Régionalisation et aménagement du territoire en France

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Régionalisation et aménagement du territoire en France
Proposition de correction
Régionalisation et aménagement du territoire en France
Introduction
La Réforme territoriale promulguée en décembre 2010 vise à remédier au
« millefeuille territorial » qui caractérise l’édifice territorial en France, accumulant les
niveaux de décision (communes, EPCI, départements, régions, territoires de projet) et
compliquant les processus de prise de décision. La réforme actuelle prévoit la création d’un
nouveau statut de « conseiller territorial » dans la perspective des élections de 2014. Cette
loi s’inscrit en fait dans une longue liste (lois sur la décentralisation de 1982-1983 et 20032004, loi ATR de 1992, lois Chevènement et Voynet de 1999, lois sur la démocratie locale de
1995 et 2002, etc.). Cette réforme quasi-permanente témoigne de la difficulté de l’État à
mettre en œuvre un dispositif territorial adéquat et une régionalisation efficace, capable de
structurer le territoire en sous-ensembles géographiques cohérents afin d’améliorer
l’organisation spatiale du système général. En France, pendant longtemps, cette
organisation a répondu à un objectif de centralisation, permettant à l’État de contrôler
directement la façon de mettre en œuvre l’aménagement de son espace, c’est-à-dire
l’ensemble des actions volontaires entreprises pour organiser et « transformer l’espace dans
le but de générer des effets positifs sur la société » (Dictionnaire en ligne Hypergeo). Les
objectifs successifs mis en avant par l’État, c’est-à-dire la sécurisation, la modernisation, puis
l’équilibre du territoire, ont longtemps été de son seul ressort. Contrairement au modèle
fédéral, les institutions locales n’avaient que peu de pouvoir en France. C’est pourquoi la
décentralisation politique amorcée depuis 1969, consistant à confier davantage de
responsabilités et d’autonomie aux collectivités territoriales, aux régions notamment,
constitue une rupture historique dans la façon dont la République envisage la régionalisation
de son territoire. Cependant, la réforme territoriale en cours d’application rappelle que ce
processus n’est pas complètement abouti.
P1 Dans quelle mesure le caractère inachevé de la décentralisation permet-il ou non
aux régions de s’affirmer comme des acteurs déterminants de l’aménagement des
territoires ?
P2 Dit autrement, les régions sont-elles parvenues à s’affirmer comme des acteurs
déterminants de l’aménagement des territoires ?
P3 L’émergence des régions a-t-elle permis de mettre en œuvre un aménagement
plus démocratique et plus respectueux des autonomies locales ?
Annonce du plan
I – Les régions face à l’organisation territoriale de l’État :
une genèse longue et difficile
Phrase d’introduction de la partie :
En France les structures d’encadrement territorial de l’État se sont construites contre le
principe d’autonomie locale, avant de connaître un retournement avec la décentralisation.
A – Les pesanteurs de la centralisation
Phrase d’introduction de la sous-partie :
La construction du territoire national s’apparente à un lent processus de concentration du
pouvoir.
On en trouve les ferments dans l’effort pluriséculaire de la monarchie pour imposer un ordre
uniforme à la mosaïque de particularismes locaux, de privilèges et de coutumes qui
composent la couronne. Il ne s’agit pas, pour le pouvoir royal, d’éradiquer toutes ces
différences mais plutôt de les ménager dans le but d’obtenir l’acceptation de la logique
surplombante qu’impose le contrôle toujours plus étroit des agents territoriaux de l’État,
baillis, sénéchaux, gouverneurs puis intendants.
La Révolution et le Consulat réorganisent l'édifice politico-territorial hérité de l'Ancien
régime, aboutissant à une refonte administrative dont la signification est discutée. Pour
Tocqueville, la création des communes, des départements puis des préfets perpétue l’effort
de centralisation mené par la monarchie. Pour Maurras, au contraire, l’abolition des
privilèges provinciaux aboutit à l’extinction des libertés locales au nom d’une conception
absolue et uniformisatrice de l’égalité.
Document 1 - Discours de Chaptal à l'Assemblée
« Le préfet, essentiellement occupé de l'exécution, transmet les ordres au sous-préfet, celui-ci aux
maires des villes, bourgs et villages ; de manière que la chaîne d'exécution descend sans
interruption du ministre à l'administré, et transmet la loi et les ordres du gouvernement jusqu'aux
dernières ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique jusqu'au dernier
élément du corps social ».
J.A. Chaptal, Exposé des motifs de la loi du 28 pluviôse an VIII.
Tout au long du XIXème siècle, la victoire du jacobinisme visible dans la politique de
centralisation à laquelle se livrent les différents régimes successifs (document 1) ne parvient
pourtant pas à éteindre le vieux rêve fédéraliste, ravivé de façon régulière par des figures
aussi diverses que Proudhon, Mistral ou Barrès. Au cours de cette période, la politique
d’aménagement se limite à l’équipement technique du territoire en réseaux de circulation
(canaux, routes, chemin de fer, télégraphe électrique), conformément au rêve universaliste
des saint-simoniens. Sur le plan de la science, la géographie vidalienne, si elle s’appuie sur la
recherche et l’identification des spécificités régionales, n’envisage la monographie qu’à
l’intérieur d’un tableau plus général. Elle intègre la diversité des régions et des genres de vie
dans un discours d’incorporation à la Nation, célébrant l’harmonie et la complémentarité de
parties rendues indissociables par la puissance unificatrice de l’idéal républicain.
Phrase de transition :
Avec le temps, le maillage territorial de la République, hérité de la Révolution et de l’Empire,
paraît de plus en plus mal adapté aux mutations socio-économiques de l’âge industriel. La
croissance urbaine et l’essor des mobilités exigent une réorganisation de l’administration
territoriale.
B – La régionalisation administrative
C’est dans ce contexte qu’émerge la notion de « région polarisée », celle-ci désignant
une portion d'espace organisée par un centre, souvent une grande ville, capable de fournir
les services nécessaires à la structuration de cette étendue qui l’environne. Curieusement,
c’est à Vidal de la Blache que l’on doit une première réflexion sur la région économique :
dans son article « Les régions françaises » (Revue de Paris, 1910), il propose un premier
découpage régional construit autour de ce qu’il appelle des « nodalités », terme qui
préfigure l'idée de « polarisation » (document 2). Cette réflexion est reprise au cours de la
Grande Guerre, lorsque le ministre de l’économie Clémentel confie à l’historien Henri Hauser
le soin d’imaginer une organisation régionale de la production destinée à optimiser l’effort
de guerre. La paix revenue, ces régions Clémentel fournissent un cadre de regroupement
pour les chambres de commerce et d’industrie. Il faut cependant attendre la Seconde Guerre
mondiale pour que les réflexions sur le cadre régional reprennent. En 1941, le régime de
Vichy réinvestit l'idée d'utiliser le cadre des régions militaire en l'adaptant aux différentes
zones qui découpent le territoire pour mettre en œuvre une surveillance accrue mais aussi
pour permettre une meilleure organisation de la production industrielle. L'expérience de la
débâcle et les bombardements permettent aux partisans du fédéralisme d'avancer la
nécessité de mettre en œuvre une décentralisation industrielle sur une base régionale. Dès
1942, la DGEN (Délégation Générale à l'Equipement National), placée sous la responsabilité
de François Lehideux, s'appuie sur des travaux de géographes (J. Weleursse, P. George) pour
évoquer la nécessité d'aménager le territoire.
Document 2 – Les régions imaginées par Vidal de la Blache en 1910
Après la guerre, les commissaires de la République puis les IGAMES (Inspecteurs
Généraux de l'Administration en Mission Extraordinaire) prolongent l'expérience de Vichy en
matière de gestion administrative. En 1947, Jean-François Gravier défend l'idée de soutenir
l'industrialisation des régions économiques en retard. En 1950, Eugène Claudius-Petit,
ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, s'en inspire pour concevoir un Plan National
d'Aménagement du territoire. Pendant ce temps, au gré des initiatives locales, les comités
régionaux d'expansion sont utilisés par les élites locales pour obtenir une intervention plus
active de l'État en faveur du développement économique régional (Plan breton, 1953). En
1955, le décret Faure crée les « Comité régionaux d’expansion économique ». L'année
suivante, sous l'influence de J.-F. Gravier, le Commissariat Général au Plan conçoit les
programmes d'action régionale : le recours à un zonage homogène plus large que le maillage
départemental est désormais considéré comme un instrument de modernisation
économique et de mise en cohésion de l'action territoriale de l'État (allocation de primes,
planification spatiale des équipements, programmes d'investissement). La Vème République
confirme ce nouveau cadre régional (document 3) en confiant à la DATAR (1963) une mission
d'action régionale, en créant les préfets de région (1964) ainsi que les CODER (Commissions
de développement économique régional) la même année. L'aménagement régional devient
l'apanage d'une élite technocratique, composée de hauts fonctionnaires et
d'administrateurs, d'élus nationaux mais aussi d'économistes et de géographes convaincus
par la nécessité de fonder la prospérité nationale sur la multiplication des foyers productifs
dans l'ensemble du territoire. Il s'agit, dans tous les cas, d'un aménagement octroyé par
l'État.
C – L’émergence contrariée des pouvoirs régionaux
Phrase de transition
Le volontarisme étatique des années 1960 s'accomplit dans un contexte de montée
de la défiance populaire à l'égard des pouvoirs établis. Après l'explosion sociale de mai 1968,
le renouveau du mouvement en faveur de l’autonomie locale (« vivre et travailler au pays »,
mobilisation du Larzac) et la dénonciation des inégalités économiques régionales (R. Laffont,
M. Rocard) traduisent une insatisfaction grandissante à l'égard de la politique menée par
l'État dans les territoires.
L'idée de faire de la région un nouvel acteur, plus démocratique, capable d'incarner les
désirs d'autonomie locale, est cependant rejetée lors du référendum de 1969, non sans
contradiction avec les aspirations portées par le mouvement social au même moment. En
1972, la création d'un conseil régional réunissant les élus locaux et nationaux au sein des
Établissements Publics Régionaux atténue à peine le caractère toujours très centralisé de la
politique d'aménagement du territoire en France. L'idée de confier davantage de
responsabilités aux institutions locales ressurgit en 1976 avec le rapport d'Olivier Guichard
intitulé « Vivre ensemble ». A droite, les réticences sont encore vives et le projet de loi
Bonnet « pour le développement des responsabilités locales » présenté en 1978 s’enlise
dans le circuit parlementaire. Il faut attendre l'alternance de 1981 et la promulgation des lois
de décentralisation votées en 1982 et 1983 pour que les régions deviennent des collectivités
territoriales à part entière, élues au suffrage universel (1986) et douées, aux côtés des
communes et des départements, d'une première forme d'autonomie institutionnelle.
Document 3 - Serge Antoine L'homme qui a dessiné les régions
En 1958, Serge Antoine est chargé de réviser la carte des programmes d'action régionale au
nom du Conseil d'Etat. Ce découpage est entériné par les décrets du 7 janvier 1959 et du 2 juin
1960.
« Quelques régions apparaissent avec évidence, car toutes les administrations, ou presque, les
dessinent de la même manière: la Bretagne, l'Alsace, l'Auvergne, etc. Pour d'autres, en revanche,
un espace se distingue autour d'une grande ville, mais les contours en sont flous. Quant à certains
départements, c'est le brouillard le plus complet. L'Indre, à elle seule, est associée à 12
départements différents dans des configurations variées selon le domaine envisagé! Il faut
trouver autre chose.
Serge Antoine se penche alors d'un peu plus près sur l'armature urbaine de la France. Où se
situent les grandes villes et, surtout, quelles relations entretiennent-elles les unes avec les autres?
Pour le savoir, il se plonge évidemment dans les données du recensement, mais aussi dans... celles
du trafic téléphonique, un excellent révélateur. Nîmes téléphone davantage à Montpellier qu'à
Marseille? Le Gard sera donc rattaché au Languedoc-Roussillon. Les communications de
Périgueux sont plus nombreuses vers Bordeaux que vers Limoges? La Dordogne ira donc avec
l'Aquitaine. Et ainsi de suite.
Pour élaborer sa carte, Serge Antoine se fixe trois grandes contraintes. Premièrement, le respect
des limites départementales. «C'était l'échelon de base de toutes les administrations: on aurait
semé une pagaille monstre si l'on avait voulu s'en affranchir.» Ensuite, un seuil minimum de
population, d'environ 1 million d'habitants. Enfin, il lui paraît impératif de limiter la force du
rayonnement parisien. «L'influence de Paris s'exerçait sur environ un tiers de la France. C'était
non seulement nuisible au pays, mais impraticable pour les administrations: personne ne peut
prétendre gérer le territoire au plus près sur une telle échelle.» C'est ainsi que certaines régions
sont créées «au forceps». Il existe un espace entre Lille et Paris? On dessine la Picardie en
associant l'Aisne, la Somme et l'Oise. Il en sera de même avec la région Centre.
De «grandes régions», une nécessité évidente
Il se souvient des cas les plus difficiles: l'Indre et la Dordogne, on l'a dit, mais aussi la Vendée
(Pays de la Loire ou Poitou-Charentes?), les Hautes-Alpes (Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte
d'Azur-Corse?), l'Aveyron (Languedoc-Roussillon ou Midi-Pyrénées?), etc. Peu à peu, néanmoins,
une carte de France en 21 régions apparaît. Bonne surprise, elle ressemble en partie à la carte des
«régions de programme» de 1956. Serge Antoine y a toutefois apporté plusieurs ajustements:
contre l'avis des ministères de la Défense et de l'Intérieur, et grâce à l'appui de Matignon, MidiPyrénées perd les Pyrénées-Orientales (rattachées au Languedoc-Roussillon) et les BassesPyrénées (actuelles Pyrénées-Atlantiques, qui rejoignent l'Aquitaine). Il regroupe également la
région Alpes et la région Rhône, précédemment séparées ».
L'Express, n° 2 750, 15 mars 2004.
Phrase de transition de la partie
Ce premier acte de la décentralisation introduit une rupture avec l'effort séculaire de
concentration spatiale du pouvoir politique, permettant aux régions de s'affirmer comme de
nouveaux acteurs de l'aménagement du territoire.
II – Les conseils régionaux aménagent les territoires
Phrase d'introduction de la partie
Les régions sont devenues des collectivités territoriales à part entière, dotées d'un comité
exécutif en la personne du président de région élu par l'Assemblée délibérante.
A – Les modalités d'intervention spatiale des conseils régionaux
Celle-ci vote son propre budget (fonctionnement et investissement) et définit des priorités
dans les domaines de compétences que leur confie le législateur. Elles sont ainsi chargées du
développement économique, de la formation continue, de certains services de transport
(TER), de l'équipement des lycées mais aussi de l'aménagement du territoire. A cet effet,
elles mettent en place un SRADT (Schéma Régional d'Aménagement Durable du Territoire),
qui constitue un document de planification destiné à consolider l'organisation de l'espace
régional (document 4). Avec l'acte II, de nouveaux dispositifs permettent aux régions de
renforcer leurs interventions (document 5). Désormais, les conseils régionaux gèrent
également une partie de la fonction publique territoriale.
Document 4 – La situation du Nord-Pas-de-Calais envisagée par le SRADT
Document 5 – Les nouvelles compétences des collectivités régionales (2004)
Développement économique
primes régionales à l’emploi et à la création d’entreprise,
aides économiques et aides à l’immobilier,
schéma régional de développement économique
Aménagement du territoire et planification
politique nationale d’aménagement et de développement durable,
SRADT,
contrats de projet État-région,
schéma régional des infrastructures et des transports
Éducation, formation professionnelle
propriété des lycées, gestion des personnels TOS des lycées, apprentissage et
formation professionnelle des jeunes et des adultes
Culture
musées régionaux, archives régionales,
peuvent devenir propriétaire de monuments classés ou inscrits
Santé
participation, à titre expérimental pour quatre ans, au financement et à la réalisation
d’équipements sanitaires.
B – L’exemple d’une politique de développement du territoire
Depuis leur instauration en tant que collectivités territoriales autonomes, les régions ont
mené divers efforts pour affirmer leur présence et chercher à s'intégrer dans le paysage
institutionnel français. La plupart des conseils régionaux ont ainsi investi des lieux prestigieux,
anciens ou récents, au cœur des capitales régionales qui voient ainsi leur rôle structurant s'accroître.
Elles se sont également dotées de signes d'identification pour se faire connaître. Les logos choisis
renvoient pour la plupart à une iconographie territoriale (forme du territoire, maritimité, position
frontalière, héritage historique...). Elles s'efforcent de mener des opérations de communication et de
marketing afin de rendre compte de leur action auprès de publics divers : diffusion de journaux
gratuits, participation à l'organisation d'événements médiatiques et culturels, présence dans les
salons, ouverture de bureaux d'influence.
Avec le temps, elles se sont impliquées dans un certain nombre d'actions, cherchant pour la
plupart à assurer la cohérence territoriale des missions dont elles ont la responsabilités. A côté des
différents schémas d'aménagement qu'elles peuvent mettre en œuvre, 19 d'entre elles se sont
engagées dans une politique de développement durable en élaborant un Agenda 21 régional. Malgré
les spécificités propres à chaque région, on observe une certaine homogénéité dans les orientations
définies : soutenir l'activité des entreprises et favoriser l'innovation technologique, optimiser l'offre
de mobilités et de formation, promouvoir le rayonnement culturel et préserver la qualité
environnementale.
C – Une politique de partenariat
phrase de transition
La décentralisation ne profite pas de façon exclusive à l'institution régionale et la
multiplication des acteurs de l'aménagement contraint celle-ci à multiplier les partenariats et les
procédures de contractualisation.
Dès 1982, elles ont été associées à un conseil économique et social régional qui est une
instance délibérative émanant des corps intermédiaires représentant la société civile. Ces CESR
agissent comme des instances de réflexion et de prospective à l'échelle des régions. Les contrats de
plans État-régions, instaurés en 1984, devenus « contrats de projets » en 2007, visent à mettre en
cohérence les initiatives de l’État et celles des collectivités régionales en matière de planification
pluriannuelle sous la forme de co-financements volontaires. Dans le cadre du CPER (document 6), les
régions sont devenues responsables du volet territorial. Elles se chargent ainsi de la mise en
cohérence spatiale des schémas de développement local et des contrats de projet élaborés par les
collectivités d'échelon inférieur (contrats de pays, d'agglomération et de parcs mais aussi SCOT).
Document 6
Aux côtés des préfets de région, les conseils régionaux français interviennent comme
partenaires dans la mise en œuvre de la politique régionale de l'Union européenne et la
mobilisation des fonds (FEDER, FSE) versés au titre de deux objectifs retenus pour la période
2007-2013 : la compétitivité régionale et l’emploi ainsi que les différents volets de la
coopération territoriale européenne (transfrontalière, transnationale et interrégionale,
document 7). Seules les régions ultra-périphériques (RUP, c'est-à-dire les quatre DROM français)
bénéficient des crédits alloués au titre de l'objectif de convergence.
Document 7 – Les coopérations transfrontalières reconnues par la politique régionale de l'UE
Phrase de transition de la partie
Les actions entreprises par les conseils régionaux en matière d'aménagement sont devenues
nombreuses. Cependant, la nouvelle gouvernance des territoires place les régions dans une
position incertaine et souvent fragiles par rapport à leurs interlocuteurs.
III – Les régions : une position fragile dans la nouvelle gouvernance des
territoires
Phrase d'introduction de la partie
L'autonomie locale des régions peine à s'affirmer face au maintien de la
prépondérance étatique, dans un contexte où les lois de décentralisation ne sont pas
parvenues à définir une répartition des rôles cohérente et lisible pour l'opinion publique.
A – La dépendance des régions face à l'État
Phrase d'introduction de la sous-partie
Malgré les efforts successifs de décentralisation, l'État demeure un acteur
incontournable.
La préséance institutionnelle limite considérablement les marges de manœuvre des
exécutifs régionaux. Les préfets de région n'ont pas disparu et leur missions nouvelles en ont
fait des décideurs déterminants. Ils coordonnent en particulier les services déconcentrés de
l’État. Les conseils de région doivent, par ailleurs, coopérer avec des entreprises et des
administrations puissantes comme la SNCF, RFF, les rectorats, les CHU, les ports autonomes ou les
chambres de commerce. Secondés par les SGAR (secrétaires généraux aux Affaires régionales),
les préfets de région jouent
également un grand rôle dans la
politique régionale de l'État en
matière
de
développement
économique et d'aménagement du
territoire (répartition des fonds
européens, négociations des CPER
avec le conseil régional, validation
des périmètres des territoires de
projet).
En outre, si l'État ne propose
plus
de
schéma
général
d'aménagement
du
territoire
national, il continue à mener des
opérations
volontaristes
d'aménagement et d'équipement
auxquelles
les
collectivités
territoriales sont tenues de se
conformer, pour en tirer les
bénéfices ou pour en subir les
conséquences. Il pilote ainsi les OIN
(Opérations d'Intérêt National,
document 8), en concertation avec
Document 8 - Liste des principales opérations
d'intérêt national
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Les villes nouvelles (Marne-la-Vallée et Sénart)
La Défense, quartier d'affaires ;
Les complexes industriels et portuaires d'Antifer (Le
Havre), du Verdon (Bordeaux) et de Dunkerque ;
La zone d'aménagement de Fos-sur-Mer ;
L'établissement
public
d'aménagement
Euroméditerranée (Marseille) ;
L'opération Seine-Arche (prolongement de la Défense
à Nanterre) ;
Les aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, de ParisOrly et de Paris-Le Bourget ;
L'opération d'aménagement et de renouvellement
urbain de Saint-Étienne (Décret n° 2007-89 du 24
janvier 2007) ;
L'opération d'intérêt national Seine-Aval, coordonnées
par l'Établissement public d'aménagement MantesSeine Aval (EPAMSA) ;
L'opération d'amenagement Orly-Rungis-Seine Amont
(EPA-ORSA), dans le sud de l'Île-de-France ;
L'opération d'aménagement de la Plaine du Var à Nice
;
Le parc technologique de Saclay
L'opération Euratlantique autour de Bordeaux.
les acteurs locaux, tout en conservant la primauté sur les principales décisions stratégiques
(choix d'implantations, modes de financements, attributions des rôles). L'État conserve aussi
l'exclusivité en matière d'organisation de débats publics territoriaux grâce à la CNDP
(Commission Nationale du Débat Public). Il peut également mettre en œuvre des DTA
(Directives Territoriales d'Aménagement), lesquelles sont opposables aux documents
d'urbanisme élaborés par les collectivités d'échelon inférieur (document 9). Il peut ainsi
conserver la maîtrise des secteurs géographiques qu'il juge stratégiques.
Document 9 - Les sept directives territoriales d'aménagement
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DTA des Alpes-Maritimes ;
DTA des bassins miniers nord-lorrains
DTA de l'estuaire de la Seine
DTA de l'estuaire de la Loire
DTA de l'aire métropolitaine lyonnaise
DTA des Bouches-du-Rhône
DTA des Alpes du Nord
Depuis 2005, la logique des appels d’offre (pôles de compétitivité, pôles d'excellence
rurale...) semble se généraliser. Elle introduit une nouvelle procédure de contractualisation
avec le niveau local : l'État commence par fixer les lignes générales d'un cadre de
financement d'appels à projets auxquels les collectivités territoriales sont censées répondre
dans un deuxième temps, avant de recevoir l'acceptation ou le rejet de leur candidature. Ce
faisant, l'État se positionne comme la seule autorité normative du jeu institutionnel. Il
obtient l'assurance que les projets mis en œuvre par les collectivités ne contreviendront à
ses propres objectifs, tout en évitant d'apparaître comme un donneur d'ordre autoritaire.
Dans toutes ces opérations et dispositifs, l'État est à la fois juge et partie. En cas de
désaccord, il demeure l'instance suprême d'arbitrage. Il n'est pas rare que les pouvoirs
régionaux soient ainsi limités, voire empêchés, dans la conduite de leur action. Par exemple,
le SDRIF (Schéma Directeur de la région Île-de-France) remis au Premier ministre par le
Conseil Régional à l'automne 2008 est toujours bloqué à ce jour : les divergences de vues en
matière de croissance économique, qui opposent les élus régionaux, socialistes et
écologistes, à l'exécutif national et aux parlementaires de la droite parisienne ont abouti à la
mise entre parenthèses du projet de durabilité urbaine élaboré par le Conseil Régional. La
mise en place d'un secrétariat d'État à la région capitale a permis de mettre en œuvre un
contre-projet aboutissant au vote d'une loi au Parlement destinée à fournir à Paris les
infrastructures nécessaires au maintien de sa compétitivité et de sa place dans le club
restreint des métropoles globales.
Cette prépondérance de l'État sur les libertés locales pourrait à l'avenir s'accroître
encore. Si les régions votent librement leur budget, leurs capacités financières dépendent
largement des dotations de l’État. En 2009 par exemple, 45 % des recettes perçues par le
conseil régional de Basse-Normandie provenaient directement de l’État. La suppression
envisagée de la taxe professionnelle placerait les exécutifs locaux sous une tutelle financière
encore plus forte vis-à-vis du MINEFI. En outre, la réforme territoriale en cours de
préparation, si la création d'un conseiller territorial élu au suffrage majoritaire à un tour se
confirmait, pourrait affaiblir les régions face aux conseils généraux, remettant en cause les
marges d'action acquises face à l'accumulation des pouvoirs locaux concurrents.
B – La nouvelle gouvernance ou la confusion des rôles
Phrase d'introduction de la sous-partie
Les différents actes de la décentralisation ont abouti à l'accumulation des acteurs et
des niveaux de décision locale, sans qu'aucun d'entre eux n'ait été désigné comme chef de
file.
L'idée d'accorder une tutelle aux régions n'a jamais été mise en œuvre en raison de
l'opposition récurrente des conseils généraux et du Sénat. Le pouvoir des conseils régionaux
est donc limité par l’existence d’autres collectivités territoriales, les communes et les
conseils généraux des départements, qui jouissent d’une totale autonomie à l’égard de la
région dans laquelle elles sont situées. Malgré l'existence de compétences explicites, chaque
collectivité jouit en outre de la « clause de compétence générale » : elle peut ainsi intervenir
dans tous les domaines d'action de son choix, au risque d'entrer en contradiction ou de
proposer des initiatives redondantes avec celles lancées par d'autres collectivités, à d'autres
échelons. Depuis 2007, la région Haute-Normandie et les départements de l’Eure et de la
Seine-Maritime ont entrepris la « démarche 276 ». Il s’agit grâce à un contrat original, signé
entre les trois collectivités, de constituer « un puissant levier pour le développement,
l'aménagement et la cohésion du territoire régional, en associant les efforts financiers des
trois collectivités au service d'une vision stratégique commune ». Les conseils régionaux n’ont
cependant aucun pouvoir de contrainte pour empêcher que deux départements contigus
mènent des actions antagonistes ou pour éviter que les décisions des conseils généraux
entrent en contradiction avec les schémas régionaux (transport, économie, aménagement et
développement du territoire). Cette absence de tutelle est d’autant plus gênante pour les
régions que leurs capacités financières sont proportionnellement plus faibles que celles des
départements (document 10).
En multipliant les niveaux de décision et en refusant d’établir une hiérarchie claire et
cohérente, la décentralisation a compliqué la prise de décision. Elle a multiplié les
interférences sans fournir aux régions des moyens réels pour assurer la mise en cohérence
des actions publiques locales. Malgré le lobbying exercé par l’Association des Régions de
France (ARF), la fragilité structurelle des régions françaises perdurera aussi longtemps que
les élus nationaux resteront attachés au millefeuille territorial et à l’abondance de sièges
locaux qu’un tel système pourvoit.
Document 10 – La force de frappe budgétaire des régions et des départements
normands
Dépenses engagées au titre de l’exercice 2009.
C – Le problème de la légitimation démocratique
Dans un contexte où la participation des citoyens s’exprime de plus en plus souvent sous la
forme de contestations, la décentralisation a été présentée comme un remède indispensable : en
rapprochant les élus des citoyens, en favorisant la démocratie de proximité, on allait pouvoir rétablir
des liens de confiance, permettre un meilleur dialogue entre le peuple et ses élites politiques, éviter
le bureaucratisme d’une technostructure lointaine et indifférente. L’exemple des régions montre
pourtant que, contrairement à un discours insistant, le renforcement de la démocratie par le recours
au localisme est loin d’être facile à réaliser. Une enquête réalisée en décembre 2009 par la société
LH2 révèle en effet que 29 % des citoyens seulement connaissent spontanément le nom du président
de leur conseil régional. Seuls Ségolène Royal et Georges Frêche dépassent les 50 %. En BasseNormandie, Laurent Beauvais n’est connu que par 15 % des personnes interrogées. En HauteNormandie, Alain Le Vern atteint seulement 22 % de notoriété spontanée (document 11). Il ne s’agit
pas seulement d’une question de personne mais bien d’un problème de nature politique. Le même
sondage révèle que 24 % des personnes interrogées croient être dirigées par une majorité politique
opposée à celle qui est effectivement au pouvoir. 36 % des Bas-Normands et 27 % des HautsNormands pensent ainsi que leur conseil régional est conduit par une équipe de droite. Ces
personnes risquent donc de voter en pensant soutenir ou sanctionner le mauvais camp (document
12). Dans ces conditions, il est à craindre que beaucoup d’entre eux aient une vision très
approximative des enjeux institutionnels que représente réellement la désignation d’une assemblée
régionale, sans compter les difficultés à identifier le contenu des programmes proposés par les
différentes listes et à évaluer en quoi ils correspondent aux attentes qu’eux-mêmes pourraient avoir
pour leur région.
Document 11
Document 12
Par ailleurs, les campagnes pour les élections régionales, en raison même de la centralisation
nationales des enjeux et des rivalités partisanes qui les animent, traduisent un réel
dysfonctionnement. Les contenus des programmes restent souvent attachés à la ligne nationale d’un
parti politique, prenant la forme de prises de positions générales, souvent sans que le lien avec les
compétences et le pouvoir réel des régions soit discuté ou que les spécificités du contexte régional
n’apparaissent clairement. Certains candidats annoncent ainsi qu’ils souhaitent transformer leur
région pour en faire un modèle de développement afin d’améliorer la vie des habitants, sans
forcément mettre en avant le fait que les moyens budgétaires et réglementaires dont ils
disposeraient sont en fait très limités. L’essentiel du débat se cristallise autour de thèmes traités
comme des problèmes d’échelles étatique ou internationale : la lutte contre la crise économique,
l’identité nationale, le développement durable, les questions sociales ou l’insécurité…. Cette
centralisation structurelle de la délibération politique à l’échelle nationale se traduit par l’occultation
quasi-permanente des problèmes liés aux espaces régionaux. Pendant ce temps, les médias locaux
(TV, Radios, presse quotidienne régionale), s’ils ont parfois une audience notable, restent enfermés
dans des registres qui ne favorisent pas l’émergence d’une discussion réellement contradictoire. Ils
n’exercent aucunement le travail de mise en perspective et de commentaire critique auquel se
livrent les médias nationaux, notamment le journalisme d’opinion. La plupart du temps, la
représentation médiatique de l’actualité régionale se cantonne à la relation de faits divers, à la
célébration de la vie quotidienne et à la présentation complaisante des événements officiels. Cette
absence d’une culture du débat à l’échelle sub-étatique explique pourquoi le fonctionnement des
institutions régionales reste pour la plupart des citoyens assez hermétique. L'abstention aux
élections n'est alors pas surprenante (document 13). Aussi longtemps que cette absence de
mobilisation démocratique perdurera, malgré les appels à la participation qui ne manqueront pas de
se multiplier d’ici aux prochaines élections, prévues en 2014, il y a peu de chance que la politique des
régions parvienne à sortir de l’indifférence qui la caractérise depuis trente ans. Seul un
investissement collectif plus vigoureux, notamment de la part de la société civile, serait susceptible
aujourd’hui de faire descendre peu à peu la culture du débat politique aux niveaux inférieurs de
l’action publique.
Document 13 – L'abstention aux élections régionales de mars 2010 (par région)
Conclusion
Malgré une succession de réformes presque interrompues depuis le début des
années 1980, la France n’est pas parvenue à effacer le caractère profondément centralisé de
son organisation territoriale et à inverser une logique qui prévaut depuis plusieurs siècles.
Les régions demeurent des institutions fragiles, à la fois car l’État conserve un rôle puissant
mais aussi car, depuis plusieurs décennies, aucun pouvoir n’a eu la volonté ou le courage de
mettre fin à la concurrence exercée par d’autres pouvoirs locaux (départements,
communes). La solution de facilité consistant à accumuler des niveaux de décision locale
sans jamais toucher à ceux existant a abouti au millefeuille territorial que dénoncent
désormais de nombreux observateurs et responsables politiques, de droite comme de
gauche : confusion dans la répartition des rôles, complication des processus de décisions,
course à la légitimité populaire, multiplication des dépenses publiques, etc. A la place d’une
régionalisation cohérente et lisible par l’opinion publique, la décentralisation a abouti à une
organisation territoriale pesante, opaque et souvent technocratique.
La France n’est pas le seul État en Europe à connaître des transformations
importantes et des difficultés non résolues en matière d’organisation territoriale (RoyaumeUni, Espagne, Italie, sans parler de la Belgique). Cependant, elle est sans doute le seul pays
où la décentralisation a consisté à créer une nouvelle entité, la région, censée participer à
l’aménagement du territoire, sans que les moyens nécessaires lui aient été accordés : on a
préféré multiplier les niveaux de pouvoirs, disperser les responsabilités et les capacités
financières plutôt que de constituer des régions puissantes capables de s’ériger en acteur de
taille européenne à l’image de la Catalogne, la Lombardie ou le Bade-Wurtemberg.

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