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Association Française de Science Politique Groupes « Politiques publiques » et « Local et Politique » Journée d’étude les 15 & 16 juin 2006 à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble LES POLITIQUES PUBLIQUES A L’EPREUVE DE L’ACTION TERRITORIALE -----communication de : Jérôme AUST Echelle d’analyse et production des résultats d’enquête : retour sur les évolutions des politiques d’implantation universitaire dans l’agglomération lyonnaise (1958-2004) 1 Jérôme AUST Post-doctorant UMR 5206 Triangle [email protected] Grenoble, 15 et 16 juin 2006 2 Echelle d’analyse et production des résultats d’enquête : retour sur les évolutions des politiques d’implantation universitaire dans l’agglomération lyonnaise (1958-2004) L’anniversaire est largement passé inaperçu mais les réflexions de Jean-Pierre Worms (Worms, 1966) sur la relation qui unit le préfet et ses notables dans la France d’avant décentralisation ont quarante ans. Le texte initie une série de travaux sur les relations entre le centre et la périphérie menée par les chercheurs du centre de sociologie des organisations (Crozier et Thoenig, 1975 ; Thoenig, 1975 ; Grémion, 1976). Ces analyses, régulièrement citées dans la littérature savante pour rendre compte des logiques de fonctionnement de l’action publique avant la décentralisation, apparaissent aujourd’hui datées. La place accrue de l’Union européenne, des collectivités locales, des acteurs privés dans l’action publique a mis fin aux relations de complicité qui unissaient notables et représentants de l’Etat réunis dans l’intimité du cabinet préfectoral. Les chercheurs ont pris acte de ces changements et ont développé de nouveaux concepts qui permettent, tout à la fois, de rendre compte et de conceptualiser les mutations actuellement à l’œuvre. La décennie 1990 a été ainsi marquée par l’apparition, parfois l’exhumation, de concepts comme les politiques constitutives (Duran et Thoenig, 1996), la gouvernance urbaine (Le Galès, 1995) ou encore la territorialisation de l’action publique (Muller, 1992). A de notables exceptions (Borraz, 1998), la conceptualisation de ces changements s’appuie rarement sur des comparaisons diachroniques. Se baser sur la seule interrogation du présent pour analyser les changements actuellement en cours n’est cependant pas sans incidence sur les conclusions dégagées par les chercheurs (Gaudin, 1998). Ce sont ici les liens entre échelle d’analyse et production des résultats d’enquête que nous souhaitons interroger. Cette communication reprend les résultats d’un travail doctoral qui a fait le choix de comparer la conduite de deux projets d’implantation universitaire avant et après la décentralisation en adoptant une perspective microsociologique (Aust, 2004). Notre objectif n’est pas ici de proposer « la » méthode qui permet, à elle seule, de cerner à coup sûr et au plus près les effets de la décentralisation sur l’action publique. Nos efforts, bien plus modestes, cherchent à insister sur les conséquences de la perspective retenue sur les conclusions qui sont dégagées des terrains d’analyse et à inviter le lecteur à un bref détour réflexif. L’angle d’analyse retenu, à la fois diachronique et microscopique, permet ainsi de 3 porter un regard différent sur les phénomènes de décentralisation des scènes de négociation (1) et sur le renouvellement des modalités d’intervention utilisées dans l’action publique contemporaine (2) et par-là de questionner l’effectivité des changements en cours. 1. Des négociations décentralisées ? S’ils présentent des différences importantes et ne s’accordent pas totalement sur les évolutions en cours, les concepts de politiques constitutives, de gouvernance urbaine ou encore de territorialisation de l’action publique mettent conjointement l’accent sur le fait que les autorités centrales jouent un rôle moins important dans la conduite de l’action publique après la décentralisation. Le centre de gravité des configurations d’acteurs basculerait vers la fin des années 1980 des services centraux ministériels vers les territoires infra-nationaux (Muller, 1992). Les acteurs locaux et déconcentrés se substitueraient aux acteurs centraux dans la définition des objectifs des politiques (Duran et Thoenig, 1996). C’est au niveau infranational que les projets collectifs seraient aujourd’hui formalisés (Le Galès, 1995). A priori, la conduite des plans Université 2000 et Université du 3ème millénaire illustre bien ce mouvement de décentralisation des scènes de négociation de l’action publique. Confrontés à l’état catastrophique du parc immobilier universitaire et à l’explosion prévisible des effectifs étudiants dans la décennie 1990, les services centraux du ministère de l’Education nationale (la « centrale ») décident de lancer un programme d’investissement qui associe les collectivités territoriales à l’Etat pour répondre à l’urgence. Les élus locaux, après quelques hésitations, répondent favorablement à l’initiative ministérielle et se lancent dans le cofinancement des politiques universitaires. Même la forteresse de la rue de Grenelle apparaît ébréchée par la décentralisation : la « centrale » choisit de s’appuyer sur les acteurs locaux et déconcentrés pour conduire les négociations. Des assises régionales de l’enseignement supérieur associent ainsi les acteurs privés aux négociations. Les opérations immobilières sont souvent discutées entre recteur, présidents d’université, préfet de région et exécutifs locaux. Les changements à l’œuvre ne sont cependant pas si sûrs. L’analyse de l’intervention des services centraux dans les années 1960 atteste plutôt de la permanence du pouvoir de la « centrale ». Les services ministériels dans cette période ne disposent en effet jamais d’une capacité d’initiative des projets. La méconnaissance des réalités locales, les lenteurs bureaucratiques entravent largement leur capacité à définir des objectifs et à impulser des programmes d’action. Ils restent dépendants des acteurs déconcentrés (préfet et recteur 4 d’académie), des universitaires et des élus locaux pour parvenir à institutionnaliser leurs objectifs. L’échec à la fin des années 1960 de l’insertion des bâtiments universitaires dans la ville est ici emblématique de leur dépendance à l’égard des priorités des élus locaux notamment. La mise en perspective diachronique amène également à relativiser l’actuelle montée en puissance du pouvoir des élus locaux. Les notables locaux bénéficient dans les années 1960 d’un droit à l’abstention. Même sollicités par le préfet, les universitaires et le recteur d’académie, les élus rhodaniens restent largement insensibles aux demandes d’intervention. En mettant en avant leur absence de compétences dans le domaine, ils se défaussent sur l’Etat et refusent de mobiliser les finances locales pour intervenir. Dans ce cadre, ils peuvent, sur les projets qui leur apparaissent prioritaires, se comporter en mécène. Après la décentralisation, ces interventions ciblées semblent beaucoup plus difficiles à opérer. Dès lors qu’une institution infra-nationale s’engage dans le financement des politiques d’implantation universitaire, la stratégie de retrait et d’intervention ciblée devient difficile à jouer. L’abstention sur un champ de politiques qui est souvent présenté comme essentiel pour assurer le développement économique et la compétitivité internationale des territoires, qui concerne un grand nombre d’électeurs, est perçue par les élus comme dangereuse politiquement. La difficulté de cette absence est bien attestée par le retournement des collectivités locales d’Ile-de-France entre le début et la fin des années 1990. Quasiment absentes du plan Université 2000, elles ont, face au succès d’U2000, amendé leur position et se sont massivement engagées dans le financement d’U3M. En ne constituant pas un âge d’or (ou un âge de pierre, c’est selon) du fonctionnement de l’action publique avant la décentralisation, le comparatisme diachronique permet de relativiser le double mouvement de perte d’influence des services centraux et de montée en puissance des collectivités territoriales. Si les acteurs locaux et déconcentrés ont plus de place dans les négociations, le centre de gravité des configurations d’acteurs ne glisse pas mécaniquement du centre vers les échelons infra-nationaux de gouvernement. Ce sont plutôt des relations complexes qui allient relations verticales au centre et horizontales entre acteurs locaux et déconcentrés qui se donnent à voir ici. La focale microscopique a, elle-aussi, une incidence directe sur l’observation du renouvellement des modalités d’intervention dans l’action publique contemporaine. 5 2. Un renouvellement des modalités d’intervention ? La perspective microscopique, en déconstruisant les décisions, en les assimilant au bricolage incertain décrit par Charles E. Lindblom (Lindblom, 1959), permet de discuter les thèmes de la coproduction des politiques publiques et de la prégnance accrue des processus de coordination entre des acteurs pluriels (Le Galès, 1995). A suivre le promoteur des deux plans (Allègre, 1993), Université 2000 et Université du 3ème millénaire seraient bien marqués par la place nouvelle accordée à ces logiques partenariales. Pourtant, à y regarder de près, les acteurs engagés dans les discussions ne disposent pas du même poids dans les négociations. Les élus locaux participent essentiellement au montage financier des projets. Ils ne s’immiscent pas dans la détermination des opérations à réaliser, questions réglées par des négociations entre le recteur d’académie, les présidents d’université et les directeurs des grandes écoles lyonnaises. Ce sont ces acteurs sectoriels qui définissent quelles sont les opérations qui doivent être réalisées et qui les imposent ensuite aux financeurs. Le recteur et les présidents d’université font preuve d’une remarquable indépendance et s’attachent avant tout à répondre aux besoins universitaires. Les politiques d’implantation universitaire en Rhône-Alpes ne nous semblent pas ici correspondre aux tendances à la (re)territorialisation des politiques publiques. Dans les négociations entre recteur, présidents d’université et directeur de grandes écoles, des critères sectoriels (qualité des équipes de recherche, besoins universitaires) priment sur les objectifs qui sont défendus par les élus locaux, le préfet de région et les membres de la DATAR. Si les tractations prennent appui sur des espaces géographiques de réflexion, ces derniers ne s’imposent pas aux acteurs. L’initiateur des négociations parvient souvent à imposer le territoire administratif ou politique qu’il contrôle. Dans leurs relations, les exécutifs universitaires font preuve d’une réelle capacité à coordonner leurs projets en prenant mutuellement en compte leurs intérêts. Dans ces interactions, les relations de coordination entre les acteurs sont particulièrement prégnantes. A Lyon, un pôle sectoriel et décentralisé de fixation des objectifs émerge des négociations. La décentralisation a ici des effets induits sur les logiques de gouvernement de l’enseignement supérieur. Parce qu’ils craignent l’interventionnisme politique local dans le fonctionnement de leur établissement, les exécutifs universitaires cherchent à définir un projet commun. La multiplication des guichets et la croissance des ressources affectées à l’immobilier 6 universitaire permettent aux négociateurs de s’engager dans des jeux à somme positive où chacun peut espérer des gains pour son établissement. La décentralisation accompagne ici le mouvement de renforcement des établissements et de leur exécutif face aux disciplines (Musselin, 1997 et 2001). A l’inverse, dans le montage financier des projets, les relations de coordination entre les acteurs ne sont pas particulièrement prégnantes. L’Etat est d’abord en position de force : ce sont ses services qui imposent aux collectivités locales les clefs de la négociation financière (50% Etat, 50% collectivités locales). Les relations entre exécutifs locaux sont également marquées par la prégnance de répertoires d’action basés sur l’imposition. A partir du milieu de la décennie 1990, le Conseil régional s’approprie les négociations financières avec les services de l’Etat et marginalise les collectivités infra-régionales dans ces tractations. Les relations de coordination entre acteurs ne se retrouvent finalement qu’au moment de la répartition des maîtrises d’ouvrage entre les collectivités locales. En déconstruisant les décisions prises dans des univers polycentriques, la perspective microscopique permet donc de relativiser la prégnance des relations de coordination entre les acteurs et le renouvellement des modalités d’intervention. Conclusion Ce bref détour réflexif sur les liens qui unissent focale d’analyse et production des résultats d’enquête n’a évidemment pas vocation à invalider les travaux qui concluent à une (re)territorialisation de l’action publique, à la mise en place de politiques constitutives ou à la prégnance accrue des relations de coordination entre les acteurs. Il suggère pourtant de considérer ces concepts moins comme des notions décrivant des tendances générales que comme des catégories d’analyse permettant d’interroger des terrains d’enquête. C’est à cette condition que ces concepts se révèlent heuristiques pour comprendre les logiques composites et complexes qui marquent l’action publique contemporaine. Plus qu’à des innovations conceptuelles, il invite donc plutôt à la multiplication des analyses diachroniques et microscopiques qui, sans constituer l’unique focale d’analyse pertinente pour comprendre l’action publique contemporaine, s’avère un complément utile aux perspectives plus synchroniques et macroscopiques. 7 Bibliographie Claude Allègre (1993), L’âge des savoirs. Pour une renaissance de l’Université, Paris, Gallimard. Jérôme Aust (2004), Permanences et mutations dans la conduite de l’action publique contemporaine. Le cas des politiques d’implantation universitaire dans l’agglomération lyonnaise (1958-2004), Thèse pour l’obtention du doctorat de science politique sous la direction de Gilles Pollet, Université Lumière Lyon II. Olivier Borraz (1998), Gouverner une ville. Besançon. 1959-1989, Rennes, PUR. Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig, « La régulation des systèmes organisés complexes. Le cas du système politico-administratif local en France » (1975), Revue française de sociologie, n°1, pp. 3-32. Patrice Duran et Jean Claude Thoenig, « L’Etat et la gestion publique territoriale », Revue française de science politique, vol.46, n°4, pp. 580-622. Jean-Pierre Gaudin (1998), « La gouvernance moderne hier et aujourd’hui : quelques éclairages à partir des politiques publiques françaises », Revue internationale des sciences sociales, n°155, pp. 51-60. Pierre Grémion (1976), Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Seuil. Patrick Le Galès (1995), « Du gouvernement à la gouvernance urbaine », Revue française de science politique, vol. 45, n°1, pp. 57-91. Charles E. Lindblom (1959), « The Science of Muddling Through », Public Administration Review, vol. 19, n°2, pp. 79-88. Pierre Muller (1992), « Entre le local et l’Europe. La crise du modèle français de politiques publiques », Revue française de science politique, vol.42, n°2, pp. 275-297. 8 Christine Musselin (1997), « Etat, Université : la fin du modèle centralisé ?», Esprit, n°234, pp. 18-29. Christine Musselin (2001), La longue marche des universités françaises, Paris, PUF. Jean-Claude Thoenig (1975), « La relation entre le centre et la périphérie. Une analyse systémique », Bulletin de l’IAAP, vol. 36, pp. 77-123. Jean-Pierre Worms (1966), « Le préfet et ses notables », Sociologie du travail, n°3, pp. 249275. 9