TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NÎMES N° 1402578

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NÎMES N° 1402578
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE NÎMES
N° 1402578
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M. RISSO
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Mme Pascale Achour
Rapporteur
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M. Louis-Noël Lafay
Rapporteur public
___________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Nîmes
(2ème chambre)
Audience du 7 janvier 2016
Lecture du 21 janvier 2016
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36-09-05
36-13-03
C
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 août 2014, 28 avril 2015 et
17 juillet 2015, M. Jacques Risso, représenté par Me Tartanson, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision d'affectation en tant qu'enseignant adjoint à l'école primaire de
Lagnes pour l'année scolaire 2014/2015 ;
2°) d'enjoindre à l’administration de l'Education nationale de l'affecter de manière
définitive au poste de directeur de l'école de Saint-Saturnin-les-Apt à compter de l’année scolaire
2014/2015 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 2 863,36 euros au titre des frais de
déplacement, 1 400,46 euros au titre des pertes d’indemnités, 25 000 euros à titre de dommages
et intérêts pour préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1
du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens et, à titre de dommages et intérêts
complémentaires, en cas d'exécution forcée de la condamnation, le paiement des sommes
correspondant au montant de l'article 10 du décret 12 décembre 1996.
Il soutient que :
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- l’administration a déclaré engager la consultation de la CAP en vue du retrait de son
emploi de directeur d’école et a procédé à l’affectation litigieuse en méconnaissance de ses
engagements de le maintenir dans des fonctions de directeur d’école dans le cadre du protocole
d’accord ;
- la CAP ne s’est jamais prononcée sur son retrait d’emploi, lequel n’a fait l’objet
d’aucune décision expresse ;
- conformément à ce protocole d’accord, il a tenu son engagement de demander sa
mutation et n’a sollicité que des postes de directeur d’école ;
- la direction académique a illégalement supprimé tous ces vœux, à son insu ;
- le choix de l’académie de l’affectation d’un autre agent au poste correspondant à son
premier vœu était contraire à l’intérêt du service ;
- la décision n’a pas été prise dans l’intérêt du service ; aucun élément sérieux ne
permettait de remettre en cause son emploi de directeur d’école ; aucun manquement
professionnel grave n’était caractérisé ;
- la décision attaquée constitue une sanction déguisée ;
- ces illégalités sont de nature à engager la responsabilité de l’administration à son
égard ;
- il a subi un grave préjudice moral qu’il conviendra d’indemniser en lui allouant la
somme de 25 000 euros ;
- il est faux de prétendre que la décision n’a pas été appliquée ; il a bien été affecté à
l’école de Lagnes jusqu’à ce que l’administration tire les conséquences de l’ordonnance de référé
suspendant l’exécution de la mesure litigieuse ;
- il a bien subi des préjudices de l’exécution de cette décision au titre des frais de
déplacement et de la perte des indemnités de directeur d’école pendant quatre semaines ;
- son préjudice moral résulte de la mise en œuvre de la procédure de suspension et de
retrait d’emploi dans des conditions violentes et infâmantes et de l’attitude déloyale de
l’administration dans le non-respect du protocole d’accord, alors même qu’aucun fait fautif ne
pouvait sérieusement lui être reproché.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2015, le recteur de l’académie d’AixMarseille conclut au non-lieu à statuer.
Il soutient que :
- toutes les décisions ont été prises dans l’intérêt du service ;
- l’administration a tiré les conséquences de l’ordonnance de référé en affectant
M. Risso au poste de directeur de l’école de Saint-Saturnin-les-Apt; il n’y a donc plus lieu de
statuer sur la requête, le préjudice moral allégué n’étant nullement établi.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l’éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 89-122 du 24 février 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
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- le rapport de Mme Achour,
- les conclusions de M. Lafay, rapporteur public,
- et les observations de Me Tartanson, représentant M. Risso.
1. Considérant que M. Risso, professeur des écoles, a exercé les fonctions de directeur
de l’école primaire de Rustrel à partir de 1988 ; que M. Risso a été suspendu de ses fonctions à
compter du 20 août 2013, à la suite du signalement par deux familles d’un harcèlement
psychologique subi par leurs enfants au sein de cette école ; que M. Risso a été convoqué devant
la commission administrative paritaire départementale des professeurs d’école siégeant en
formation disciplinaire le 6 février 2014 ; que cette procédure a toutefois été annulée à la suite
d’un « protocole d’accord » conclu entre l’administration et M. Risso en présence de trois
syndicats de professeurs des écoles ; que M. Risso a fait l’objet d’une sanction de blâme,
prononcée le 14 février 2014 ; que l’intéressé a été affecté à l’école primaire de Lagnes en
qualité d’enseignant adjoint à compter du 1er septembre 2014 ; que M. Risso demande
l’annulation de cette dernière décision et la condamnation de l’Etat à l’indemniser des préjudices
matériel et moral subis ;
Sur le non-lieu :
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Risso a été affecté à l’école
primaire de Lagnes en qualité d’enseignant adjoint à compter du 1er septembre 2014 ; que si, à la
suite de la suspension de cette décision par le juge des référés, le recteur de l’académie d’AixMarseille a pris une décision d’affectation provisoire de M. Risso comme directeur suppléant de
l’école de Saint-Saturnin-les-Apt à compter du 26 septembre 2014, puis l’a affecté sur ce poste à
titre définitif à compter de la rentrée 2015, l’affectation litigieuse a cependant reçu application
jusqu’à son abrogation ; que, par suite, les conclusions en excès de pouvoir présentées par
M. Risso ne sont pas devenues sans objet ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation :
3. Considérant qu’aux termes de l’article 11 du décret du 24 février 1989 relatif aux
directeurs d'école : « Les instituteurs nommés dans l'emploi de directeur d'école peuvent se voir
retirer cet emploi par le directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur
délégation du recteur d'académie, dans l'intérêt du service, après avis de la commission
administrative paritaire départementale unique compétente, à l'égard des instituteurs et des
professeurs des écoles. » ;
4. Considérant que si le recteur de l’académie d’Aix-Marseille fait valoir que, l’ayant
informé de la mise en œuvre d’une procédure de retrait d’emploi, M. Risso n’ignorait pas que sa
demande d’affectation sur le poste de directeur de l’école Saint-Saturnin-les-Apt ne pouvait être
satisfaite, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une décision explicite de retrait d’emploi ait
effectivement été prise ; que si l’administration soutient avoir consulté la commission
administrative paritaire en ce sens le 22 mai 2014, elle ne le démontre pas et n’informe pas
davantage le tribunal de la teneur de cet avis ; qu’il est constant que M. Risso a été invité par
deux courriers du directeur académique des services de l’éducation nationale de Vaucluse des
8 avril et 12 mai 2014, à solliciter sa mutation sur un poste d’enseignant adjoint alors qu’il était
affecté comme directeur de l’école de Rustrel ; qu’ayant déféré à l’injonction de l’administration
à la suite du second courrier en sollicitant sa mutation en phase d’ajustement du mouvement,
M. Risso a formulé en priorité des choix de postes de directeur d’école ; que l’administration ne
conteste pas s’être opposée par principe aux choix de M. Risso portant sur des postes de
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directeur d’école au motif du retrait d’emploi envisagé ; que, dans les circonstances de l’espèce,
la décision d’affectation de M. Risso comme enseignant adjoint à l’école primaire de Lagnes,
quand bien même elle relèverait de ses choix d’affectation au tour de mutation, doit ainsi être
regardée comme une sanction déguisée ; que cette décision est en conséquence illégale et doit,
par suite, être annulée, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
Sur les conclusions indemnitaires :
5. Considérant que l’illégalité de la décision d’affectation de M. Risso à l’école primaire
de Lagnes à compter du 1er septembre 2014 constitue une faute de nature à engager la
responsabilité de l’administration ; que M. Risso est en droit d’obtenir réparation des préjudices
directs et certains en ayant résulté pour lui ; qu’en revanche, le requérant ne saurait se prévaloir
utilement du protocole d’accord conclu avec l’administration académique en février 2014, le
contenu de ce document, contenant ajouts et ratures, ne pouvant être regardé comme créateur de
droits ni d’obligations au profit de l’intéressé ;
6. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la décision d’affectation sur un poste
d’enseignant adjoint retirant à M. Risso son poste de directeur d’école fait suite à une situation
de conflit avec des parents d’élèves au sein de l’école de Rustrel concernant le harcèlement
psychologique de trois enfants de sa classe par deux de leurs camarades, accompagnée d’un fort
retentissement à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté éducative ; que le rapport de
l’inspection générale versé au dossier par le requérant fait état d’un déficit de prise en compte
par M. Risso de la souffrance de trois enfants de sa classe mais aussi de difficultés à gérer la
crise et à mettre en œuvre une écoute et des solutions adaptées au mécontentement des parents
des enfants en souffrance tout en assurant la compréhension de ceux des enfants sanctionnés ;
que ce rapport souligne néanmoins les tentatives de résolution entreprises par M. Risso face à
une situation difficile en lien avec l’inspection académique et les maladresses de cette dernière
contribuant au retentissement de l’affaire et à la cristallisation du conflit ; qu’outre les frais de
déplacement et la perte de ses indemnités de directeur d’école pendant quatre semaines, la
mutation de M. Risso sur un poste d’enseignant adjoint à l’école primaire de Lagnes, précédée
d’une suspension de fonctions prolongée, est apparue, dans les circonstances de l’espèce, comme
un désaveu de l’aptitude de M. Risso à assurer des fonctions de direction, qu’il a pourtant
exercées de 1988 à 2013 à Rustrel sans difficulté, alors même qu’il n’était pas seul responsable
de la dégradation des relations au sein de l’école et qu’une gestion plus attentive de la situation
par l’inspection académique aurait pu la prévenir ; que, dans les circonstances de l’espèce, il sera
fait une juste appréciation des préjudices de M. Risso en lui accordant une indemnité de 5 000
euros, tous préjudices confondus ;
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
7. Considérant qu’il est constant que M. Risso a été affecté sur le poste de directeur
suppléant de l’école de Saint-Saturnin-les-Apt à titre provisoire à compter du 26 septembre 2014
puis à titre principal et définitif à compter de la rentrée 2015 ; que les conclusions susvisées se
trouvent ainsi privées d’objet ;
Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l’Etat la somme de
1 200 euros au titre des frais exposés par M. Risso et non compris dans les dépens ;
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DECIDE:
Article 1er : La décision du recteur de l’académie d’Aix-Marseille d’affecter M. Risso
sur un poste d’enseignant adjoint à l’école primaire de Lagnes à compter du 1er septembre 2014
est annulée.
Article 2 : l’Etat est condamné à verser à M. Risso la somme de 5 000 euros en
réparation de ses préjudices.
Article 3 : L’Etat versera à M. Risso la somme de 1 200 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. Jacques Risso et au recteur de
l’académie d’Aix-Marseille.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
M. Firmin, président,
M. Antolini, premier conseiller,
Mme Achour, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 janvier 2016.
Le rapporteur,
Le président,
Signé
Signé
P. ACHOUR
J-P. FIRMIN
Le greffier,
Signé
F. DESMOULIERES
La République mande et ordonne au ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement
supérieur et de la recherche en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce
qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la
présente décision.