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Passation Vie des contrats
Référé suspension, urgence et
violation du délai de « stand still »
■ Par une ordonnance récente, le juge des référés du tribunal administratif de
Rennes a jugé que la violation du délai imposé par l’article 80 du code des
marchés publics entre l’information des candidats évincés et la signature du
contrat – et la méconnaissance subséquente de leur droit à exercer un référé
précontractuel –, ne constituaient pas une situation d’urgence susceptible de
justifier la suspension de l’exécution du contrat. Il confirme, par ailleurs, que
cette urgence n’est pas plus avérée par la seule perte d’un chiffre d’affaires,
même conséquent.
■ Cette décision, de même que celles rendues récemment sur le fondement de
l’article L. 521-1 du code de justice administrative, s’inscrivent dans la droite
ligne de la jurisprudence administrative réduisant à portion congrue les cas de
suspension de l’exécution de marchés publics.
Auteur
Hervé Letellier, avocat associé, SELARL
Symchowicz-Weissberg
Référence
TA Rennes, ord., 7 octobre 2009, Société
Beauvais Diffusion c/Brest Métropole Habitat,
nos 0903988 et 0903991
Mots clés
Référé précontractuel • Conditions •
Délai • Urgence • Signature du contrat
• Droit de recours • Suspension de
l’exécution • Cas • Intérêt personnel •
Intérêt public •
Extrait
TA Rennes, ord., 7 octobre 2009, Société Beauvais Diffusion
c/Brest Métropole Habitat, nos 0903988 et 0903991
« Considérant que l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte
administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment
grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts
qu’il entend défendre ; qu’il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement,
compte tenu des justifications fournies par le demandeur, si les effets de l’acte
litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le
jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue ;
Considérant qu’à l’appui de leur demande de suspension de l’exécution du marché
litigieux, les sociétés requérantes soutiennent, pour justifier de l’urgence, que
la méconnaissance par Brest Métropole Habitat du délai de dix jours prévu par
l’article 80 du code des marchés publics entre la date à laquelle la décision de
rejet de leur offre leur a été notifiée et la date de signature du marché a eu pour
effet de porter atteinte à l’effectivité du référé précontractuel et plus généralement
aux contrôles juridictionnels sur les marchés publics ; que toutefois, la signature
prématurée dudit marché, alors même qu’elle serait illégale eu égard à la nature du
marché en cause, dont il résulte de l’instruction, notamment de l’avis d’attribution,
qu’elle est intervenue le 9 juillet, avant même que le juge des référés n’enjoigne à
Brest Métropole Habitat de la différer, ne suffit pas à elle seule à porter à l’intérêt
public qui s’attache à l’effectivité du référé précontractuel, une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une situation d’urgence au sens des
dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. »
Contrats Publics – n° 95 - janvier 2010
Q
uelle conclusion devait tirer le juge du référé suspension en présence d’une méconnaissance, par le pouvoir
adjudicateur, du délai de 10 jours posé par l’article 80
du code des marchés publics (dans sa version en vigueur avant
le décret « Recours » du 27 novembre dernier), ayant conduit le
juge de l’article L. 551-1 du CJA à constater, quelques semaines plus tôt, l’irrecevabilité du référé précontractuel intenté
par deux candidats évincés ? Devait-il en conclure, comme l’y
invitaient les requérants, que le vice constaté constituait une
atteinte telle à leur droit au recours effectif qu’il révélait, non
seulement un doute sérieux quant à la régularité du contrat,
mais aussi une situation d’urgence avérée (appuyée par ailleurs
par la perte du chiffre d’affaires afférent au marché) ou, au
contraire, comme le soutenait la collectivité, s’en tenir à une
interprétation restrictive de la notion d’urgence ? C’est à ces
questions qu’a dû principalement répondre le juge des référés
du tribunal administratif de Rennes dans une ordonnance du
7 octobre 2009.
Rappelons brièvement les faits de l’espèce. Évincés par décision
notifiée le 1er juillet 2009 d’un marché portant sur la fourniture
et la pose de conteneurs enterrés pour la collecte sélective des
ordures ménagères sur le territoire de l’EPCI Brest Métropole
Habitat, deux candidats ont décidé de saisir, dans le délai réglementaire de 10 jours (soit le 9 juillet 2009), le juge du référé
précontractuel d’une demande d’annulation de la procédure.
Dans la foulée, le 10 juillet, le magistrat délégué du tribunal
prenait une injonction de différer la signature du marché.
Toutefois, la veille de l’audience, le 21 juillet 2009, la collectivité
indiquait que le contrat avait été signé le 9 juillet 2009, soit huit
jours seulement après la notification du courrier d’éviction.
Naturellement, le juge du référé ne pouvait alors que conclure
à l’irrecevabilité des actions engagées. Considérant qu’en procédant de la sorte la collectivité les avait privés de leur droit à
recours en interdisant au juge du référé précontractuel d’apprécier la pertinence des arguments avancés (tenant notamment
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Vie des contrats Passation
à l’absence d’un avis de publicité communautaire, à l’inversion
des critères de choix ou encore à la violation du principe de
transparence), les deux candidats évincés ont alors introduit un
recours contre le contrat et exercé, parallèlement, un référé suspension, conformément aux possibilités contentieuses offertes
par la désormais célèbre décision Tropic travaux signalisation(1).
Par la décision commentée, le juge rejette toutefois la demande
présentée au motif que l’urgence n’était pas avérée faute, d’une
part, de conséquences significatives sur la situation financière
des entreprises et, d’autre part – c’est là le point le plus notable
–, d’atteinte suffisamment grave et immédiate à l’intérêt public
qui s’attache à l’effectivité du référé précontractuel.
L’occasion est ainsi donnée de revenir, après avoir brièvement
évoqué les conditions de mise en œuvre du référé suspension
(I), sur l’interprétation pour le moins restrictive donnée par le
juge, en matière contractuelle, de la notion d’urgence, aussi bien
appréhendée sous l’angle de l’intérêt personnel du requérant
(II) que sous celui de l’intérêt public lésé (III).
I. Référé suspension et démonstration
de l’existence d’une urgence
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Depuis la jurisprudence Tropic travaux signalisation précitée,
considérant le contrat administratif comme une décision comme
une autre, le candidat évincé d’une procédure de dévolution
peut désormais former, parallèlement à son recours au fond,
un référé visant à obtenir la suspension du contrat sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA. Cela supposera, dans la
mesure où la charge de la preuve lui incombe(2), qu’il puisse
démontrer l’existence, tout à la fois, d’une situation d’urgence et
d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité
de la décision.
La suspension du contrat, et c’est là l’une des causes, résultant
de la formulation même du CJA, du caractère rarissime des décisions favorables, ne pourra ainsi être accordée que si ces deux
conditions cumulatives tenant à l’urgence et au doute sérieux
sont réunies, l’existence de l’une n’emportant pas, en principe,
la réalisation de l’autre. Pour le dire autrement, la condition du
doute sérieux, du moins dans l’esprit du législateur, ne prévaut
ni n’englobe l’urgence, laquelle s’apprécie, indépendamment
de la légalité de l’acte attaqué, en fonction d’éléments qui lui
sont propres portant notamment sur l’immédiateté du préjudice
subi, sur son caractère direct ou encore sur son ampleur, qui
doit être suffisamment importante. Concrètement, ce n’est donc
pas parce qu’une décision serait susceptible d’être illégale, voire
même serait entachée d’une irrégularité flagrante et manifeste,
qu’elle créerait de facto également une situation d’urgence au
sens de l’article L.521-1.
C’est en ce sens que peuvent être interprétées certaines décisions
actant, par des considérants de principe, que la violation du code
des marchés publics, si elle révèle un doute sur la régularité de
la décision, ne suffit pas, à elle seule, à caractériser l’urgence et à
(1) CE ass. 16 juillet 2007, Sté Tropic travaux signalisation, n° 291545 :
RFDA, p. 696, concl. D. Casas.
(2) TA Versailles, ord., 19 mars 2008, Sté CRC SA et Sté Clichy-Dépannage,
n° 0801326 — TA Versailles, ord., 15 octobre 2007, Sté Bruno Kern Avocats,
n° 0709671.
conduire au prononcé de la suspension de l’exécution du contrat
litigieux(3). Ainsi, à supposer que la requête présente une certaine
pertinence et que le demandeur à un référé suspension puisse
être en mesure de démontrer l’existence d’un doute sérieux
de nature à remettre en cause la régularité du contrat conclu,
le débat se focalisera en définitive quasi essentiellement sur
la seule problématique de l’urgence. Sur ce plan, le requérant
disposera d’une alternative, ou du moins d’un double angle
d’attaque, puisque l’urgence pourra être démontrée, éléments
cette fois alternatifs, en fonction du préjudice causé, ou bien
à sa situation personnelle, ou bien à l’intérêt public en jeu. En
effet, selon la formule jurisprudentielle couramment utilisée, la
condition d’urgence est satisfaite « lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et
immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux
intérêts qu’il entend défendre »(4).
Il ne faudrait pas pour autant en déduire, du moins en l’état de la
jurisprudence, une extension des possibilités offertes au requérant d’obtenir la suspension d’un contrat dans la mesure où les
magistrats, dont on sait qu’ils ne sont pas tenus de prononcer la
suspension d’une décision même si les conditions posées par
le texte sont réunies, retiennent une conception doublement
restrictive de l’urgence, tout à la fois sous l’angle de l’intérêt
personnel et sous celui de l’intérêt public. La décision commentée ne déroge pas à cette interprétation jurisprudentielle.
II. Urgence liée à la situation personnelle
et atteinte à la pérennité de la structure
Traditionnellement, l’appréciation jurisprudentielle de ce volet
de l’urgence est réalisée en fonction de deux éléments tenant,
principalement, aux conséquences concrètes de la décision
sur la situation du requérant(5) et, plus subsidiairement, à son
comportement (par ex. le fait d’avoir omis d’exercer les voies
de droit utiles ayant déjà été relevé pour réfuter l’urgence(6)).
Il en résulte une interprétation particulièrement restrictive, le
juge du référé n’admettant concrètement l’urgence liée à la
situation personnelle du candidat évincé que dans le cas où les
difficultés économiques rencontrées remettraient en cause la
survie même de la structure.
Les tribunaux administratifs ayant eu à connaître de telles
demandes ont en effet considéré – preuve de leur réticence – que
la perte d’un contrat, quand bien même se traduirait-elle par
(3) En ce sens, voir. par exemple TA Toulouse, ord., 16 juin 2009, n° 09-02577,
Sté Lign’Expo : Contrats marchés publ., n° 10, octobre 2009, comm. 340 — TA
paris 30 mai 2009, Cimade et a., nos 098086 et 098232 note Gabard et Drain,
« Suspension de l’exécution du marché relatif aux étrangers en rétention »,
CP-ACCP, n° 82, p. 79, décision toutefois censurée sur des questions de forme
mais confirmée au fond par le Conseil d’État (CE 16 novembre 2009, Ministre
de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement
solidaire c/Asso. Collectif respect, nos 328826 et 328974).
(4) CE sect. 19 janvier 2001, Conf. nationale des radios libres, p. 29.
(5) CE, sect., 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes, nos 229562, 229563
et 29721, p. 109.
(6) TA Versailles, ord. 19 mars 2008, Sté CRC SA et Sté Clichy-Dépannage,
n° 0801326 : « La requérante, alors même qu’elle en avait la possibilité, n’a
pas saisi le juge du référé précontractuel de la procédure de passation du
marché litigieux alors qu’elle se plaint, pour l’essentiel, de vices qui pouvaient
être sanctionnés par ce juge ; qu’elle a ainsi contribué par son attitude à la
réalisation de son éventuel préjudice. »
Contrats Publics – n° 95 - janvier 2010
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un préjudice financier important, n’était en définitive qu’un
aléa de la vie des affaires qui, en tant que tel, ne caractérisait
pas l’urgence(7). En l’absence d’une disparition potentielle du
candidat, cette dernière ne serait donc pas caractérisée, ainsi
qu’a pu le relever le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne dans une décision pour le moins explicite soulignant,
alors qu’étaient en cause une perte de plus de 20 % du chiffre
d’affaires et quatre licenciements, qu’il ne ressortait « pas pour
autant de l’instruction que cette éviction serait fatale à l’existence même de cette association »(8).
Admettons toutefois que, dans la plupart des cas, cette interprétation rigoureuse peut présenter une certaine pertinence
dès lors qu’en soi, sauf circonstances particulièrement exceptionnelles, la suspension de l’exécution d’un contrat n’aura
finalement aucune conséquence directe et immédiate sur la
situation économique du requérant puisqu’une telle décision impliquera tout au plus la relance d’une procédure qui
ne permettra, au mieux, qu’une nouvelle participation sans
évidemment aucun droit acquis à une prochaine attribution.
Cet argument est d’ailleurs parfois retenu par les juges pour
conforter l’absence d’urgence(9). C’est cette même idée que l’on
retrouve à la lecture de certaines décisions mentionnant le
fait que « l’attribution d’un marché public n’étant pas un droit
pour ceux qui y concourent, le candidat évincé n’est fondé à se
prévaloir d’une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa
situation que s’il avait une chance sérieuse de l’emporter »(10).
C’est finalement dans cette logique, même si la formulation
est quelque peu nuancée, que se place la décision du tribunal
administratif de Rennes en constatant – mais les requérantes n’avaient guère insisté sur ce point tant la jurisprudence
constante jusque-là rendue ne leur laissait guère d’illusions
– que ces dernières (alors pourtant que les sommes en jeu
étaient importantes pour au moins l’une d’entre elles) ne rapportaient pas la preuve que la perte du contrat « aurait des
conséquences significatives sur leurs résultats financiers ». En
bref, aujourd’hui comme hier (et sans doute comme demain),
la première acception de l’urgence, sauf circonstances particulièrement exceptionnelles, n’est jamais admise par le juge
administratif.
III. L’appréciation également restrictive de
l’urgence liée à la lésion d’un intérêt public
Restait alors à savoir – l’argumentaire des requérantes était
essentiellement ciblé sur ce point – si l’appréciation portée par
le juge allait être tout aussi rigoureuse s’agissant du second volet
de l’urgence tenant à la lésion suffisamment grave et immédiate
(7) TA Besançon 12 février 2008, Sté CBS, n° 800115 — TA Toulon, ord.,
2 février 2009, Sté Stéreau, n° 090062 : « Le préjudice financier provoqué par
la perte du marché n’est pas de nature à lui seul à établir l’existence d’une
urgence. » — TA Paris, 27 octobre 2009, Asso. Frate Formation Conseil c/Pôle
emploi Paris, n° 0916189/9-1.
(8) TA Châlons-en-Champagne 28 août 2008, ANPE c/ CIBC, n°0801856.
(9) TA Orléans 28 mai 2008, Sté Compost Sud Essonne, n° 0801420 :
Contrats marchés publ., juillet 2008, p. 30.
(10) TA Versailles, ord., 28 avril 2009, Sté Presspali France, n° 0902728 :
P. Rees, « L’urgence à suspendre au regard de la situation du candidat évincé »,
Contrats marchés publ., n° 6, juin 2009, comm. 210.
Contrats Publics – n° 95 - janvier 2010
d’un intérêt public, résultant, en l’espèce, de la méconnaissance
(alléguée) par cette dernière du délai de « stand still ».
Les requérantes, tirant parti de certaines décisions admettant
que le comportement de l’administration pouvait lui-même
préjudicier à l’intérêt public(11), soutenaient en effet que la
violation du délai de 10 jours prévu à l’article 80, ayant conduit
au rejet de leur référé précontractuel, constituait une violation
telle d’un intérêt public, lié à l’effectivité des contrôles juridictionnels, que se trouvait caractérisée une situation d’urgence.
À ce titre, les demanderesses s’appuyaient notamment sur la
décision Biomerieux(12) par laquelle le Conseil d’État, à propos
d’un marché conclu en violation de l’ordonnance de différé de
signature, a considéré « qu’en jugeant que les circonstances de
la signature du marché contesté ne suffisent pas à caractériser
l’existence d’une situation d’urgence sans prendre en compte
la méconnaissance par la collectivité publique du caractère
exécutoire de l’ordonnance du juge des référés précontractuels et l’atteinte grave et immédiate qu’elle porte à un intérêt
public, lesquelles créent, en principe, une situation d’urgence,
sous réserve que l’instruction fasse apparaître des éléments
précis relatifs aux risques pour la collectivité publique qui
résulterait de la suspension du marché, le juge des référés du
tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de
droit » ; le tout pour conclure que le comportement de l’administration portait « une atteinte grave et immédiate à l’autorité
attachée à une décision de justice et à l’effectivité du référé
précontractuel » caractérisant « ainsi la situation d’urgence
requise par les dispositions de l’article L. 521-1 du code de
justice administrative ». En d’autres termes, les requérantes
proposaient de considérer que ce qui avait été jugé à propos
de la violation d’une ordonnance de différé de signature valait
également dans l’hypothèse où la collectivité avait méconnu le
délai de stand still prévu à l’article 80.
En effet, si dans l’affaire Biomérieux, le comportement de
l’administration s’était certes traduit par le non-respect d’une
décision juridictionnelle, les requérantes considéraient que la
signature anticipée du marché constituait a fortiori une forme
encore plus flagrante de paralysie du référé précontractuel
puisqu’elle interdisait finalement au juge de prendre l’ordonnance de différé de signature supposée ensuite être respectée
par les parties. Ce stratagème permettrait ainsi, théoriquement,
à une collectivité de signer le contrat avant même d’informer
les candidats de leur éviction.
Du reste, les conclusions prononcées par le rapporteur public
Boulouis sur la décision Biomérieux semblaient pouvoir militer
en faveur d’une telle solution puisque celles-ci stigmatisaient
la violation de plusieurs intérêts publics, en citant certes celui
lié au respect de l’autorité de la chose jugée, mais aussi celui
afférent à l’effectivité du référé précontractuel « qui serait
gravement atteinte si l’autorité administrative pouvait user de
(11) CE 9 mai 2001, Delivet : BJDU, 4/2001, p. 287, concl. S. Austry — CE
13 février 2003, Joyaux, n° 253439 — CE 13 novembre 2002, Sté Française
de radiotéléphonie : AJDA, 2004, n° 28, p. 1545 — CE 19 mai 2003, Sté SPM
Télécom, n° 251850 — CE 5 mars 2001, Saez : Dr. adm. 2001, comm. n° 124 ;
Collectivités-Intercommunalité, 2001, chron. n° 10 à propos la décision d’un
maire refusant de provoquer une réunion du conseil municipal considérée
comme violant l’exigence de liberté du débat démocratique au sein des
conseils municipaux.
(12) CE 6 mars 2009, Sté Biomérieux, n°324064.
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Vie des contrats Passation
ce moyen radical de mettre fin au litige […]. L’exécution de ce
contrat a pour conséquence de priver le concurrent évincé des
effets attendus d’un référé précontractuel, qui sont la possible
annulation du contrat et [donc] le lancement d’une nouvelle
procédure de passation »(13). Cette position était d’ailleurs partagée par certains auteurs pour qui « les voies de droit à la fois
nouvelle (la requête en appréciation de validité du contrat) et
à peine plus ancienne (le référé suspension) portent en germe
la fin des justes critiques relatives à la « course à la signature »
des contrats : quand bien même l’administration se hâterait
d’achever la procédure précontractuelle, un recours est désormais envisageable contre le contrat, lequel peut rapidement
être paralysé par l’effet du référé suspension »(14).
En dépit de ses arguments qui paraissaient présenter une certaine pertinence, associés au fait que deux des moyens invoqués
(absence de publicité communautaire obligatoire et violation du
délai de 10 jours) sont de nature à conduire à la nullité automatique de la convention selon le nouvel article L. 551-18 du CJA,
le magistrat – peut-être influencé par l’argument de défense
consistant à soutenir que le contrat n’était pas un marché de
fournitures mais de travaux excluant, en raison de l’absence
d’atteinte des seuils communautaires, l’exigence d’une publicité
communautaire et l’application de l’article 80 du CMP(15) –, s’en
est tenu à une interprétation stricte de la notion d’urgence. Il a
en effet considéré que « la signature prématurée dudit marché,
alors même qu’elle serait illégale eu égard à la nature du marché en cause […] ne suffit pas à elle seule à porter à l’intérêt
public qui s’attache à l’effectivité du référé précontractuel une
atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser
une situation d’urgence au sens des dispositions précitées de
l’article L.521-1 du code de justice administrative ».
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Bien que quelque peu frileuse, cette interprétation du juge des
référés du tribunal administratif de Rennes est en conformité
avec celle de ses homologues puisque le tribunal administratif de
Pau s’est prononcé dans le même sens quelques semaines plus
(13) Concl. du rapporteur public N. Boulouis sous l’arrêt précité, BJCP,
juin 2009, n°64, p. 232.
(14) P. Cassia, « Le nouveau recours contre le contrat : questions
périphériques de procédure contentieuse », AJDA, 2007, p. 1964 ;
A. Ménéménis, in achapublic.com, 6 avril 2009.
(15) Même si les volumes financiers et les règles de qualification des
contrats mixtes semblaient exclure la qualification de marché de travaux ;
qualification qui au demeurant ne se rattachait pas à l’appréciation de la
notion d’urgence mais à celle de doute sérieux.
tôt(16). Relevons également que le tribunal administratif de Paris,
dans une affaire certes différente, devait lui aussi circonscrire
la portée de ce second volet de l’urgence en considérant que
la violation grave et manifeste d’un intérêt public ne pouvait
résulter de l’exécution d’un contrat à un prix bien moindre que
celui proposé par un candidat estimant que son offre, considérée
comme anormalement basse, a été irrégulièrement rejetée(17).
En définitive, et l’affaire à rebondissements relative aux centres de rétention en est un illustre exemple, il y a fort à penser
que la violation d’une atteinte (non-sens) grave et immédiate
à un intérêt public se limitera à des cas rarissimes où l’intérêt
général en jeu (en l’espèce l’absence de garanties suffisantes
offertes aux étrangers pour faire valoir leurs droits) sera tel
qu’une suspension sera envisageable
Conclusion
Pour conclure sur une note plus positive, notons toutefois que,
dans l’affaire commentée, le tribunal administratif, s’il a effectivement rejeté le référé suspension, a d’ores et déjà, pour un
recours au fond introduit en septembre, clôturé l’affaire pour le
mois de décembre, laissant à penser que celle-ci pourrait être
jugée en début d’année, soit à peine 4 mois après l’introduction
du recours. À ce rythme-là, que le référé suspension soit ou
non prononcé (mais peut-être sert-il d’accélérateur) n’a finalement que peu d’importance. Ajoutons en outre que, depuis le
1er décembre et l’entrée en vigueur de l’ordonnance Recours, la
difficulté rencontrée par les deux requérantes devrait devenir
purement théorique puisque, non seulement l’introduction du
référé précontractuel suspend désormais automatiquement la
signature de la convention (encore faudra-t-il prendre le soin,
comme exigé par l’article R. 551-1 du CJA, de notifier simultanément le recours à la collectivité pour bloquer l’éventuelle
course à la signature), mais en outre, le référé contractuel
permet désormais de disposer d’une troisième voie de droit,
notamment lorsque la collectivité, par son comportement, a
empêché l’exercice effectif d’un référé précontractuel. ■
(16) TA Pau 27 août 2009, Sté Delta Construction, n° 0901662.
(17) TA Paris 27 octobre 2009, Asso. Frate Formation Conseil, n° 0916189/9-1.
Contrats Publics – n° 95 - janvier 2010