SYNDICAT DEPARTEMENTAL DE L SYNDICAT
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SYNDICAT DEPARTEMENTAL DE L SYNDICAT
SYNDICAT DEPARTEMENTAL DE L’ L’EDUCATION NATIONALE SDEN CGT Maison des syndicats - 82 BD COSMAO DUMANOIR 56100 LORIENT La CGT Educ’Action 56, signataire de l’appel intersyndical départemental (voir la pièce jointe), appelle les équipes pédagogiques à tout mettre en place pour faire échec aux évaluations CE1 qu’elle considère comme nuisibles aux enfants, aux enseignants et au service public d’éducation. Déjà opposés aux évaluations CM2, les membres de la CGT Educ’Action du Morbihan se battent depuis longtemps pour qu’un débat soit ouvert sur ce type de dispositif dont les fondements, le principe et l’exploitation leur paraissent éminemment contestables. La difficulté des exercices, les modalités de correction et la date des passations ne sont en effet pas les seuls arguments qui s’opposent à ces épreuves inaugurées en 1989 avec les évaluations CE2 et 6ème et dont l’intérêt pédagogique est si essentiel qu’il n’a été inventé que dix ans plus tard. C’est en effet seulement en 1999, après une sévère observation de la Cour des Comptes qui trouvait ces dispositifs bien coûteux, que le Ministère de l’Education Nationale a été obligé de démontrer que leur usage n’était pas uniquement statistique. Jacques Risso Après les évaluations de CM2 du début de l’année, les évaluations des élèves de CE1 doivent, selon le calendrier ministériel, se dérouler à la fin du mois de mai. Ne voulant manifestement pas perdre la face après l’épisode tragi-comique des évaluations de CM2, le Ministère persiste dans la voie que lui a fixée son maître et a lancé le dispositif concernant les évaluations de CE1… Une fois de plus, se pose la question du sens de ces évaluations, pourtant très coûteuses en énergie et en temps. Nous avons tous vu les pathétiques courbes en cloche qui sont censées indiquer les résultats par département après que le gouvernement ait finalement été dissuadé par la mobilisation des parents et des enseignants, de publier ou de laisser publier les résultats école par école. Jacques Risso De quelles extrapolations hasardeuses ces courbes sont-elles le fruit…. le taux des données exploitables ne dépassant pas, dans certains départements les 3 ou 4 % ? Il est permis de douter de la rigueur « scientifique » avec laquelle les chiffres publiés ont été obtenus. Il est aussi permis de s’interroger sur l’intérêt d’un dispositif qui, au mieux, a révélé ce que tout le monde, les personnels éducatifs en particulier, savait déjà : Il existe des enfants en difficulté dans les écoles ! Pourquoi ces enfants sont-ils en difficulté, et comment les aider ?… Voilà des questions pourtant essentielles, qui n’intéressent manifestement pas le Ministère de l’Education Nationale et ses zélées courroies de transmission. Il n’est en effet nullement question de dégager des moyens pour les écoles dont les résultats seraient jugés en dessous des attentes. On sait d’ailleurs que c’est exactement le contraire qui se produit avec la diminution du nombre d’enseignants et la suppression des RASED. Pour la CGT Educ’Action 56, ces évaluations nationales sont autre chose que ce qu’elles prétendent être. Derrière le discours apparent, explicite, se cachent une série de partis pris sur le système scolaire, sur les personnels qui y travaillent, sur les enfants, sur les modes de transmission du savoir et d’apprentissage… pour le moins contestables et en tout cas discutables. Le flou et les ambiguïtés dans les objectifs visés à travers le dispositif viennent de plus provoquer une sensation de malaise indéfinissable : s’agit-il d’évaluer les enfants, les écoles, les enseignants, le système éducatif, ou le tout à la fois ? L’IDEOLOGIE DE L’EVALUATION En fait, il existe aujourd’hui une véritable idéologie de l’évaluation qui s’est progressivement imposée à l’ensemble du monde du travail et pour laquelle l’Education Nationale a joué un rôle moteur en mettant en place le système bien avant tous les autres secteurs. Par idéologie, on entend une reconstruction falsifiée voire même inversée de la réalité, mais qui est donnée comme allant de soi, comme naturelle. LE POUVOIR DE DIRE QUI MARTYRISE LA POSSIBILITE DE FAIRE Le premier argument développé par les tenants de l’idéologie de l’évaluation à l’usage de l’Education Nationale, c’est que ces tests doivent permettre d’aider les élèves. Par glissements discursifs, un lien d’équivalence est ainsi posé entre, constater d’une part, et pouvoir agir d’autre part. Le parti pris qui avance masqué derrière ce type d’argumentaire approximatif, c’est que les échecs des enfants peuvent être résolus par des pratiques pédagogiques adaptées. Si les difficultés persistent, c’est que l’enseignant n’a pas fait ce qu’il fallait. Cette idée est portée par Jacques Risso la quasi-totalité de la hiérarchie de l’Education Nationale qui vit totalement coupée du réel scolaire et des contraintes du métier d’enseignant. .Or évaluer est une chose, analyser les difficultés ou les échecs en est une autre, pouvoir y remédier est encore bien sûr plus difficile et quelquefois, il faut bien le dire … impossible dans le cadre de la classe. Le système des évaluations permet d’apporter une réponse simple (voire simplette) au problème complexe de l’échec scolaire et de trouver des boucs émissaires à bon compte. Mettre en évidence publiquement l’échec scolaire – c’est, pour les responsables de l’Education Nationale, dévoiler la mauvaise volonté des enseignants et leur manque de compétence supposés. Voilà pourquoi ils font preuve d’un tel empressement à livrer les résultats même falsifiés, à la presse…. et en général sous leur forme négative « 15 % d’enfants sont en grande difficulté ! ». Voilà aussi pourquoi ces taux d’échec semblent à ce point les combler d’aise ce qui, avouons-le est une posture bien étrange de la part de responsables d’administration. RETOUR SUR INVESTISSEMENT Ce qui est ensuite donné comme allant de soi par les tenants de l’idéologie de l’évaluation, servis par une rhétorique impeccable et bien rôdée, c’est que la collectivité est en droit de savoir si l’argent qu’elle consacre à l’éducation, à la recherche, à la santé… est utile, si les professionnels qui en « bénéficient » font correctement leur travail et si leurs salaires si coûteux en ces périodes de RGPP sont « rentabilisés ». Il s’agit en quelque sorte d’assurer au contribuable qu’il y a bien retour sur investissement. Que l’utilité sociale des tenants de ce type de questionnement suspicieux puisse être elle aussi évaluée est une question qui ne se pose pas ! Les grands maîtres de l’évaluation sont manifestement peu soucieux d’appliquer leurs théories à leur propre action professionnelle. En tout cas, on retrouve encore un lien de causalité hasardeux entre des résultats et une activité de travail. Les difficultés rencontrées, de mauvaises conditions de travail, la part du contexte, dans le résultat sont évacués et on se retrouve avec la relation d’équivalence: bon résultat=bon travail et mauvais résultat=mauvais travail. La part non mesurable de l’activité de travail, ses effets quelquefois différés dans le temps n’existent pas pour l’évaluateur. Nous allons devoir citer Christophe Dejours, directeur du Laboratoire de psychologie du travail et de l'action et professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) « l'investigation clinique du travail suggère qu'une part essentielle de l'activité humaine relève de processus qui ne sont pas observables et résistent donc à toute évaluation objective. »1 UN RESULTAT SCOLAIRE EST UNE COPRODUCTION L’évaluation réelle du travail de l’école et des enseignants en particulier, ne pourra jamais se limiter au simple examen de résultats, fussent-ils comparés sur une année comme il est question de le faire à partir de l’année prochaine pour noter les enseignants et déterminer leur « mérite ».Un résultat scolaire est en effet le fruit d’une coproduction dans laquelle entrent des paramètres multiples et non mesurables : la part de l’activité de l’enseignant certes mais aussi celle de l’élève, de ses parents, du contexte social etc. LES EVALUATIONS COMME MODE DE CONTRÔLE ET DE DOMINATION Jacques Risso 1 On voit bien à travers le choix des items que, tant pour les évaluations CM2 que pour celles du CE1, l’un des objectifs visés est de vérifier que les très contestés nouveaux programmes ont bien été appliqués. Certains IEN n’ont jamais été dupes « Avec la fameuse "culture de l'évaluation" de Thélot, en réalité un dogme du résultat, s'impose un ensemble de pratiques qui sont de L’évaluation du travail à l’épreuve du réel – Christophe Dejours – Collection Sciences en question - Editions INRA plus en plus ressenties comme du contrôle déguisé et avec lesquelles on ruse, quelquefois on triche. L'évaluationnite qui en résulte est une forme de néo-bureaucratisme qui traduit l'angoisse des décideurs, leur impatience, leur autoritarisme… » 2 Mais la question de l’évaluation des enseignants-chercheurs a permis de dévoiler une autre dimension de la question de l’évaluation. Celui qui dispose des résultats « scientifiques », de beaux tableaux récapitulatifs et comparatifs, s’arroge le pouvoir de juger le travail des autres. Les bureaux des inspections résonnent encore, il faut s’être mis volontairement des œillères pour ne pas le savoir, des commentaires désobligeants des IEN, des conseillers pédagogiques et même d’enseignants peu scrupuleux, sur le travail fourni dans telle ou telle école après communication des résultats des feues évaluations CE2. Ce qui est gravissime et même mortifère en cela, c’est que ce pouvoir de juger est donné à ceux qui ne font pas, qui ne connaissent pas les règles réelles du métier, sa complexité, les obstacles et les difficultés rencontrées. Dans la revue Cités, Yves-Charles Zarka nous livre sa réflexion : « L’évaluation est un mode par lequel un pouvoir (politique ou administratif, général ou local) exerce son empire sur les savoirs ou les savoir-faire qui président aux différentes activités en prétendant fournir la norme du vrai. L’évaluation se pose en effet elle-même comme un sur-savoir, un savoir sur le savoir, une sur-compétence, une compétence sur la compétence, une sur-expertise, une expertise sur l’expertise. Les experts évaluateurs sont donc posés par le pouvoir, qu’ils le reconnaissent ou non, comme plus savants que les savants, plus experts que les experts et cela en vertu d’un acte arbitraire de nomination. Le pouvoir n’est, et n’a jamais été, indifférent au savoir, mais il a trouvé avec l’évaluation un instrument pour s’assurer une domination universelle sur tous les secteurs d’activité, sur tous les ordres de la société. »3 Le système des évaluations participe à la maltraitance institutionnelle dont il a déjà été question dans la lettre aux écoles n°1 de la CGT Educ’Action 56. Elles sont une des manifestations de la violence symbolique qui s’exerce à l’égard des personnes qui travaillent dans l’Education Nationale et dans l’ensemble des secteurs professionnels aujourd’hui. On en connaît malheureusement les conséquences dramatiques avec l’augmentation terrible du nombre de suicides liés à la situation de travail. « Il se pourrait qu'une bonne part de la souffrance et de la pathologie mentale dans le monde du travail soit liée aux nouvelles formes d'évaluation. »4 nous dit Christophe Dejours. L’OBSESSION DU FICHAGE DES ENFANTS Avec des dispositifs comme Base Elèves, croisés avec les résultats des évaluations, le Ministère se fait l’allié complaisant d’un pouvoir politique dont l’objectif manifeste est de ficher l’ensemble de la population, et les futurs adultes en particulier. Les intentions du ministère sont à peine voilées, classer à l’aide des résultats obtenus les élèves en 4 groupes : « grande difficulté », « objet d’une attention particulière », « savoirs à consolider », « bonne performance ». La très grande légèreté avec laquelle les responsables de l’Education Nationale semblent considérer la législation concernant l’informatique et les libertés est inquiétante. 2 Georges Gauzente – IEN – lettre dans le courrier des lecteurs de Libération – décembre 2006 3 4 Revue philosophique Cités - Qu’est-ce que tyranniser le savoir ? - Yves Charles Zarka L’évaluation du travail à l’épreuve du réel – Christophe Dejours – Collection Sciences en question - Editions INRA Lisons à ce propos ce que dit Yves Charles Zarka dans l’éditorial de la revue Cités .« Il va de soi que l’école examine, note, juge les travaux et les résultats des élèves. Elle apprécie leurs progrès ou souligne leurs difficultés. C’est là sa raison d’être. Mais alors pourquoi établir un système parallèle d’évaluation qui, pour une part, discrédite le premier ? Ce dédoublement n’est pas gratuit. L’évaluation entend dire autre chose que ce que disent les notes. Par exemple quels sont les enfants ou les adolescents potentiellement dangereux, les délinquants virtuels, les délinquants qui n’ont pas encore commis d’actes délictueux, mais dont un expert psychologue ou psychiatre (qui lit sans doute dans le marc de café) soupçonne qu’ils pourraient un jour en commettre. On voit donc comment l’évaluation double et surplombe les procédures existantes d’appréciation des activités. L’évaluation veut porter l’inquisition jusque dans l’intériorité et jusqu’aux possibilités de vie future d’un enfant ou d’un adolescent, ce que l’école s’interdit de faire. »5 Jacques Risso En conclusion, l’idéologie de l’évaluation qui entend réduire la densité, la richesse et la complexité de la réalité à des chiffres, est une imposture dangereuse et inhumaine. C’est une manière de déposséder les enseignants de leur métier et les enfants de leurs efforts. C’est une façon de leur dire aux uns et aux autres qu’ils ne comptent pas. Pour ces raisons, la CGT Educ’Action du Morbihan appelle les équipes à mettre ce système en échec, elle entend bien continuer à nourrir les débats et la réflexion sur les méthodes de « management » moderne avec d’autres secteurs professionnels concernés. Un grand merci à Jacques Risso qui nous a offert ses dessins. Si comme nous vous les avez adorés…. voici un lien vers son site pour en savourer d’autres ! http://jacques.risso.free.fr/allegro/manontroppo60.htm Pour nous contacter, pour échanger, être aidé ou pour vous syndiquer… SDEN-CGT Maison des syndicats - 82 BD COSMAO DUMANOIR - 56100 LORIENT LORIENT mail. [email protected] ou tél : 0606-8787-4848-1010-64 5 Revue philosophique Cités - Qu’est-ce que tyranniser le savoir ? - Yves Charles Zarka