pouvoir. Le journaliste va se révéler comme le relais indispensable à la révélation de la vérité : il va être à l’écoute de la jeune fille, c’est lui qui la convainc de parler et la protège. Il participe d’abord avec elle à des investigations qui lui permettent de trouver les preuves nécessaires : proche des puissants, doté de relations utiles, il effectue les rapprochements utiles, peut, par exemple, se procurer la liste des financeurs de la campagne présidentielle ou rencontrer le chef du FBI pour mieux comprendre l’ensemble du dossier et négocier la protection de la jeune étudiante. C’est lui également qui, à la fin de l’enquête, peut appeler un à un tous les personnages en cause, en accusateur, pour leur dire que tout est découvert, prouvant ainsi que sa capacité d’informer le public lui confère une puissance décisive et le met sur un pied d’égalité avec les hommes détenteurs du pouvoir. Dans ce film, le journaliste est un enquêteur de substitution et un enquêteur impliqué, courageux, qui remplit le rôle que les services chargés de l’enquête n’ont pu ou voulu tenir ; il en a les méthodes (il traque un témoin en le photographiant à son insu, il découvre son identité en retrouvant un stagiaire du cabinet d’avocats où il travaille…) ; il en a la réputation (la jeune étudiante s’en remet à lui parce qu’elle connaît cette réputation), il en a l’emploi du temps (il ne travaille pas sur autre chose) ; la presse est présentée comme le quatrième pouvoir qui fait peur aux puissants. Elle est surtout le pouvoir qui remplace une police corrompue et duplice (le chef du FBI a accepté de ne pas diriger son enquête du bon côté mais en même temps accepte de protéger l’étudiante contre ses assassins) et mène l’enquête en franc-tireur, au péril de sa vie. Le journaliste est, parmi les puissants, celui qui a gardé sa morale et qui parvient à faire triompher le bien. Les mêmes thèmes se retrouvent dans « Révélations » de M. Mann. Le héros en l’occurrence n’appartient pas à la presse écrite. C’est le producteur d’une émission célèbre de télévision qui réalise des enquêtes sur des sujets sensibles, qu’ils soient politiques ou de société. Ce producteur souhaite démontrer que les PDG des sept firmes de tabac qui ont juré, devant une commission du Congrès, que le tabac n’avait pas d’effet nocif, ont menti en toute connaissance de cause puisqu’ils disposaient d’études scientifiques révélant le contraire. Là encore, le journaliste parviendra à faire éclater la vérité avec l’aide d’un « héros ordinaire », un scientifique licencié par une des firmes, que le producteur décidera à parler et tentera de protéger. Là encore, le journaliste effectue une contre-enquête qui permet de rétablir la vérité. Il n’hésitera pas à organiser des fuites pour que la chaîne qui l’emploie 5 soit contrainte de diffuser une interview du scientifique. Il se donne corps et âme à la recherche de la vérité. Dans ce film, le journaliste présente les caractéristiques suivantes : - il a une haute idée de sa mission ; il se présente comme traitant toujours de dossiers sensibles ; d’abord face au scientifique puis aux responsables de la chaîne, il s’appuie sur des arguments moraux : il n’est pas possible de se taire dès lors qu’il s’agit d’un problème de santé publique . Il faut diffuser l’interview si l’intérêt public est en jeu. De même, le journaliste entend respecter ses engagements. Puisque le scientifique a eu confiance en lui et accepté de révéler ce qu’il sait, il lui faut le défendre et rétablir sa réputation. Le journaliste est donc idéaliste et éminemment moral ; - le journaliste est puissant et dispose de moyens non limités. Il organise la protection du scientifique. Il a des accointances avec des représentants de la justice qui cherchent à découvrir la vérité. Il demande des comptes aux responsables de la police lorsque des policiers se sont montrés menaçants ; surtout, il sait exercer des pressions sur des confrères journalistes pour qu’ils retardent la publication d’un dossier compromettant et sait les convaincre que la vérité va éclater. Comme dans « L’affaire Pélican », le journaliste est le représentant de ceux qui ne pourraient se faire entendre et représente le contre-pouvoir nécessaire face à des puissants cyniques. Le film de Clint Eastwood de 1987, « Minuit dans le jardin du bien et du mal », présente lui aussi une image attachante du journaliste pris comme individu, dans un contexte moins difficile, plus éloigné du pouvoir politique. Un journaliste amené à effectuer un reportage dans une ville du sud se transforme en enquêteur pour tenter d’innocenter un riche amateur d’art accusé de meurtre. Il se pose ainsi en redresseur de torts et témoigne de son attachement aux valeurs de liberté car il croit que les poursuites pénales sont liées à l’homosexualité de la personne accusée. Compte tenu du fait que le héros choisit de ne pas exercer son métier le temps de l’enquête (il préfère écrire un livre) et ne revendique pas le statut professionnel du journaliste, il est difficile de voir dans ce film une véritable vision de ce métier. Toutefois, le rapprochement entre le métier exercé par le héros et son comportement tout au long du film laisse entrevoir une conception plutôt sympathique des journalistes : ouvert, curieux, capable de partager avec sympathie une aventure humaine et de dialoguer avec sincérité avec des personnages atypiques attachants, le journaliste-écrivain montre qu’il est capable de fraternité et d’anticonformisme. Certes, il est berné comme les autres (l’amateur d’art est en réalité coupable) et sa recherche de la vérité, succès apparent, est en réalité un échec. Mais il a au moins témoigné de son humanité et de sa volonté d’aller au-delà des préjugés et des apparences. On retrouve des thèmes semblables, notamment la capacité de résistance et la fraternité avec les faibles, dans un film atypique comme « Batman », de Tim Burton. Ces thèmes sont traités avec davantage de distance et d’ironie, car, à la 6 différence des films précédents, « Batman » n’est bien évidemment pas un film réaliste et a d’autres ambitions que de traiter du journalisme. Le journalisme accompagne cependant l’histoire de bout en bout. Dans une cité soumise au crime ou au pouvoir de la mafia, deux pouvoirs ne sont pas asservis : Batman en premier lieu, chauve-souris mystérieuse qui incarne la résistance du Bien face au Mal, et, par ailleurs, un couple de journalistes. Le premier se distingue par le ton gouailleur qu’il utilise avec les policiers corrompus et les dirigeants de la mafia, qu’il apostrophe sans ménagement. Le journaliste est présenté comme le « fouineur » curieux, à qui on le fait pas, capable de tenir tête à l’autorité. Mais comme dans les films précédemment cités, il est parfaitement honnête et à la recherche de la vérité La seconde est reporter, présentée comme une baroudeuse qui vient de rapporter des photos de guerre. Les deux sont courageux, vifs, impertinents, n’hésitent pas à payer de leur personne pour lutter, chacun avec ses armes, contre les méchants, mener l’enquête et participer à la traque du chef pervers des criminels qui terrorisent la ville. A la fin, leur courage paiera et la ville sera délivrée. Enfin, le thème de la recherche de la vérité et des relations avec le pouvoir se retrouve, traité « à la française », dans un film de 1985 de Serge Leroy, « Le quatrième pouvoir ». Outre la traditionnelle opposition entre un pouvoir politique qui se veut opaque et le journalisme d’investigation, le film traite du contraste entre un journaliste de presse écrite intègre et réfléchi et une journaliste de presse télévisuelle, jeune, jolie et arriviste. Le film se passe dans les sphères proches du pouvoir d’Etat et présente celui-ci comme manipulateur et machiavélique. Une rencontre secrète a eu lieu entre le premier ministre français et le chef des rebelles d’un pays africain ; ce leader est ensuite assassiné, avec l’évidente complicité d’un malfrat évadé de prison qui a obtenu un passeport lui permettant de fuir le pays comme prix de sa collaboration. Ce malfrat sera lui-même assassiné à Damas après sa fuite. La presse va révéler l’affaire, que le ministre a commencé par nier absolument. Le journaliste de presse écrite ignore les pressions du pouvoir et fait son métier, se comportant comme un chien de chasse qui doit démêler une intrigue. Il mène son enquête, refuse de citer ses sources et sait qu’il devra en payer le prix par un emprisonnement qu’il espère court. Il s’y résigne : « Je le prends comme un épisode de la vieille lutte entre le pouvoir et la presse », dit-il, acceptant cette opposition et son rôle de victime au nom d’une idée supérieure de son métier. La journaliste télévisuelle, quant à elle, a, quant à elle, des rapports ambigus avec le pouvoir: au départ, elle lutte à fleurets mouchetés avec le ministre qu’elle interviewe. Parallèlement, elle accepte de déjeuner en tête-àtête avec lui et accepte avec le sourire des menaces légères sur sa propre carrière. 7 Ces personnages sont « du même monde », complices dans leur acceptation de la règle du jeu selon laquelle on ne doit pas aller trop loin dans la mise en cause du pouvoir, faute de quoi on peut payer une déontologie trop marquée. La journaliste ne dispose d’un vrai contre-pouvoir que parce qu’elle est elle-même célèbre, pour des raisons qui ont à voir avec sa séduction. Ce n’est pas seulement son professionnalisme qui l’a portée au sommet. Sa célébrité et son talent tiennent à un équilibre subtil entre une séduction physique évidente, une forme d’impertinence (elle est incisive dans ses interviews) et la soumission à des règles du jeu moins avouables. Sa révolte (un temps, elle participe à l’enquête de son confrère) sera brève. A la fin du film, elle renonce à toute dignité et fera amende honorable pour retrouver son poste, mentant ouvertement pour redevenir vedette de la chaîne et renonçant à dénoncer la vérité. Le film présente ainsi le pouvoir comme machiavélique et tout-puissant, sans morale ni parole, asservissant certains journalistes (les seuls qui comptent vraiment, ceux qui sont célèbres), tentés un temps de le contester mais qui, trop proches de lui et trop avides de réussite sociale, n’assument pas leur rôle jusqu’au bout. 8 La relation avec le pouvoir est ainsi le thème répété des films sur le journalisme. Le plus souvent, le journaliste y est présenté comme un héros positif mais il lui arrive aussi de ne pas savoir résister au pouvoir et ne pas assumer son métier correctement. La profession est ainsi décrite parfois comme complice mais le plus souvent comme incarnant la résistance au mensonge. La perspective est inversée lorsque l’on tente d’examiner la description du pouvoir de presse. En effet, au-delà des héros individuels, on devine dans les différents films le portrait d’une profession à la conduite le plus souvent ambiguë, ce qui relativise voire annihile le message du héros positif que représente, le plus souvent, le journaliste isolé. 9 2. Derrière le journaliste, la presse Dans la description de la presse comme pouvoir, « Citizen Kane » représente un cas particulier. La presse y est d’abord présentée comme un pouvoir économique. Kane est un « magnat » de la presse, il conquiert du pouvoir et de l’argent grâce à son journal. A l’intérieur du journal, il se comporte comme un patron despotique. L’ampleur de son empire médiatique fait penser au pouvoir de certains patrons de presse actuels comme R. Murdoch. La presse est alors soumise à des ambitions économiques. Elle a d’ailleurs la vulnérabilité des entreprises ordinaires : l’empire de Kane s’effondrera en 1929. Il est à noter que la description du magnat de presse ne comporte pas que des aspects négatifs. Kane est ainsi l’inventeur d’un journalisme présent 24 H sur 24, obligeant ses rédacteurs à travailler également la nuit, ce qui témoigne d’une vision moderne de l’importance de l’information. Par ailleurs, le film s’efforce, au-delà de l’aspect économique, de présenter l’entreprise de presse comme une collectivité de travail, qui doit obéir, si elle veut remplir son rôle, à certaines règles plutôt austères. Quand il fait son travail, le journaliste n’est pas présenté comme un individu de chair et de sang mais comme une intelligence dépersonnalisée. Ainsi, l’on remarque que le journaliste qui réalise l’enquête sur Kane après sa mort ainsi que la rédaction à laquelle il appartient sont totalement anonymes à l'image. Welles fait manifestement très attention à ce que le spectateur ne puisse jamais voir leurs visages. Au début du film, les membres de la rédaction sont filmés dans une pièce enfumée, sombre, sans lumière. Ils ne sont que des paroles, des voix, des ombres chinoises. Par ce jeu de lumière, Welles met en avant l'importance première du verbe dans le journalisme. Ce qui importe n'est pas l'image d'un journaliste mais sa pensée et sa réflexion. Tout au long du film, le journaliste est soit filmé de dos, soit filmé en ombre chinoise. Au delà d'une volonté d'identification entre l'enquêteur et le spectateur, Welles nous renseigne sur sa propre vision de ce que doit être le journalisme. C'est un d'abord un métier intellectuel plus qu'un métier du spectacle. Un métier de l'ombre plus que de la lumière. C'est une vision totalement opposée à celle mise en scène avec l'histoire de Kane, qui privilégie les informations spectaculaires, sensationnelles, erronées ou fausses. Il existe donc un journalisme honnête qui représente une entreprise sans héros, collective ou quasi-anonyme, qui fait simplement son travail. Tout autre est la vision de l’entreprise de presse que l’on trouve dans les autres films, où le rôle positif est assumé par un héros clairement sous la lumière et où la presse dans son ensemble est moins valorisée. Ainsi, dans « L’affaire Pélican », le journaliste est avant tout solitaire : certes, à la fin, au moment décisif, on voit son rédacteur en chef lui apporter son aide. Mais jusqu’au terme de l’enquête, la hiérarchie du journal est très peu présente et, quand on la voit, une seule fois, c’est pour l’entendre exprimer son 10 scepticisme et menacer de « retirer l’affaire » au héros ; le rédacteur en chef, en bras de chemise et un rien gouailleur, rappelle alors fugitivement certains journalistes de bande dessinée… De plus, en arrière plan, tout au long du film, il existe une presse « ordinaire » : celle, d’abord que l’on voit en meute autour du président des EtatsUnis, hospitalisé pour un bilan de santé. Les journalistes sont alors indifférenciés et dépersonnalisés. Ils crient pour prendre des photos…Ils ne sont intéressés que par une actualité superficielle et sans intérêt. Dans le même esprit, la presse « ordinaire » est également évoquée par le chef du cabinet du président lorsqu’il imagine un contre-feu à l’enquête du journaliste-héros, contre-feu qu’il n’aura d’ailleurs pas le temps de mettre en place : il imagine d’organiser une fuite auprès de la presse pour lancer l’opinion publique sur une autre piste. La presse est alors présentée comme « instrumentalisable », incapable de réflexion et d’esprit critique, en total contraste avec le héros positif que représente le journaliste d’investigation solitaire. La presse est également présentée comme un instrument facile à manipuler dans un film comme « La vie de David Gale », d’A . Parker. Le film est le récit des trois derniers jours d’un condamné à mort qui a obtenu l’autorisation de donner à une journaliste, avant son exécution, trois interviews. La journaliste découvrira que le condamné est innocent et qu’il a lui-même organisé le processus qui le conduira à la mort, avec la volonté de démontrer que la justice texane est capable de condamner des innocents. Pour y parvenir, la journaliste se montrera courageuse et tenace, à la recherche d’une vérité au départ peu vraisemblable. Si, sur ce point, le film se rattache aux films qui mettent en scène des journalistes d’investigation et s’il utilise les mêmes procédés (valorisation de l’héroïne, attachante, sensible et obstinée), il est également porteur d’une vision très critique du journalisme. - parmi les aspects négatifs, l’on note en premier lieu qu’un journal est prêt à payer une grosse somme d’argent, en liquide, pour obtenir l’exclusivité d’une interview d’un assassin violeur qui va mourir quelques heures après ; personne ne doute alors de sa culpabilité et le crime apparaît comme particulièrement répugnant. Le rédacteur en chef a quelques états d’âme, vite balayés par la secrétaire de rédaction qui est partante pour que l’on évoque « le couloir de la mort, le viol, l’assassinat » ; la presse est donc avide de sensationnalisme ; - de plus, la journaliste apparaît, au final, comme manipulée : elle « fonctionne » exactement comme le veulent les instigateurs de la manipulation (essentiellement le héros lui-même). Elle a du mal à prendre du recul, à réfléchir…même si, au final, elle y parvient ; 11 - toujours dans les aspects négatifs, l’on note l’attitude des journalistes au moment où, juste après l’exécution, ils apprennent l’existence d’une cassette démontrant l’innocence du condamné. L’on retrouve alors une image de journalistes fréquente dans les films américains, à savoir la « meute » indifférenciée qui poursuit les représentants des autorités des mêmes questions hurlées. De surcroît, l’on voit successivement plusieurs journalistes répétant devant la caméra de leur chaîne télévisée des analyses identiques sur les approximations de la justice et les risques des exécutions capitales. Les journalistes apparaissent alors comme « suivistes » : ils ne se posent pas de questions avant que n’éclate un scandale ; ils ne se mobilisent que lorsque l’opinion publique est interpellée ; ils ne sont qu’un écho et n’ont pas de capacité d’initiative et de réflexion préalable. En ce sens, ils apparaissent tous, comme l’héroïne elle-même, aisément manipulables. La vision de la presse et de l’entreprise de presse n’est guère plus positive dans « Révélations », de Michaël Mann. Certes, au départ, le producteur-journaliste n’est pas seul, ce qui est une originalité par rapport à d’autres films où le héros reste solitaire et ne partage pas sa quête. Dans « Révélations », le journaliste vedette qui présente l’émission est l’ami et le complice du producteur ; les décisions sont prises avec toute l’équipe, dans une atmosphère détendue, lors de repas où chacun s’exprime avec franchise. On a alors le sentiment que le journaliste n’est pas seul et qu’il peut travailler en équipe, ce qui est rare (dans Batman, on retrouvera cette impression avec le couple fraternel que forment le journaliste et la reporter).. Cependant, si cette amitié perdurera dans « Batman », elle sera rompue dans « Révélations » lorsque les responsables de la chaîne pour laquelle le producteur travaille décideront de céder à des pressions de nature économique. La chaîne de télévision, qui doit être rachetée, décide en effet de ne pas diffuser l’interview dans laquelle le scientifique porte des accusations graves contre les « majors » du tabac. De plus, l’ensemble de la presse reçoit un dossier sur le passé personnel du scientifique contenant des éléments qui décrédibilisent son témoignage. Les journaux le publient tous, sans souci de résister à la manipulation ni s’inquiéter des conséquences sur la recherche de la vérité ou sur l’honneur personnel de la personne ainsi attaquée. Le journaliste-héros se retrouve donc seul à se battre pour imposer la vérité. A la fin, il démissionnera pour témoigner de l’impossibilité de retrouver la solidarité de départ avec ses collègues. L’on peut tirer de cette présentation les conclusions suivantes : - la presse est soumise aux mêmes pressions économiques que les autres entreprises. La chaîne CBS News a accepté l’anti-conformisme de l’émission tant que celle-ci apportait de l’audience sans représenter une gêne pour ses intérêts ; dès que cette situation évolue, la chaîne sacrifie son indépendance sans état d’âme ; 12 - le héros reste un être exceptionnel : lui seul sait, au-delà de son métier, rester humain. Il sait prendre le temps d’écouter le scientifique, de le comprendre, il trouve les mots et les gestes qui le touchent. Il accepte ses hésitations (« ce sont des gens ordinaires soumis à une pression extraordinaire » dit-il) et respecte sa liberté de décision, sans le contraindre. Lui-même est un être sensible, qui a une vie personnelle, aime sa femme et en est aimé, est capable de compassion ; enfin, professionnellement, il est le seul à avoir une éthique qu’il appliquera jusqu’au bout. Les autres ne sont pas présentés sous un jour très favorable ; comme on l’a vu, les collègues du producteur le lâchent à la première difficulté. Ils ont peu ou pas de compassion personnelle. Les journalistes des autres médias ne se laissent convaincre de retarder la parution d’un dossier fallacieux que lorsqu’ils sentent que le vent tourne. Ils ont tous alors la même attitude et dénoncent tous une réalité qu’ils auraient pu voir bien avant. Le journaliste combatif et épris de vérité reste un être d’exception. Cette vision pessimiste et critique de la presse se retrouve dans « Le quatrième pouvoir », de S. Leroy. Comme on l’a vu, la presse écrite est, dans ce film, opposée de manière caricaturale à la presse télévisuelle. Mais même le patron de presse écrite n’est pas à l’abri d’une présentation critique. Certes, il est sympathique et proche de ses journalistes ; il discute avec son équipe lorsque son journaliste est emprisonné pour avoir refusé de révéler ses sources ; il le soutient, il est solidaire, tout en cherchant à le tirer d’affaires en faisant jouer ses relations ; en tout cas il ne cherche pas à le censurer ni à l’empêcher de faire son métier. Ses relations avec le pouvoir sont clairement montrées (il décroche son téléphone pour appeler le ministre) mais ne semblent pas l’amener à des compromissions. Cependant, il est aussi montré comme opportuniste et avide de sensationnalisme facile : le soir où le malfrat prend son journaliste en otage, il titre « Les derniers mots de Dorget » pour faire planer le doute sur un possible assassinat ; lors de la prise d’otages, ses commentaires sont cyniques « ça tombe bien, on n’avait rien ». Gouailleur, un peu canaille , il a l’œil fixé sur les chiffres de vente (« on a fait 35 000 sur « Paris-surface »). Quant au patron de la chaîne télévisée, il est manifestement servile, aux ordres, et doit sa carrière aux politiques. Le soir où le ministre est interviewé par la présentatrice du journal, celle-ci cherche à le mettre en difficulté sur ses éventuelles relations avec le parti des rebelles africains. L’insistance de la journaliste agace le ministre, qui converse ensuite avec le patron de la chaîne en lui demandant si « le succès ne monte pas trop à la tête [de la journaliste] ». « Il faut la tenir, mais je la tiens » dit le patron, suffisant et flagorneur. Lorsque la journaliste reçoit la cassette compromettante contenant les images de la rencontre 13 clandestine entre le ministre et le chef des rebelles, elle la montre à son patron, qui cherche à la reprendre puis qui prévient le premier ministre. Enfin, lorsque la cassette compromettante passe au journal, le président de la chaîne rentre chez lui, furieux, en disant à sa femme qu’il n’a plus qu’à rechercher du travail. La relative indépendance de la presse écrite est ainsi opposée à l’obéissance de la presse télévisée, dont les responsables dépendent étroitement du pouvoir et ne semblent pas être eux-mêmes de véritables journalistes ni en partager la déontologie. La conception du pouvoir politique, l’insistance sur la servilité de la télévision, longtemps évidente en France, font sans doute du « Quatrième pouvoir » un film un peu daté, très « mitterrandien ». Dans sa caricature, il est néanmoins révélateur des idées admises (et pour partie exactes) sur les relations presse/pouvoir et sur l’évolution de la déontologie journalistique, dans un contexte où la presse écrite, honnête, désireuse de faire son métier avec courage, voit son rôle diminuer. Au final, ce sont peut-être les films les moins centrés sur le thème de la presse qui présente de cette profession l’image la plus favorable. On le voit dans « Batman » . Il faut souligner toutefois que, dans ce film, la presse télévisée est elle aussi présentée comme une sorte de haut-parleur sans âme et sans réflexion, utile essentiellement pour répercuter les nouvelles. On voit ainsi les voitures du journal télévisées se ruer sur l’événement. On voit aussi un présentateur de télévision relatant la cause des empoisonnements dont souffre la ville sans commentaires, comme si la télévision ne parvenait qu’à être un miroir répétant des « nouvelles ». « Donnez le aux médias » dit d’ailleurs dédaigneusement Batman à la photographe, comme si elle-même ne relevait pas de cette entité et comme si les médias n’étaient qu’un outil utilitaire de circulation de l’information. Mais le film présente aussi le journaliste dans la salle de rédaction du journal, bruyante et active, où le ton est à la fraternité un peu canaille (« ça sent le prix Pulitzer ici »). Le journaliste « patron de journal » est montré comme rapide, tenace, réactif : c’est lui qui trouve l’information, c’est lui qui découvre que les parents de Batman ont été assassinés, c’est à lui que l’on s’adresse pour faire passer une information rapide sur la cause des empoisonnements toxiques dont souffre la ville. La seule question qu’il pose est alors : « c’est un scoop ? » et la réponse : « c’est un super-scoop » lui suffit. Ses préoccupations économiques sont claires mais elles ne le font pas dévier. Pour autant, malgré sa force et ses qualités, notamment son souci d’honnêteté, ce journaliste n’est pas un héros : comme ses collègues de la salle de rédaction, c’est un homme ordinaire, un peu vulgaire, il a un crayon sur l’oreille, est souvent en bras de chemise, tutoie tout le monde, ses plaisanteries sont un peu niaises. Le bandit qui le voit en photo dit d’ailleurs : « il a une cravate de péquenot, aucune classe…. De fait, les journalistes sont, dans « Batman », à l’exception de la photographe au physique sublime, des personnages sans séduction ni mystère. Ce manque de séduction est peut-être ce qui les rend réalistes et attachants… 14 Au total, l’on peut conclure que, malgré la présence répétée de journalistes quasi-héroïques jouant le rôle de « héros positif » le plus souvent solitaires, les films étudiés présentent une vision du journalisme et de la presse plutôt cynique et manipulatrice, proche d’un pouvoir auquel elle résiste mal. Tous les films, ou quasiment, font d’un journaliste le héraut de la vérité. Mais, le plus souvent, l’arrière-plan dépeint un monde plus servile. Le message qui en ressort est que le pouvoir, qu’il s’agisse du pouvoir politique ou du pouvoir des magnats de presse, est opportuniste, souvent corrompu, parfois prêt au crime. Le pays ne se rachète que par l’action de héros qui sont des êtres d’exception, purs et courageux, qui croit encore à des valeurs traditionnelles. Aux Etats-Unis, ce héros solitaire triomphe, parfois dans l’amertume. En France, c’est au final la lâcheté qui l’emporte, malgré la résistance d’un journalisme traditionnel. Ce n’est pas une vision totalement pessimiste, mais ce n’est pas non plus une vision complètement positive, tant s’en faut... 15 Annexe 16 Annexe A Analyse des films étudiés 17 Citizen Kane de Orson Welles (1941) Le film raconte la vie de Charles Foster Kane, un grand magnat de la presse américain qui vécut dans la première moitié du vingtième siècle. Le film s'ouvre sur une longue scène où on découvre le domaine gigantesque d'un homme mourant : Charles Foster Kane. Dans son immense château qu'il a fait construire pour sa seconde femme, Kane ne dira, en guise de dernières paroles, qu'un seul mot : "Rosebud". Intrigué par la signification que pourrait avoir ce mot, le journaliste Jerry Thompson mène l'enquête pour découvrir qui était Kane, probablement l'homme le plus riche du Monde. A travers différentes rencontres de personnes ayant travaillé ou vécu avec Kane, le film raconte la vie mouvementée de ce personnage. On peut comprendre d'emblée qu'il y aura deux niveaux d'analyse dans ce film. En effet, Jerry Thompson est un journaliste qui découvre peu à peu qui était Charles Kane, lui même patron d'un grand groupe de presse. Thompson est le narrateur indirect du film, c'est lui qui va rencontrer les deux femmes de Kane, son éducateur, ses collègues et amis. Le réalisateur joue d'ailleurs de ces deux niveaux en passant très vite de l'un à l'autre dans la première partie du film. Le film commence réellement par le visionnage, par une rédaction de journalistes, d'un film biographique sur la vie de Kane réalisé à l'occasion de sa mort. Ce petit film donne un aperçu de la vie de Kane, sans entrer dans les détails qui pourraient donner une piste pour comprendre les dernières parole du milliardaire. Le rédacteur en chef décide ensuite de faire une véritable enquête sur la vie du citoyen Kane et envoie Thompson à la rencontre des personnes ayant été en relation avec Kane. On y apprend que l'enfant Charles Kane fut enlevée à sa famille vers ses 8 ans, ses parents faisant du banquier Thatcher le tuteur légal de l'enfant. On retrouve Kane dans sa vingt-cinquième année, à la tête de la sixième fortune mondiale, déjà rodé aux mécanismes économiques et avide de pouvoir; un jeune homme aux dents longues. Toutefois, il ne choisit pas de se lancer dans le marché de l'or ou du pétrole, mais déclare "Je crois qu'il serait amusant de diriger un journal". Ce sera le New-York Inquirer. Rapidement, le journal se fait le dénonciateur des pratiques et des us des grandes firmes capitalistes, au grand dam de Thatcher, qui reproche à Kane cette attitude. Kane, lui, rêve d'un journal qui ne dirait que la vérité et s'engage personnellement devant ses lecteurs à respecter la vérité dans son journal. Concurrencé, Kane achète les meilleurs rédacteurs du plus grand journal local. Le tirage de l'Inquirer grimpe en flèche et le succès sourit à Kane. On constate également l'élargissement de son empire médiatique qui s'étend maintenant sur la totalité du pays. Après avoir épousé la nièce du Président des Etats-Unis, il aspire à devenir gouverneur de l'état de New-York. C'est à ce moment que le spectateur perçoit que Kane commence à se servir de son journal pour servir ses propres intérêts. Il fait 18 croire à la population que les sondages le donnent gagnant. Une fois battu, notamment à cause de la révélation de son attitude adultère, on découvre que deux "unes" ont déjà été prévu pour annoncer le résultat des élections : l'une titre "Kane élu", l'autre : "Votes truqués". Kane divorce et se remarie presque immédiatement avec une chanteuse de cabaret dont Kane rêve de faire une cantatrice. Il construit pour elle l'Opéra de la ville de Chicago. Mais sa femme n'a pas la carrure et la première critique, qui doit être écrite par un des amis de Kane dans le Chicago Inquirer, est très négative. Découvrant la critique avant qu'elle ne soit finie, Kane licencie sur le champ son ami et poursuit l'écriture de l'article en gardant le même ton. Il refuse en fait qu'une personne extérieure puisse donner son avis sur le talent de sa propre femme. L'empire de Kane s'effondre en 1929 mais Kane n'est pas ruiné pour autant. Il entreprend la construction du plus fabuleux domaine jamais imaginé : Xanadu. Il devient un personnage aigri, nerveux, isolé. C'est dans ce domaine qu'il meurt seul en 1941, sa seconde femme l'ayant quitté. A la fin du film, un long travelling dans les milliers d'objets que Kane a collectionné au long de sa vie nous mène à la clé de l'énigme. Rosebud est le nom de la luge avec laquelle Kane jouait quand il a été emmené par Thatcher, arraché à sa famille et à son enfance. On peut voir dans ce film deux visions du journalisme : - D'une part le journalisme incarné par Kane. Un journalisme asservi, privé de liberté, au service des ambitions d'un homme rêvant de pouvoir. Après la défaite de Kane aux élections, on est stupéfait par le geste de l'imprimeur, soulevant l'un après l'autre deux exemplaires fraîchement imprimés, chacun ayant une "une" différente : "Kane élu" ou bien "Votes truqués". La scène qui se joue après la prestation scénique de la seconde femme de Kane démontre encore plus clairement ce mécanisme d'emprise que Kane a sur ses employés. Les rédacteurs, ayant tous écrits des articles dithyrambiques sur la nouvelle cantatrice, attendent un peu nerveusement le dernier papier, le plus important, celui du chroniqueur artistique, ami de Kane. Celui-ci refuse qu'on lui dicte son opinion et se fait licencier. Mais ce journalisme-là n'arrive pas à ses fins. Kane perd les élections, perd ses amis, la tournée de sa femme est un échec d'autant plus grand que chaque journal de Kane en fait un succès. Kane meurt seul, isolé, obnubilé par une enfance dont il a été dépossédé. On notera toutefois que la vision originelle du journalisme par Kane dénote un certain modernisme. Il introduit par exemple le concept de l'information 24h/24, obligeant les différents rédacteurs à travailler également la nuit. Le travail de nuit est une notion qui n'est plus remise en question dans les grands quotidiens. L'ampleur de l'empire médiatique de Kane rappelle également celui de plusieurs magnats, notamment Rupert Murdoch. - D'autre part, le journalisme incarné par l'enquêteur Thompson. Fait étonnant, on remarque que Thompson et la rédaction à laquelle il appartient 19 est totalement anonyme à l'image. Welles fait manifestement très attention à ce que le spectateur ne puisse jamais voir leurs visages. Au début du film, les membres de la rédaction sont filmés dans une pièce enfumée, sombre, sans lumière. Ils ne sont que des paroles, des voix, des ombres chinoises. Par ce jeu de lumière, Welles met avant l'importance première du verbe dans le journalisme. Ce qui importe n'est pas l'image d'un journaliste mais sa pensée et sa réflexion. Tout au long du film, Thompson est soit filmé de dos, soit filmé en ombre chinoise. Au delà d'un simple processus d'identification entre l'enquêteur et le spectateur, Welles nous renseigne sur sa propre vision de ce que doit être le journalisme. C'est un d'abord un métier intellectuel plus qu'un métier du spectacle. Un métier de l'ombre plus que de la lumière. C'est une vision totalement opposée à celle mise en scène avec l'histoire de Kane, qui privilégie les informations spectaculaires, sensationnelles, erronées ou fausses. Toutefois, ce journalisme est tenu en échec par son ambition de pure vérité. La rédaction cherche en effet à savoir la signification du mot "Rosebud" et n'y arrive finalement pas. Mais le processus d'enquête et d'investigation est honnêtement mené et là est l'important aux yeux du réalisateur. 20 L’affaire Pélican d’Alan J. Pakula (1993) Le film raconte une histoire proche de celle du Watergate: pour obtenir le droit d’exploiter un gisement de pétrole situé dans une zone écologiquement sensible, un riche homme d’affaires, qui a financé la campagne du président américain, fait assassiner deux juges de la Cour suprême qui sont sensibles aux problèmes d’environnement. Le président et son entourage empêchent le FBI de chercher dans la bonne direction. L’affaire sera finalement révélée grâce à une étudiante en droit et à un journaliste. Le journaliste n’est pas d’emblée le héros principal. Pendant la première moitié du film, il n’est qu’un personnage secondaire et épisodique. Ce n’est en particulier pas lui qui va le premier découvrir l’explication des deux assassinats mystérieux. C’est la jeune étudiante, curieuse et non conformiste, qui, par envie de comprendre, va rechercher les points communs entre les deux juges et rédiger un dossier qui avance une explication, sans, au départ, comprendre la portée de ce qu’elle considère comme un jeu d’hypothèses. C’est la prise de conscience progressive de la jeune femme et sa fuite devant les tueurs qui la poursuivent qui structurent la première partie du film. Pourtant le journaliste apparaît à plusieurs reprises dans cette première partie. Il est même présent lors de la première scène, où le juge qui va être assassiné dialogue avec lui comme avec une vieille connaissance. Son personnage n’est alors pas présenté : il apparaît comme un jeune homme noir, élégant et réservé. On ne sait pas alors qui il est : son nom (Gray Grantham, du Washington Herald) n’est révélé qu’ensuite, lorsqu’il est interviewé après l’assassinat. De même, dans cette première partie, le journaliste apparaît en arrière plan de l’histoire principale : il reçoit le coup de fil d’un homme qui lui affirme avoir une piste et connaître les assassins ; il le localise et le photographie avant que ce témoin disparaisse. Il n’est pas parvenu à le rassurer suffisamment, bien qu’il lui affirme être déjà allé en prison pour ne pas avoir révélé ses sources : le journaliste est ainsi présenté dès l’abord comme un journaliste d’investigation, voire comme un « journaliste-enquêteur ». C’est au moment où la jeune étudiante, épuisée et terrifiée, l’appelle que Grantham va devenir le co-héros. Il vérifie ses déclarations, va la retrouver, la rassure et enquête avec elle pour retrouver le témoin disparu (assassiné entretemps) ainsi que les preuves que celui-ci a mis à l’abri avant de mourir. Ils parviendront tous les deux à mettre à jour le scandale après avoir eux aussi fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Dans ce film, le journaliste présente plusieurs caractéristiques : 21 - au départ, il n’est pas « le justicier » : cependant, c’est lui qui écoute celuici, le convainc de parler, donne à l’affaire l’écho dont elle a besoin. Les justiciers sont un homme et une femme ordinaires, courageux et solitaires. Le journaliste se comporte comme le relais dont ils ont absolument besoin pour approfondir l’enquête puis pour toucher l’opinion publique. Les progrès du journaliste dans son enquête sont d’ailleurs notés avec anxiété à la Maison blanche ; - le journaliste a un rôle d’intermédiaire que le justicier ne peut avoir seul ; il est proche des puissants, il les connaît et il sait ainsi décoder certains événements et les mettre en relation les uns avec les autres ; c’est lui qui se procure la liste des financeurs de la campagne présidentielle ; c’est lui auquel la veuve du témoin assassiné se confie parce qu’elle voit le rôle qu’il peut jouer ; c’est lui également qui, à la fin, peut appeler les puissants un par un, en accusateur, pour leur dire que tout est découvert. C’est lui enfin qui rencontre le chef du FBI pour comprendre l’ensemble du dossier et qui négocie avec lui pour que la jeune étudiante puisse partir à l’étranger où elle veut se réfugier ; il a ainsi un pied dans plusieurs mondes différents entre lesquels il est capable d’évoluer ; - le journaliste est en réalité un enquêteur de substitution et un enquêteur impliqué, courageux, qui remplit le rôle que les services chargés de l’enquête n’ont pu ou voulu tenir ; il en a les méthodes (il traque le témoin en le photographiant dans une cabine téléphonique à son insu, il découvre son identité en retrouvant un stagiaire du cabinet d’avocats où il travaille…) ; il en a la réputation (les deux justiciers s’en remettent à lui parce qu’ils connaissent cette réputation, ainsi la jeune étudiante l’appelle parce que, dit-elle, son professeur « était un de vos fans »), il en a l’emploi du temps (il ne travaille pas sur autre chose) ; la presse est bien évidemment présentée comme le quatrième pouvoir qui fait peur aux puissants. Elle est surtout le pouvoir qui remplace une police corrompue et duplice (le chef du FBI a accepté de ne pas diriger son enquête du bon côté mais en même temps protège l’étudiante contre ses assassins) et mène l’enquête en franc-tireur, au péril de sa vie; - le journaliste est solitaire : certes, à la fin, au moment décisif, son rédacteur en chef lui apporte son aide. Mais jusqu’au terme de l’enquête, on voit peu la hiérarchie du journal et, quand on la voit, une seule fois, c’est pour l’entendre exprimer son scepticisme et menacer de « retirer l’affaire » au héros ; le rédacteur en chef, en bras de chemise et un rien gouailleur, rappelle alors fugitivement certains journalistes de bande dessinée… En arrière plan, tout au long du film, il existe bien une presse « ordinaire » : celle, d’abord que l’on voit en meute autour du président hospitalisé pour un bilan de santé. Les journalistes sont alors indifférenciés et dépersonnalisés. Ils crient pour prendre des photos…La presse « ordinaire » est également évoquée par le chef 22 du cabinet du président lorsqu’il imagine un contre-feu, qu’il n’aura d’ailleurs pas le temps de mettre en place : il imagine de « lâcher » l’ami du président et d’organiser une fuite sur son dossier auprès de la presse. Mais au delà de cette presse instrumentalisée, la seule figure de journaliste fouillée est solitaire, indépendante et « morale ». Le message qui en ressort est que les Etats-Unis sont certes un pays corrompu, dont le président est le jouet de financiers prêts à tout…mais ils se rachètent par l’action de héros purs et courageux, dont le journaliste est, avec la jeunesse vive, curieuse et séduisante, l’emblème le plus visible. 23 La vie de David Gale d’Alan Parker ( 2002) Le film est le récit des trois derniers jours d’un condamné à mort, David Gale, qui a obtenu l’autorisation de donner à une journaliste, avant son exécution, trois interviews. Les interviews se déroulent dans le « couloir de la mort » d’une prison du Texas ; elles sont grassement rémunérées par le journal et sont réalisées par une jeune journaliste qui vient elle même de faire quelques jours de prison pour avoir refusé de révéler l’identité d’un informateur pédophile. Le condamné à mort est un ancien professeur d’université, brillant philosophe et militant contre la peine de mort. Il raconte sa vie lors des interviews. Faussement accusé de viol par une étudiante renvoyée de l’université, abandonné par sa femme, il a perdu son travail et s’est adonné à l’alcoolisme. Une amie militante comme lui contre la peine de mort a été retrouvée morte, nue, menottée, la tête enserrée dans un sac plastique. David Gale est accusé de l’avoir assassinée. Il demande à la journaliste de croire en son innocence et de réhabiliter sa mémoire auprès de son fils. La journaliste, peu à peu convaincue de l’innocence de David Gale, va s’efforcer de la démontrer, notamment en recherchant une cassette qui prouverait que la victime s’est suicidée et a maquillé ce suicide en assassinat. De fait, la fin du film révèle que David Gale lui-même a participé à cette mise en scène, destinée à montrer que la justice texane condamne à mort des innocents sans beaucoup d’interrogations. Confronté à une « mort » sociale et professionnelle tandis que son amie était médicalement condamnée, David Gale a accepté d’assister à son suicide, de le filmer et d’être exécuté pour un assassinat qu’il n’a pas commis. Il donne à la journaliste, dans les moments qui précédent l’exécution, suffisamment d’indices pour que la vérité éclate après sa mort. Dans ce film médiocre, dont le scénario est mélodramatique et peu vraisemblable, l’image du journaliste a des aspects à la fois négatifs et positifs: - parmi les aspects négatifs, l’on note en premier lieu qu’un journal est prêt à payer une grosse somme d’argent, en liquide, pour obtenir l’exclusivité d’une interview d’un assassin violeur qui va mourir quelques heures après ; personne ne doute alors de sa culpabilité et le crime apparaît comme particulièrement répugnant. Le rédacteur en chef a quelques états d’âme, vite balayés par la secrétaire de rédaction qui est partante pour que l’on évoque « le couloir de la mort, le viol, l’assassinat » ; la presse est donc avide de sensationnalisme ; 24 - de plus, la journaliste apparaît, au final, comme manipulée : elle « fonctionne » exactement comme le veulent les instigateurs de la manipulation (essentiellement David Gale lui-même). Elle s’indigne, mène une contre-enquête et apparaît comme affectivement vulnérable. Plus que journaliste, elle est présentée en tant que personne dont le professionnalisme s’estompe peu à peu au profit de l’émotion ; a certains moments, on a d’ailleurs le sentiment que son statut de journaliste est totalement oublié, en particulier lorsqu’elle pleure après l’exécution ; - toujours dans les aspects négatifs, l’on note l’attitude des journalistes au moment où, juste après l’exécution, ils apprennent l’existence d’une cassette démontrant l’innocence de David Gale. L’on retrouve alors une image de journalistes fréquente dans les films américains, à savoir la « meute » indifférenciée qui poursuit les représentants des autorités des mêmes questions hurlées. De surcroît, l’on voit successivement plusieurs journalistes répétant devant la caméra de leur chaîne télévisée des analyses identiques sur les approximations de la justice et les risques des exécutions capitales. Les journalistes apparaissent alors comme « suivistes » : ils ne se posent pas de questions avant que n’éclate un scandale ; ils ne se mobilisent que lorsque l’opinion publique est interpellée ; ils ne sont qu’un écho et n’ont pas de capacité d’initiative et de réflexion préalable. En ce sens, ils apparaissent tous, comme l’héroïne elle-même, aisément manipulables ; - pour autant, le journaliste est également présenté de manière positive : l’héroïne est d’emblée présentée comme une femme fiable (elle ne donne pas ses sources à la police et résiste aux pressions), solide, travaillant solitairement (le stagiaire qu’on lui impose n’est qu’un double un peu fade qui va l’aider dans son enquête et la soutenir affectivement). Elle est indifférente à l’argent (la valise de billets destinée à l’avocat ne lui inspire qu’un commentaire méprisant) et, en revanche, immédiatement sensible aux aspects humains de l’interview. Enfin, sa conception du journaliste relève manifestement du journalisme d’investigation. Elle n’hésite pas à rechercher des preuves malgré sa peur, au point, d’ailleurs, que les frontières entre le journalisme et l’enquête de police s’estompent : ainsi, c’est la journaliste qui réalise une reconstitution qui lui permet d’approcher la vérité. Bien qu’elle soit manipulée, c’est bien elle qui cherche et découvre la vérité. 25 Révélations de Michaël Mann (1999) Le film a deux héros. Le premier est le producteur d’une émission célèbre intitulée « sixty minutes » auquel Al Pacino prête son image à la fois solide, réfléchie et sensible. Ce producteur réalise des enquêtes politiques (le début du film le montre en Iran préparant l’interview d’un ayatollah sans doute proche de milieux terroristes) mais aborde également des sujets de société. Il prépare une émission sur les produits inflammables et recherche un professionnel capable d’interpréter pour lui des dossiers techniques. Un ami va l’orienter vers un scientifique qui a travaillé pour une firme qui vend des cigarettes. Le second héros est ce scientifique. Il vient d’être licencié et apparaît secret, tourmenté, inquiet pour ses filles dont l’une est asthmatique, ayant des relations compliquées avec son épouse, qui craint de perdre son confort matériel du fait de son licenciement. La rencontre entre les deux héros est tendue et difficile : le producteur devine que le scientifique est porteur d’un secret important et cherche à provoquer ses confidences. Le scientifique a peur, d’autant plus qu’il subit les menaces de son ancien employeur qui lui rappelle la clause de confidentialité qui l’oblige à garder le silence sur ses activités dans la firme. Le producteur souhaite démontrer que les PDG des sept firmes de tabac, qui ont fait le serment devant une commission du congrès que le tabac n’avait pas d’effet nocif, se sont parjurés. En dépit des menaces subies ou peut-être à cause d’elles, le scientifique se décidera à accepter de témoigner devant un procureur puis à être interviewé. Il révélera alors que le tabac agit comme une drogue et que certains ajouts, en particulier l’ammoniaque, accentuent ses effets sur le cerveau. Ces révélations, qui apparaissent au spectateur actuel comme un secret de polichinelle, semblent en l’occurrence avoir beaucoup de prix et, dès lors, le témoin et sa famille bénéficient d’une protection. Ensuite, tout se gâte. La chaîne subit des pressions et décide de ne pas diffuser l’interview. La presse reçoit un dossier sur le passé personnel du scientifique, contenant des éléments qui décrédibilisent son témoignage. Sa femme le quitte. Il se retrouve seul, menacé de perdre le modeste emploi d’enseignant qu’il a retrouvé. Le producteur se bat contre cette adversité. Il effectue une contre-enquête qui permet de rétablir la vérité sur le scientifique. Il organise des fuites pour que la 26 chaîne qui l’emploie soit contrainte de diffuser l’interview. Au final, la vérité éclate et le scientifique est réhabilité. Dans ce film, le journaliste présente les caractéristiques suivantes : - il a une haute idée de sa mission ; il se présente comme traitant toujours de dossiers sensibles ; d’abord face au scientifique puis aux responsables de la chaîne, il s’appuie sur des arguments moraux : il n’est pas possible de se taire dès lors qu’il s’agit d’un problème de santé publique . Il faut diffuser l’interview si l’intérêt public est en jeu. De même, le journaliste entend respecter ses engagements. Puisque le scientifique a eu confiance en lui et accepté de révéler ce qu’il sait, il lui faut le défendre et rétablir sa réputation. Il est vrai qu’à la fin, le journaliste trahit sa chaîne. Mais chacun comprend qu’il est mû par des motivations supérieures. Le journaliste est donc idéaliste, fiable et solide ; - le journaliste reste humain ; il sait prendre le temps d’écouter le scientifique, de le comprendre, il trouve les mots et les gestes qui le touchent. Il accepte ses hésitations (« ce sont des gens ordinaires soumis à une pression extraordinaire » dit-il) et respecte sa liberté de décision, sans le contraindre. Lui-même est un être sensible, qui a une vie personnelle, aime sa femme et en est aimé, est capable de compassion ; - le journaliste est puissant et dispose de moyens non limités. Il organise la protection du scientifique. Il a des accointances avec des représentants de la justice qui cherchent à découvrir la vérité. Il demande des comptes aux responsables de la police lorsque des policiers se sont montrés menaçants ; surtout, il sait exercer des pressions sur des confrères journalistes pour qu’ils retardent la publication d’un dossier compromettant et sait les convaincre que la vérité va éclater ; - le journaliste est déterminé et courageux, au point de parvenir à renverser le cours des choses au moment même où la situation semble désespérée ; - le journaliste, pendant toute une partie du film, n’est pas seul. Le journaliste vedette qui présente l’émission est son ami et complice ; les décisions sont prises avec l’équipe, dans une atmosphère détendue ; cependant, cette amitié sera rompue lorsque les responsables de la chaîne décideront de céder à des pressions de nature économique. Le héros se retrouvera seul à se battre pour imposer la vérité. A la fin, il démissionnera pour témoigner de l’impossibilité de retrouver la solidarité de départ avec ses collègues ; - la presse est soumise aux mêmes pressions économiques que les autres entreprises. La chaîne CBS News a accepté l’anti-conformisme de l’émission tant que celle-ci apportait de l’audience sans représenter une gêne pour ses intérêts ; dès que cette situation évolue, la chaîne sacrifie son indépendance sans état d’âme ; 27 - le héros reste un journaliste exceptionnel : les autres ne sont pas présentés sous un jour très favorable ; comme on l’a vu, les collègues du producteur le lâchent à la première difficulté. Les journalistes des autres médias ne se laissent convaincre de retarder la parution d’un dossier fallacieux que lorsqu’ils sentent que le vent tourne. Ils ont tous alors la même attitude et dénoncent tous une réalité qu’ils auraient pu voir bien avant. Le journaliste combatif et épris de vérité reste un être d’exception. 28 Le quatrième pouvoir de Serge Leroy (1985) Le film, qui se passe dans les sphères proches du pouvoir d’Etat, raconte une histoire politique quelque peu rocambolesque. Une rencontre secrète a eu lieu entre le premier ministre français et le chef des rebelles d’un pays africain ; ce leader est ensuite assassiné, avec l’évidente complicité d’un malfrat évadé de prison qui a obtenu un passeport lui permettant de fuir le pays comme prix de sa collaboration. Ce malfrat sera lui-même assassiné à Damas après sa fuite. Dès le début, deux journalistes se trouvent étroitement mêlés à cet imbroglio. Le premier, Dorget, journaliste de presse écrite, a été pris en otage par le malfrat lorsqu’il s’est évadé de sa prison. Lorsqu’il comprend que le malfrat est mêlé à une affaire d’Etat, Dorget le retrouve pour l’interviewer. Il sera emprisonné pour avoir refusé de diffuser ses sources et de dénoncer la cachette du malfrat. La seconde, présentatrice célèbre du journal télévisé, a connaissance de la rencontre secrète entre le premier ministre et le rebelle africain, qui a été filmée ; elle diffuse la cassette à l’antenne pour « faire un coup » journalistique. Les deux journalistes se connaissent bien (ils ont été amants, ils ont rompu, ils se sépareront à nouveau à la fin du film après un espoir de retrouvailles) : le film se veut aussi le récit d’une histoire sentimentale impossible entre deux êtres qui n’ont pas grand chose de commun. Le film de Serge Leroy est un condensé de tous les clichés possibles sur le pouvoir et sur la presse, clichés qu’il traite de façon claire mais simpliste : - la presse écrite est opposée de manière caricaturale à la presse télévisée. La première est incarnée par Philippe Noiret, qui représente un journaliste intègre, réfléchi, un peu ironique et revenu de la vie, que l’on découvre cependant attaché à une déontologie scrupuleuse. Il habite une jolie maison un peu vieillotte noyée de verdure, fume la pipe et porte des costumes de velours. La presse télévisuelle est, quant à elle, représentée par Nicole Garcia, femme jeune, très jolie, « lancée », moderne et raffinée, obsédée par sa carrière et par la réussite sociale et capable de tout pour « parvenir ». Le premier n’est connu que de la profession ; on arrête la deuxième constamment dans la rue pour lui demander des autographes. Le journaliste de télévision est présenté comme une vedette et se comporte comme une star. Il réussit parce qu’il aime la compétition, pense constamment à son travail et a réussi à dominer ses rivaux. Le journaliste de la presse écrite vit comme tout le monde, déteste les enjeux de pouvoir et est capable de résistance, au prix de sa liberté ; - les patrons de ces journalistes relèvent de la même caricature. 29 Le patron de presse écrite est opportuniste et avide de sensationnalisme facile : le soir où le malfrat prend son journaliste en otage, lequel a dicté un article par téléphone, il titre « Les derniers mots de Dorget » ; il commente lors de la prise d’otages « ça tombe bien, on n’avait rien » ; gouailleur, un peu canaille , l’œil fixé sur les chiffres de vente (« on a fait 35 000 sur « Paris-surface »), il n’en reste pas moins sympathique et proche de ses journalistes ; il discute avec son équipe lorsque Dorget est emprisonné ; il le soutient, est solidaire, tout en cherchant à le tirer d’affaires en faisant jouer ses relations ; en tout cas il ne cherche pas à le censurer ni à l’empêcher de faire son métier. Ses relations avec le pouvoir sont clairement montrées (il décroche son téléphone pour appeler le ministre quand Dorget est emprisonné) mais ne semblent pas l’amener à des compromissions. A l’inverse, le patron de la chaîne télévisée est manifestement servile, aux ordres, et doit sa carrière aux politiques. Le soir où le ministre est interviewé par la présentatrice, celle-ci cherche à le mettre en difficulté sur ses éventuelles relations avec le parti des rebelles africains. L’insistance de la journaliste agace le ministre, qui converse ensuite avec le patron de la chaîne en lui demandant si « le succès ne monte pas trop à la tête [de la journaliste] ». « Il faut la tenir, mais je la tiens » dit le patron, suffisant et flagorneur. Lorsque la journaliste reçoit la cassette compromettante contenant les images de la rencontre clandestine, elle la montre à son patron, qui cherche à la reprendre puis prévient le premier ministre. Enfin, lorsque la cassette passe au journal, le président de la chaîne rentre chez lui, furieux, en disant à sa femme qu’il n’a plus qu’à rechercher du travail. L’indépendance de la presse écrite est ainsi opposée à l’obéissance de la presse télévisée, dont les responsables dépendent étroitement du pouvoir et ne semblent pas être eux-mêmes journalistes ni en partager la déontologie. - les rapports avec le pouvoir des journalistes pris individuellement sont euxmêmes très différents selon qu’il s’agit de la presse écrite ou de la presse télévisuelle. Dorget ignore le pouvoir et se comporte comme un chien de chasse qui doit démêler une intrigue. Il mène son enquête et sait qu’il devra en payer le prix par un emprisonnement qu’il espère court. Il s’y résigne : « je le prends comme un épisode de la vieille lutte entre le pouvoir et la presse », dit-il, parlant de son emprisonnement. La journaliste télévisuelle, quant à elle, joue de rapports de séduction ambigus : elle lutte à fleurets mouchetés avec le ministre lors de l’interview, déjeune en tête-à-tête avec lui et accepte avec le sourire des menaces légères (« votre président [de chaîne] est en fin de mandat, je crois »), reconnaît, sans s’en offusquer, que l’équipe a été priée de ne pas parler de l’emprisonnement de Dorget. Sa célébrité et son talent tiennent à un équilibre subtil entre une forme d’impertinence (elle est incisive dans ses interviews) et la soumission à des règles du jeu moins avouables. Sa révolte (« tu es vieux ») dira-t-elle à son patron qui cherche à l’empêcher de diffuser la cassette, sera brève. A la fin du film, elle renonce à toute dignité : je ferai n’importe quoi pour retrouver ma place, dit-elle. Elle fera, de fait, amende honorable, mentant ouvertement pour redevenir vedette de la chaîne et renonçant à dénoncer la vérité. 30 Le film présente ainsi le pouvoir comme machiavélique et tout-puissant, sans morale ni parole, asservissant une partie de la presse (la seule qui compte vraiment, celle qui est célèbre) tentée de le contester mais qui, trop proche de lui et trop avide de réussite sociale, n’assume pas ce rôle. La conception du pouvoir politique, l’insistance sur la servilité de la télévision, longtemps évidente en France, en font sans doute un film un peu daté, très « mitterrandien ». Dans sa caricature, il est néanmoins révélateur des idées admises (et pour partie exactes) sur les relations presse/pouvoir et sur l’évolution de la déontologie journalistique, dans un contexte où la presse écrite, attachée aux valeurs traditionnelles, voit son rôle diminuer . 31 Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood (1997) John Kelso, journaliste, arrive à Savannah, ville du sud des Etats-Unis, pour « couvrir » la réception de Noël d’un riche amateur d’art, Jim Williams. Celui-ci sera inculpé le lendemain pour le meurtre de son amant. Kelso reste à Savannah pour aider Jim Williams à se défendre et suivre le procès, avec l’intention d’écrire un livre. Le thème principal du film n’est pas le journalisme, même si un des deux personnages principaux est censé exercer ce métier. L’intérêt du film est de montrer la réaction d’une ville du sud, apparemment fantaisiste, libre et gaie, face à une relation homosexuelle entre un riche amateur d’art et un gigolo violent et drogué. Au final, le film redresse quelque peu les idées reçues : l’amateur d’art sera acquitté alors que c’est bien lui qui a tué son amant qui ne le menaçait pas. Il mourra d’une crise cardiaque à la place même où il a assassiné celui qu’il aimait, en le retrouvant. Le journaliste est, en l’occurrence, un personnage constamment présent mais le film ne s’attache pas à ses états d’âme. Il n’a pas d’ailleurs une personnalité très remarquable : il est surtout témoin et l’on ne sait trop s’il est là en tant que journaliste ou qu’écrivain. Reporteur envoyé à Savannah pour couvrir un événement mondain, il s’aperçoit que Jim Williams l’a en fait choisi personnellement (les responsables du journal ont accepté ce choix) car il a écrit un premier livre. Séduit par la ville et par la personnalité attachante de Jim Williams, il reste pour en écrire un second sur l’assassinat et le procès. Il va avant tout regarder l’aventure d’un autre et y participer : il n’est pas au premier plan, ce n’est pas lui le héros. Témoin, le journaliste est aussi acteur du drame : c’est lui qui retrouve un travesti ami du gigolo assassiné, ce qui va permettre d’éclairer la personnalité de ce dernier. C’est également lui qui va retrouver le témoin-clef (une infirmière de l’hôpital), capable de relater la négligence des policiers qui n’ont pas protégé les mains du mort, ce qui fait que l’absence de traces de poudre ne prouve plus rien. C’est donc grâce à lui et à une sorte de contre-enquête que le riche amateur d’art sera (indûment…) acquitté. Cependant, en réalité, il pourrait aussi bien être avocat…ou simple ami personnel de l’accusé. Il témoigne certes de son attachement à des valeurs de liberté (« ils vont le lyncher pour sa sexualité ») et endosse le rôle de redresseur de torts. Mais il agit aussi par amitié pour un individu séduisant et attachant. En réalité, de ce fait, il oublie peu à peu qu’il est journaliste. Une femme le lui fait d’ailleurs remarquer, soulignant qu’il se comporte comme un avocat et qu’il a peu à peu mis de côté son objectivité. Son reportage, si tant est qu’il y en ait un, est d’ailleurs de parti-pris. Malgré la présence de thèmes souvent utilisés dans les histoires concernant les journalistes (la contre-enquête, le reportage « impliquant »), l’évocation du métier de journaliste est assez peu visible. 32 Tant parce que le héros n’exerce pas vraiment son métier (il écrit un livre) que parce qu’il ne revendique pas ce statut professionnel, il est donc difficile de voir dans ce film une véritable vision du journalisme. Toutefois, le rapprochement entre le métier exercé par le héros et son comportement tout au long du film laisse entrevoir une conception plutôt sympathique des journalistes : ouvert, curieux, capable de partager avec sympathie une aventure humaine et de dialoguer avec sincérité avec des personnages atypiques attachants, le journaliste-écrivain montre qu’il est capable de fraternité et d’anticonformisme. Certes, il est berné comme les autres et sa recherche de la vérité, succès apparent, est en réalité un échec. Mais il a au moins témoigné de son humanité… 33 Scream 2 de Wes Craven (1997) Le film raconte l'histoire d'un groupe d'étudiants confrontés à une série de meurtres violents similaires à ceux qu'ils ont vécu quelques années plus tôt. Cette série de meurtres sera couverte par les médias et notamment la journaliste Gale Weathers (Courtney Cox), déjà présente dans le premier opus de cette trilogie. On retrouve également la plupart des personnages ayant survécu au premier carnage, tous originaires de la petite ville de Woodsboro. On apprend au début du film que cette journaliste a écrit un livre sur les meurtres précédents dont est inspiré un film dans le film. Au cours de l'avantpremière, un couple se fait tuer dans le cinéma, ce qui sera le point de départ de la nouvelle intrigue. La journaliste n'apparaît pour le moment qu'en filigrane et seuls les connaisseurs du premier volet peuvent repérer son nom qui n'est cité que deux fois. Rapidement, le film se tourne vers les personnages du premier film et sur leur entourage. Dès le lendemain, l'héroïne (Sidney Prescott interprétée par Neve Campbell) se fait assaillir à la sortie de son immeuble par un groupe de journalistes qui la bombardent de questions. La scène suivante est une conférence de presse de la police où Gale Weathers fait pour la première fois son apparition à l'image. On y découvre une journaliste aux dents longues, avide, qui jubile de la publicité que vont apporter les meurtres du cinéma. Lors de la conférence, elle n'hésite pas à couper la parole à l'orateur pour lui poser ses questions. A cet effet, on remarque qu'elle se présente comme l'auteur d'un livre et non comme une journaliste. Les autres journalistes ne font que la suivre, lui tendent le micro et l'interrogent elle plutôt que les autorités. C'est une attitude qui continuera jusqu'au dénouement du film. Autant les journalistes ont l'air d'avoir une sorte d'admiration devant elle, autant Sidney et ses compagnons l'ont en horreur. Gale se fait même frapper par cette dernière (suite à une manipulation) et lancera après coup à son cameraman : "Si tu veux durer dans ce métier, laisse ta conscience au vestiaire. On n'est pas payé pour se faire aimer." Mais même si elle apparaît cynique et manipulatrice, on lui découvre également une autre facette quand resurgit Dwight, un policier simplet qui intervenait déjà dans le premier Scream. On remarque que peu à peu, Gale Weathers prend de plus en plus d'importance tout au long du film. Sans que l'on sache réellement comment, elle a ses entrées dans le commissariat de la ville et aide les policiers à trouver la logique des meurtres. D'enquêtrice, elle devient ensuite témoin lorsqu'un étudiant se fait tuer dans sa camionnette. Puis, suite à son enquête, elle se retrouve en position de victime avec le tueur à ses trousses. Elle deviendra finalement protagoniste de l'histoire, participant à l'exécution du meurtrier dans la scène finale. On peut voir dans ce film deux représentation du journalisme : 34 - Un journalisme arriviste, vénal, qui n'aspire qu'à l'argent et la célébrité. Gale Weathers est une investigatrice qui manipule ses témoins dans le seul but de faire plus d'audience. Elle n'est soumise à aucune contrainte rédactionnelle ni à aucun contrôle. Elle travaille seule, à l'exception de son cameraman qui n'est que son bras armé. Néanmoins, elle a conscience que le succès n'arrive pas seul et participe activement à la recherche des meurtriers. Mais de peur de laisser passer un scoop, elle s'investit tellement dans l'enquête qu'elle finit par en faire partie, au même titre que les victimes. Elle n'a aucun idéal de justice ou de vérité, mais sait que c'est en découvrant la vérité qu'elle deviendra célèbre. Tout cela est néanmoins atténué par l'affection qu'elle à pour Dwight, personnage victime et un peu simplet (représentant donc une forme de pureté par rapport au monde de Gale). - Un journalisme suiveur, sans ambition, en groupe. Les différentes "meutes" de journalistes que l'on peut observer au long d'une film ne font preuve d'aucune inventivité, posent les mêmes questions en même temps. Ils interrogent d'ailleurs Gale plutôt que les policiers pour avoir son opinion sur l'avancement de l'enquête, sur l'identité des coupables. De par leurs méthodes de recopie, ils représentent l'anti-Gale qui ose s'affirmer et possède une véritable hargne dans la poursuite de ses enquêtes. Mais on sent qu'ils ont probablement le même appétit pour la célébrité que cette dernière. 35 Batman de Tim Burton (1989) Le film n’est pas un film sur le journalisme, même si un des personnages principaux est reporter-photographe. Le thème du film est la lutte du bien contre le mal, la revanche d’un riche héritier sur l’assassin de ses parents, incarnation diabolique et démente de la cruauté. Au second plan se déroule l’histoire d’amour entre le héros (qui se transforme de temps en temps en « Batman », immense chauve-souris pour punir les méchants) et une photographe, qui découvrira son passé et son identité et sans doute partagera sa vie une fois la vengeance achevée. La première scène du film relate l’assassinat de deux bourgeois qui se sont perdus dans les quartiers inquiétants d’une ville. Celle-ci est tenue par une sorte de syndicat du crime. La criminalité règne, la police est corrompue. La ville connaît des événements inexplicables, avec l’intervention d’un justicier, Batman, immense chauve-souris qui punit les criminels et dispose d’une force impressionnante. Un homme de main du syndicat va assassiner le « boss » du syndicat, parce que celui-ci, par jalousie, l’a attiré dans un guet-apens pour le tuer. Le bandit, devenu une sorte de clown cynique et cruel, va prendre le pouvoir, terroriser la ville avec ses sbires, et engager avec « Batman », responsable de sa défiguration par l’acide, une sorte de duel personnel qui se terminera par sa défaite et par sa mort. Le film a des aspects réalistes et, en même temps, il ressemble à une bande dessinée : la ville est inquiétante, toujours montrée de nuit, les personnages sont grimées et composent d’étranges ballets, Batman est un héros magique à l’équipement supra-humain. Le journalisme accompagne cependant l’histoire de bout en bout et il est abordé de manière plus réaliste que le reste. Deux personnages de journalistes dominent. Le premier écrit des articles au « Globe », journal de la ville, et enquête sur Batman. On le voit discuter avec un policier corrompu. Le dialogue est alors gouailleur et agressif (Aux mots du policier : « ta feuille de chou », « t’es qu’un petit merdeux », répond du tac au tac la réponse du journaliste « est-ce que la chauve-souris est payée par la police ? »). Le journaliste est présenté comme le « fouineur » curieux, à qui on le fait pas, capable de tenir tête à l’autorité. On voit aussi le journaliste dans la salle de rédaction du journal, bruyante et active, où le ton est à la fraternité un peu canaille (« ça sent le prix Pulitzer ici »). Le journaliste est rapide, il trouve l’information (c’est lui qui découvre que les parents du héros ont été assassinés), il est réactif : c’est à lui que l’on s’adresse pour faire passer une information rapide sur la cause des empoisonnements toxiques dont souffre la ville, la seule question qu’il pose est alors « c’est un 36 scoop ? » et la réponse : « c’est un super-scoop » lui suffit. Pour autant, malgré sa force et ses qualités, notamment son souci d’honnêteté, ce journaliste n’est pas un héros : c’est un homme ordinaire, un peu vulgaire, il a un crayon sur l’oreille, est souvent en bras de chemise, tutoie tout le monde, ses plaisanteries sont un peu niaises. Le bandit qui le voit en photo dit d’ailleurs : « il a une cravate de péquenot, aucune classe…). De fait, c’est un personnage sans séduction ni mystère, attiré par sa superbe collègue mais qui n’arrivera jamais à en obtenir qu’un baiser amical sur la joue. Le second personnage de journaliste est la photographe, très belle jeune femme blonde, qui vient enquêter sur Batman. Le personnage est ambivalent : c’est à la fois une séductrice superbe et un reporter courageux présenté comme une « baroudeuse », qui a rapporté des photos de la guerre à « Corto Maltèse ». Le film joue bien sûr sur cette ambivalence de femme à la fois très féminine et très professionnelle, prête à tomber amoureuse et gardant tout son sang-froid (elle prend des photos de Batman au combat alors qu’ils sont tous deux en danger). Pourtant, elle a plutôt moins d’épaisseur que son collègue et son personnage de séductrice domine puisqu’elle est à la fois désirée par Batman et par le bandit qui veulent tous deux se l'approprier. Au-delà de ces deux personnages, les journalistes sont présents sous d’autres formes : les élus de la ville et les responsables du syndicat du crime font devant eux des conférences de presse. Les maffieux sont d’ailleurs l’objet d’apostrophes vigoureuses (« vous avez été tous les deux dans la même prison étant jeunes ? »), montrant ainsi que la presse n’a pas froid aux yeux. Par ailleurs, la presse télévisée est présente, essentiellement pour répercuter les nouvelles : on voit ainsi les voitures du journal télévisées se ruer sur l’événement ou un présentateur de télévision relatant la cause des empoisonnements dont souffre la ville. « Donnez le aux médias » dit d’ailleurs Batman à la photographe, comme si elle-même ne relevait pas de cette entité et comme si les médias n’étaient qu’un outil de circulation de l’information. En conclusion, le journaliste présente dans ce film les caractéristiques suivantes : - des personnages de journalistes isolés, qui travaillent pour la presse écrite, sont vus comme des héros directs et leurs qualités (courage, franchise, esprit d’entreprise, lucidité) sont mises en valeur ; on voit parfois leurs collègues, on voit que ces journalistes appartiennent à une collectivité mais ils se comportent comme des indépendants qui décident eux-mêmes de leurs enquêtes et de leur emploi du temps ; à côté, on devine d’autres journalistes de presse télévisée, qui se comportent davantage comme des hauts-parleurs avides de suivre l’événement mais qui ne sont pas acteurs comme les précédents ; - les « vrais » journalistes sont impertinents, vifs, du côté du bien et opposés aux méchants ; ils n’hésitent pas à payer de leur personne. Ils cherchent l’information et enquêtent personnellement, parfois dans des conditions dangereuses. Cependant, deux modèles différents s’opposent : le personnage féminin, d’autant plus désirable qu’elle se présente comme une 37 baroudeuse, est finalement plus femme que journaliste : sa profession s’efface au profit de son histoire personnelle. Le journaliste du « Globe », quant à lui, reste uniquement journaliste et garde un côté populaire et gouailleur, très « années 30 ». Il est le seul à avoir des principes et des réflexes journalistiques (« n’en fais pas une affaire personnelle » dit-il à sa collègue) et le seul à avoir pour le spectateur une certaine crédibilité professionnelle. Il est bien sûr tout à la fois humain et gouailleur, honnête et cynique, écrivant des articles de qualité et avide de sensationnalisme… - Le journaliste est présenté dans quelques décors typiques, que l’on reconnaît rapidement : la salle de presse, vaste et bruyante, où les journalistes semblent bavarder mais en réalité travaillent, où ils reçoivent les coups de fil déterminants pour leur enquête : là aussi, la référence aux années 30 est visible. Le second décor est le bas d’escaliers où se tiennent des responsables faisant une conférence de presse. Les micros se tendent, les questions fusent… Enfin, quelques journalistes télévisés sont vus dans l’encadrement du poste, comme s’il s’agissait là d’une information lointaine et impersonnelle. Le film accepte ainsi (c’est un de ses charmes) de recourir à des présentations conventionnelles, sorte de clin d’œil au spectateur qui, en réalité, sait qu’il regarde moins un film qu’une bande dessinée, y compris en ce qui concerne la vision du journalisme. 38