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François DUBET – conférence du 22 mars 2016 à Saumur
« Inégalités sociales, inégalités scolaires »
François Dubet (FD) commence par énoncer ce constat indubitable que l'origine sociale impacte les
résultats scolaires des élèves. Du coup, grosso modo, plus une société est inégalitaire, plus les
inégalités scolaires sont lourdes. Mais FD met aussitôt en garde contre l'idée, confortable pour
l’Éducation nationale, que tout se jouerait dans la société et que l'école ne pourrait rien changer à
cet état de fait.
Il faut en effet y apporter quelques nuances de taille :
1- Cette affirmation est vraie en moyenne, non en distribution : certains enfants d'ouvriers peuvent
mieux réussir que certains enfants de cadres ;
2- Il y a des pays dans lesquels l'école réduit de manière efficace l'influence des inégalités sociales
sur les inégalités scolaires (comme la Corée, le Japon ou le Canada).
Mais la France est au contraire un pays socialement assez égalitaire où les inégalités scolaires sont
excessivement grandes. En d'autres termes, l'école française accentue les inégalités sociales.
En France, 22,5 % des résultats scolaires s'expliqueraient ainsi par l'origine sociale de l'élève – un
chiffre comparable à celui du Chili (23 %) ; aux tests Pisa, l'écart entre les 10 % d'élèves les plus
forts et les 10 % les plus faibles est même plus fort pour les élèves français que chiliens.
Comment expliquer le poids de ces inégalités précisément en France, où le système scolaire est
extrêmement centralisé et se veut très homogène ? Plusieurs éléments de réponse :
1) Ces grosses inégalités résultent de l'agrégation de petites inégalités : si 80 % des enfants de
cadres versus 50 % des enfants d'ouvriers réussissent une étape de sélection scolaire, cela
reste une inégalité mesurée. Mais plus les étapes sélectives se multiplient, plus les inégalités
grandissent : après 5 étapes, avec les proportions indiquées ci-dessus, les chances de réussite
d'un enfant de cadre sont 10 fois supérieures à celles d'un enfant d'ouvrier. L'organisation
de parcours scolaire multipliant les étapes sélectives constitue donc une première
explication.
2) La France souffre d'une « tradition élitiste quasi pathologique » : on classe et range sans
cesse les élèves. Avec le temps, « chaque cycle est devenu la propédeutique du suivant » au
lieu d'être, comme auparavant, sa propre fin. Par suite, les exigences scolaires sont fixées
par le terme de la compétition, avec une pression accrue à tous les niveaux. Le « capital
culturel » ne suffisant plus, les parents se comportent comme des coachs pour que leurs
enfants s'imprègnent d'un « capital scolaire » déconnecté des besoins réels – avoir un rapport
positif et critique à son environnement –, exerçant sur eux une pression considérable car on
considère que tout leur devenir sera fixé par les résultats obtenus dans leur jeunesse. Pour
réussir, mieux vaut donc avoir un coach aguerri – c'est-à-dire socialement favorisé. A cela
est associé l'idée que réussir dans la vie grâce à l'école serait honorable, tandis qu'une
ascension sociale sans réussite scolaire est considéré comme suspect.
3) Derrière un semblant de décor homogène, l'offre scolaire est en réalité très inégale : on
donne plus à ceux qui ont plus (c'est l'opposition entre les collèges de périphérie urbaine
défavorisés et les collèges chics de centre ville).
4) En France, on donne beaucoup plus à l'enseignement secondaire qu'à la primaire, « et
c'est une véritable tragédie à mon avis ». En effet, « on sait que l'essentiel des inégalités se
fixe très jeune ». 20 % des élèves quittent l'école élémentaire avec de grosses difficultés,
mais on n'y attache pas suffisamment d'importance en raison du « tropisme élitiste ». Selon
FD, comparaisons internationales à l'appui, il faudrait mettre le paquet dans la baisse
des effectifs à l'école primaire et dans la formation des maîtres (les enseignants devraient
être formés « comme des ingénieurs » pour apprendre le métier).
5) Le diplôme est le sésame pour accéder à l'emploi, et pour obtenir un emploi de qualité. Cette
réalité « transforme l'amour pour l'égalité en passion pour l'inégalité scolaire en faveur de
nos enfants. » Il s'agit en fait d'un effet mécanique de la massification scolaire : les parents
(et notamment les parents enseignants) mettent en œuvre un ensemble de stratégies
(évitement de certains établissements, recours au privé, préférence pour certaines filières,
certaines options, etc.) qui vont permettre à leur enfant de se distinguer et de réussir, au
sein d'un système où « tout fait signe inégalitaire » (comme l'option latin au collège).
6) La France exige des apprentissages précoces, ce qui dessert les catégories socioprofessionnelles défavorisées : un enfant doit savoir lire à 6-7 ans – contre 8 ans dans les
pays scandinaves, plus égalitaire.
Sur le plan philosophique, le problème de l'égalité des chances dans l'école se pose de façon
récente. L'école de Jules Ferry ignorait cette problématique ; elle avait vocation à produire des
citoyens, des Français, et à émanciper par le savoir.
Aujourd'hui, au contraire, l'école fait la promesse d'offrir une compétition sans influence extérieure,
où chacun se positionnerait selon son « mérite » – c'est le modèle de « l'égalité des chances ». Mais
cet idéal est une gageure, et le mérite reste indéfinissable.
En outre, cet idéal pose problème car il se désintéresse complètement des « vaincus » du système.
Selon FD, il est essentiel que l'idéal d'égalité des chances soit précédé d'un idéal d'égalité des
résultats, qui protège les vaincus dans et après la compétition scolaire. En fait, quand on défend
l'égalité des chances, on se place du côté des vainqueurs
Dans cette perspective, il faudrait viser, jusqu'à 16 ans, une égalité des résultats la plus forte
possible, et faire en sorte qu'aucun élève ne quitte l'élémentaire sans un ensemble de connaissances
nécessaires ou avec une image dégradée de soi-même.
Concrètement, on a aujourd'hui des programmes (trop) ambitieux et on conçoit pour les élèves
qui n'y parviennent pas des dispositifs de remédiation qui ne fonctionnent pas. Il faudrait au
contraire réduire la voilure pour que chacun ait les moyens de parvenir aux objectifs fixés
(c'est l'idée du socle commun) et créer des dispositifs pour ceux qui peuvent et veulent
apprendre davantage.
FD insiste : les pays qui s'en sortent bien sur le plan des inégalités scolaires sont ceux qui ont créé
un système à 2 étages :
1- obligation de résultats jusqu'à 16 ans ;
2- le match peut commencer.
La justice scolaire dépend aussi de l'utilité des diplômes ; on peut s'inquiéter de la création de
nouveaux diplômes avec lesquels « on ne peut rien acheter ».
Enfin, la justice scolaire n'est pas la seule dimension de l'école : il faudrait aussi retrouver une
« pensée culturelle » sur l'époque. Les élèves français ne se sentent pas suffisamment membres de
leur établissement et se défient des adultes (par exemple, ils n'osent pas poser de questions quand ils
n'ont pas compris). Notre modèle n'est pas accueillant pour les élèves et ne forme pas de manière
valable les citoyens. Il faudrait concevoir les établissements comme des « communautés civiques »
– l'instruction civique ne pourra jamais en effet convaincre les élèves qu'il faut être tolérant ou
attentif aux autres si leur environnement scolaire leur donne un spectacle en contradiction avec ces
valeurs. Jusqu'ici, la France a privilégié un modèle éducatif reposant sur une division du travail
scolaire à l'infini (profs ayant chacun sa discipline, documentaliste, CPE, pion, etc.) or la
responsabilité du bon climat scolaire devrait incomber à chacun des adultes.