Régionalisation et aménagement du territoire en France
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Régionalisation et aménagement du territoire en France
Proposition de correction Régionalisation et aménagement du territoire en France Introduction La Réforme territoriale promulguée en décembre 2010 vise à remédier au « millefeuille territorial » qui caractérise l’édifice territorial en France, accumulant les niveaux de décision (communes, EPCI, départements, régions, territoires de projet) et compliquant les processus de prise de décision. La réforme actuelle prévoit la création d’un nouveau statut de « conseiller territorial » dans la perspective des élections de 2014. Cette loi s’inscrit en fait dans une longue liste (lois sur la décentralisation de 1982-1983 et 20032004, loi ATR de 1992, lois Chevènement et Voynet de 1999, lois sur la démocratie locale de 1995 et 2002, etc.). Cette réforme quasi-permanente témoigne de la difficulté de l’État à mettre en œuvre un dispositif territorial adéquat et une régionalisation efficace, capable de structurer le territoire en sous-ensembles géographiques cohérents afin d’améliorer l’organisation spatiale du système général. En France, pendant longtemps, cette organisation a répondu à un objectif de centralisation, permettant à l’État de contrôler directement la façon de mettre en œuvre l’aménagement de son espace, c’est-à-dire l’ensemble des actions volontaires entreprises pour organiser et « transformer l’espace dans le but de générer des effets positifs sur la société » (Dictionnaire en ligne Hypergeo). Les objectifs successifs mis en avant par l’État, c’est-à-dire la sécurisation, la modernisation, puis l’équilibre du territoire, ont longtemps été de son seul ressort. Contrairement au modèle fédéral, les institutions locales n’avaient que peu de pouvoir en France. C’est pourquoi la décentralisation politique amorcée depuis 1969, consistant à confier davantage de responsabilités et d’autonomie aux collectivités territoriales, aux régions notamment, constitue une rupture historique dans la façon dont la République envisage la régionalisation de son territoire. Cependant, la réforme territoriale en cours d’application rappelle que ce processus n’est pas complètement abouti. P1 Dans quelle mesure le caractère inachevé de la décentralisation permet-il ou non aux régions de s’affirmer comme des acteurs déterminants de l’aménagement des territoires ? P2 Dit autrement, les régions sont-elles parvenues à s’affirmer comme des acteurs déterminants de l’aménagement des territoires ? P3 L’émergence des régions a-t-elle permis de mettre en œuvre un aménagement plus démocratique et plus respectueux des autonomies locales ? Annonce du plan I – Les régions face à l’organisation territoriale de l’État : une genèse longue et difficile Phrase d’introduction de la partie : En France les structures d’encadrement territorial de l’État se sont construites contre le principe d’autonomie locale, avant de connaître un retournement avec la décentralisation. A – Les pesanteurs de la centralisation Phrase d’introduction de la sous-partie : La construction du territoire national s’apparente à un lent processus de concentration du pouvoir. On en trouve les ferments dans l’effort pluriséculaire de la monarchie pour imposer un ordre uniforme à la mosaïque de particularismes locaux, de privilèges et de coutumes qui composent la couronne. Il ne s’agit pas, pour le pouvoir royal, d’éradiquer toutes ces différences mais plutôt de les ménager dans le but d’obtenir l’acceptation de la logique surplombante qu’impose le contrôle toujours plus étroit des agents territoriaux de l’État, baillis, sénéchaux, gouverneurs puis intendants. La Révolution et le Consulat réorganisent l'édifice politico-territorial hérité de l'Ancien régime, aboutissant à une refonte administrative dont la signification est discutée. Pour Tocqueville, la création des communes, des départements puis des préfets perpétue l’effort de centralisation mené par la monarchie. Pour Maurras, au contraire, l’abolition des privilèges provinciaux aboutit à l’extinction des libertés locales au nom d’une conception absolue et uniformisatrice de l’égalité. Document 1 - Discours de Chaptal à l'Assemblée « Le préfet, essentiellement occupé de l'exécution, transmet les ordres au sous-préfet, celui-ci aux maires des villes, bourgs et villages ; de manière que la chaîne d'exécution descend sans interruption du ministre à l'administré, et transmet la loi et les ordres du gouvernement jusqu'aux dernières ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique jusqu'au dernier élément du corps social ». J.A. Chaptal, Exposé des motifs de la loi du 28 pluviôse an VIII. Tout au long du XIXème siècle, la victoire du jacobinisme visible dans la politique de centralisation à laquelle se livrent les différents régimes successifs (document 1) ne parvient pourtant pas à éteindre le vieux rêve fédéraliste, ravivé de façon régulière par des figures aussi diverses que Proudhon, Mistral ou Barrès. Au cours de cette période, la politique d’aménagement se limite à l’équipement technique du territoire en réseaux de circulation (canaux, routes, chemin de fer, télégraphe électrique), conformément au rêve universaliste des saint-simoniens. Sur le plan de la science, la géographie vidalienne, si elle s’appuie sur la recherche et l’identification des spécificités régionales, n’envisage la monographie qu’à l’intérieur d’un tableau plus général. Elle intègre la diversité des régions et des genres de vie dans un discours d’incorporation à la Nation, célébrant l’harmonie et la complémentarité de parties rendues indissociables par la puissance unificatrice de l’idéal républicain. Phrase de transition : Avec le temps, le maillage territorial de la République, hérité de la Révolution et de l’Empire, paraît de plus en plus mal adapté aux mutations socio-économiques de l’âge industriel. La croissance urbaine et l’essor des mobilités exigent une réorganisation de l’administration territoriale. B – La régionalisation administrative C’est dans ce contexte qu’émerge la notion de « région polarisée », celle-ci désignant une portion d'espace organisée par un centre, souvent une grande ville, capable de fournir les services nécessaires à la structuration de cette étendue qui l’environne. Curieusement, c’est à Vidal de la Blache que l’on doit une première réflexion sur la région économique : dans son article « Les régions françaises » (Revue de Paris, 1910), il propose un premier découpage régional construit autour de ce qu’il appelle des « nodalités », terme qui préfigure l'idée de « polarisation » (document 2). Cette réflexion est reprise au cours de la Grande Guerre, lorsque le ministre de l’économie Clémentel confie à l’historien Henri Hauser le soin d’imaginer une organisation régionale de la production destinée à optimiser l’effort de guerre. La paix revenue, ces régions Clémentel fournissent un cadre de regroupement pour les chambres de commerce et d’industrie. Il faut cependant attendre la Seconde Guerre mondiale pour que les réflexions sur le cadre régional reprennent. En 1941, le régime de Vichy réinvestit l'idée d'utiliser le cadre des régions militaire en l'adaptant aux différentes zones qui découpent le territoire pour mettre en œuvre une surveillance accrue mais aussi pour permettre une meilleure organisation de la production industrielle. L'expérience de la débâcle et les bombardements permettent aux partisans du fédéralisme d'avancer la nécessité de mettre en œuvre une décentralisation industrielle sur une base régionale. Dès 1942, la DGEN (Délégation Générale à l'Equipement National), placée sous la responsabilité de François Lehideux, s'appuie sur des travaux de géographes (J. Weleursse, P. George) pour évoquer la nécessité d'aménager le territoire. Document 2 – Les régions imaginées par Vidal de la Blache en 1910 Après la guerre, les commissaires de la République puis les IGAMES (Inspecteurs Généraux de l'Administration en Mission Extraordinaire) prolongent l'expérience de Vichy en matière de gestion administrative. En 1947, Jean-François Gravier défend l'idée de soutenir l'industrialisation des régions économiques en retard. En 1950, Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, s'en inspire pour concevoir un Plan National d'Aménagement du territoire. Pendant ce temps, au gré des initiatives locales, les comités régionaux d'expansion sont utilisés par les élites locales pour obtenir une intervention plus active de l'État en faveur du développement économique régional (Plan breton, 1953). En 1955, le décret Faure crée les « Comité régionaux d’expansion économique ». L'année suivante, sous l'influence de J.-F. Gravier, le Commissariat Général au Plan conçoit les programmes d'action régionale : le recours à un zonage homogène plus large que le maillage départemental est désormais considéré comme un instrument de modernisation économique et de mise en cohésion de l'action territoriale de l'État (allocation de primes, planification spatiale des équipements, programmes d'investissement). La Vème République confirme ce nouveau cadre régional (document 3) en confiant à la DATAR (1963) une mission d'action régionale, en créant les préfets de région (1964) ainsi que les CODER (Commissions de développement économique régional) la même année. L'aménagement régional devient l'apanage d'une élite technocratique, composée de hauts fonctionnaires et d'administrateurs, d'élus nationaux mais aussi d'économistes et de géographes convaincus par la nécessité de fonder la prospérité nationale sur la multiplication des foyers productifs dans l'ensemble du territoire. Il s'agit, dans tous les cas, d'un aménagement octroyé par l'État. C – L’émergence contrariée des pouvoirs régionaux Phrase de transition Le volontarisme étatique des années 1960 s'accomplit dans un contexte de montée de la défiance populaire à l'égard des pouvoirs établis. Après l'explosion sociale de mai 1968, le renouveau du mouvement en faveur de l’autonomie locale (« vivre et travailler au pays », mobilisation du Larzac) et la dénonciation des inégalités économiques régionales (R. Laffont, M. Rocard) traduisent une insatisfaction grandissante à l'égard de la politique menée par l'État dans les territoires. L'idée de faire de la région un nouvel acteur, plus démocratique, capable d'incarner les désirs d'autonomie locale, est cependant rejetée lors du référendum de 1969, non sans contradiction avec les aspirations portées par le mouvement social au même moment. En 1972, la création d'un conseil régional réunissant les élus locaux et nationaux au sein des Établissements Publics Régionaux atténue à peine le caractère toujours très centralisé de la politique d'aménagement du territoire en France. L'idée de confier davantage de responsabilités aux institutions locales ressurgit en 1976 avec le rapport d'Olivier Guichard intitulé « Vivre ensemble ». A droite, les réticences sont encore vives et le projet de loi Bonnet « pour le développement des responsabilités locales » présenté en 1978 s’enlise dans le circuit parlementaire. Il faut attendre l'alternance de 1981 et la promulgation des lois de décentralisation votées en 1982 et 1983 pour que les régions deviennent des collectivités territoriales à part entière, élues au suffrage universel (1986) et douées, aux côtés des communes et des départements, d'une première forme d'autonomie institutionnelle. Document 3 - Serge Antoine L'homme qui a dessiné les régions En 1958, Serge Antoine est chargé de réviser la carte des programmes d'action régionale au nom du Conseil d'Etat. Ce découpage est entériné par les décrets du 7 janvier 1959 et du 2 juin 1960. « Quelques régions apparaissent avec évidence, car toutes les administrations, ou presque, les dessinent de la même manière: la Bretagne, l'Alsace, l'Auvergne, etc. Pour d'autres, en revanche, un espace se distingue autour d'une grande ville, mais les contours en sont flous. Quant à certains départements, c'est le brouillard le plus complet. L'Indre, à elle seule, est associée à 12 départements différents dans des configurations variées selon le domaine envisagé! Il faut trouver autre chose. Serge Antoine se penche alors d'un peu plus près sur l'armature urbaine de la France. Où se situent les grandes villes et, surtout, quelles relations entretiennent-elles les unes avec les autres? Pour le savoir, il se plonge évidemment dans les données du recensement, mais aussi dans... celles du trafic téléphonique, un excellent révélateur. Nîmes téléphone davantage à Montpellier qu'à Marseille? Le Gard sera donc rattaché au Languedoc-Roussillon. Les communications de Périgueux sont plus nombreuses vers Bordeaux que vers Limoges? La Dordogne ira donc avec l'Aquitaine. Et ainsi de suite. Pour élaborer sa carte, Serge Antoine se fixe trois grandes contraintes. Premièrement, le respect des limites départementales. «C'était l'échelon de base de toutes les administrations: on aurait semé une pagaille monstre si l'on avait voulu s'en affranchir.» Ensuite, un seuil minimum de population, d'environ 1 million d'habitants. Enfin, il lui paraît impératif de limiter la force du rayonnement parisien. «L'influence de Paris s'exerçait sur environ un tiers de la France. C'était non seulement nuisible au pays, mais impraticable pour les administrations: personne ne peut prétendre gérer le territoire au plus près sur une telle échelle.» C'est ainsi que certaines régions sont créées «au forceps». Il existe un espace entre Lille et Paris? On dessine la Picardie en associant l'Aisne, la Somme et l'Oise. Il en sera de même avec la région Centre. De «grandes régions», une nécessité évidente Il se souvient des cas les plus difficiles: l'Indre et la Dordogne, on l'a dit, mais aussi la Vendée (Pays de la Loire ou Poitou-Charentes?), les Hautes-Alpes (Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse?), l'Aveyron (Languedoc-Roussillon ou Midi-Pyrénées?), etc. Peu à peu, néanmoins, une carte de France en 21 régions apparaît. Bonne surprise, elle ressemble en partie à la carte des «régions de programme» de 1956. Serge Antoine y a toutefois apporté plusieurs ajustements: contre l'avis des ministères de la Défense et de l'Intérieur, et grâce à l'appui de Matignon, MidiPyrénées perd les Pyrénées-Orientales (rattachées au Languedoc-Roussillon) et les BassesPyrénées (actuelles Pyrénées-Atlantiques, qui rejoignent l'Aquitaine). Il regroupe également la région Alpes et la région Rhône, précédemment séparées ». L'Express, n° 2 750, 15 mars 2004. Phrase de transition de la partie Ce premier acte de la décentralisation introduit une rupture avec l'effort séculaire de concentration spatiale du pouvoir politique, permettant aux régions de s'affirmer comme de nouveaux acteurs de l'aménagement du territoire. II – Les conseils régionaux aménagent les territoires Phrase d'introduction de la partie Les régions sont devenues des collectivités territoriales à part entière, dotées d'un comité exécutif en la personne du président de région élu par l'Assemblée délibérante. A – Les modalités d'intervention spatiale des conseils régionaux Celle-ci vote son propre budget (fonctionnement et investissement) et définit des priorités dans les domaines de compétences que leur confie le législateur. Elles sont ainsi chargées du développement économique, de la formation continue, de certains services de transport (TER), de l'équipement des lycées mais aussi de l'aménagement du territoire. A cet effet, elles mettent en place un SRADT (Schéma Régional d'Aménagement Durable du Territoire), qui constitue un document de planification destiné à consolider l'organisation de l'espace régional (document 4). Avec l'acte II, de nouveaux dispositifs permettent aux régions de renforcer leurs interventions (document 5). Désormais, les conseils régionaux gèrent également une partie de la fonction publique territoriale. Document 4 – La situation du Nord-Pas-de-Calais envisagée par le SRADT Document 5 – Les nouvelles compétences des collectivités régionales (2004) Développement économique primes régionales à l’emploi et à la création d’entreprise, aides économiques et aides à l’immobilier, schéma régional de développement économique Aménagement du territoire et planification politique nationale d’aménagement et de développement durable, SRADT, contrats de projet État-région, schéma régional des infrastructures et des transports Éducation, formation professionnelle propriété des lycées, gestion des personnels TOS des lycées, apprentissage et formation professionnelle des jeunes et des adultes Culture musées régionaux, archives régionales, peuvent devenir propriétaire de monuments classés ou inscrits Santé participation, à titre expérimental pour quatre ans, au financement et à la réalisation d’équipements sanitaires. B – L’exemple d’une politique de développement du territoire Depuis leur instauration en tant que collectivités territoriales autonomes, les régions ont mené divers efforts pour affirmer leur présence et chercher à s'intégrer dans le paysage institutionnel français. La plupart des conseils régionaux ont ainsi investi des lieux prestigieux, anciens ou récents, au cœur des capitales régionales qui voient ainsi leur rôle structurant s'accroître. Elles se sont également dotées de signes d'identification pour se faire connaître. Les logos choisis renvoient pour la plupart à une iconographie territoriale (forme du territoire, maritimité, position frontalière, héritage historique...). Elles s'efforcent de mener des opérations de communication et de marketing afin de rendre compte de leur action auprès de publics divers : diffusion de journaux gratuits, participation à l'organisation d'événements médiatiques et culturels, présence dans les salons, ouverture de bureaux d'influence. Avec le temps, elles se sont impliquées dans un certain nombre d'actions, cherchant pour la plupart à assurer la cohérence territoriale des missions dont elles ont la responsabilités. A côté des différents schémas d'aménagement qu'elles peuvent mettre en œuvre, 19 d'entre elles se sont engagées dans une politique de développement durable en élaborant un Agenda 21 régional. Malgré les spécificités propres à chaque région, on observe une certaine homogénéité dans les orientations définies : soutenir l'activité des entreprises et favoriser l'innovation technologique, optimiser l'offre de mobilités et de formation, promouvoir le rayonnement culturel et préserver la qualité environnementale. C – Une politique de partenariat phrase de transition La décentralisation ne profite pas de façon exclusive à l'institution régionale et la multiplication des acteurs de l'aménagement contraint celle-ci à multiplier les partenariats et les procédures de contractualisation. Dès 1982, elles ont été associées à un conseil économique et social régional qui est une instance délibérative émanant des corps intermédiaires représentant la société civile. Ces CESR agissent comme des instances de réflexion et de prospective à l'échelle des régions. Les contrats de plans État-régions, instaurés en 1984, devenus « contrats de projets » en 2007, visent à mettre en cohérence les initiatives de l’État et celles des collectivités régionales en matière de planification pluriannuelle sous la forme de co-financements volontaires. Dans le cadre du CPER (document 6), les régions sont devenues responsables du volet territorial. Elles se chargent ainsi de la mise en cohérence spatiale des schémas de développement local et des contrats de projet élaborés par les collectivités d'échelon inférieur (contrats de pays, d'agglomération et de parcs mais aussi SCOT). Document 6 Aux côtés des préfets de région, les conseils régionaux français interviennent comme partenaires dans la mise en œuvre de la politique régionale de l'Union européenne et la mobilisation des fonds (FEDER, FSE) versés au titre de deux objectifs retenus pour la période 2007-2013 : la compétitivité régionale et l’emploi ainsi que les différents volets de la coopération territoriale européenne (transfrontalière, transnationale et interrégionale, document 7). Seules les régions ultra-périphériques (RUP, c'est-à-dire les quatre DROM français) bénéficient des crédits alloués au titre de l'objectif de convergence. Document 7 – Les coopérations transfrontalières reconnues par la politique régionale de l'UE Phrase de transition de la partie Les actions entreprises par les conseils régionaux en matière d'aménagement sont devenues nombreuses. Cependant, la nouvelle gouvernance des territoires place les régions dans une position incertaine et souvent fragiles par rapport à leurs interlocuteurs. III – Les régions : une position fragile dans la nouvelle gouvernance des territoires Phrase d'introduction de la partie L'autonomie locale des régions peine à s'affirmer face au maintien de la prépondérance étatique, dans un contexte où les lois de décentralisation ne sont pas parvenues à définir une répartition des rôles cohérente et lisible pour l'opinion publique. A – La dépendance des régions face à l'État Phrase d'introduction de la sous-partie Malgré les efforts successifs de décentralisation, l'État demeure un acteur incontournable. La préséance institutionnelle limite considérablement les marges de manœuvre des exécutifs régionaux. Les préfets de région n'ont pas disparu et leur missions nouvelles en ont fait des décideurs déterminants. Ils coordonnent en particulier les services déconcentrés de l’État. Les conseils de région doivent, par ailleurs, coopérer avec des entreprises et des administrations puissantes comme la SNCF, RFF, les rectorats, les CHU, les ports autonomes ou les chambres de commerce. Secondés par les SGAR (secrétaires généraux aux Affaires régionales), les préfets de région jouent également un grand rôle dans la politique régionale de l'État en matière de développement économique et d'aménagement du territoire (répartition des fonds européens, négociations des CPER avec le conseil régional, validation des périmètres des territoires de projet). En outre, si l'État ne propose plus de schéma général d'aménagement du territoire national, il continue à mener des opérations volontaristes d'aménagement et d'équipement auxquelles les collectivités territoriales sont tenues de se conformer, pour en tirer les bénéfices ou pour en subir les conséquences. Il pilote ainsi les OIN (Opérations d'Intérêt National, document 8), en concertation avec Document 8 - Liste des principales opérations d'intérêt national • • • • • • • • • • • • • Les villes nouvelles (Marne-la-Vallée et Sénart) La Défense, quartier d'affaires ; Les complexes industriels et portuaires d'Antifer (Le Havre), du Verdon (Bordeaux) et de Dunkerque ; La zone d'aménagement de Fos-sur-Mer ; L'établissement public d'aménagement Euroméditerranée (Marseille) ; L'opération Seine-Arche (prolongement de la Défense à Nanterre) ; Les aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, de ParisOrly et de Paris-Le Bourget ; L'opération d'aménagement et de renouvellement urbain de Saint-Étienne (Décret n° 2007-89 du 24 janvier 2007) ; L'opération d'intérêt national Seine-Aval, coordonnées par l'Établissement public d'aménagement MantesSeine Aval (EPAMSA) ; L'opération d'amenagement Orly-Rungis-Seine Amont (EPA-ORSA), dans le sud de l'Île-de-France ; L'opération d'aménagement de la Plaine du Var à Nice ; Le parc technologique de Saclay L'opération Euratlantique autour de Bordeaux. les acteurs locaux, tout en conservant la primauté sur les principales décisions stratégiques (choix d'implantations, modes de financements, attributions des rôles). L'État conserve aussi l'exclusivité en matière d'organisation de débats publics territoriaux grâce à la CNDP (Commission Nationale du Débat Public). Il peut également mettre en œuvre des DTA (Directives Territoriales d'Aménagement), lesquelles sont opposables aux documents d'urbanisme élaborés par les collectivités d'échelon inférieur (document 9). Il peut ainsi conserver la maîtrise des secteurs géographiques qu'il juge stratégiques. Document 9 - Les sept directives territoriales d'aménagement • • • • • • • DTA des Alpes-Maritimes ; DTA des bassins miniers nord-lorrains DTA de l'estuaire de la Seine DTA de l'estuaire de la Loire DTA de l'aire métropolitaine lyonnaise DTA des Bouches-du-Rhône DTA des Alpes du Nord Depuis 2005, la logique des appels d’offre (pôles de compétitivité, pôles d'excellence rurale...) semble se généraliser. Elle introduit une nouvelle procédure de contractualisation avec le niveau local : l'État commence par fixer les lignes générales d'un cadre de financement d'appels à projets auxquels les collectivités territoriales sont censées répondre dans un deuxième temps, avant de recevoir l'acceptation ou le rejet de leur candidature. Ce faisant, l'État se positionne comme la seule autorité normative du jeu institutionnel. Il obtient l'assurance que les projets mis en œuvre par les collectivités ne contreviendront à ses propres objectifs, tout en évitant d'apparaître comme un donneur d'ordre autoritaire. Dans toutes ces opérations et dispositifs, l'État est à la fois juge et partie. En cas de désaccord, il demeure l'instance suprême d'arbitrage. Il n'est pas rare que les pouvoirs régionaux soient ainsi limités, voire empêchés, dans la conduite de leur action. Par exemple, le SDRIF (Schéma Directeur de la région Île-de-France) remis au Premier ministre par le Conseil Régional à l'automne 2008 est toujours bloqué à ce jour : les divergences de vues en matière de croissance économique, qui opposent les élus régionaux, socialistes et écologistes, à l'exécutif national et aux parlementaires de la droite parisienne ont abouti à la mise entre parenthèses du projet de durabilité urbaine élaboré par le Conseil Régional. La mise en place d'un secrétariat d'État à la région capitale a permis de mettre en œuvre un contre-projet aboutissant au vote d'une loi au Parlement destinée à fournir à Paris les infrastructures nécessaires au maintien de sa compétitivité et de sa place dans le club restreint des métropoles globales. Cette prépondérance de l'État sur les libertés locales pourrait à l'avenir s'accroître encore. Si les régions votent librement leur budget, leurs capacités financières dépendent largement des dotations de l’État. En 2009 par exemple, 45 % des recettes perçues par le conseil régional de Basse-Normandie provenaient directement de l’État. La suppression envisagée de la taxe professionnelle placerait les exécutifs locaux sous une tutelle financière encore plus forte vis-à-vis du MINEFI. En outre, la réforme territoriale en cours de préparation, si la création d'un conseiller territorial élu au suffrage majoritaire à un tour se confirmait, pourrait affaiblir les régions face aux conseils généraux, remettant en cause les marges d'action acquises face à l'accumulation des pouvoirs locaux concurrents. B – La nouvelle gouvernance ou la confusion des rôles Phrase d'introduction de la sous-partie Les différents actes de la décentralisation ont abouti à l'accumulation des acteurs et des niveaux de décision locale, sans qu'aucun d'entre eux n'ait été désigné comme chef de file. L'idée d'accorder une tutelle aux régions n'a jamais été mise en œuvre en raison de l'opposition récurrente des conseils généraux et du Sénat. Le pouvoir des conseils régionaux est donc limité par l’existence d’autres collectivités territoriales, les communes et les conseils généraux des départements, qui jouissent d’une totale autonomie à l’égard de la région dans laquelle elles sont situées. Malgré l'existence de compétences explicites, chaque collectivité jouit en outre de la « clause de compétence générale » : elle peut ainsi intervenir dans tous les domaines d'action de son choix, au risque d'entrer en contradiction ou de proposer des initiatives redondantes avec celles lancées par d'autres collectivités, à d'autres échelons. Depuis 2007, la région Haute-Normandie et les départements de l’Eure et de la Seine-Maritime ont entrepris la « démarche 276 ». Il s’agit grâce à un contrat original, signé entre les trois collectivités, de constituer « un puissant levier pour le développement, l'aménagement et la cohésion du territoire régional, en associant les efforts financiers des trois collectivités au service d'une vision stratégique commune ». Les conseils régionaux n’ont cependant aucun pouvoir de contrainte pour empêcher que deux départements contigus mènent des actions antagonistes ou pour éviter que les décisions des conseils généraux entrent en contradiction avec les schémas régionaux (transport, économie, aménagement et développement du territoire). Cette absence de tutelle est d’autant plus gênante pour les régions que leurs capacités financières sont proportionnellement plus faibles que celles des départements (document 10). En multipliant les niveaux de décision et en refusant d’établir une hiérarchie claire et cohérente, la décentralisation a compliqué la prise de décision. Elle a multiplié les interférences sans fournir aux régions des moyens réels pour assurer la mise en cohérence des actions publiques locales. Malgré le lobbying exercé par l’Association des Régions de France (ARF), la fragilité structurelle des régions françaises perdurera aussi longtemps que les élus nationaux resteront attachés au millefeuille territorial et à l’abondance de sièges locaux qu’un tel système pourvoit. Document 10 – La force de frappe budgétaire des régions et des départements normands Dépenses engagées au titre de l’exercice 2009. C – Le problème de la légitimation démocratique Dans un contexte où la participation des citoyens s’exprime de plus en plus souvent sous la forme de contestations, la décentralisation a été présentée comme un remède indispensable : en rapprochant les élus des citoyens, en favorisant la démocratie de proximité, on allait pouvoir rétablir des liens de confiance, permettre un meilleur dialogue entre le peuple et ses élites politiques, éviter le bureaucratisme d’une technostructure lointaine et indifférente. L’exemple des régions montre pourtant que, contrairement à un discours insistant, le renforcement de la démocratie par le recours au localisme est loin d’être facile à réaliser. Une enquête réalisée en décembre 2009 par la société LH2 révèle en effet que 29 % des citoyens seulement connaissent spontanément le nom du président de leur conseil régional. Seuls Ségolène Royal et Georges Frêche dépassent les 50 %. En BasseNormandie, Laurent Beauvais n’est connu que par 15 % des personnes interrogées. En HauteNormandie, Alain Le Vern atteint seulement 22 % de notoriété spontanée (document 11). Il ne s’agit pas seulement d’une question de personne mais bien d’un problème de nature politique. Le même sondage révèle que 24 % des personnes interrogées croient être dirigées par une majorité politique opposée à celle qui est effectivement au pouvoir. 36 % des Bas-Normands et 27 % des HautsNormands pensent ainsi que leur conseil régional est conduit par une équipe de droite. Ces personnes risquent donc de voter en pensant soutenir ou sanctionner le mauvais camp (document 12). Dans ces conditions, il est à craindre que beaucoup d’entre eux aient une vision très approximative des enjeux institutionnels que représente réellement la désignation d’une assemblée régionale, sans compter les difficultés à identifier le contenu des programmes proposés par les différentes listes et à évaluer en quoi ils correspondent aux attentes qu’eux-mêmes pourraient avoir pour leur région. Document 11 Document 12 Par ailleurs, les campagnes pour les élections régionales, en raison même de la centralisation nationales des enjeux et des rivalités partisanes qui les animent, traduisent un réel dysfonctionnement. Les contenus des programmes restent souvent attachés à la ligne nationale d’un parti politique, prenant la forme de prises de positions générales, souvent sans que le lien avec les compétences et le pouvoir réel des régions soit discuté ou que les spécificités du contexte régional n’apparaissent clairement. Certains candidats annoncent ainsi qu’ils souhaitent transformer leur région pour en faire un modèle de développement afin d’améliorer la vie des habitants, sans forcément mettre en avant le fait que les moyens budgétaires et réglementaires dont ils disposeraient sont en fait très limités. L’essentiel du débat se cristallise autour de thèmes traités comme des problèmes d’échelles étatique ou internationale : la lutte contre la crise économique, l’identité nationale, le développement durable, les questions sociales ou l’insécurité…. Cette centralisation structurelle de la délibération politique à l’échelle nationale se traduit par l’occultation quasi-permanente des problèmes liés aux espaces régionaux. Pendant ce temps, les médias locaux (TV, Radios, presse quotidienne régionale), s’ils ont parfois une audience notable, restent enfermés dans des registres qui ne favorisent pas l’émergence d’une discussion réellement contradictoire. Ils n’exercent aucunement le travail de mise en perspective et de commentaire critique auquel se livrent les médias nationaux, notamment le journalisme d’opinion. La plupart du temps, la représentation médiatique de l’actualité régionale se cantonne à la relation de faits divers, à la célébration de la vie quotidienne et à la présentation complaisante des événements officiels. Cette absence d’une culture du débat à l’échelle sub-étatique explique pourquoi le fonctionnement des institutions régionales reste pour la plupart des citoyens assez hermétique. L'abstention aux élections n'est alors pas surprenante (document 13). Aussi longtemps que cette absence de mobilisation démocratique perdurera, malgré les appels à la participation qui ne manqueront pas de se multiplier d’ici aux prochaines élections, prévues en 2014, il y a peu de chance que la politique des régions parvienne à sortir de l’indifférence qui la caractérise depuis trente ans. Seul un investissement collectif plus vigoureux, notamment de la part de la société civile, serait susceptible aujourd’hui de faire descendre peu à peu la culture du débat politique aux niveaux inférieurs de l’action publique. Document 13 – L'abstention aux élections régionales de mars 2010 (par région) Conclusion Malgré une succession de réformes presque interrompues depuis le début des années 1980, la France n’est pas parvenue à effacer le caractère profondément centralisé de son organisation territoriale et à inverser une logique qui prévaut depuis plusieurs siècles. Les régions demeurent des institutions fragiles, à la fois car l’État conserve un rôle puissant mais aussi car, depuis plusieurs décennies, aucun pouvoir n’a eu la volonté ou le courage de mettre fin à la concurrence exercée par d’autres pouvoirs locaux (départements, communes). La solution de facilité consistant à accumuler des niveaux de décision locale sans jamais toucher à ceux existant a abouti au millefeuille territorial que dénoncent désormais de nombreux observateurs et responsables politiques, de droite comme de gauche : confusion dans la répartition des rôles, complication des processus de décisions, course à la légitimité populaire, multiplication des dépenses publiques, etc. A la place d’une régionalisation cohérente et lisible par l’opinion publique, la décentralisation a abouti à une organisation territoriale pesante, opaque et souvent technocratique. La France n’est pas le seul État en Europe à connaître des transformations importantes et des difficultés non résolues en matière d’organisation territoriale (RoyaumeUni, Espagne, Italie, sans parler de la Belgique). Cependant, elle est sans doute le seul pays où la décentralisation a consisté à créer une nouvelle entité, la région, censée participer à l’aménagement du territoire, sans que les moyens nécessaires lui aient été accordés : on a préféré multiplier les niveaux de pouvoirs, disperser les responsabilités et les capacités financières plutôt que de constituer des régions puissantes capables de s’ériger en acteur de taille européenne à l’image de la Catalogne, la Lombardie ou le Bade-Wurtemberg.