anthologie SdP 2006 fin 2.rtf
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Les 12 poèmes incontournables Déménager Quitter un appartement. Vider les lieux. Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher. Inventorier ranger classer trier Eliminer jeter fourguer Casser BALLADE DU SILENCE CRAINTIF Ici, quand le vent meurt, les mots défaillent. Et le moulin ne parle plus. Et les arbres ne parlent plus. Brûler Descendre desceller déclouer décoller Dévisser décrocher Débrancher, détacher couper tirer démonter Plier couper Rouler Empaqueter emballer sangler nouer empiler Rassembler entasser ficeler envelopper Protéger recouvrir entourer serrer Enlever porter soulever Balayer Fermer Partir Et les chevaux ne parlent plus. Et les brebis ne parlent plus. Se tait le fleuve. Se tait le ciel. Se tait l’oiseau. Et se tait le perroquet vert. Et, là-haut, se tait le soleil. Se tait la grive. Se tait le caïman. Se tait l’iguane. Et se tait le serpent. Et, en bas se tait l’ombre. Georges Pérec DANS PARIS Se tait tout le marais. Se tait tout le vallon. Et se tait même la colombe qui au grand jamais ne se tait. Dans Paris il y a une rue; dans cette rue il y a une maison; dans cette maison il y a un escalier; dans cet escalier il y a une chambre; dans cette chambre il y a une table; sur cette table il y a un tapis; sur ce tapis il y a une cage; dans cette cage il y a un nid; dans ce nid il y a un oeuf; dans cet oeuf il y a un oiseau. Et l’homme, toujours silencieux, de peur, se met à parler. RafaeI Alberti. Traduit par Claude Couffon L'oiseau renversa l'oeuf; l'oeuf renversa le nid; le nid renversa la cage; la cage renversa le tapis; le tapis renversa la table; la table renversa la chambre; la chambre renversa l'escalier; l'escalier renversa la maison; la maison renversa la rue; la rue renversa la ville de Paris. Paul Eluard 2 Le temps de vivre Il a dévalé la colline Ses pieds faisaient rouler des pierres Là-haut entre les quatre murs La sirène chantait sans joie Le ciel et la ville Le ciel peu à peu se venge De la ville qui le mange. Il respirait l'odeur des arbres Avec son corps comme une forge La lumière l'accompagnait Et lui faisait danser son ombre Sournois, il attrape un toit, Le croque comme une noix, Dans la cheminée qui fume Il souffle et lui donne un rhume. Pourvu qu'ils me laissent le temps Il sautait a travers les herbes Il a cueilli deux feuilles jaunes Gorgées de sève et de soleil Il écaille les fenêtres. N'en laisse que les arêtes. Il coiffe les hautes tours D'un nuage en abat-jour. Les canons d'acier bleu crachaient Des courtes flammes de feu sec Pourvu qu'ils me laissent le temps Il est arrivé près de l'eau Il chasse le long des rues Les squelettes gris des grues. Il y a plongé son visage Il riait de joie il a bu Pourvu qu'ils me laissent le temps Il s'est relevé pour sauter La nuit, laineuse toison, Il la tend sur les maisons. Il joue à colin-maillard Avec les lunes du brouillard. Pourvu qu'ils me laissent le temps Une abeille de cuivre chaud L'a foudroyé sur l'autre rive Le sang et l'eau se sont mêlés La ville défend au ciel De courir dans ses tunnels. Il avait eu le temps de voir Le temps de boire à ce ruisseau Le temps de porter à sa bouche Deux feuilles gorgées de soleil Taches d'encre, taches d'huile Sur le ciel crache la ville. Mais le ciel tout bleu de rage Sort le métro de sa cage. Mais le ciel pour les laver Pleut sans fin sur les pavés. Le temps de rire aux assassins Le temps d'atteindre l'autre rive Le temps de courir vers la femme Il avait eu le temps de vivre Claude DOBZYNSKI Boris Vian 3 L'arbre L’école Perdu au milieu de la ville L'arbre tout seul, à quoi sert-il ? Dans notre ville il y a Des tours , des maisons par milliers , Du béton ,des blocs ,des quartiers , Et puis mon coeur , mon coeur qui bat Tout bas. Les parkings, c'est pour stationner, Les camions pour embouteiller, Les motos pour pétarader, Les vélos pour se faufiler. Dans mon quartier ,il y a Des boulevards ,des avenues , Des places , des ronds-points , des rues Et puis mon coeur , mon coeur qui bat Tout bas . L'arbre tout seul, à quoi sert-il ? Les télés, c'est pour regarder, Les transistors pour écouter, les murs pour la publicité, les magasins pour acheter. Dans notre rue il y a Des autos , des gens qui s'affolent , Un grand magasin ; une école , Et puis mon coeur , mon coeur qui bat Tout bas . L'arbre tout seul, à quoi sert-il ? Les maisons, c'est pour habiter Les bétons pour embétonner Les néons pour illuminer, Les feux rouges pour traverser. Dans cette école , il y a Des oiseaux qui chantent tout le jour Dans les marronniers de la cour. Mon coeur , mon coeur , mon coeur qui bat Est là. L'arbre tout seul, à quoi sert-il ? Les ascenseurs, c'est pour grimper Les présidents pour présider, Jacques Charpentreau Les montres pour se dépêcher, Les mercredi pour s'amuser. L'arbre tout seul, à quoi sert-il ? Il suffit de le demander A l'oiseau qui chante à la cime. Quand les arbres … Jacques Charpentreau Quand les arbres seront en briques et les maisons en feuilles, la nuit sera liquide comme la mer et nous dormirons dans des nids qui auront pris la place des étoiles, les oiseaux, eux, travailleront dans les banques, avec les bûcherons. Jean Orizet 4 L'HOMME QUI N'Y COMPREND RIEN Tenez une histoire pas très compliquée pourtant quel mystère ! J'étais sur le quai, elle dans le train; le train est parti, et je suis reste debout sur le quai. Jamais depuis lors je ne l'ai revue je n'ai rien compris Que s'est-il passé ? Que s'est-il passé ? j'étais immobile, je me mets à bouger, je vais dans la rue un homme apparaît un instant après il a disparu, c'était le printemps puis il a neigé, puis c'était l'automne puis c'était l'été j'sais plus dans quel ordre ça s'est succédé: Que s'est-il passé ? Que s'est-il passé ? Pour un art poétique Prenez un mot prenez en deux Faites les cuir’ comme des œufs prenez un petit bout de sens puis un grand morceau d’innocence faites chauffer à petit feu au petit feu de la technique versez la sauce énigmatique saupoudrez de quelques étoiles poivrez et puis mettez les voiles où voulez-vous en venir ? A écrire Vraiment ? à écrire ?? Raymond Queneau JEAN TARDIEU Le secret Pleine Lune D’où viennent-ils ? Où vont-ils , Tous ces humains que cherchent-ils ? Il court, il court, le Secret ! Et les hommes lui courent après ! Il est passé par ici, Il repassera par là. C’est comment, c’est quoi la vie ? Bien malin qui le dira ! Elle set passée par ici ! Elle repassera par là ! Il court, il court, le Secret ! Et les hommes lui courent après ! J’ai ouvert ma fenêtre et la lune m’a souri J’ai fermé la fenêtre et j’ai entendu un cri J’ai ouvert ma fenêtre pour voir tomber la pluie Et comme c’était dimanche je me suis rendormi Philippe Soupault Andrée Chedid 5 Les poèmes choisis Pour lire ou dire ceux que l’on aime 6 SOLIPSISME Qui c'est qu'est là ? quand j'y suis pas ? C'est-i l'bureau ? C'est-i la porte ? C'est-i l'parquet ? C'est-i l'plafond ? C'est-i la rue ? C'est-i la terre ? C'est-i le ciel ? Ah, nom de nom! Quand j'y suis pus Y a pus personne. A preuve ? C'est que quand j'reviens je ramèn' tout à la maison : et v'là la terre et v'là le ciel et v'là la rue et ma maison et v'là la porte et v'là l'parquet et v'là l'plafond ! Chevaux de neige Aux portes des villes Arrivent la nuit Des chevaux tout blancs Ils suivent les rues Les places les squares Et tout doucement Secouent leur crinière Quand ils s’en retournent Au matin sans bruit Tout est blanc de neige Gérard Bocholier Jean Tardieu. Monsieur Je vous dis de m’aider, Monsieur est lourd. Je vous dis de crier, Monsieur est sourd. Je vous dis d’expliquer, Monsieur est bête. Je vous dis d’embarquer Monsieur regrette. Je vous dis de l’aimer, Monsieur est vieux. Je vous dis de prier, Monsieur est Dieu. Eteignez les lumières, Monsieur s’endort. Je vous dis de vous taire, Monsieur est mort Le printemps est dans la rue Quand le printemps est dans la rue on se met à la fenêtre et l’on regarde passer les poèmes Alors on appelle le plus beau et hop !il vous saute au cou. Pierre Albert-Birot Norge 7 Le dromadaire Un jour au Caire un dromadaire entra chez un libraire et prit une grammaire. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain Ce dromadaire savait tout faire, multiplier, soustraire, et même le contraire. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Il savait braire, ou bien se taire, et versait un salaire à son vétérinaire. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Pour se distraire Monsieur le Maire en fit son secrétaire dans toutes ses affaires. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Ce dromadaire est légendaire chez tous les antiquaires de la ville du Caire C'est pas vrai, ça fait rien ça sera vrai demain ou à la Saint Glin-Glin Le jardin Des milliers et des milliers d'années Ne sauraient suffire Pour dire La petite seconde d'éternité Où tu m'as embrassé Où je t'ai embrassée Un matin dans la lumière de l'hiver Au parc Montsouris à Paris A Paris Sur la terre La terre qui est un astre. Jacques Prévert Paul Savatier Viens en France, enfant lointain... Viens en France, enfant lointain. Nous avons des blés qui dansent, Qui dansent : on dirait des poupées. D'un grand trou noir Sortit Comme si de rien n'était L'enfant Dans sa petite main fermée Se trouvait Tout recroquevillé en boule Le rire Et quand l'enfant le lança Dans l'air Il éclata comme une fleur blanche Au printemps Viens en France, enfant lointain. Nous avons des villes vieilles, Vieilles dont chaque pierre a une histoire; Et des villes jeunes, jeunes, Plus jeunes que toi. Viens en France, enfant lointain. Tu connaîtras des garçons comme toi, Qui jouent, qui apprennent, Qui veulent être heureux. Viens à Paris, enfant lointain. Dans ma maison, il y a de la musique, Du soleil, des gâteaux, des livres profonds, et au dehors une girafe énorme : la Tour Eiffel, Que tu pourras peindre en bleu, En mauve, en rouge, Tant que tu voudras. PAULE GUERAR Alain Bosquet 8 Grand standigne Quelque part, au bord de la Sarthe... Un jour on démolira Ces immeubles si modernes On en cassera les carreaux De plexiglas et d'ultravitre On démontera les fourneaux Construits à polytechnique On sectionnera les antennes Collectives de télévision On dévissera les ascenseurs On anéantira les vide-ordures On broiera les chauffoses On pulvérisera les frigidons Quand ces immeubles vieilliront Du poids infini de la vieillesse des choses. Quelque part, au bord de la Sarthe, un homme, un jour, avec grand soin, repeignait de grandes pancartes : PRAIRIE INTERDITE AUX PINGOUINS - RAYMOND QUENEAU Des pingouins, dis-je, dans la Sarthe, on n'en voit pas des quantités ! - Monsieur, c'est grâce à mes pancartes : rien de tel pour les arrêter ! N'en déplaise aux savants hilares, dans la Sarthe en toutes saisons, si les pingouins restent si rares, c'est que cet homme avait raison. JL Moreau Je donne pour Paris Un peu de tabac gris Je donne pour Bruxelles Un morceau de ficelle Je donne pour London Un paquet d'amidon Si chaque jour Je donne pour Genève Une poignée de fèves Si chaque jour Tombe dans chaque nuit Il existe un puits Où la clarté se trouve enclose. Je donne pour Tokyo Un guidon de vélo Il faut s’asseoir sur la margelle Du puits de l’ombre Pour y pêcher avec patience La lumière qui s’y perdit. Je donne pour Moscou Un petit sapajou Je donne pour Madrid Un envol de perdrix Pablo Neruda Je donne à Copenhague La mer avec ses vagues Je donne à Washington Tontaine et puis tonton Luc Bérimont 9 Le rat des villes et le rat des champs Le diplodocus et la petite Anna Le diplodocus prit l’autobus. Il dit à l’employé qui mangeait : « Bon appétit ! » et l’employé s’évanouit. Les vingt places assises étaient déjà prises. « Je reviens de loin », dit le diplodocus, « et j’ai les pieds bien fatigués ». mais la petite Anna fit celle qui ne comprenait pas. Aussi le diplodocus – debout dans l’autobus – mangea la petite Anna. Moralité Si tu prends l’autobus. Cède la place au diplodocus. Jacqueline Held ÇA FRAPPE J’entends qu’on frappe. Disons ça frappe. Ne sais pas quoi, Pas où, pas qui. Ça frappe, ça frapouille, Ça cogne, ça tapouille. Et ça fait comme un bruit Dans l’espace en vacances. Je ne sais pas pourquoi Ça cogne, mais j’écoute. Dans un trou caché sous la terre Vivait paisiblement un rat, Innocent, doux et solitaire. Il n’avait jamais vu de chat Le menacer de sa dent meurtrière, Et ne connaissait pas même la souricière. Son bonheur était grand : car quelle est la souris Qui n’ait senti la dent de Raminagrobis, Ou n’ait été du moins trompée Et dans maint piège attrapée ? Revenons à notre sujet, Un rat de ses amis vivait Dans les villes et l’opulence, Jour et nuit y faisait bombance, Goûtait tout, rongeait tout, furetait les buffets, Et savourait les meilleurs mets. Ce rat vint un jour voir notre souris sauvage ; « Eh quoi donc ! lui dit-uil, c’est là ton ermitage ? crois-moi, quitte ce trou hideux, quitte ces racines, ces herbes, suis-moi dans mes palais superbes, là, tout contentera tes vœux. » Notre souris le suit : sous un riche portique, Elle aperçoit bientôt un tapis magnifique, Couvert des plats les plus exquis. Elle s’y précipite : hélas ! pauvre souris, Que tu vas payer cher une telle imprudence ! Tandis qu’au sein de l’abondance Elle goûte maint et maint plat, Furtivement survient un chat, Qui d’une gueule meurtrière, Lui dévore la queue et lui mord le derrière. L’infortuné raton s’enfuit en gémissant Et veut retourner à son champ. Le citadin l’arrête : « Oh ! non, non, je préfère Mes racines à tous vos somptueux repas, J’aime mieux rentrer dans la terre Que d’avoir à craindre les chats. » Victor Hugo Eugène Guillevic. 10 Poéme de cape et d’épée Rue Chose Les chevaliers de l’ouragan s’accrochent aux volets des boutiques Ils renversent les boîtes à lait comme des simples mauviettes Ils tournent autour des têtes Ils vont nostalgiquement s’appuyer à la boule barbue des coiffeurs Il ya trois escafilottes Trois escarbilles Trois escasses Trois escaumes Trois escaupilles Trois esquipots Trois estamenaires Trois éteufs Trois étibois Trois etnettes Trois étresses Trois éventions Soit trente six trucs Dans la rue de la rue de la rue Qu’on ne parvient pas à nommer Chevaliers de l’ouragan Qu’avez-vous fait de vos gants Aux hasard des quartiers qu’ils ébranlent Ils montent entre les maisons En haut en bas en haut en haut Ils soupirent dans les soupentes Ils soupirent aux soupiraux Raymond Queneau Chevaliers de l’ouragan Mais où avez-vous mis vos gants (…) L’un regarde le présent L’autre a des souvenirs dans les oreilles L’un s’envole l’autre meurt La nuit s’ouvre et montre ses jambes Chevaliers de l’ouragan Chevaliers extravagants Louis Aragon ON N'EST PAS N'IMPORTE QUI Tout est brouillé La vitre pleure Quand tu rencontres un arbre dans la rue, dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue. C'est distrait, les arbres. Si c'est un vieux, dis-lui « Monsieur». De toute façon, appelle-le par son nom: Chêne, Bouleau, Sapin, Tilleul... Il y sera sensible. Au besoin aide-le à traverser. Les arbres, ça n'est pas encore habitué à toutes ces autos. Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les poissons: appelle-les par leur nom de famille. On n'est pas n'importe qui ! Si tu veux être tout à fait gentil, dis « Madame la Rose» à l'églantine; on oublie un peu trop qu'elle y a droit. L’image de la ville Est luisante ce matin Les étoiles éteintes Et les gens cachés Seul le vent court dans les rues Avec quelques feuilles rouges et jaunes Qui ne savent plus où aller Michel Cosem JEAN ROUSSELOT 11 La nuit respire Ma maison Qui va qui vient Qui rôde et nous regarde Dans les failles de la nuit ? Quand j'ai chaussé les bottes Qui devaient m'amener à la ville j'ai mis dans ma poche Une vieille maison Où j'avais fait entrer Une jeune fille Il y avait déjà ma mère dans la cuisine En train de servir le saumon Quatre pieds carrés de soleil Sur le plancher lavé Mon père était à travailler Ma sœur à cueillir des framboises Et le voisin d'en face et celui d'en arrière Qui parlaient de beau temps Sur la clôture à quatre lisses Et de l'air propre autour de tout cela Le vent traque un loup d'ombre Sur les murs Des oiseaux frôleurs Ferment leurs ailes froides Sur la lune La ville s'égare Dans ses futaies de pierre La nuit respire Et nous dormons tranquilles Les yeux dans l'aube Jean-Pierre Siméon Aussitôt arrivé en ville j'ai sorti ma maison de ma poche Et c'était un harmonica Gilles Vigneault Le pays de l’édredon bleu Quand j'étais malade, en mon lit, (Sous ma tête deux oreillers) Mes jouets étant rassemblés, Me tenant bonne compagnie. Parfois, pour un temps assez long, J'observais mes soldats de plomb, À la manœuvre, allant au pas Parmi les collines des draps. Je suis sortie prendre l’air au bout de la rue. Un vieux monsieur assis sur le bord du trottoir comptait le nombre de pavés d’une rangée. Il désignait le ciel en alternance cherchant une équivalence dans des nuages sceptiques. J'envoyais bateaux, cargaisons, Au gré des flots de couvertures, Ou bien pour mes cités futures Mettais en place arbres maisons. Sofia Queiros J'étais le géant silencieux Qui de sa pile d'oreillers Voyait les plaines, les vallées Du pays de l'édredon bleu. Robert-Louis Stevenson 12 Je hais les haies Dans une ville Je hais les haies Qui sont desmurs. Je hais les haies Et les mûriers Qui font la haie Le long des murs. Je hais les haies Qui sont de houx. Je hais les haies Qu’elles soient de mûres Qu’elles soient de houx ! Je hais les murs qu’ils soient en dur Qu’ils soient en mou ! Je hais les haies Qui nus emmurent. Je hais les murs qui sont en nous ! Dans une ville Huit millions d’hommes Douze mille cent huit reverbères Quinze cent vingt deux agents de police Un milliard de grains de sel Une paire de lunettes perdue Sept mille quatorze chiens Trop de pipis Pas assez de pensées Trois cent mille quatre cent neuf journaux Deux poètes Six cent nonante-deux cordonniers Un peu de froid Supervielle en photo Sept mille six cent cinquante trois cendriers Trois mille croix de bois Quelques nuages qui passent et pensent Six bas nylon perdus Et beaucoup de vertu Des courants d’air Soixante deux diamants et beaucoup de faux Un rail abandonné Un million deux cent trente deux mille trois cent vingt quatre mouchoirs Et puis Et puis toi sans doute Et moi parti Hors cette ville où il n’y a pas grand-chose… Raymond Devos R. Busselen LES PLAISIRS DE LA PORTE Les rois ne touchent pas aux portes. SOLIDARITÉ Ils ne connaissent pas ce bonheur : pousser devant soi avec douceur ou rudesse l’un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, __ tenir dans ses bras une porte. - Tu creusais une fosse? - Oui-da. - Et tu es tombé dedans ? - Tu vois. - Tu ne peux pas en sortir? – - Exact. - Et tu voudrais une échelle ? - C'est ça. - Il fait très froid là-dedans ? - Très froid. - Mais tu n'as rien de cassé ? - J'crois pas. - Alors, salut ! Je rentre chez moi... … Le bonheur d’empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l’un de ces hauts obstacles d’une pièce ; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l’œil s’ouvre et le corps tout entier s’accommode à son nouvel appartement. D’une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s’enclore, __ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l’assure. Oleg Grigoriev Francis Ponge 13 Différences Je donne pour Paris Un peu de tabac gris L'oiseau-mouche est très gentil, mais petit, petit, petit. Je donne pour Bruxelles Un morceau de ficelle Le mammouth, fort différent, est grand, grand, grand, grand. Je donne pour London Un paquet d'amidon Je donne pour Genève Une poignée de fèves L'asticot, qui vit tout nu, est menu, menu, menu. Je donne pour Tokyo Un guidon de vélo Je donne pour Moscou Un petit sapajou L'aurochs, aïeul du taureau, est gros, gros, gros, gros. Je donne pour Madrid Un envol de perdrix Je donne à Copenhague La mer avec ses vagues En cas de problème, lisez ce poème : qui l'a lu, bien lu, ne les confond plus. Je donne à Washington Tontaine et puis tonton Luc Bérimont D'ailleurs, si vous hésitez, vous n'avez qu’ à réciter: L'oiseau-mouche est très gentil... Jean Luc Moreau CRIS DE PARIS GRATTE-CIEL On n'entend plus guère le repasseur de couteaux le réparateur de porcelaines le rempailleur de chaises on n'entend plus guère que les radios qui bafouillent des tourne-disques des transistors et des télés ou bien encore le faible aye aye ouye ouye que pousse un piéton écrasé Raymond Queneau Monstre énorme, géant, Qui se dresse superbe au centre de la ville. Squelette d'acier, chair de ciment. Ses dents de granit froides et dures Peuvent écraser le soleil d'or du couchant. Ses mille yeux transparents et bien rangés Sont-ils ceux d'Argus ressuscité ? Quand vient la nuit, Ces yeux qui scintillent la surveillent jalousement. Ont-ils peur qu'elle n'abrite trop de complots et de secrets ? Wou Wang Jao 14 La maison-océan Par la seule magie de leurs noms il est des villes perdues ou non d’Aden à Zanzibar qui chantent dans nos mémoires. Avec de l’eau de mer, de la plage, du vent et un peu de ciment, il bâtit une maison : la maison de ses rêves. Ô cette rumeur de l’inconnu au coin des rues de la terre à Samarkand comme à Shanghaï avant même que d’y être… Depuis quand la lune se lève Les cheminées dressent leurs bras vers elle et les murs suivent les marées : En arrière, En avant, En avant, En arrière, toutes les vitres roses gonflées comme des ailes. Le refrain qui a ouvert la route parle au cœur et aux songes de Tombouctou, de Bénarès, de Louxor et d’Antioche-sur-Oronte : Et dans la maison-océan Vivent vingt millions d’enfants c’est à l’oreille aussi qu’il faut courir le monde. Christian Poslaniec André Velter Tout savoir - Que sont ces feuilles noires qui tombent par milliers sur nos ruisseaux fragiles ? ACOUSTIQUE - Mon fils, c’est la nuit Un enfant pleure une radio crie une auto freine une moto pète un marteau frappe une hie rongle un bus passe et pourtant il y a encore dans l’espace des pans qui ne bougent pas - Que sont ces lampes claires Qui posent par milliers Des œufs blancs sous nos pas ? - Ma fille c’est la neige - La neige est un moulin qui souffle sa farine ! - le moulin, la farine et le pain de ta joie - Mais que sont ces oiseaux qui viennent par milliers habiter mon sommeil Raymond Queneau - Les étoiles peut-être, mon enfant elles cherchent dans tes yeux leur lumière perdue Jean-Pierre Siméon. 15 DU SILENCE La forêt voilà la forêt Malgré la nuit je la vois Je la touche je la connais Je fais la chasse à la forêt Elle s’éclaire d’elle-même Par ses frissons et par ses voix Le soir, quand les grands bruits se sont tus, les petits bruits commencent. Ceux-là vous empêchent de dormir ; le sommeil des hommes leur fait peur. Il faut être mort pour goûter un vrai silence. Mais on dit que la mort, ça bourdonne aux oreilles. Ouste, rien à faire levons-nous, continuons! Chaque arbre d’ombre et de reflets Est un miroir pour les oiseaux... Paul ÉLUARD Norge RÊVÉ POUR L’HIVER LA GRAINE L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose Avec des coussins bleus. Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose Dans chaque coin moelleux. Au clair de l’automne Mon ami Pierrot La petite feuille est morte ; Ouvrez-lui la porte. Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace, Grimacer les ombres des soirs, Ces monstruosités hargneuses, populace De démons noirs et de loups noirs. Au clair de la laine Est rangée sa graine. Puis tu te sentiras la joue égratignée... Un petit baiser, comme une folle araignée, Te courra par le cou... Chut ! Fermez bien vos mains Comme une boîte à bijoux ; Il va pleuvoir jusqu’aux mois doux. — bête Et tu me diras « Cherche ! » en inclinant la tête, Et nous prendrons du temps à trouver cette ALAIN SERRES —Qui voyage beaucoup ... En wagon, le 7 octobre [1870]. Arthur Rimbaud 16 Etude de voix d'enfant Les maison y sont là les deux pieds sous la porte tu les vois les maisons? La coccinelle Les pavé y sont là les souliers de la pluie y sont noirs mais y brillent. Dans une rose à Bagatelle Naquit un jour la coccinelle Dans une rose de Provins Elle compta jusqu’à cent vingt Dans une rose à Mogador Elle a vécu en thermidor Dans une rose à Jéricho Elle évita le sirocco Dans une rose en Picardie Elle a trouvé son Paradis Coccinelle à sept points Bête à bon Dieu, bête à bon-point Tout le monde il est là le marchand le passant le parent le zenfant le méchant le zagent. Les auto fait vou-hou le métro fait rraou et le nuage, y passe et le soleil, y dort. Robert Desnos Tout le monde il est là comme les autres jours mais c'est un autre jour c'est une autre lumière : aujourd'hui c'est hier. Jean Tardieu Allégeance Dans les rues de la ville, il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour : chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus qui, au juste, l'aima. Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir, puis, léger, l'éconduit. Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma liberté est son trésor ! Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, Ma solitude se creuse. Dans les rues de la ville, il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour : chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus qui, au juste, l'aima Et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ! Si j'avais une bicyclette… Si j'avais une bicyclette, J'irais dès le soleil levant, Par les routes blanches et nettes J'irais plus vite que le vent. Si j'avais une automobile Je roulerais au clair matin, Je roulerais de ville en ville Jusqu'aux murailles de Pékin. Ernest Pérochon René Char 17 Les difficultés essentielles Monsieur mes ses chaussettes Monsieur les lui retire. Lettre aux gens très sages Monsieur met sa culotte Monsieur la lui déchire. Non il n'est pas fou Celui qui parle au vent Aux murs aux rues aux lampadaires Monsieur met sa chemise Monsieur met ses bretelles Monsieur met son veston Monsieur met ses chaussures : au fur et à mesures Monsieur les fait valser. A l'ombre du chat sur la fenêtre Aux mains fragiles Qui l'aiment et le connaissent Il n'est pas fou Celui qui voit la mer Dans son miroir Et des chiens bleus Dans les nuages Quand Monsieur se promène Monsieur reste au logis quand Monsieur est ici Monsieur n'est jamais là (…) Non il n'est pas fou Il rêve il rêve Et nous attend Sous le manteau de son mystère Au coeur du monde imagé. s’il prononce un discours il garde le silence, s'il part pour la forêt c'est qu'il s'installe en ville, Jean-Pierre Siméon lorsqu'il reste tranquille c'est qu'il est inquiet La nuit il dort quand il s'éveille il pleure quand il rit La nuit qui vient Un peu douce un peu froide Pose sur les toits Sa guirlande de pluie au lever du soleil voici venir la nuit ; On entend La chouette émerveillée Frotter ses aile Au silence Vrai ! c'est vertigineux de le voir coup sur coup tantôt seul tantôt deux levé couché levé debout assis debout ! Sur ses pattes de laie Un chat franchit Les limites de l’ombre Il ôte son chapeau il remet son chapeau chapeau pas de chapeau pas de chapeau chapeau et jamais de repos. L’homme Jette un drap blanc Sur sa fatigue Jean Tardieu 18 J-P Siméon Mauvais rêve Pauvre type -Qu’ont-ils fait, papa qu’ont-ils fait de leurs mains de plumes ? -Envolées, mon garçon, envolées dans le vent ! Toto a un nez de chèvre et un pied de porc Il porte des chaussettes En bois d’allumettes Et se peigne les cheveux Avec un coupe-papier qui a fait long feu S’il s’habille les murs deviennent gris S’il se lève le lit explose S’il se lave l’eau s’ébroue Il a toujours dans sa poche Un vide-poche -Qu’ont-ils fait, papa qu’ont-ils fait de leurs yeux si doux ? -Perdus, mon garçon, perdus dans la nuit ! -Qu’ont-ils fait, papa qu’ont-ils fait du ruisseau de leur joie ? -Oublié, mon garçon, jeté dans le fossé ! Pauvre type R. Queneau -Qu’ont-ils fait, papa qu’ont-ils fait des mots de leurs poèmes ? J’ai bien peur mon garçon Qu’ils ne les aiment plus. J-P Siméon EN FACE Au bord du toit Un nuage danse Trois gouttes d'eau pendent à la gouttière Trois étoiles Des diamants Et vos yeux brillants qui regardent Le soleil derrière la vitre LA VILLE MUSICALE La ville est un orgue où chante le vent le vent de la vie aux murs de cristal éveille les voix du soleil levant la ville est un grand rêve instrumental Midi Daniel Lander 19 Pierre Reverdy LA PUCE : DEVINETTE : Une puce prit le chien pour aller de la ville au hameau voisin à la station du marronnier elle descendit vos papiers dit l’âne coiffé d’un képi je n’en ai pas alors que faites-vous ici je suis infirmière et fais des piqûres à domicile Je vais à l’école sans bouger de place. Je vais chez tante Nicole sans bouger de place. Je vais à la rivière sans bouger de place. Je vais chez la grand-mère sans bouger de place. Je vais vraiment partout et sans rendez-vous. (La route) François Fampou Paul Claussard SOIR : EMBOUTEILLAGE : Les étoiles dorment, Le soir a cueilli Pour tous les étages Un bouquet de lampes. Feu vert ! Feu vert ! Feu vert ! Le chemin est ouvert ! Tortues blanches, tortues grises, tortues noires, Tortues têtues ! Tintamarre ! Les autos crachotent, Toussotent, cahotent Quatre centimètres, Puis toutes s’arrêtent. Feu rouge ! Feu rouge ! Feu rouge ! Pas une ne bougent ! Au ras du trottoir Un petit enfant Ecarte les doigts Vers tant de lumière ! La ville s’éteint, La main se referme ! A tous les étages Grimpe le sommeil, Les étoiles veillent. Blanches, grises, vertes, bleues, Tortues à la queue leu leu !... Jacques Charpentreau Jean-Claude Renard APPRENEZ A NE DETRUIRE : Apprenez à ne détruire ni l’air ni l’eau ni la terre sans quoi s’efface le rire que vous promet leur mystère. Jean-Claude Renard 20 Intempéries Je ne suis pas de cette histoire De ces murs De ces branches Je ne suis pas de ce cours d'eau Il pleuvait Que faire sans chapeau Me suis coiffé Du toit de ma maison Ce n'est pas ici que je vis Je n'ai pas de roses dans mon jardin Je ne suis pas née entre ces remparts. Il neigeait Que faire sans manteau Ai revêtu La cheminée de ma maison Ici je cultive la vie chaque fois que j'y habite Chaque fois que sur cette murette je regarde la belle façade Que mes yeux se plissent de tant de détails Que je me retrouve happée par le silence. Il gelait Que faire sans botillons Vite enfilé La moquette de mon salon Il ventait Que faire sans pèlerine Ai tiré sur moi Tous les rideaux de la maison Sur un banc encore aux beaux jours lorsque l'eau est au plus bas Il me vient cette douceur D'être. Si bien qu’à la fin Tout habillé de ma maison Je suis parti faire le tour du monde Mais bien au chaud Claude Haller Sofia Queiros Un démon Tu me proposes, fenêtre étrange ... Tu me proposes, fenêtre étrange, d'attendre ; déjà presque bouge ton rideau beige. Devrais-je, ô fenêtre, à ton invite me rendre ? Ou me défendre, fenêtre ? Qui attendrais-je ? Ne suis-je intact, avec cette vie qui écoute, avec ce coeur tout plein que la perte complète ? Avec cette route qui passe devant, et le doute que tu puisses donner ce trop dont le rêve m'arrête ? Rainer Maria Rilke C’était un tison rouge ayant la forme humaine ; Ses membres, sans le feu qui gonflait chaque veine Et leur soudait les os, eussent été rompus. Il avait pour cheveux de noirs charbons crépus D’où sortait en frisson une touffe de flammes. On voyait dans ses yeux brûler de vagues âmes, Sa bouche, brasier sombre et flamboyant cachot, Ressemblait à la grille ardente d’un réchaud Ses côtes laissaient voir des lueurs de fournaise, Il voulait me baiser avec ses dents de braise. Victor Hugo 21 Dans la ville Y a du soleil dans la rue J'aime le soleil mais j'aime pas la rue Alors je reste chez moi En attendant que le monde vienne Avec ses tours dorées Et ses cascades blanches Avec ses voix de larmes Et les chansons des gens qui sont gais Ou qui sont payés pour chanter Et le soir il vient un moment Où la rue devient autre chose Et disparaît sous le plumage De la nuit pleine de peut-être Et des rêves de ceux qui sont morts Alors je descends dans la rue Elle s'étend là-bas jusqu'à l'aube Une fumée s'étire tout près Et je marche au milieu de l'eau sèche De l'eau rêche de la nuit fraîche Le soleil reviendra bientôt. La ville s’endormait avec ses carrefours dans la nuit scintillante, sur un lit de sel et de lait, s’étirait le boulevard périphérique . La lune berçait la ville dans ses mains de tulle et de crème . […] Des grappes de mille fenêtres se doraient au fond de la nuit . Des tours fleurissaient lentement . Des autos indigo fuyaient vers l’inconnu. Colliers de phares safran, rivières de feux framboises . Et je survolais cette ville dans un avion d’iris, d’argent et je ne regardais qu’une seule fenêtre où rêvait ma mère peut- être, écoutant le bruit du moteur, écoutant le bruit de mon cœur. Boris Vian Pierre Gamarra J’ai vu le menuisier J’ai vu le menuisier Tirer parti du bois. J’écoute Istanbul J’écoute Istanbul, les yeux fermés Les voûtes du Bazar sont fraîches, si fraîches Mahmout Pacha est tout grouillant de monde Les cours sont pleines de pigeons Des bruits de marteaux montent des docks Dans le vent doux du printemps flottent Des odeurs de sueur J’écoure Istanbul, les yeux fermés (…) J’ai vu le menuisier Comparer plusieurs planches. J’ai vu le menuisier Caresser la plus belle. J’ai vu le menuisier Approcher le rabot. J’ai vu le menuisier Orhan Velli Donner la juste forme. Tu chantais, menuisier En assemblant l’armoire. Je garde ton image Avec l’odeur du bois. Moi, j’assemble des mots Et c’est un peu pareil. Eugène GUILLEVIC 22 23