SI01 Les journalistes dans les films de cinéma

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SI01 Les journalistes dans les films de cinéma
SI01
Les journalistes
dans
les films
de cinéma
Julien Silland
Automne 2003
M. Le Bohec
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Sommaire
Introduction
1. La relation du journaliste avec la vérité et le pouvoir
2. Derrière le journaliste, la presse
Conclusion
Annexe
Annexe A : Analyse des films étudiés.
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La plus grande partie des films qui ont pour héros un ou des journalistes ont
été réalisés aux Etats-Unis : de « Citizen Kane » d’Orson Welles en 1941 à « La
vie de David Gale » d’Alan Parker en 2002 en passant par « Batman » de Tim
Burton en 1987, nombreux sont les films américains célèbres dont le ou les
personnages principaux sont des journalistes. Un film français cependant traite de
la presse, si l'on exclut toutefois « Paparazzi» qui traite plus du reportage à
scandale, Il s’agit du film « Le quatrième pouvoir » de S. Leroy, film moins connu
et sans doute moins réussi que les exemples américains cités précédemment. Peutêtre les réalisateurs français s’intéressent-ils moins aux thèmes que l’on trouve de
manière récurrente dans les films relatifs au journaliste. Un des points communs de
tous ces films est, en effet, la relation du journaliste avec la vérité et avec le
pouvoir, qu’il soit économique ou politique (I). En outre, de tels films mettent
souvent l’accent sur l’opposition entre le journaliste pris en tant qu’ individu (le
plus souvent valeureux et attachant) et la profession, enserrée dans des
contraintes économiques ou des habitudes professionnelles discutables (II).
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1. La relation du journaliste avec la vérité et
avec le pouvoir
Tous les films étudiés traitent de ce thème.
C’est le cas en premier lieu de « Citizen Kane ».
Le jeune Kane est moins un journaliste qu’un patron de presse. Il reprend le
New-York Inquirer, journal qui se fait le dénonciateur des pratiques des grandes
firmes capitalistes. Au départ, Kane rêve d’un journal qui ne dirait que la vérité.
Son immense succès résulte de l’engagement solennel pris auprès des lecteurs de
toujours respecter celle-ci. Cependant, Kane n’honorera pas cet engagement et
finira par utiliser son journal pour servir ses propres intérêts. Sa volonté de
conquête personnelle du pouvoir explique ses choix. Il épouse la nièce du président
des Etats-Unis, se présente aux élections pour devenir gouverneur de New-York.
Sur le point d’être battu, il prépare deux « unes » du journal, la première titre
« Kane élu », l’autre « Votes truqués ». Le film traduit ainsi les relations
ambivalentes du journaliste avec la vérité et avec le pouvoir. En tant que magnat
de la presse, Kane se promet de répondre aux aspirations de ses lecteurs et prend
des engagements d’honnêteté. Par la suite, son ambition même le conduit à vouloir
mener une carrière politique et à trahir ses engagements premiers. Le journaliste
est, dans ce film, d’abord présenté comme une personne, avec son histoire
personnelle, sa volonté de puissance et ses tourments qui, parfois, remontent à
l’enfance.
Un autre personnage de journaliste, moins puissant, moins séduisant mais
professionnellement plus honnête, existe dans « Citizen Kane », en contrepoint du
personnage principal.
En effet, à la mort de Kane, c’est un journaliste, Jerry Thompson, qui va
mener une enquête sur sa vie, découvrant ses tricheries, sa tyrannie envers des
journalistes qu’il a licenciés dès lors qu’ils ont voulu faire leur métier ainsi que les
mensonges des articles qui encensaient son épouse en tant que cantatrice. Le
journaliste est double : capable de tyrannie s’il commande un empire, capable de
lâcheté, d’obéissance et de mensonges s’il obéit à un patron sans scrupules, il peut
aussi parvenir à reconstituer avec courage et ténacité une vérité difficile sur un
personnage puissant.
La recherche de la vérité comme les relations avec un pouvoir corrompu sont
également au cœur des films sur le journalisme d’investigation . « L’affaire
Pélican », d’A.J.Pakula, « Révélations », de M. Mann, sont des exemples typiques
de ce genre cinématographique.
« L’affaire Pélican » raconte une histoire proche de celle du Watergate.
Pour obtenir le droit d’exploiter un gisement de pétrole situé dans une zone
écologiquement sensible, un riche homme d’affaires, qui a financé la campagne du
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président américain, fait assassiner deux juges de la Cour suprême sensibles aux
problèmes d’environnement. Le président et son entourage empêchent le FBI de
chercher dans la bonne direction et s’efforcent de gêner l’enquête.
Au départ, le journaliste (qui appartient à la presse écrite) n’est pas le
personnage central du film. L’héroïne qui va découvrir la vérité est une simple
étudiante à l’esprit curieux, un personnage jeune, inconnu et sans pouvoir. Le
journaliste va se révéler comme le relais indispensable à la révélation de la
vérité : il va être à l’écoute de la jeune fille, c’est lui qui la convainc de parler et
la protège. Il participe d’abord avec elle à des investigations qui lui permettent de
trouver les preuves nécessaires : proche des puissants, doté de relations utiles, il
effectue les rapprochements utiles, peut, par exemple, se procurer la liste des
financeurs de la campagne présidentielle ou rencontrer le chef du FBI pour mieux
comprendre l’ensemble du dossier et négocier la protection de la jeune étudiante.
C’est lui également qui, à la fin de l’enquête, peut appeler un à un tous les
personnages en cause, en accusateur, pour leur dire que tout est découvert,
prouvant ainsi que sa capacité d’informer le public lui confère une puissance
décisive et le met sur un pied d’égalité avec les hommes détenteurs du pouvoir.
Dans ce film, le journaliste est un enquêteur de substitution et un
enquêteur impliqué, courageux, qui remplit le rôle que les services chargés de
l’enquête n’ont pu ou voulu tenir ; il en a les méthodes (il traque un témoin en le
photographiant à son insu, il découvre son identité en retrouvant un stagiaire du
cabinet d’avocats où il travaille…) ; il en a la réputation (la jeune étudiante s’en
remet à lui parce qu’elle connaît cette réputation), il en a l’emploi du temps (il ne
travaille pas sur autre chose) ; la presse est présentée comme le quatrième pouvoir
qui fait peur aux puissants. Elle est surtout le pouvoir qui remplace une police
corrompue et duplice (le chef du FBI a accepté de ne pas diriger son enquête du
bon côté mais en même temps accepte de protéger l’étudiante contre ses
assassins) et mène l’enquête en franc-tireur, au péril de sa vie. Le journaliste est,
parmi les puissants, celui qui a gardé sa morale et qui parvient à faire triompher le
bien.
Les mêmes thèmes se retrouvent dans « Révélations » de M. Mann.
Le héros en l’occurrence n’appartient pas à la presse écrite. C’est le
producteur d’une émission célèbre de télévision qui réalise des enquêtes sur des
sujets sensibles, qu’ils soient politiques ou de société. Ce producteur souhaite
démontrer que les PDG des sept firmes de tabac qui ont juré, devant une
commission du Congrès, que le tabac n’avait pas d’effet nocif, ont menti en toute
connaissance de cause puisqu’ils disposaient d’études scientifiques révélant le
contraire.
Là encore, le journaliste parviendra à faire éclater la vérité avec l’aide d’un
« héros ordinaire », un scientifique licencié par une des firmes, que le producteur
décidera à parler et tentera de protéger.
Là encore, le journaliste effectue une contre-enquête qui permet de rétablir
la vérité. Il n’hésitera pas à organiser des fuites pour que la chaîne qui l’emploie
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soit contrainte de diffuser une interview du scientifique. Il se donne corps et âme à
la recherche de la vérité.
Dans ce film, le journaliste présente les caractéristiques suivantes :
-
il a une haute idée de sa mission ; il se présente comme traitant toujours
de dossiers sensibles ; d’abord face au scientifique puis aux responsables de
la chaîne, il s’appuie sur des arguments moraux : il n’est pas possible de se
taire dès lors qu’il s’agit d’un problème de santé publique . Il faut diffuser
l’interview si l’intérêt public est en jeu. De même, le journaliste entend
respecter ses engagements. Puisque le scientifique a eu confiance en lui et
accepté de révéler ce qu’il sait, il lui faut le défendre et rétablir sa
réputation. Le journaliste est donc idéaliste et éminemment moral ;
-
le journaliste est puissant et dispose de moyens non limités. Il organise la
protection du scientifique. Il a des accointances avec des représentants de
la justice qui cherchent à découvrir la vérité. Il demande des comptes aux
responsables de la police lorsque des policiers se sont montrés menaçants ;
surtout, il sait exercer des pressions sur des confrères journalistes pour
qu’ils retardent la publication d’un dossier compromettant et sait les
convaincre que la vérité va éclater. Comme dans « L’affaire Pélican », le
journaliste est le représentant de ceux qui ne pourraient se faire entendre
et représente le contre-pouvoir nécessaire face à des puissants cyniques.
Le film de Clint Eastwood de 1987, « Minuit dans le jardin du bien et du
mal », présente lui aussi une image attachante du journaliste pris comme individu,
dans un contexte moins difficile, plus éloigné du pouvoir politique.
Un journaliste amené à effectuer un reportage dans une ville du sud se
transforme en enquêteur pour tenter d’innocenter un riche amateur d’art accusé
de meurtre. Il se pose ainsi en redresseur de torts et témoigne de son attachement
aux valeurs de liberté car il croit que les poursuites pénales sont liées à
l’homosexualité de la personne accusée. Compte tenu du fait que le héros choisit
de ne pas exercer son métier le temps de l’enquête (il préfère écrire un livre) et
ne revendique pas le statut professionnel du journaliste, il est difficile de voir dans
ce film une véritable vision de ce métier. Toutefois, le rapprochement entre le
métier exercé par le héros et son comportement tout au long du film laisse
entrevoir une conception plutôt sympathique des journalistes : ouvert, curieux,
capable de partager avec sympathie une aventure humaine et de dialoguer avec
sincérité avec des personnages atypiques attachants, le journaliste-écrivain montre
qu’il est capable de fraternité et d’anticonformisme. Certes, il est berné comme
les autres (l’amateur d’art est en réalité coupable) et sa recherche de la vérité,
succès apparent, est en réalité un échec. Mais il a au moins témoigné de son
humanité et de sa volonté d’aller au-delà des préjugés et des apparences.
On retrouve des thèmes semblables, notamment la capacité de résistance et
la fraternité avec les faibles, dans un film atypique comme « Batman », de Tim
Burton. Ces thèmes sont traités avec davantage de distance et d’ironie, car, à la
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différence des films précédents, « Batman » n’est bien évidemment pas un film
réaliste et a d’autres ambitions que de traiter du journalisme.
Le journalisme accompagne cependant l’histoire de bout en bout.
Dans une cité soumise au crime ou au pouvoir de la mafia, deux pouvoirs ne
sont pas asservis : Batman en premier lieu, chauve-souris mystérieuse qui incarne
la résistance du Bien face au Mal, et, par ailleurs, un couple de journalistes.
Le premier se distingue par le ton gouailleur qu’il utilise avec les policiers
corrompus et les dirigeants de la mafia, qu’il apostrophe sans ménagement. Le
journaliste est présenté comme le « fouineur » curieux, à qui on le fait pas,
capable de tenir tête à l’autorité. Mais comme dans les films précédemment cités,
il est parfaitement honnête et à la recherche de la vérité
La seconde est reporter, présentée comme une baroudeuse qui vient de
rapporter des photos de guerre.
Les deux sont courageux, vifs, impertinents, n’hésitent pas à payer de leur
personne pour lutter, chacun avec ses armes, contre les méchants, mener
l’enquête et participer à la traque du chef pervers des criminels qui terrorisent la
ville. A la fin, leur courage paiera et la ville sera délivrée.
Enfin, le thème de la recherche de la vérité et des relations avec le pouvoir
se retrouve, traité « à la française », dans un film de 1985 de Serge Leroy, « Le
quatrième pouvoir ». Outre la traditionnelle opposition entre un pouvoir politique
qui se veut opaque et le journalisme d’investigation, le film traite du contraste
entre un journaliste de presse écrite intègre et réfléchi et une journaliste de
presse télévisuelle, jeune, jolie et arriviste.
Le film se passe dans les sphères proches du pouvoir d’Etat et présente
celui-ci comme manipulateur et machiavélique. Une rencontre secrète a eu lieu
entre le premier ministre français et le chef des rebelles d’un pays africain ; ce
leader est ensuite assassiné, avec l’évidente complicité d’un malfrat évadé de
prison qui a obtenu un passeport lui permettant de fuir le pays comme prix de sa
collaboration. Ce malfrat sera lui-même assassiné à Damas après sa fuite. La presse
va révéler l’affaire, que le ministre a commencé par nier absolument.
Le journaliste de presse écrite ignore les pressions du pouvoir et fait son
métier, se comportant comme un chien de chasse qui doit démêler une intrigue. Il
mène son enquête, refuse de citer ses sources et sait qu’il devra en payer le prix
par un emprisonnement qu’il espère court. Il s’y résigne : « Je le prends comme un
épisode de la vieille lutte entre le pouvoir et la presse », dit-il, acceptant cette
opposition et son rôle de victime au nom d’une idée supérieure de son métier.
La journaliste télévisuelle, quant à elle, a, quant à elle, des rapports
ambigus avec le pouvoir: au départ, elle lutte à fleurets mouchetés avec le
ministre qu’elle interviewe. Parallèlement, elle accepte de déjeuner en tête-àtête avec lui et accepte avec le sourire des menaces légères sur sa propre carrière.
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Ces personnages sont « du même monde », complices dans leur acceptation de la
règle du jeu selon laquelle on ne doit pas aller trop loin dans la mise en cause du
pouvoir, faute de quoi on peut payer une déontologie trop marquée. La journaliste
ne dispose d’un vrai contre-pouvoir que parce qu’elle est elle-même célèbre, pour
des raisons qui ont à voir avec sa séduction. Ce n’est pas seulement son
professionnalisme qui l’a portée au sommet. Sa célébrité et son talent tiennent à
un équilibre subtil entre une séduction physique évidente, une forme
d’impertinence (elle est incisive dans ses interviews) et la soumission à des règles
du jeu moins avouables. Sa révolte (un temps, elle participe à l’enquête de son
confrère) sera brève. A la fin du film, elle renonce à toute dignité et fera amende
honorable pour retrouver son poste, mentant ouvertement pour redevenir vedette
de la chaîne et renonçant à dénoncer la vérité.
Le film présente ainsi le pouvoir comme machiavélique et tout-puissant, sans
morale ni parole, asservissant certains journalistes (les seuls qui comptent
vraiment, ceux qui sont célèbres), tentés un temps de le contester mais qui, trop
proches de lui et trop avides de réussite sociale, n’assument pas leur rôle jusqu’au
bout.
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La relation avec le pouvoir est ainsi le thème répété des films sur le
journalisme.
Le plus souvent, le journaliste y est présenté comme un héros positif mais il
lui arrive aussi de ne pas savoir résister au pouvoir et ne pas assumer son métier
correctement. La profession est ainsi décrite parfois comme complice mais le plus
souvent comme incarnant la résistance au mensonge.
La perspective est inversée lorsque l’on tente d’examiner la description du
pouvoir de presse. En effet, au-delà des héros individuels, on devine dans les
différents films le portrait d’une profession à la conduite le plus souvent ambiguë,
ce qui relativise voire annihile le message du héros positif que représente, le plus
souvent, le journaliste isolé.
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2. Derrière le journaliste, la presse
Dans la description de la presse comme pouvoir, « Citizen Kane »
représente un cas particulier.
La presse y est d’abord présentée comme un pouvoir économique. Kane est
un « magnat » de la presse, il conquiert du pouvoir et de l’argent grâce à son
journal. A l’intérieur du journal, il se comporte comme un patron despotique.
L’ampleur de son empire médiatique fait penser au pouvoir de certains patrons de
presse actuels comme R. Murdoch. La presse est alors soumise à des ambitions
économiques. Elle a d’ailleurs la vulnérabilité des entreprises ordinaires : l’empire
de Kane s’effondrera en 1929.
Il est à noter que la description du magnat de presse ne comporte pas que
des aspects négatifs. Kane est ainsi l’inventeur d’un journalisme présent 24 H sur
24, obligeant ses rédacteurs à travailler également la nuit, ce qui témoigne d’une
vision moderne de l’importance de l’information.
Par ailleurs, le film s’efforce, au-delà de l’aspect économique, de présenter
l’entreprise de presse comme une collectivité de travail, qui doit obéir, si elle veut
remplir son rôle, à certaines règles plutôt austères. Quand il fait son travail, le
journaliste n’est pas présenté comme un individu de chair et de sang mais comme
une intelligence dépersonnalisée.
Ainsi, l’on remarque que le journaliste qui réalise l’enquête sur Kane après
sa mort ainsi que la rédaction à laquelle il appartient sont totalement anonymes à
l'image. Welles fait manifestement très attention à ce que le spectateur ne puisse
jamais voir leurs visages. Au début du film, les membres de la rédaction sont filmés
dans une pièce enfumée, sombre, sans lumière. Ils ne sont que des paroles, des
voix, des ombres chinoises. Par ce jeu de lumière, Welles met en avant
l'importance première du verbe dans le journalisme. Ce qui importe n'est pas
l'image d'un journaliste mais sa pensée et sa réflexion. Tout au long du film, le
journaliste est soit filmé de dos, soit filmé en ombre chinoise. Au delà d'une
volonté d'identification entre l'enquêteur et le spectateur, Welles nous renseigne
sur sa propre vision de ce que doit être le journalisme. C'est un d'abord un métier
intellectuel plus qu'un métier du spectacle. Un métier de l'ombre plus que de la
lumière. C'est une vision totalement opposée à celle mise en scène avec l'histoire
de Kane, qui privilégie les informations spectaculaires, sensationnelles, erronées ou
fausses. Il existe donc un journalisme honnête qui représente une entreprise sans
héros, collective ou quasi-anonyme, qui fait simplement son travail.
Tout autre est la vision de l’entreprise de presse que l’on trouve dans les
autres films, où le rôle positif est assumé par un héros clairement sous la lumière
et où la presse dans son ensemble est moins valorisée.
Ainsi, dans « L’affaire Pélican », le journaliste est avant tout solitaire :
certes, à la fin, au moment décisif, on voit son rédacteur en chef lui apporter son
aide. Mais jusqu’au terme de l’enquête, la hiérarchie du journal est très peu
présente et, quand on la voit, une seule fois, c’est pour l’entendre exprimer son
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scepticisme et menacer de « retirer l’affaire » au héros ; le rédacteur en chef, en
bras de chemise et un rien gouailleur, rappelle alors fugitivement certains
journalistes de bande dessinée…
De plus, en arrière plan, tout au long du film, il existe une presse
« ordinaire » : celle, d’abord que l’on voit en meute autour du président des EtatsUnis, hospitalisé pour un bilan de santé. Les journalistes sont alors indifférenciés et
dépersonnalisés. Ils crient pour prendre des photos…Ils ne sont intéressés que par
une actualité superficielle et sans intérêt. Dans le même esprit, la presse
« ordinaire » est également évoquée par le chef du cabinet du président lorsqu’il
imagine un contre-feu à l’enquête du journaliste-héros, contre-feu qu’il n’aura
d’ailleurs pas le temps de mettre en place : il imagine d’organiser une fuite auprès
de la presse pour lancer l’opinion publique sur une autre piste. La presse est alors
présentée comme « instrumentalisable », incapable de réflexion et d’esprit
critique, en total contraste avec le héros positif que représente le journaliste
d’investigation solitaire.
La presse est également présentée comme un instrument facile à manipuler
dans un film comme « La vie de David Gale », d’A . Parker.
Le film est le récit des trois derniers jours d’un condamné à mort qui a
obtenu l’autorisation de donner à une journaliste, avant son exécution, trois
interviews.
La journaliste découvrira que le condamné est innocent et qu’il a lui-même
organisé le processus qui le conduira à la mort, avec la volonté de démontrer que
la justice texane est capable de condamner des innocents.
Pour y parvenir, la journaliste se montrera courageuse et tenace, à la
recherche d’une vérité au départ peu vraisemblable.
Si, sur ce point, le film se rattache aux films qui mettent en scène des
journalistes d’investigation et s’il utilise les mêmes procédés (valorisation de
l’héroïne, attachante, sensible et obstinée), il est également porteur d’une vision
très critique du journalisme.
-
parmi les aspects négatifs, l’on note en premier lieu qu’un journal est prêt à
payer une grosse somme d’argent, en liquide, pour obtenir l’exclusivité
d’une interview d’un assassin violeur qui va mourir quelques heures après ;
personne ne doute alors de sa culpabilité et le crime apparaît comme
particulièrement répugnant. Le rédacteur en chef a quelques états d’âme,
vite balayés par la secrétaire de rédaction qui est partante pour que l’on
évoque « le couloir de la mort, le viol, l’assassinat » ; la presse est donc
avide de sensationnalisme ;
-
de plus, la journaliste apparaît, au final, comme manipulée : elle
« fonctionne » exactement comme le veulent les instigateurs de la
manipulation (essentiellement le héros lui-même). Elle a du mal à prendre
du recul, à réfléchir…même si, au final, elle y parvient ;
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-
toujours dans les aspects négatifs, l’on note l’attitude des journalistes au
moment où, juste après l’exécution, ils apprennent l’existence d’une
cassette démontrant l’innocence du condamné. L’on retrouve alors une
image de journalistes fréquente dans les films américains, à savoir la
« meute » indifférenciée qui poursuit les représentants des autorités des
mêmes questions hurlées. De surcroît, l’on voit successivement plusieurs
journalistes répétant devant la caméra de leur chaîne télévisée des analyses
identiques sur les approximations de la justice et les risques des exécutions
capitales. Les journalistes apparaissent alors comme « suivistes » : ils ne
se posent pas de questions avant que n’éclate un scandale ; ils ne se
mobilisent que lorsque l’opinion publique est interpellée ; ils ne sont qu’un
écho et n’ont pas de capacité d’initiative et de réflexion préalable. En ce
sens, ils apparaissent tous, comme l’héroïne elle-même, aisément
manipulables.
La vision de la presse et de l’entreprise de presse n’est guère plus positive
dans « Révélations », de Michaël Mann.
Certes, au départ, le producteur-journaliste n’est pas seul, ce qui est une
originalité par rapport à d’autres films où le héros reste solitaire et ne partage pas
sa quête. Dans « Révélations », le journaliste vedette qui présente l’émission est
l’ami et le complice du producteur ; les décisions sont prises avec toute l’équipe,
dans une atmosphère détendue, lors de repas où chacun s’exprime avec franchise.
On a alors le sentiment que le journaliste n’est pas seul et qu’il peut travailler en
équipe, ce qui est rare (dans Batman, on retrouvera cette impression avec le
couple fraternel que forment le journaliste et la reporter)..
Cependant, si cette amitié perdurera dans « Batman », elle sera rompue
dans « Révélations » lorsque les responsables de la chaîne pour laquelle le
producteur travaille décideront de céder à des pressions de nature économique. La
chaîne de télévision, qui doit être rachetée, décide en effet de ne pas diffuser
l’interview dans laquelle le scientifique porte des accusations graves contre les
« majors » du tabac.
De plus, l’ensemble de la presse reçoit un dossier sur le passé personnel du
scientifique contenant des éléments qui décrédibilisent son témoignage. Les
journaux le publient tous, sans souci de résister à la manipulation ni s’inquiéter des
conséquences sur la recherche de la vérité ou sur l’honneur personnel de la
personne ainsi attaquée.
Le journaliste-héros se retrouve donc seul à se battre pour imposer la
vérité. A la fin, il démissionnera pour témoigner de l’impossibilité de retrouver la
solidarité de départ avec ses collègues. L’on peut tirer de cette présentation les
conclusions suivantes :
-
la presse est soumise aux mêmes pressions économiques que les autres
entreprises. La chaîne CBS News a accepté l’anti-conformisme de l’émission
tant que celle-ci apportait de l’audience sans représenter une gêne pour ses
intérêts ; dès que cette situation évolue, la chaîne sacrifie son indépendance
sans état d’âme ;
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-
le héros reste un être exceptionnel : lui seul sait, au-delà de son métier,
rester humain. Il sait prendre le temps d’écouter le scientifique, de le
comprendre, il trouve les mots et les gestes qui le touchent. Il accepte ses
hésitations (« ce sont des gens ordinaires soumis à une pression
extraordinaire » dit-il) et respecte sa liberté de décision, sans le
contraindre. Lui-même est un être sensible, qui a une vie personnelle, aime
sa femme et en est aimé, est capable de compassion ; enfin,
professionnellement, il est le seul à avoir une éthique qu’il appliquera
jusqu’au bout. Les autres ne sont pas présentés sous un jour très favorable ;
comme on l’a vu, les collègues du producteur le lâchent à la première
difficulté. Ils ont peu ou pas de compassion personnelle. Les journalistes des
autres médias ne se laissent convaincre de retarder la parution d’un dossier
fallacieux que lorsqu’ils sentent que le vent tourne. Ils ont tous alors la
même attitude et dénoncent tous une réalité qu’ils auraient pu voir bien
avant. Le journaliste combatif et épris de vérité reste un être d’exception.
Cette vision pessimiste et critique de la presse se retrouve dans « Le
quatrième pouvoir », de S. Leroy.
Comme on l’a vu, la presse écrite est, dans ce film, opposée de manière
caricaturale à la presse télévisuelle.
Mais même le patron de presse écrite n’est pas à l’abri d’une présentation
critique.
Certes, il est sympathique et proche de ses journalistes ; il discute avec son
équipe lorsque son journaliste est emprisonné pour avoir refusé de révéler ses
sources ; il le soutient, il est solidaire, tout en cherchant à le tirer d’affaires en
faisant jouer ses relations ; en tout cas il ne cherche pas à le censurer ni à
l’empêcher de faire son métier. Ses relations avec le pouvoir sont clairement
montrées (il décroche son téléphone pour appeler le ministre) mais ne semblent
pas l’amener à des compromissions.
Cependant, il est aussi montré comme opportuniste et avide de
sensationnalisme facile : le soir où le malfrat prend son journaliste en otage, il
titre « Les derniers mots de Dorget » pour faire planer le doute sur un possible
assassinat ; lors de la prise d’otages, ses commentaires sont cyniques « ça tombe
bien, on n’avait rien ». Gouailleur, un peu canaille , il a l’œil fixé sur les chiffres
de vente (« on a fait 35 000 sur « Paris-surface »).
Quant au patron de la chaîne télévisée, il est manifestement servile, aux
ordres, et doit sa carrière aux politiques. Le soir où le ministre est interviewé par
la présentatrice du journal, celle-ci cherche à le mettre en difficulté sur ses
éventuelles relations avec le parti des rebelles africains. L’insistance de la
journaliste agace le ministre, qui converse ensuite avec le patron de la chaîne en
lui demandant si « le succès ne monte pas trop à la tête [de la journaliste] ». « Il
faut la tenir, mais je la tiens » dit le patron, suffisant et flagorneur. Lorsque la
journaliste reçoit la cassette compromettante contenant les images de la rencontre
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clandestine entre le ministre et le chef des rebelles, elle la montre à son patron,
qui cherche à la reprendre puis qui prévient le premier ministre. Enfin, lorsque la
cassette compromettante passe au journal, le président de la chaîne rentre chez
lui, furieux, en disant à sa femme qu’il n’a plus qu’à rechercher du travail. La
relative indépendance de la presse écrite est ainsi opposée à l’obéissance de la
presse télévisée, dont les responsables dépendent étroitement du pouvoir et ne
semblent pas être eux-mêmes de véritables journalistes ni en partager la
déontologie.
La conception du pouvoir politique, l’insistance sur la servilité de la
télévision, longtemps évidente en France, font sans doute du « Quatrième
pouvoir » un film un peu daté, très « mitterrandien ». Dans sa caricature, il est
néanmoins révélateur des idées admises (et pour partie exactes) sur les relations
presse/pouvoir et sur l’évolution de la déontologie journalistique, dans un contexte
où la presse écrite, honnête, désireuse de faire son métier avec courage, voit son
rôle diminuer.
Au final, ce sont peut-être les films les moins centrés sur le thème de la
presse qui présente de cette profession l’image la plus favorable.
On le voit dans « Batman » .
Il faut souligner toutefois que, dans ce film, la presse télévisée est elle aussi
présentée comme une sorte de haut-parleur sans âme et sans réflexion, utile
essentiellement pour répercuter les nouvelles. On voit ainsi les voitures du journal
télévisées se ruer sur l’événement. On voit aussi un présentateur de télévision
relatant la cause des empoisonnements dont souffre la ville sans commentaires,
comme si la télévision ne parvenait qu’à être un miroir répétant des « nouvelles ».
« Donnez le aux médias » dit d’ailleurs dédaigneusement Batman à la photographe,
comme si elle-même ne relevait pas de cette entité et comme si les médias
n’étaient qu’un outil utilitaire de circulation de l’information.
Mais le film présente aussi le journaliste dans la salle de rédaction du
journal, bruyante et active, où le ton est à la fraternité un peu canaille (« ça sent
le prix Pulitzer ici »). Le journaliste « patron de journal » est montré comme
rapide, tenace, réactif : c’est lui qui trouve l’information, c’est lui qui découvre
que les parents de Batman ont été assassinés, c’est à lui que l’on s’adresse pour
faire passer une information rapide sur la cause des empoisonnements toxiques
dont souffre la ville. La seule question qu’il pose est alors : « c’est un scoop ? » et
la réponse : « c’est un super-scoop » lui suffit. Ses préoccupations économiques
sont claires mais elles ne le font pas dévier. Pour autant, malgré sa force et ses
qualités, notamment son souci d’honnêteté, ce journaliste n’est pas un héros :
comme ses collègues de la salle de rédaction, c’est un homme ordinaire, un peu
vulgaire, il a un crayon sur l’oreille, est souvent en bras de chemise, tutoie tout le
monde, ses plaisanteries sont un peu niaises. Le bandit qui le voit en photo dit
d’ailleurs : « il a une cravate de péquenot, aucune classe…. De fait, les journalistes
sont, dans « Batman », à l’exception de la photographe au physique sublime, des
personnages sans séduction ni mystère. Ce manque de séduction est peut-être ce
qui les rend réalistes et attachants…
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Au total, l’on peut conclure que, malgré la présence répétée de journalistes
quasi-héroïques jouant le rôle de « héros positif » le plus souvent solitaires, les
films étudiés présentent une vision du journalisme et de la presse plutôt cynique
et manipulatrice, proche d’un pouvoir auquel elle résiste mal.
Tous les films, ou quasiment, font d’un journaliste le héraut de la vérité.
Mais, le plus souvent, l’arrière-plan dépeint un monde plus servile. Le message qui
en ressort est que le pouvoir, qu’il s’agisse du pouvoir politique ou du pouvoir des
magnats de presse, est opportuniste, souvent corrompu, parfois prêt au crime. Le
pays ne se rachète que par l’action de héros qui sont des êtres d’exception, purs
et courageux, qui croit encore à des valeurs traditionnelles. Aux Etats-Unis, ce
héros solitaire triomphe, parfois dans l’amertume. En France, c’est au final la
lâcheté qui l’emporte, malgré la résistance d’un journalisme traditionnel. Ce n’est
pas une vision totalement pessimiste, mais ce n’est pas non plus une vision
complètement positive, tant s’en faut...
15
Annexe
16
Annexe A
Analyse des films étudiés
17
Citizen Kane
de Orson Welles (1941)
Le film raconte la vie de Charles Foster Kane, un grand magnat de la presse
américain qui vécut dans la première moitié du vingtième siècle. Le film s'ouvre sur
une longue scène où on découvre le domaine gigantesque d'un homme mourant :
Charles Foster Kane. Dans son immense château qu'il a fait construire pour sa
seconde femme, Kane ne dira, en guise de dernières paroles, qu'un seul mot :
"Rosebud". Intrigué par la signification que pourrait avoir ce mot, le journaliste
Jerry Thompson mène l'enquête pour découvrir qui était Kane, probablement
l'homme le plus riche du Monde. A travers différentes rencontres de personnes
ayant travaillé ou vécu avec Kane, le film raconte la vie mouvementée de ce
personnage.
On peut comprendre d'emblée qu'il y aura deux niveaux d'analyse dans ce
film. En effet, Jerry Thompson est un journaliste qui découvre peu à peu qui était
Charles Kane, lui même patron d'un grand groupe de presse. Thompson est le
narrateur indirect du film, c'est lui qui va rencontrer les deux femmes de Kane, son
éducateur, ses collègues et amis. Le réalisateur joue d'ailleurs de ces deux niveaux
en passant très vite de l'un à l'autre dans la première partie du film. Le film
commence réellement par le visionnage, par une rédaction de journalistes, d'un
film biographique sur la vie de Kane réalisé à l'occasion de sa mort. Ce petit film
donne un aperçu de la vie de Kane, sans entrer dans les détails qui pourraient
donner une piste pour comprendre les dernières parole du milliardaire.
Le rédacteur en chef décide ensuite de faire une véritable enquête sur la vie
du citoyen Kane et envoie Thompson à la rencontre des personnes ayant été en
relation avec Kane. On y apprend que l'enfant Charles Kane fut enlevée à sa famille
vers ses 8 ans, ses parents faisant du banquier Thatcher le tuteur légal de l'enfant.
On retrouve Kane dans sa vingt-cinquième année, à la tête de la sixième fortune
mondiale, déjà rodé aux mécanismes économiques et avide de pouvoir; un jeune
homme aux dents longues. Toutefois, il ne choisit pas de se lancer dans le marché
de l'or ou du pétrole, mais déclare "Je crois qu'il serait amusant de diriger un
journal". Ce sera le New-York Inquirer.
Rapidement, le journal se fait le dénonciateur des pratiques et des us des
grandes firmes capitalistes, au grand dam de Thatcher, qui reproche à Kane cette
attitude. Kane, lui, rêve d'un journal qui ne dirait que la vérité et s'engage
personnellement devant ses lecteurs à respecter la vérité dans son journal.
Concurrencé, Kane achète les meilleurs rédacteurs du plus grand journal local. Le
tirage de l'Inquirer grimpe en flèche et le succès sourit à Kane. On constate
également l'élargissement de son empire médiatique qui s'étend maintenant sur la
totalité du pays.
Après avoir épousé la nièce du Président des Etats-Unis, il aspire à devenir
gouverneur de l'état de New-York. C'est à ce moment que le spectateur perçoit que
Kane commence à se servir de son journal pour servir ses propres intérêts. Il fait
18
croire à la population que les sondages le donnent gagnant. Une fois battu,
notamment à cause de la révélation de son attitude adultère, on découvre que
deux "unes" ont déjà été prévu pour annoncer le résultat des élections : l'une titre
"Kane élu", l'autre : "Votes truqués".
Kane divorce et se remarie presque immédiatement avec une chanteuse de
cabaret dont Kane rêve de faire une cantatrice. Il construit pour elle l'Opéra de la
ville de Chicago. Mais sa femme n'a pas la carrure et la première critique, qui doit
être écrite par un des amis de Kane dans le Chicago Inquirer, est très négative.
Découvrant la critique avant qu'elle ne soit finie, Kane licencie sur le champ son
ami et poursuit l'écriture de l'article en gardant le même ton. Il refuse en fait
qu'une personne extérieure puisse donner son avis sur le talent de sa propre
femme.
L'empire de Kane s'effondre en 1929 mais Kane n'est pas ruiné pour autant. Il
entreprend la construction du plus fabuleux domaine jamais imaginé : Xanadu. Il
devient un personnage aigri, nerveux, isolé. C'est dans ce domaine qu'il meurt seul
en 1941, sa seconde femme l'ayant quitté. A la fin du film, un long travelling dans
les milliers d'objets que Kane a collectionné au long de sa vie nous mène à la clé de
l'énigme. Rosebud est le nom de la luge avec laquelle Kane jouait quand il a été
emmené par Thatcher, arraché à sa famille et à son enfance.
On peut voir dans ce film deux visions du journalisme :
-
D'une part le journalisme incarné par Kane. Un journalisme asservi, privé de
liberté, au service des ambitions d'un homme rêvant de pouvoir. Après la
défaite de Kane aux élections, on est stupéfait par le geste de l'imprimeur,
soulevant l'un après l'autre deux exemplaires fraîchement imprimés, chacun
ayant une "une" différente : "Kane élu" ou bien "Votes truqués". La scène qui
se joue après la prestation scénique de la seconde femme de Kane démontre
encore plus clairement ce mécanisme d'emprise que Kane a sur ses
employés. Les rédacteurs, ayant tous écrits des articles dithyrambiques sur
la nouvelle cantatrice, attendent un peu nerveusement le dernier papier, le
plus important, celui du chroniqueur artistique, ami de Kane. Celui-ci refuse
qu'on lui dicte son opinion et se fait licencier. Mais ce journalisme-là n'arrive
pas à ses fins. Kane perd les élections, perd ses amis, la tournée de sa
femme est un échec d'autant plus grand que chaque journal de Kane en fait
un succès. Kane meurt seul, isolé, obnubilé par une enfance dont il a été
dépossédé.
On notera toutefois que la vision originelle du journalisme par Kane dénote
un certain modernisme. Il introduit par exemple le concept de l'information
24h/24, obligeant les différents rédacteurs à travailler également la nuit. Le travail
de nuit est une notion qui n'est plus remise en question dans les grands quotidiens.
L'ampleur de l'empire médiatique de Kane rappelle également celui de plusieurs
magnats, notamment Rupert Murdoch.
-
D'autre part, le journalisme incarné par l'enquêteur Thompson. Fait
étonnant, on remarque que Thompson et la rédaction à laquelle il appartient
19
est totalement anonyme à l'image. Welles fait manifestement très attention
à ce que le spectateur ne puisse jamais voir leurs visages. Au début du film,
les membres de la rédaction sont filmés dans une pièce enfumée, sombre,
sans lumière. Ils ne sont que des paroles, des voix, des ombres chinoises. Par
ce jeu de lumière, Welles met avant l'importance première du verbe dans le
journalisme. Ce qui importe n'est pas l'image d'un journaliste mais sa pensée
et sa réflexion. Tout au long du film, Thompson est soit filmé de dos, soit
filmé en ombre chinoise. Au delà d'un simple processus d'identification entre
l'enquêteur et le spectateur, Welles nous renseigne sur sa propre vision de
ce que doit être le journalisme. C'est un d'abord un métier intellectuel plus
qu'un métier du spectacle. Un métier de l'ombre plus que de la lumière.
C'est une vision totalement opposée à celle mise en scène avec l'histoire de
Kane, qui privilégie les informations spectaculaires, sensationnelles,
erronées ou fausses. Toutefois, ce journalisme est tenu en échec par son
ambition de pure vérité. La rédaction cherche en effet à savoir la
signification du mot "Rosebud" et n'y arrive finalement pas. Mais le processus
d'enquête et d'investigation est honnêtement mené et là est l'important aux
yeux du réalisateur.
20
L’affaire Pélican
d’Alan J. Pakula (1993)
Le film raconte une histoire proche de celle du Watergate: pour obtenir le
droit d’exploiter un gisement de pétrole situé dans une zone écologiquement
sensible, un riche homme d’affaires, qui a financé la campagne du président
américain, fait assassiner deux juges de la Cour suprême qui sont sensibles aux
problèmes d’environnement. Le président et son entourage empêchent le FBI de
chercher dans la bonne direction. L’affaire sera finalement révélée grâce à une
étudiante en droit et à un journaliste.
Le journaliste n’est pas d’emblée le héros principal. Pendant la première
moitié du film, il n’est qu’un personnage secondaire et épisodique. Ce n’est en
particulier pas lui qui va le premier découvrir l’explication des deux assassinats
mystérieux. C’est la jeune étudiante, curieuse et non conformiste, qui, par envie
de comprendre, va rechercher les points communs entre les deux juges et rédiger
un dossier qui avance une explication, sans, au départ, comprendre la portée de ce
qu’elle considère comme un jeu d’hypothèses. C’est la prise de conscience
progressive de la jeune femme et sa fuite devant les tueurs qui la poursuivent qui
structurent la première partie du film.
Pourtant le journaliste apparaît à plusieurs reprises dans cette première
partie. Il est même présent lors de la première scène, où le juge qui va être
assassiné dialogue avec lui comme avec une vieille connaissance. Son personnage
n’est alors pas présenté : il apparaît comme un jeune homme noir, élégant et
réservé. On ne sait pas alors qui il est : son nom (Gray Grantham, du Washington
Herald) n’est révélé qu’ensuite, lorsqu’il est interviewé après l’assassinat.
De même, dans cette première partie, le journaliste apparaît en arrière plan
de l’histoire principale : il reçoit le coup de fil d’un homme qui lui affirme avoir
une piste et connaître les assassins ; il le localise et le photographie avant que ce
témoin disparaisse. Il n’est pas parvenu à le rassurer suffisamment, bien qu’il lui
affirme être déjà allé en prison pour ne pas avoir révélé ses sources : le journaliste
est ainsi présenté dès l’abord comme un journaliste d’investigation, voire comme
un « journaliste-enquêteur ».
C’est au moment où la jeune étudiante, épuisée et terrifiée, l’appelle que
Grantham va devenir le co-héros. Il vérifie ses déclarations, va la retrouver, la
rassure et enquête avec elle pour retrouver le témoin disparu (assassiné entretemps) ainsi que les preuves que celui-ci a mis à l’abri avant de mourir. Ils
parviendront tous les deux à mettre à jour le scandale après avoir eux aussi fait
l’objet d’une tentative d’assassinat.
Dans ce film, le journaliste présente plusieurs caractéristiques :
21
-
au départ, il n’est pas « le justicier » : cependant, c’est lui qui écoute celuici, le convainc de parler, donne à l’affaire l’écho dont elle a besoin. Les
justiciers sont un homme et une femme ordinaires, courageux et solitaires.
Le journaliste se comporte comme le relais dont ils ont absolument besoin
pour approfondir l’enquête puis pour toucher l’opinion publique. Les progrès
du journaliste dans son enquête sont d’ailleurs notés avec anxiété à la
Maison blanche ;
-
le journaliste a un rôle d’intermédiaire que le justicier ne peut avoir seul ;
il est proche des puissants, il les connaît et il sait ainsi décoder certains
événements et les mettre en relation les uns avec les autres ; c’est lui qui se
procure la liste des financeurs de la campagne présidentielle ; c’est lui
auquel la veuve du témoin assassiné se confie parce qu’elle voit le rôle qu’il
peut jouer ; c’est lui également qui, à la fin, peut appeler les puissants un
par un, en accusateur, pour leur dire que tout est découvert. C’est lui enfin
qui rencontre le chef du FBI pour comprendre l’ensemble du dossier et qui
négocie avec lui pour que la jeune étudiante puisse partir à l’étranger où
elle veut se réfugier ; il a ainsi un pied dans plusieurs mondes différents
entre lesquels il est capable d’évoluer ;
-
le journaliste est en réalité un enquêteur de substitution et un enquêteur
impliqué, courageux, qui remplit le rôle que les services chargés de
l’enquête n’ont pu ou voulu tenir ; il en a les méthodes (il traque le témoin
en le photographiant dans une cabine téléphonique à son insu, il découvre
son identité en retrouvant un stagiaire du cabinet d’avocats où il
travaille…) ; il en a la réputation (les deux justiciers s’en remettent à lui
parce qu’ils connaissent cette réputation, ainsi la jeune étudiante l’appelle
parce que, dit-elle, son professeur « était un de vos fans »), il en a l’emploi
du temps (il ne travaille pas sur autre chose) ; la presse est bien
évidemment présentée comme le quatrième pouvoir qui fait peur aux
puissants. Elle est surtout le pouvoir qui remplace une police corrompue et
duplice (le chef du FBI a accepté de ne pas diriger son enquête du bon côté
mais en même temps protège l’étudiante contre ses assassins) et mène
l’enquête en franc-tireur, au péril de sa vie;
-
le journaliste est solitaire : certes, à la fin, au moment décisif, son
rédacteur en chef lui apporte son aide. Mais jusqu’au terme de l’enquête,
on voit peu la hiérarchie du journal et, quand on la voit, une seule fois,
c’est pour l’entendre exprimer son scepticisme et menacer de « retirer
l’affaire » au héros ; le rédacteur en chef, en bras de chemise et un rien
gouailleur, rappelle alors fugitivement certains journalistes de bande
dessinée…
En arrière plan, tout au long du film, il existe bien une presse « ordinaire » :
celle, d’abord que l’on voit en meute autour du président hospitalisé pour un bilan
de santé. Les journalistes sont alors indifférenciés et dépersonnalisés. Ils crient
pour prendre des photos…La presse « ordinaire » est également évoquée par le chef
22
du cabinet du président lorsqu’il imagine un contre-feu, qu’il n’aura d’ailleurs pas
le temps de mettre en place : il imagine de « lâcher » l’ami du président et
d’organiser une fuite sur son dossier auprès de la presse. Mais au delà de cette
presse instrumentalisée, la seule figure de journaliste fouillée est solitaire,
indépendante et « morale ». Le message qui en ressort est que les Etats-Unis sont
certes un pays corrompu, dont le président est le jouet de financiers prêts à
tout…mais ils se rachètent par l’action de héros purs et courageux, dont le
journaliste est, avec la jeunesse vive, curieuse et séduisante, l’emblème le plus
visible.
23
La vie de David Gale
d’Alan Parker ( 2002)
Le film est le récit des trois derniers jours d’un condamné à mort, David
Gale, qui a obtenu l’autorisation de donner à une journaliste, avant son exécution,
trois interviews.
Les interviews se déroulent dans le « couloir de la mort » d’une prison du
Texas ; elles sont grassement rémunérées par le journal et sont réalisées par une
jeune journaliste qui vient elle même de faire quelques jours de prison pour avoir
refusé de révéler l’identité d’un informateur pédophile.
Le condamné à mort est un ancien professeur d’université, brillant
philosophe et militant contre la peine de mort. Il raconte sa vie lors des interviews.
Faussement accusé de viol par une étudiante renvoyée de l’université, abandonné
par sa femme, il a perdu son travail et s’est adonné à l’alcoolisme. Une amie
militante comme lui contre la peine de mort a été retrouvée morte, nue,
menottée, la tête enserrée dans un sac plastique. David Gale est accusé de l’avoir
assassinée. Il demande à la journaliste de croire en son innocence et de réhabiliter
sa mémoire auprès de son fils.
La journaliste, peu à peu convaincue de l’innocence de David Gale, va
s’efforcer de la démontrer, notamment en recherchant une cassette qui prouverait
que la victime s’est suicidée et a maquillé ce suicide en assassinat.
De fait, la fin du film révèle que David Gale lui-même a participé à cette
mise en scène, destinée à montrer que la justice texane condamne à mort des
innocents sans beaucoup d’interrogations. Confronté à une « mort » sociale et
professionnelle tandis que son amie était médicalement condamnée, David Gale a
accepté d’assister à son suicide, de le filmer et d’être exécuté pour un assassinat
qu’il n’a pas commis. Il donne à la journaliste, dans les moments qui précédent
l’exécution, suffisamment d’indices pour que la vérité éclate après sa mort.
Dans ce film médiocre, dont le scénario est mélodramatique et peu
vraisemblable, l’image du journaliste a des aspects à la fois négatifs et positifs:
-
parmi les aspects négatifs, l’on note en premier lieu qu’un journal est prêt à
payer une grosse somme d’argent, en liquide, pour obtenir l’exclusivité
d’une interview d’un assassin violeur qui va mourir quelques heures après ;
personne ne doute alors de sa culpabilité et le crime apparaît comme
particulièrement répugnant. Le rédacteur en chef a quelques états d’âme,
vite balayés par la secrétaire de rédaction qui est partante pour que l’on
évoque « le couloir de la mort, le viol, l’assassinat » ; la presse est donc
avide de sensationnalisme ;
24
-
de plus, la journaliste apparaît, au final, comme manipulée : elle
« fonctionne » exactement comme le veulent les instigateurs de la
manipulation (essentiellement David Gale lui-même). Elle s’indigne, mène
une contre-enquête et apparaît comme affectivement vulnérable. Plus que
journaliste, elle est présentée en tant que personne dont le
professionnalisme s’estompe peu à peu au profit de l’émotion ; a certains
moments, on a d’ailleurs le sentiment que son statut de journaliste est
totalement oublié, en particulier lorsqu’elle pleure après l’exécution ;
-
toujours dans les aspects négatifs, l’on note l’attitude des journalistes au
moment où, juste après l’exécution, ils apprennent l’existence d’une
cassette démontrant l’innocence de David Gale. L’on retrouve alors une
image de journalistes fréquente dans les films américains, à savoir la
« meute » indifférenciée qui poursuit les représentants des autorités des
mêmes questions hurlées. De surcroît, l’on voit successivement plusieurs
journalistes répétant devant la caméra de leur chaîne télévisée des analyses
identiques sur les approximations de la justice et les risques des exécutions
capitales. Les journalistes apparaissent alors comme « suivistes » : ils ne
se posent pas de questions avant que n’éclate un scandale ; ils ne se
mobilisent que lorsque l’opinion publique est interpellée ; ils ne sont qu’un
écho et n’ont pas de capacité d’initiative et de réflexion préalable. En ce
sens, ils apparaissent tous, comme l’héroïne elle-même, aisément
manipulables ;
-
pour autant, le journaliste est également présenté de manière positive :
l’héroïne est d’emblée présentée comme une femme fiable (elle ne donne
pas ses sources à la police et résiste aux pressions), solide, travaillant
solitairement (le stagiaire qu’on lui impose n’est qu’un double un peu fade
qui va l’aider dans son enquête et la soutenir affectivement). Elle est
indifférente à l’argent (la valise de billets destinée à l’avocat ne lui inspire
qu’un commentaire méprisant) et, en revanche, immédiatement sensible
aux aspects humains de l’interview. Enfin, sa conception du journaliste
relève manifestement du journalisme d’investigation. Elle n’hésite pas à
rechercher des preuves malgré sa peur, au point, d’ailleurs, que les
frontières entre le journalisme et l’enquête de police s’estompent : ainsi,
c’est la journaliste qui réalise une reconstitution qui lui permet d’approcher
la vérité. Bien qu’elle soit manipulée, c’est bien elle qui cherche et
découvre la vérité.
25
Révélations
de Michaël Mann (1999)
Le film a deux héros.
Le premier est le producteur d’une émission célèbre intitulée « sixty
minutes » auquel Al Pacino prête son image à la fois solide, réfléchie et sensible.
Ce producteur réalise des enquêtes politiques (le début du film le montre en Iran
préparant l’interview d’un ayatollah sans doute proche de milieux terroristes) mais
aborde également des sujets de société. Il prépare une émission sur les produits
inflammables et recherche un professionnel capable d’interpréter pour lui des
dossiers techniques. Un ami va l’orienter vers un scientifique qui a travaillé pour
une firme qui vend des cigarettes.
Le second héros est ce scientifique. Il vient d’être licencié et apparaît
secret, tourmenté, inquiet pour ses filles dont l’une est asthmatique, ayant des
relations compliquées avec son épouse, qui craint de perdre son confort matériel
du fait de son licenciement.
La rencontre entre les deux héros est tendue et difficile : le producteur
devine que le scientifique est porteur d’un secret important et cherche à
provoquer ses confidences. Le scientifique a peur, d’autant plus qu’il subit les
menaces de son ancien employeur qui lui rappelle la clause de confidentialité qui
l’oblige à garder le silence sur ses activités dans la firme.
Le producteur souhaite démontrer que les PDG des sept firmes de tabac, qui
ont fait le serment devant une commission du congrès que le tabac n’avait pas
d’effet nocif, se sont parjurés.
En dépit des menaces subies ou peut-être à cause d’elles, le scientifique se
décidera à accepter de témoigner devant un procureur puis à être interviewé. Il
révélera alors que le tabac agit comme une drogue et que certains ajouts, en
particulier l’ammoniaque, accentuent ses effets sur le cerveau. Ces révélations,
qui apparaissent au spectateur actuel comme un secret de polichinelle, semblent
en l’occurrence avoir beaucoup de prix et, dès lors, le témoin et sa famille
bénéficient d’une protection.
Ensuite, tout se gâte. La chaîne subit des pressions et décide de ne pas
diffuser l’interview. La presse reçoit un dossier sur le passé personnel du
scientifique, contenant des éléments qui décrédibilisent son témoignage. Sa femme
le quitte. Il se retrouve seul, menacé de perdre le modeste emploi d’enseignant
qu’il a retrouvé.
Le producteur se bat contre cette adversité. Il effectue une contre-enquête
qui permet de rétablir la vérité sur le scientifique. Il organise des fuites pour que la
26
chaîne qui l’emploie soit contrainte de diffuser l’interview. Au final, la vérité
éclate et le scientifique est réhabilité.
Dans ce film, le journaliste présente les caractéristiques suivantes :
-
il a une haute idée de sa mission ; il se présente comme traitant toujours
de dossiers sensibles ; d’abord face au scientifique puis aux responsables de
la chaîne, il s’appuie sur des arguments moraux : il n’est pas possible de se
taire dès lors qu’il s’agit d’un problème de santé publique . Il faut diffuser
l’interview si l’intérêt public est en jeu. De même, le journaliste entend
respecter ses engagements. Puisque le scientifique a eu confiance en lui et
accepté de révéler ce qu’il sait, il lui faut le défendre et rétablir sa
réputation. Il est vrai qu’à la fin, le journaliste trahit sa chaîne. Mais chacun
comprend qu’il est mû par des motivations supérieures. Le journaliste est
donc idéaliste, fiable et solide ;
-
le journaliste reste humain ; il sait prendre le temps d’écouter le
scientifique, de le comprendre, il trouve les mots et les gestes qui le
touchent. Il accepte ses hésitations (« ce sont des gens ordinaires soumis à
une pression extraordinaire » dit-il) et respecte sa liberté de décision, sans
le contraindre. Lui-même est un être sensible, qui a une vie personnelle,
aime sa femme et en est aimé, est capable de compassion ;
-
le journaliste est puissant et dispose de moyens non limités. Il organise la
protection du scientifique. Il a des accointances avec des représentants de
la justice qui cherchent à découvrir la vérité. Il demande des comptes aux
responsables de la police lorsque des policiers se sont montrés menaçants ;
surtout, il sait exercer des pressions sur des confrères journalistes pour
qu’ils retardent la publication d’un dossier compromettant et sait les
convaincre que la vérité va éclater ;
-
le journaliste est déterminé et courageux, au point de parvenir à renverser
le cours des choses au moment même où la situation semble désespérée ;
-
le journaliste, pendant toute une partie du film, n’est pas seul. Le
journaliste vedette qui présente l’émission est son ami et complice ; les
décisions sont prises avec l’équipe, dans une atmosphère détendue ;
cependant, cette amitié sera rompue lorsque les responsables de la chaîne
décideront de céder à des pressions de nature économique. Le héros se
retrouvera seul à se battre pour imposer la vérité. A la fin, il démissionnera
pour témoigner de l’impossibilité de retrouver la solidarité de départ avec
ses collègues ;
-
la presse est soumise aux mêmes pressions économiques que les autres
entreprises. La chaîne CBS News a accepté l’anti-conformisme de l’émission
tant que celle-ci apportait de l’audience sans représenter une gêne pour ses
intérêts ; dès que cette situation évolue, la chaîne sacrifie son indépendance
sans état d’âme ;
27
-
le héros reste un journaliste exceptionnel : les autres ne sont pas
présentés sous un jour très favorable ; comme on l’a vu, les collègues du
producteur le lâchent à la première difficulté. Les journalistes des autres
médias ne se laissent convaincre de retarder la parution d’un dossier
fallacieux que lorsqu’ils sentent que le vent tourne. Ils ont tous alors la
même attitude et dénoncent tous une réalité qu’ils auraient pu voir bien
avant. Le journaliste combatif et épris de vérité reste un être d’exception.
28
Le quatrième pouvoir
de Serge Leroy (1985)
Le film, qui se passe dans les sphères proches du pouvoir d’Etat, raconte une
histoire politique quelque peu rocambolesque. Une rencontre secrète a eu lieu
entre le premier ministre français et le chef des rebelles d’un pays africain ; ce
leader est ensuite assassiné, avec l’évidente complicité d’un malfrat évadé de
prison qui a obtenu un passeport lui permettant de fuir le pays comme prix de sa
collaboration. Ce malfrat sera lui-même assassiné à Damas après sa fuite.
Dès le début, deux journalistes se trouvent étroitement mêlés à cet
imbroglio. Le premier, Dorget, journaliste de presse écrite, a été pris en otage par
le malfrat lorsqu’il s’est évadé de sa prison. Lorsqu’il comprend que le malfrat est
mêlé à une affaire d’Etat, Dorget le retrouve pour l’interviewer. Il sera emprisonné
pour avoir refusé de diffuser ses sources et de dénoncer la cachette du malfrat. La
seconde, présentatrice célèbre du journal télévisé, a connaissance de la rencontre
secrète entre le premier ministre et le rebelle africain, qui a été filmée ; elle
diffuse la cassette à l’antenne pour « faire un coup » journalistique. Les deux
journalistes se connaissent bien (ils ont été amants, ils ont rompu, ils se sépareront
à nouveau à la fin du film après un espoir de retrouvailles) : le film se veut aussi le
récit d’une histoire sentimentale impossible entre deux êtres qui n’ont pas grand
chose de commun.
Le film de Serge Leroy est un condensé de tous les clichés possibles sur le
pouvoir et sur la presse, clichés qu’il traite de façon claire mais simpliste :
-
la presse écrite est opposée de manière caricaturale à la presse télévisée. La
première est incarnée par Philippe Noiret, qui représente un journaliste
intègre, réfléchi, un peu ironique et revenu de la vie, que l’on découvre
cependant attaché à une déontologie scrupuleuse. Il habite une jolie maison
un peu vieillotte noyée de verdure, fume la pipe et porte des costumes de
velours. La presse télévisuelle est, quant à elle, représentée par Nicole
Garcia, femme jeune, très jolie, « lancée », moderne et raffinée, obsédée
par sa carrière et par la réussite sociale et capable de tout pour
« parvenir ». Le premier n’est connu que de la profession ; on arrête la
deuxième constamment dans la rue pour lui demander des autographes. Le
journaliste de télévision est présenté comme une vedette et se comporte
comme une star. Il réussit parce qu’il aime la compétition, pense
constamment à son travail et a réussi à dominer ses rivaux. Le journaliste de
la presse écrite vit comme tout le monde, déteste les enjeux de pouvoir et
est capable de résistance, au prix de sa liberté ;
-
les patrons de ces journalistes relèvent de la même caricature.
29
Le patron de presse écrite est opportuniste et avide de sensationnalisme
facile : le soir où le malfrat prend son journaliste en otage, lequel a dicté un
article par téléphone, il titre « Les derniers mots de Dorget » ; il commente lors de
la prise d’otages « ça tombe bien, on n’avait rien » ; gouailleur, un peu canaille ,
l’œil fixé sur les chiffres de vente (« on a fait 35 000 sur « Paris-surface »), il n’en
reste pas moins sympathique et proche de ses journalistes ; il discute avec son
équipe lorsque Dorget est emprisonné ; il le soutient, est solidaire, tout en
cherchant à le tirer d’affaires en faisant jouer ses relations ; en tout cas il ne
cherche pas à le censurer ni à l’empêcher de faire son métier. Ses relations avec le
pouvoir sont clairement montrées (il décroche son téléphone pour appeler le
ministre quand Dorget est emprisonné) mais ne semblent pas l’amener à des
compromissions.
A l’inverse, le patron de la chaîne télévisée est manifestement servile, aux
ordres, et doit sa carrière aux politiques. Le soir où le ministre est interviewé par
la présentatrice, celle-ci cherche à le mettre en difficulté sur ses éventuelles
relations avec le parti des rebelles africains. L’insistance de la journaliste agace le
ministre, qui converse ensuite avec le patron de la chaîne en lui demandant si « le
succès ne monte pas trop à la tête [de la journaliste] ». « Il faut la tenir, mais je la
tiens » dit le patron, suffisant et flagorneur. Lorsque la journaliste reçoit la
cassette compromettante contenant les images de la rencontre clandestine, elle la
montre à son patron, qui cherche à la reprendre puis prévient le premier ministre.
Enfin, lorsque la cassette passe au journal, le président de la chaîne rentre chez
lui, furieux, en disant à sa femme qu’il n’a plus qu’à rechercher du travail.
L’indépendance de la presse écrite est ainsi opposée à l’obéissance de la presse
télévisée, dont les responsables dépendent étroitement du pouvoir et ne semblent
pas être eux-mêmes journalistes ni en partager la déontologie.
-
les rapports avec le pouvoir des journalistes pris individuellement sont euxmêmes très différents selon qu’il s’agit de la presse écrite ou de la presse
télévisuelle. Dorget ignore le pouvoir et se comporte comme un chien de
chasse qui doit démêler une intrigue. Il mène son enquête et sait qu’il devra
en payer le prix par un emprisonnement qu’il espère court. Il s’y résigne :
« je le prends comme un épisode de la vieille lutte entre le pouvoir et la
presse », dit-il, parlant de son emprisonnement.
La journaliste télévisuelle, quant à elle, joue de rapports de séduction
ambigus : elle lutte à fleurets mouchetés avec le ministre lors de l’interview,
déjeune en tête-à-tête avec lui et accepte avec le sourire des menaces légères
(« votre président [de chaîne] est en fin de mandat, je crois »), reconnaît, sans
s’en offusquer, que l’équipe a été priée de ne pas parler de l’emprisonnement de
Dorget. Sa célébrité et son talent tiennent à un équilibre subtil entre une forme
d’impertinence (elle est incisive dans ses interviews) et la soumission à des règles
du jeu moins avouables. Sa révolte (« tu es vieux ») dira-t-elle à son patron qui
cherche à l’empêcher de diffuser la cassette, sera brève. A la fin du film, elle
renonce à toute dignité : je ferai n’importe quoi pour retrouver ma place, dit-elle.
Elle fera, de fait, amende honorable, mentant ouvertement pour redevenir vedette
de la chaîne et renonçant à dénoncer la vérité.
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Le film présente ainsi le pouvoir comme machiavélique et tout-puissant, sans
morale ni parole, asservissant une partie de la presse (la seule qui compte
vraiment, celle qui est célèbre) tentée de le contester mais qui, trop proche de lui
et trop avide de réussite sociale, n’assume pas ce rôle. La conception du pouvoir
politique, l’insistance sur la servilité de la télévision, longtemps évidente en
France, en font sans doute un film un peu daté, très « mitterrandien ». Dans sa
caricature, il est néanmoins révélateur des idées admises (et pour partie exactes)
sur les relations presse/pouvoir et sur l’évolution de la déontologie journalistique,
dans un contexte où la presse écrite, attachée aux valeurs traditionnelles, voit son
rôle diminuer .
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Minuit dans le jardin du bien et du mal
de Clint Eastwood (1997)
John Kelso, journaliste, arrive à Savannah, ville du sud des Etats-Unis, pour
« couvrir » la réception de Noël d’un riche amateur d’art, Jim Williams. Celui-ci
sera inculpé le lendemain pour le meurtre de son amant. Kelso reste à Savannah
pour aider Jim Williams à se défendre et suivre le procès, avec l’intention d’écrire
un livre.
Le thème principal du film n’est pas le journalisme, même si un des deux
personnages principaux est censé exercer ce métier. L’intérêt du film est de
montrer la réaction d’une ville du sud, apparemment fantaisiste, libre et gaie, face
à une relation homosexuelle entre un riche amateur d’art et un gigolo violent et
drogué. Au final, le film redresse quelque peu les idées reçues : l’amateur d’art
sera acquitté alors que c’est bien lui qui a tué son amant qui ne le menaçait pas. Il
mourra d’une crise cardiaque à la place même où il a assassiné celui qu’il aimait,
en le retrouvant.
Le journaliste est, en l’occurrence, un personnage constamment présent
mais le film ne s’attache pas à ses états d’âme. Il n’a pas d’ailleurs une
personnalité très remarquable : il est surtout témoin et l’on ne sait trop s’il est là
en tant que journaliste ou qu’écrivain. Reporteur envoyé à Savannah pour couvrir
un événement mondain, il s’aperçoit que Jim Williams l’a en fait choisi
personnellement (les responsables du journal ont accepté ce choix) car il a écrit un
premier livre. Séduit par la ville et par la personnalité attachante de Jim Williams,
il reste pour en écrire un second sur l’assassinat et le procès. Il va avant tout
regarder l’aventure d’un autre et y participer : il n’est pas au premier plan, ce
n’est pas lui le héros.
Témoin, le journaliste est aussi acteur du drame : c’est lui qui retrouve un
travesti ami du gigolo assassiné, ce qui va permettre d’éclairer la personnalité de
ce dernier. C’est également lui qui va retrouver le témoin-clef (une infirmière de
l’hôpital), capable de relater la négligence des policiers qui n’ont pas protégé les
mains du mort, ce qui fait que l’absence de traces de poudre ne prouve plus rien.
C’est donc grâce à lui et à une sorte de contre-enquête que le riche amateur d’art
sera (indûment…) acquitté. Cependant, en réalité, il pourrait aussi bien être
avocat…ou simple ami personnel de l’accusé. Il témoigne certes de son
attachement à des valeurs de liberté (« ils vont le lyncher pour sa sexualité ») et
endosse le rôle de redresseur de torts. Mais il agit aussi par amitié pour un individu
séduisant et attachant. En réalité, de ce fait, il oublie peu à peu qu’il est
journaliste. Une femme le lui fait d’ailleurs remarquer, soulignant qu’il se
comporte comme un avocat et qu’il a peu à peu mis de côté son objectivité. Son
reportage, si tant est qu’il y en ait un, est d’ailleurs de parti-pris. Malgré la
présence de thèmes souvent utilisés dans les histoires concernant les journalistes
(la contre-enquête, le reportage « impliquant »), l’évocation du métier de
journaliste est assez peu visible.
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Tant parce que le héros n’exerce pas vraiment son métier (il écrit un livre)
que parce qu’il ne revendique pas ce statut professionnel, il est donc difficile de
voir dans ce film une véritable vision du journalisme. Toutefois, le rapprochement
entre le métier exercé par le héros et son comportement tout au long du film laisse
entrevoir une conception plutôt sympathique des journalistes : ouvert, curieux,
capable de partager avec sympathie une aventure humaine et de dialoguer avec
sincérité avec des personnages atypiques attachants, le journaliste-écrivain montre
qu’il est capable de fraternité et d’anticonformisme. Certes, il est berné comme
les autres et sa recherche de la vérité, succès apparent, est en réalité un échec.
Mais il a au moins témoigné de son humanité…
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Scream 2
de Wes Craven (1997)
Le film raconte l'histoire d'un groupe d'étudiants confrontés à une série de
meurtres violents similaires à ceux qu'ils ont vécu quelques années plus tôt. Cette
série de meurtres sera couverte par les médias et notamment la journaliste Gale
Weathers (Courtney Cox), déjà présente dans le premier opus de cette trilogie. On
retrouve également la plupart des personnages ayant survécu au premier carnage,
tous originaires de la petite ville de Woodsboro.
On apprend au début du film que cette journaliste a écrit un livre sur les
meurtres précédents dont est inspiré un film dans le film. Au cours de l'avantpremière, un couple se fait tuer dans le cinéma, ce qui sera le point de départ de
la nouvelle intrigue. La journaliste n'apparaît pour le moment qu'en filigrane et
seuls les connaisseurs du premier volet peuvent repérer son nom qui n'est cité que
deux fois.
Rapidement, le film se tourne vers les personnages du premier film et sur
leur entourage. Dès le lendemain, l'héroïne (Sidney Prescott interprétée par Neve
Campbell) se fait assaillir à la sortie de son immeuble par un groupe de journalistes
qui la bombardent de questions. La scène suivante est une conférence de presse de
la police où Gale Weathers fait pour la première fois son apparition à l'image. On y
découvre une journaliste aux dents longues, avide, qui jubile de la publicité que
vont apporter les meurtres du cinéma. Lors de la conférence, elle n'hésite pas à
couper la parole à l'orateur pour lui poser ses questions. A cet effet, on remarque
qu'elle se présente comme l'auteur d'un livre et non comme une journaliste. Les
autres journalistes ne font que la suivre, lui tendent le micro et l'interrogent elle
plutôt que les autorités. C'est une attitude qui continuera jusqu'au dénouement du
film.
Autant les journalistes ont l'air d'avoir une sorte d'admiration devant elle,
autant Sidney et ses compagnons l'ont en horreur. Gale se fait même frapper par
cette dernière (suite à une manipulation) et lancera après coup à son cameraman :
"Si tu veux durer dans ce métier, laisse ta conscience au vestiaire. On n'est pas
payé pour se faire aimer." Mais même si elle apparaît cynique et manipulatrice, on
lui découvre également une autre facette quand resurgit Dwight, un policier
simplet qui intervenait déjà dans le premier Scream.
On remarque que peu à peu, Gale Weathers prend de plus en plus
d'importance tout au long du film. Sans que l'on sache réellement comment, elle a
ses entrées dans le commissariat de la ville et aide les policiers à trouver la logique
des meurtres. D'enquêtrice, elle devient ensuite témoin lorsqu'un étudiant se fait
tuer dans sa camionnette. Puis, suite à son enquête, elle se retrouve en position de
victime avec le tueur à ses trousses. Elle deviendra finalement protagoniste de
l'histoire, participant à l'exécution du meurtrier dans la scène finale.
On peut voir dans ce film deux représentation du journalisme :
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- Un journalisme arriviste, vénal, qui n'aspire qu'à l'argent et la célébrité.
Gale Weathers est une investigatrice qui manipule ses témoins dans le seul but de
faire plus d'audience. Elle n'est soumise à aucune contrainte rédactionnelle ni à
aucun contrôle. Elle travaille seule, à l'exception de son cameraman qui n'est que
son bras armé. Néanmoins, elle a conscience que le succès n'arrive pas seul et
participe activement à la recherche des meurtriers. Mais de peur de laisser passer
un scoop, elle s'investit tellement dans l'enquête qu'elle finit par en faire partie, au
même titre que les victimes. Elle n'a aucun idéal de justice ou de vérité, mais sait
que c'est en découvrant la vérité qu'elle deviendra célèbre. Tout cela est
néanmoins atténué par l'affection qu'elle à pour Dwight, personnage victime et un
peu simplet (représentant donc une forme de pureté par rapport au monde de
Gale).
- Un journalisme suiveur, sans ambition, en groupe. Les différentes "meutes"
de journalistes que l'on peut observer au long d'une film ne font preuve d'aucune
inventivité, posent les mêmes questions en même temps. Ils interrogent d'ailleurs
Gale plutôt que les policiers pour avoir son opinion sur l'avancement de l'enquête,
sur l'identité des coupables. De par leurs méthodes de recopie, ils représentent
l'anti-Gale qui ose s'affirmer et possède une véritable hargne dans la poursuite de
ses enquêtes. Mais on sent qu'ils ont probablement le même appétit pour la
célébrité que cette dernière.
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Batman
de Tim Burton (1989)
Le film n’est pas un film sur le journalisme, même si un des personnages
principaux est reporter-photographe. Le thème du film est la lutte du bien contre
le mal, la revanche d’un riche héritier sur l’assassin de ses parents, incarnation
diabolique et démente de la cruauté. Au second plan se déroule l’histoire d’amour
entre le héros (qui se transforme de temps en temps en « Batman », immense
chauve-souris pour punir les méchants) et une photographe, qui découvrira son
passé et son identité et sans doute partagera sa vie une fois la vengeance achevée.
La première scène du film relate l’assassinat de deux bourgeois qui se sont
perdus dans les quartiers inquiétants d’une ville. Celle-ci est tenue par une sorte
de syndicat du crime. La criminalité règne, la police est corrompue. La ville
connaît des événements inexplicables, avec l’intervention d’un justicier, Batman,
immense chauve-souris qui punit les criminels et dispose d’une force
impressionnante.
Un homme de main du syndicat va assassiner le « boss » du syndicat, parce
que celui-ci, par jalousie, l’a attiré dans un guet-apens pour le tuer. Le bandit,
devenu une sorte de clown cynique et cruel, va prendre le pouvoir, terroriser la
ville avec ses sbires, et engager avec « Batman », responsable de sa défiguration
par l’acide, une sorte de duel personnel qui se terminera par sa défaite et par sa
mort. Le film a des aspects réalistes et, en même temps, il ressemble à une bande
dessinée : la ville est inquiétante, toujours montrée de nuit, les personnages sont
grimées et composent d’étranges ballets, Batman est un héros magique à
l’équipement supra-humain.
Le journalisme accompagne cependant l’histoire de bout en bout et il est
abordé de manière plus réaliste que le reste.
Deux personnages de journalistes dominent.
Le premier écrit des articles au « Globe », journal de la ville, et enquête sur
Batman. On le voit discuter avec un policier corrompu. Le dialogue est alors
gouailleur et agressif (Aux mots du policier : « ta feuille de chou », « t’es qu’un
petit merdeux », répond du tac au tac la réponse du journaliste « est-ce que la
chauve-souris est payée par la police ? »). Le journaliste est présenté comme le
« fouineur » curieux, à qui on le fait pas, capable de tenir tête à l’autorité. On voit
aussi le journaliste dans la salle de rédaction du journal, bruyante et active, où le
ton est à la fraternité un peu canaille (« ça sent le prix Pulitzer ici »). Le
journaliste est rapide, il trouve l’information (c’est lui qui découvre que les
parents du héros ont été assassinés), il est réactif : c’est à lui que l’on s’adresse
pour faire passer une information rapide sur la cause des empoisonnements
toxiques dont souffre la ville, la seule question qu’il pose est alors « c’est un
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scoop ? » et la réponse : « c’est un super-scoop » lui suffit. Pour autant, malgré sa
force et ses qualités, notamment son souci d’honnêteté, ce journaliste n’est pas un
héros : c’est un homme ordinaire, un peu vulgaire, il a un crayon sur l’oreille, est
souvent en bras de chemise, tutoie tout le monde, ses plaisanteries sont un peu
niaises. Le bandit qui le voit en photo dit d’ailleurs : « il a une cravate de
péquenot, aucune classe…). De fait, c’est un personnage sans séduction ni mystère,
attiré par sa superbe collègue mais qui n’arrivera jamais à en obtenir qu’un baiser
amical sur la joue.
Le second personnage de journaliste est la photographe, très belle jeune
femme blonde, qui vient enquêter sur Batman.
Le personnage est ambivalent : c’est à la fois une séductrice superbe et un
reporter courageux présenté comme une « baroudeuse », qui a rapporté des photos
de la guerre à « Corto Maltèse ». Le film joue bien sûr sur cette ambivalence de
femme à la fois très féminine et très professionnelle, prête à tomber amoureuse et
gardant tout son sang-froid (elle prend des photos de Batman au combat alors
qu’ils sont tous deux en danger). Pourtant, elle a plutôt moins d’épaisseur que son
collègue et son personnage de séductrice domine puisqu’elle est à la fois désirée
par Batman et par le bandit qui veulent tous deux se l'approprier.
Au-delà de ces deux personnages, les journalistes sont présents sous d’autres
formes : les élus de la ville et les responsables du syndicat du crime font devant
eux des conférences de presse. Les maffieux sont d’ailleurs l’objet d’apostrophes
vigoureuses (« vous avez été tous les deux dans la même prison étant jeunes ? »),
montrant ainsi que la presse n’a pas froid aux yeux. Par ailleurs, la presse télévisée
est présente, essentiellement pour répercuter les nouvelles : on voit ainsi les
voitures du journal télévisées se ruer sur l’événement ou un présentateur de
télévision relatant la cause des empoisonnements dont souffre la ville. « Donnez le
aux médias » dit d’ailleurs Batman à la photographe, comme si elle-même ne
relevait pas de cette entité et comme si les médias n’étaient qu’un outil de
circulation de l’information.
En conclusion, le journaliste présente dans ce film les caractéristiques suivantes :
-
des personnages de journalistes isolés, qui travaillent pour la presse écrite,
sont vus comme des héros directs et leurs qualités (courage, franchise,
esprit d’entreprise, lucidité) sont mises en valeur ; on voit parfois leurs
collègues, on voit que ces journalistes appartiennent à une collectivité mais
ils se comportent comme des indépendants qui décident eux-mêmes de leurs
enquêtes et de leur emploi du temps ; à côté, on devine d’autres
journalistes de presse télévisée, qui se comportent davantage comme des
hauts-parleurs avides de suivre l’événement mais qui ne sont pas acteurs
comme les précédents ;
-
les « vrais » journalistes sont impertinents, vifs, du côté du bien et opposés
aux méchants ; ils n’hésitent pas à payer de leur personne. Ils cherchent
l’information et enquêtent personnellement, parfois dans des conditions
dangereuses. Cependant, deux modèles différents s’opposent : le
personnage féminin, d’autant plus désirable qu’elle se présente comme une
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baroudeuse, est finalement plus femme que journaliste : sa profession
s’efface au profit de son histoire personnelle. Le journaliste du « Globe »,
quant à lui, reste uniquement journaliste et garde un côté populaire et
gouailleur, très « années 30 ». Il est le seul à avoir des principes et des
réflexes journalistiques (« n’en fais pas une affaire personnelle » dit-il à sa
collègue) et le seul à avoir pour le spectateur une certaine crédibilité
professionnelle. Il est bien sûr tout à la fois humain et gouailleur, honnête et
cynique, écrivant des articles de qualité et avide de sensationnalisme…
-
Le journaliste est présenté dans quelques décors typiques, que l’on
reconnaît rapidement : la salle de presse, vaste et bruyante, où les
journalistes semblent bavarder mais en réalité travaillent, où ils reçoivent
les coups de fil déterminants pour leur enquête : là aussi, la référence aux
années 30 est visible. Le second décor est le bas d’escaliers où se tiennent
des responsables faisant une conférence de presse. Les micros se tendent,
les questions fusent… Enfin, quelques journalistes télévisés sont vus dans
l’encadrement du poste, comme s’il s’agissait là d’une information lointaine
et impersonnelle. Le film accepte ainsi (c’est un de ses charmes) de recourir
à des présentations conventionnelles, sorte de clin d’œil au spectateur qui,
en réalité, sait qu’il regarde moins un film qu’une bande dessinée, y compris
en ce qui concerne la vision du journalisme.
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