PAPIER SUR L`EXPROPRIATION POUR CAUSE D`UTILITE
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PAPIER SUR L`EXPROPRIATION POUR CAUSE D`UTILITE
PAPIER SUR L’EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITE PUBLIQUE EN DROIT LUXEMBOURGEOIS Quelle est la nature de l’expropriation dans votre pays : administrative/constitutionnelle/judiciaire/autre? Il s’agit d’une procédure administrative et judiciaire par laquelle l’administration utilise son pouvoir de contrainte pour obtenir la propriété d’un tiers en vue de la réalisation d’un objet d’intérêt général1. Quelles sont les bases légales régissant l’expropriation ? Textes garantissant un droit de propriété : - Article 16 de la Constitution du 17/10/1868 : droit de la propriété garanti par la loi fondamentale Article 545 du Code civil : même principe selon lequel le droit de propriété est inviolable et sacré Article 1 du 1er protocole additionnel de la CEDH : pas de protection d’un droit d’accéder à la propriété, ni de droit à une indemnisation en cas d’expropriation Principaux textes régissant l’expropriation pour cause d’utilité publique : - - Loi du 17 décembre 1859 s’inspirant des lois françaises de 1810 et de 1833 : très protectrice du droit de la propriété, procédure judiciaire très rigide Loi du 15 mars 1979, inspirée de la loi 16/08/1967 ayant pour objet la création d’une grande voirie de communication, elle-même inspirée de la loi belge du 26/07/1962 : la procédure judiciaire devient plus souple et l’expatrié doit désormais apporter la preuve de son préjudice pour obtenir la nullité de l’expropriation Loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire (entrée en vigueur le 10 septembre 2013) Quelles sont les modalités/conditions essentielles de l’expropriation ? L’article 16 de la Constitution ainsi que l’article 545 du Code civil, qui édicte le droit de propriété en droit fondamental, inviolable et sacré, établissent deux conditions nécessaires pour l’expropriation : la cause d’utilité publique et la juste indemnité. Qui sont les parties à l’expropriation ? Tout d’abord, l’article 2 de la loi du 15 mars 1979 établit une liste des expropriants potentiels : - 1 l’Etat ; les communes ; les établissements publics ou d’utilité publique ; les particuliers, s’ils ont un intérêt d’utilité publique. R.M. à M. Collin, jo débats Sénat, 19 mars 1992, suppl. TO, p. 282 L’exproprié peut être toute personne privée, si elle est propriétaire du bien à exproprier, même s’il s’agit de mineurs, d’incapables, d’étrangers, de sociétés, d’indivisions ou d’absents2. Par ailleurs, l’article 24 dernier alinéa de la loi susmentionnée dispose qu’en présence de tiers intéressés à titre de bail ou d’antichrèse, d’usage ou d’habitation, le propriétaire a l’obligation de les faire concourir aux opérations d’évaluation du bien. A défaut, il sera seul tenu des indemnités réclamées par les tiers intéressés. La liste des tiers intéressés établit par cette disposition n’est pas limitative. Ainsi, il est possible d’inclure l’emphytéote, ou les créanciers hypothécaires. Quels sont les biens pouvant être expropriés ? L’article 1 de la loi de 1979 énonce que l’expropriation peut porter sur tout ou une partie d’un immeuble ou de droits réels immobiliers. Cette loi étant une dérogation au droit de propriété, droit fondamental, doit être sujette à une interprétation stricte. Aucun autre type de bien, comme les biens mobiliers, ne peut ainsi faire l’objet d’une expropriation. L’expropriant devra alors acquérir les objets ne pouvant être détachés sans être détériorés. Les objets pouvant être séparés pourront être emportés par l’exproprié, et l’expropriant pourra même l’y obliger3. Existe-i-l dans votre pays un mécanisme appelé déclaration d’utilité publique ou similaire? Veuillez en donner une description Aux termes de l’article 3 de la loi du 15 mars 1979, les tribunaux ne peuvent prononcer l’expropriation qu’autant que l’utilité publique a été déclarée suivant les modalités établies par la loi. Aucune définition de l’utilité publique n’est donnée dans la loi pour légitimer la procédure d’expropriation. La déclaration d’utilité publique doit prendre la forme : - Expropriation à la demande de l’Etat : d’une loi ou d’un arrêté grand-ducal pris après délibération du Conseil de Gouvernement, le Conseil d’Etat entendu ; Expropriation à la demande d’une commune ou d’un établissement public : d’un arrêté grandducal pris après délibération du Conseil de Gouvernement, le Conseil d’Etat entendu ; Expropriation à la demande d’un établissement d’utilité public ou d’un particulier : d’un arrêté grand-ducal pris après délibération du Conseil de Gouvernement et sur avis conforme du Conseil d’Etat. Depuis la loi du 7 novembre 1996, une déclaration d’utilité publique a le caractère d’un acte réglementaire soumis au contrôle de la juridiction administrative. Dans un arrêt rendu le 22 juin 1999, la Cour administrative a assortie l’expropriation à la condition de nécessité absolue4. Ainsi, l’intérêt public à lui seul ne peut plus justifier une expropriation. Il faut désormais rechercher si le but de l’expropriation ne peut être atteint par un autre moyen, comme une servitude de passage par exemple. Nonobstant l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 édictant une obligation de motiver toute décision administrative, l’arrêté déclaratif d’utilité publique n’est pas soumis à cette obligation, étant BELVA-COENRAETS, L., Expropriation pour cause d’utilité publique, 2e éd. n° 74 BELVA-COENRAETS, L., Expropriation pour cause d’utilité publique, 2e éd. n° 93 4 C. adm., 22 janvier 1998, 9647C. 2 3 donné qu’il conserve le caractère d’un acte administratif réglementaire et non individuel, selon une jurisprudence constante5. Pour introduire un recours contre la déclaration d’utilité publique, l’article 16 de la loi du 21 juin 1999 précise que le délai d’introduction du recours est de trois mois à partir de la publication de l’acte attaqué ou, à défaut de publication, de la notification ou du jouir où le requérant en a pris connaissance. Par ailleurs, tous tiers intéressés, alors qu’il n’a pas la faculté d’intervenir pendant la procédure judiciaire, peut demander l’annulation de l’arrêté déclarant l’utilité publique6. Veuillez décrire les principales phases de la procédure d’expropriation En quoi consiste la phase administrative ? La phase administrative consiste à constater l’utilité publique et les parcelles à exproprier. La loi sur l’expropriation distingue la procédure selon que la demande émane de l’Etat ou des autres institutions. Lorsque la demande émane de l’Etat, avant d’entreprendre les études préparatoires pour établir un plan parcellaire et un tableau des emprises, un avis du bourgmestre mentionnant les agents désignés est diffusé au public par affichage dans les communes et publication dans les journaux. Si les propriétaires font entrave à ces études, alors des sanctions financières pourront être prises à leur encontre. Ensuite, le plan parcellaire est diffusé aux communes compétentes concernées, au public par le procédé susmentionné pendant 20 jours et envoyé aux propriétaires concernés. Le dossier est par la suite transmis au Ministère des travaux publics pour examen et après décision gouvernement en Conseil, il sera communiqué au Conseil d’Etat. Enfin, un arrêté grand-ducal déclarant l’utilité publique sera publié. Il approuve aussi le plan parcellaire ainsi que le tableau des emprises et prévoit un délai de prise de possession du bien. En cas d’accord amiable sur l’indemnité que touchera l’expatrié, alors le droit commun des contrats sera applicable. Une occupation temporaire du bien à exproprier est aussi envisageable pendant l’exécution des travaux publics, à condition de verser une indemnité au propriétaire. A défaut d’accord sur cette indemnité, le juge de paix du lieu de situation du bien sera compétent. Lorsque la demande émane des communes, l’avis du bourgmestre doit faire l’objet d’une délibération du conseil communal. Ensuite, le collège des bourgmestres est compétent pour transmettre le dossier contenant les observations du conseil communal au Ministère des travaux publics par l’intermédiaire du Ministère de l’Intérieur. Les tribunaux administratifs sont compétents pour apprécier l’utilité publique ex post en cas de recours de l’exproprié. Le recours administratifs suspend la procédure judiciaire. En quoi consiste la phase judiciaire ? 5 6 Trib. adm. Diekirch, 30 mai 2001, n° 212/2001, DEA / Zenners BELVA-COENRAETS, L., Expropriation pour cause d’utilité publique, 2e éd. N° 54 A défaut d’accord entre les parties intéressées, il appartient au tribunal de transférer la propriété et de fixer la valeur des biens. L’expropriant remettra alors tout le dossier (plan parcellaire et tableau des emprises) au tribunal d’arrondissement de la situation des biens. Le délai d’assignation est de : - 8 jours pour les défendeurs résidant au Grand-Duché du Luxembourg ; 1 mois pour les défendeurs résidant en Belgique, France, Pays-Bas, Allemagne et Suisse 2 mois pour les défendeurs résidant dans un autre Etat membre ; 3 mois pour les défendeurs résidant en dehors de l’Union européenne. Depuis la loi de 1979, aucune nullité pour vice de forme ne peut être opposée que si elle est justifiée et que le défendeur apporte la preuve de son préjudice. Lorsque le tribunal fait droit à la demande de l’expropriant, c’est-à-dire qu’il constate l’accomplissement régulier des formalités, il fixe alors les indemnités provisionnelles, qui ne peuvent être inférieures à 90% du prix proposée par celui-ci. Il s’agit seulement d’un acompte et le surplus sera déterminé par l’expertise. L’expropriant doit ensuite déposer la somme à la caisse des consignations. Cette décision interlocutoire nomme aussi les experts pour l’évaluation du bien à exproprier. Il emporte transfert de propriété au profit de l’expropriant. Ainsi, l’exproprié ne peut plus disposer de son bien, ni l’aliéner, l’hypothéquer ou le grever de servitudes. Ce jugement n’est pas susceptible de recours. Le jour de la visite sur les lieux des experts, fixé par le jugement, ils doivent prêter serment devant le juge délégué. Ils établissement alors un état descriptif déposé au greffe dans le mois qui suit la visite. Ensuite, ils doivent alors établir un rapport d’expertise contenant l’évaluation motivée du bien. Ce rapport est contradictoire à l’égard des parties. Il doit examiner, à peine de nullité, les points de comparaison indiquée. De plus, il doit respecter le principe selon lequel l’expropriation ne se fait ni au bénéficie ni à la perte de l’exproprié. Le tribunal n’est pas lié par ce rapport d’expertise. Après le dépôt du rapport, une audience se tient et dans le mois qui suit les plaidoiries, le tribunal doit rendre un jugement fixant les indemnités. Si elles sont supérieures aux provisionnelles, l’expropriant doit déposer le supplément à la caisse des consignations. L’expropriant supporte exclusivement les frais de la première instance. Quels sont les caractères de l’indemnité ? Veuillez décrire le mécanisme de l’indemnisation dans votre pays Provisoire définitive Caractère sui generis de l’indemnité : L’indemnité ne constitue pas le prix de vente du bien exproprié mais une réparation du préjudice à l’égard de l’exproprié. Le tribunal doit ainsi rechercher l’ensemble des dommages et non pas la seule valeur du bien. Indemnité amiable ou judiciaire : Lorsqu’un accord intervient entre l’expropriant et l’exproprié sur l’indemnité, il sera considéré comme un acte administratif. L’exproprié peut toutefois réclamer le règlement judiciaire. Indemnité pécuniaire : règle de droit civil qui veut que les dommages et intérêts soient réglés en argent7. Indemnité préalable ? Avant 2007, l’expropriation était soumise aux conditions d’une indemnité juste et préalable. Cependant, un arrêt de la Cour constitutionnelle a déclaré les articles 28, 35 et 36 de la loi de 1979 sur l’expropriation non conformes à l’article 16 de la Constitution8 en ce qu’ils ne prévoient seulement une indemnité provisionnelle. Ainsi, la loi du 24 octobre 2007 portant révision de l’article 16 de la Constitution supprime la condition de l’indemnité préalable. Cela marque ainsi une différence fondamentale avec le droit français qui soumet toujours l’expropriation à une indemnité juste et préalable selon notamment l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Indemnité juste et complète : Ce caractère de l’indemnité induit que les règles de droit commun de la réparation en matière contractuelle, telles qu’inscrites aux articles 1149 et suivants du Code civil, ne trouvent à s’appliquer en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. L’indemnité doit ainsi couvrir toutes les conséquences préjudiciables de l’expropriation et réparer la perte subie le plus équitablement et le plus objectivement possible. Elle doit permettre à l’exproprié de se replacer dans une situation semblable à celle où il se trouvait avant l’expropriation9. L’indemnité, pour être complète, doit tenir compte des avantages dont l’exproprié jouissait à titre précaire. Ainsi, il a droit à une indemnité pour perte de cliente lorsque l’expropriation touche son fonds de commerce10. Indemnité couvrant le seul préjudice : Le juge ne saurait fixer une indemnité supérieure au préjudice effectivement subi par l’exproprié. Elle ne saurait être indemnisée deux fois, soit par l’indemnité d’expropriation et par la plus-value procurée aux biens non expropriés. Comment est fixée l’indemnité définitive ? La loi de 1979 n’énonce que les principes d’indemnisation, ce qui laisse une place importante à l’appréciation souveraine des juges. La jurisprudence luxembourgeoise a établi un principe selon lequel l’indemnité doit comprendre tous les dommages qui dérivent de l’expropriation depuis le moment où surgit le projet de l’exécuter jusqu’à celui où ce projet sera entièrement accompli11. Ainsi, l’exproprié peut demander une indemnité pour la perte de loyer au motif qu’il lui était difficile de trouver des locataires en raison du projet d’expropriation. Par ailleurs, chaque dommage doit être expertisé à sa valeur au jour où il se produit. Ainsi, s’il s’agit d’évaluer le préjudice résultant de la perte de la propriété, le jour où se produit le dommage est celui du jugement statuant sur l’accomplissement des formalités12. 7 Trib. adm., Diekirch, 17 décembre 2002, n° 10.473 Arrêt N° 35/06 de la Cour Constitutionnelle du 12 mai 2006 (Mém. A - 96 du 31 mai 2006, p. 1802) 9 Cour Supérieure de Justice du Luxembourg, 13 mars 1968, Fonds / L. 10 Trib. arr. Luxembourg, 27 septembre 1967, Ville d’Esch / D. et S. 11 Trib. arr. Luxembourg, 12 février 1969, Ville d’Esch / S. 12 Cour Supérieure de Justice, 5 novembre 1970, Fonds / L. 8 Détermination de la valeur du bien à exproprier : La loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire précise le mode de détermination de la valeur du bien à exproprier. Cet ensemble de mesures vise à limiter les risques de spéculation foncière. Les articles 26 à 27 de ce texte instaurent un critère d’évaluation de la valeur des biens à exproprier inspiré de l’article L. 13-15 du code français de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Le nouvel article 12 bis de la loi de 1979 prévoient désormais une date de référence. Ainsi, il ne peut être tenu compte des changements de valeurs subis moins d’un an avant le jour de la publication au Mémorial de la décision du Gouvernement en conseil de transmission d’un projet d’expropriation aux communes. L’évaluation doit aussi prendre en compte l’évolution générale des biens. De plus, la Commission du Développement durable a établi une méthode d’évaluation de la valeur des biens : - Identification de la valeur de biens similaires à la date de référence, proches du bien à exproprier, mais non concerné par le projet d’expropriation ; Identification du prix de biens situés à deux endroits distincts à la date de référence, plus éloignés, mais présentant des caractéristiques similaires au bien à exproprier ; Identification du prix actuel des biens à ces trois endroits de référence. L’estimation de l’évolution générale des biens s’obtient en comparant le prix de ces trois biens de référence et la valeur obtenue constituera la valeur de référence pour la calcul de l’indemnité. Augmentation de valeur en relation avec l’exécution des travaux : L’article 38 de la loi sur l’expropriation dispose que lorsque l’exécution des travaux induit une augmentation de valeur immédiate du bien, alors le juge peut la prendre en considération dans la détermination de l’indemnité. Toutefois, si le juge acquiert la conviction que les travaux ont été réalisés en vue d’obtenir une indemnité plus importante, ils ne donneront lieu à aucune indemnité. Cette disposition trouve largement sa source dans le Code d’expropriation français. Les critères dégagés par la jurisprudence et la doctrine française peuvent donc se trouver à s’appliquer en droit luxembourgeois. Il en résulte que l’augmentation doit être sensible, certaine, et immédiate. De plus, la plus-value doit pouvoir être chiffrée avec exactitude. Par ailleurs, la moins-value qui résulterait de travaux d’expropriation doit elle aussi être prise en considération13. Enfin, suite à une jurisprudence divisée, la Cour Supérieure de Justice a décidé de ne pas prendre en compte de la dépréciation monétaire intervenue depuis la vente des éléments en comparaison jusqu’à l’époque de l’estimation. Quels sont les recours Autre question que vous voulez décrire 13 Cour d’Appel Luxembourg, 18 janvier 1966, Fonds / Z.