l`adolescence et marfan par

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l`adolescence et marfan par
ADOLESCENCE ET MARFAN
Un jeune est d’abord et avant tout un adolescent même s’il est atteint d’une pathologie
comme le syndrome de Marfan. Je vais donc vous proposer quelques repères sur
l’adolescence avant d’aborder les spécificités liées au fait de vivre avec une maladie
génétique telle que le syndrome de Marfan.
1. L’ADOLESCENCE
L’adolescence est un temps de passage, passage de l’enfance à l’âge adulte.
L’étymologie vient du latin et signifie croître ou grandir.
L’adolescence est une période de développement qui commence avec les premiers
signes de la puberté. Le jeune voit dans son corps et vit des modifications physiques
qui rendent nécessaire une adaptation de la personnalité. On pourrait dire que
l’adolescent ressent un sentiment d’étrangeté face au corps qui change, il a des
sensations nouvelles et passe d’un corps d’enfant à celui d’un corps d’adulte sexué. Et
ce nouveau corps il doit se l’approprier, le reconnaître comme le sien, dans des
tentatives de rétablissement d’un équilibre.
Sur un plan psychique, l’adolescence est un temps de recherche identitaire et de besoin
d’autonomie.
Le jeune recherche un double, un même, un semblable auquel il va chercher à
s’identifier par des facteurs internes comme les valeurs, les goûts, les émotions et des
facteurs externes notamment l’image personnelle, les vêtements, la coiffure...
L’adolescent s’entoure d’un groupe de pairs parmi lesquels il se sent protégé, il a de la
force, un rôle social... Il est comme les autres, il fait comme les autres, ils sont les
mêmes voire le même.
A cette période les parents perdent leur statut d’idole, de modèle à imiter et l’influence
parentale diminue au profit de l’influence des pairs.
Ce mouvement ne se fait pas sans difficulté. Le jeune oscille entre l’angoisse de se
séparer de ses parents et la nécessité de prendre de la distance avec eux, il vit une
conflictualité entre le plaisir de l’autonomie et l’inquiétude de perdre ses premiers objets
d’amour que sont les parents.
On peut dire que l’adolescence est une période souvent vécue difficilement, une période
de questionnements, de réorganisations nécessaires, de rééquilibrage pour le jeune
comme pour ses parents, c’est une période de transformations où la plainte signe le
plus souvent un développement normal. L’ado veut tout et son contraire et vice versa
parfois, il refuse et réclame, s’oppose, il est bruyant et silencieux, apathique et prêt à
réagir au quart de tour, il a à la fois un besoin de contrôle et de liberté…
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Françoise DOLTO parlait du complexe du homard, le homard qui perd son ancienne
carapace et reste sans défense le temps d’en fabriquer une nouvelle.
L’adolescence est donc une période de mue, où il s’agit de se débarrasser de
l’enveloppe de l’enfance pour devenir un adulte, d’où la fragilisation. Mais c’est aussi un
temps pour aimer, prendre des risques, être déchiré, passionné, avoir du chagrin voire
désespérer de la vie… avec en arrière fond une recherche de réassurance sur sa
normalité.
Ce qui nous amène à la question du syndrome de Marfan et de son impact sur
l’adolescent.
2. LE RETENTISSEMENT DE LA PATHOLOGIE SUR L’ADOLESCENT
En caricaturant on pourrait dire que la pathologie ajoute une crise à la crise
d’adolescence. Je ne voudrais pas effrayer les parents mais le jeune atteint d’un
syndrome de Marfan doit gérer les questionnements et bouleversements classiques de
l’adolescence et ceux liés à la pathologie.
a) Le corps comme illustration
L’ado voit son corps changer, se transformer mais son corps est parfois dès l’enfance
différent de celui de ses camarades. Ce corps peut donc être vécu de manière
douloureuse avec un sentiment d’étrangeté et une difficulté à l’assumer.
J’aimerais attirer votre attention sur les signes physiques de la pathologie. Les signes
les plus visibles ne sont pas nécessairement les plus difficiles à accepter pour le jeune
car la perception du corps est personnelle, nous parlons là de l’image de soi qui se
différencie de l’image réelle du corps. Parfois des signes très discrets peuvent être
difficilement supportés voire parfois entraîner une compétition avec les ados sans
pathologie dans un déni de la situation.
Pour en revenir au corps, à ce corps parfois trop grand, trop mince, avec une cicatrice
sur le thorax ou des vergetures, l’ado peut avoir le sentiment d’être observé, jugé, se
sentir exclu, et souhaiter alors rester à l’écart, s’isoler, pour ne pas être regardé.
D’autres jeunes vont déprécier leurs camarades parfois avec une certaine agressivité.
Ces 2 attitudes manifestent une peur d’être rejeté que l’on peut retrouver dans les
relations familiales comme sociales, se mettre en retrait par peur d’être mis à l’écart par
les autres ou rejeter les autres par peur d’être rejeté par eux.
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b) Face aux pairs
Etre malade c’est se sentir hors du groupe, se sentir différent des autres alors que l’on
a vu l’importance d’être comme les autres à l’adolescence. La pathologie vient donc
perturber, compliquer l’identification aux pairs.
Certains ados vont alors faire comme les autres par peur du rejet et crainte de ne plus
être aimé ; ils vont ignorer la pathologie, faire comme si elle n’existait pas. Cela peut
être une "solution" mais qui doit rester temporaire.
On peut penser que ce qui est vécu comme des attaques violentes de la maladie peut
entraîner une violence sur soi-même en retour. On peut prendre l’exemple du sport
pratiqué en excès dans une tentative d’exorcisme, de violenter la maladie pour
reprendre la main car la crainte majeure de l’ado est l’interférence avec la liberté
personnelle, il veut faire ce qu’il veut avec et comme les autres.
c) Beaucoup de questions et de peurs
La maladie est donc vécue comme limitante et les aménagements physiques sont sous
le signe de la perte et du renoncement, l’ado est confronté à des limites, à des pertes,
la pathologie apparaît comme une blessure narcissique.
L’ado doit se construire alors qu’il se vit avec un manque, il peut avoir honte, avoir un
sentiment d’indignité entraînant un manque d’estime de soi, une image de soi comme
un être monstrueux…
Souvent l’ado refuse ce que représente la maladie, pour lui une personne malade est
passive, amoindrie, inactive… et il ne peut se projeter dans cette image-là. La question
du vécu familial ou l’image d’un proche atteint influence également fortement les
représentations que se fait le jeune de la maladie et de son avenir. Si des décès
brutaux ont marqué l’histoire familiale ou qu’un parent présente des signes invalidants
cela teintera la vision que l’ado a de son devenir. Son avenir lui paraîtra incertain voire
effrayant.
Alors que les adolescents vivent surtout dans le présent, qu’ils se projettent peu dans
l’avenir, la pathologie notamment par le discours des parents et des professionnels qui
eux y pensent en parlant par exemple de prévention à propos des βbloquants, les
pousse à se questionner.
Pour la majorité des jeunes, la question de la santé ne se pose pas, ils ne la pensent
même pas s’ils ne sont pas directement confrontés à une situation dans leur entourage.
Pour l’ado atteint d’un syndrome de Marfan, se pose la question de l’évolution de la
pathologie, des chirurgies envisageables ou envisagées… : « Serai-je concerné ? Quels
signes vais-je développer ? Quand ? Comment cela–va-t-il se passer pour moi ? » Et ces
questions si l’ado réussit à les formuler n’ont pas de réponse définitive et certaine, les
informations qu’il pourra obtenir des médecins seront nuancées et prudentes, sans
certitude.
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Ces questions médicales ne sont pas les seules : « A qui parler de la maladie ? Que
dire ? Quand ? Et d’ailleurs dire ou ne pas dire ? » Le jeune a peur de
l’incompréhension des autres, peur d’être réduit à la pathologie, d’être mis à l’écart.
Et quelle réponse donner à la question : « Pourquoi moi ? »
d) Face à ses parents
L’ado peut se retrouver dans une situation difficile devant à la fois s’occuper de lui et
gérer les angoisses de ses parents, parfois leur surprotection.
Il se sent le centre d’inquiétude de ses parents, la cause de leur inquiétude d’où une
certaine culpabilité. Il peut même se vivre comme un enfant insatisfaisant, enfant d’un
parent lui-même insatisfaisant si le parent est lui aussi atteint.
Il arrive que l’adolescent ne dise pas ses difficultés pour ne pas inquiéter davantage
d’une part, et pour avoir le sentiment d’être acteur de sa vie, de ne pas être dans ce
qu’il s’imagine être une position de malade, dans la passivité.
Des comportements très différents sont notés chez les adolescents. Parfois une totale
observance du traitement et des recommandations que l’on peut interpréter comme
une tentative de réparer la culpabilité d’être malade face aux parents. Ou au contraire
un refus de la prise en compte de la pathologie parfois teinté de violence et
d’agressivité, par désir de se libérer des contraintes, de s’émanciper, d’effacer ce qui le
différencie des autres. Ce passage souvent très inquiétant pour les parents peut
permettre une réappropriation ultérieure de la maladie.
L’adolescent face à la maladie traverse plusieurs phases plus ou moins longues :
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un temps de révolte parfois bruyante,
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un temps de déni qui est nécessaire pour pouvoir continuer à se rêver et que l’on
peut considérer comme un temps de récupération
•
une phase dépressive qui permet l’élaboration, dans un second temps, de la
blessure narcissique due à la pathologie.
3. LE RETENTISSEMENT DE LA PATHOLOGIE SUR LA FAMILLE
a) Du côté des parents
Les sentiments qui prédominent chez les parents sont l’inquiétude voire l’angoisse et le
sentiment d’impuissance allié à une culpabilité.
L’anxiété peut pousser les parents à une limitation des activités parfois au-delà des
recommandations, à une hyper protection dont l’objectif est, on le comprend bien,
d’éviter au jeune la prise de risque.
Au contraire certains parents sont dans une grande permissivité pour là éviter toute
contrariété à l’ado.
Ces deux situations ont une même origine, la culpabilité. Culpabilité du parent,
transmetteur ou non de la pathologie, car son enfant est malade et le parent est dans
l’incapacité de le soigner, de le réparer. Le parent se sent impuissant face à la maladie,
en craint l’évolution, s’inquiète de l’avenir de l’ado… Une phrase revient souvent : « la
vie est déjà difficile alors avec ça en plus… »
Pour le parent lui–même atteint, la douleur ou les difficultés rencontrées par l’ado
amplifient souvent sa propre douleur et son sentiment de culpabilité. Il peut aussi être
culpabilisé par l’ado qui lui reproche indirectement ou directement la transmission. Nous
sommes là en présence de la réaction d’un jeune qui se cherche. Cette agressivité est
difficile à gérer et à vivre car les parents se sentent rejetés alors qu’ils ont le sentiment
de tout faire pour l’ado.
Deux écueils sont courants, nier ou minimiser la pathologie et comparer son enfant à
soi-même.
En répétant à son ado « tu es comme les autres » le risque est de l’amener à ne plus
s’autoriser à parler de ses difficultés en se créant une sorte de blindage. Et en lui disant
« tu es comme moi » ou « moi aussi… », le risque est celui du plaquage de ses propres
difficultés qui ont pu être et sont bien souvent différentes de celles de son enfant, et le
risque du rejet dès lors que ce que souhaite l’ado c’est surtout ne pas être comme ses
parents.
Dans la relation à l’adolescent tout est une question d’équilibre, alors que le jeune est
dans le trop le parent doit être dans le juste, ni trop ni pas assez. Le soutien parental
est nécessaire, indispensable pour acquérir l’indépendance, l’ado a besoin de s’appuyer
sur ses parents pour conquérir sa liberté.
b) Du coté de la fratrie
La question de l’impact de la pathologie sur la fratrie ne doit à mon sens pas être
négligée.
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Je rencontre régulièrement des frères et sœurs de personnes souffrant d’une pathologie
génétique. Ce qui les caractérise bien souvent outre la culpabilité de ne pas être malade
est le sentiment d’exclusion qu’ils ressentent, sentiment d’être délaissé difficile à avouer
car comment dire qu’on est jaloux d’un frère ou d’une sœur malade ?
La rivalité pourtant naturelle dans une fratrie est souvent distordue voire impossible. Et
l’agressivité peut être cachée, contenue ou prendre la forme d’une hyperprotection à
l’égard du frère ou de la sœur malade.
Si l’enfant en bonne santé ne se sent pas autorisé à avoir des problèmes -il est
agréable, bon élève, calme…-, il peut au contraire en avoir beaucoup dans l’objectif
d’attirer l’attention sur lui, de détourner l’inquiétude des parents. On est également
parfois en présence de mouvements régressif dans une identification au malade afin là
aussi de mobiliser le regard des parents.
4. COMMENT LES AIDER ?
Après cet "état des lieux, il me semble important de repréciser que tous les ados ne
vivent pas les choses de la même manière, sur le même tempo ni avec la même
amplitude. On peut faire une analogie avec le syndrome de Marfan où chaque personne
présente des signes qui lui sont propres. Chaque jeune vivra son adolescence à sa
façon qui pourra certes être influencée par la pathologie mais dépendra aussi de son
histoire personnelle, de son environnement, des soutiens et aides qu’il se verra
proposés... Il me semble donc important de se demander« et alors on fait quoi pour les
aider ? »
Nous avons noté qu’il existait un conflit entre l’adolescence qui pousse aux conduites
d’essai, aux relations avec le monde extérieur, à l’expression de la sexualité et à la
démarche émancipatrice et les difficultés liées à la maladie qui peuvent limiter le
processus d’autonomisation et mettent à l’épreuve l’estime de soi.
Bien sûr il ne s’agit pas de généraliser en disant que tous les ados vont mal ou que tous
les ados porteurs d’un syndrome de Marfan vont mal mais il s’agit d’être attentif à
certains comportements qui peuvent être considérés comme des signaux d’alarme :
l’envie excessive, une tension importante et constante, une intolérance à la solitude ou
au contraire un isolement, une fatigue intense, des insomnies, une dépression parfois
cachée derrière des prises de risque, des crises d’angoisse, des troubles du
comportement alimentaire, les addictions sous toutes leurs formes, des actes de
délinquance…
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Que peut-on alors proposer au jeune ?
Un point important. Dans les situations difficiles avec de l’agressivité voire de la
violence, il est préférable de faire appel à un tiers et je ne parle pas exclusivement des
psys, le tiers peut-être un proche en qui l’ado et ses parents ont confiance, une
personne qui n’est pas prise dans le conflit et a la capacité de garder une certaine
neutralité, un regard extérieur et moins dans l’émotion. Un ado se construit contre ses
parents, contre c’est-à-dire en appui mais aussi en opposition, le tiers peut permettre
une distanciation sans rupture.
L’écoute de ses difficultés, de ses craintes, de ses interrogations est bien sûr
indispensable. Certaines adaptations notamment scolaires sont possibles mais le
dialogue reste nécessaire pour connaître les réelles difficultés de l’ado et non celles
présupposées ; je le disais les signes les plus visibles ne sont pas nécessairement les
plus difficiles à endurer. L’important est donc d’apporter des réponses aux difficultés et
non à côté.
Nous avons vu que le jeune était face à de nombreuses questions sur lui, sa pathologie,
son avenir, questions qui s’ajoutent aux questions classiques de l’adolescence.
Ces questions peuvent trouver des réponses dans différents lieux et auprès de
différentes personnes : la consultation de génétique notamment permet d’aborder de
nombreux sujets. Il s’agit là de questions souvent très concrètes que l’ado se pose et
parfois n’ose pas aborder en famille. Mais ces questions au-delà de la recherche
d’informations ont souvent un second niveau et derrière une question sur l’évolution
des signes ou la transmission on peut entendre « Vais-je trouver quelqu’un qui va
m’aimer tel que je suis ? Vais-je vivre longtemps ? Est-ce que ce que je ressens est
normal ? ». On peut repérer chez certains ados que la pathologie intervient comme un
frein à la rencontre, comme un évitement de l’engagement dans une relation pour
éviter le risque de la descendance qui est un sujet sensible et difficile à aborder avec les
parents.
La rencontre avec des pairs et l’appui sur des semblables m’apparaissent intéressants.
On retrouve là le rôle important des associations de patients. « On est entre nous »
« on vit la même chose », ce partage d’expériences, de vécus est particulièrement
enrichissant quand il intervient au bon moment, c’est-à-dire quand le jeune le souhaite
et s’y sent prêt. Et être prêt ne se fait pas en un jour, il s’agit d’un processus dont la
temporalité est personnelle.
Certains parlent de la nécessité d’accepter la pathologie ce qui en signifierait accepter
une atteinte à l’intégrité du corps, une privation de liberté, des dépendances
supplémentaires et une amputation de l’avenir. Je préfère parler d’un cheminement
vers l’intégration de la pathologie comme une caractéristique personnelle où il s’agirait
de renoncer à un certain idéal de soi et de vie pour en imaginer un autre reconnaissant
ses limites.
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Certes l’avenir doit s’envisager autrement en présence d’une pathologie qui agit comme
une entrave, mais la pathologie ne doit pas occuper tout l’espace ; la pathologie n’est
qu’un aspect de la personne et l’objectif est de vivre comme les autres mais en étant
soi-même.
L’accompagnement par un psychologue peut permettre à l’adolescent de se dissocier de
la maladie -qui ne signifie pas l’oublier-, de s’ouvrir sur des points de vue différents,
d’entrevoir d’autres possibilités, d’autres éclairages, de repérer ses ressources et
s’approprier ou de se réapproprier sa vie. On peut assimiler cela à un travail de deuil
avec des moments de tristesse, de révolte, de déni, de renoncement… Et s’il est vrai
que dire ce qui est difficile ne le supprime pas cela aide à avancer, à avoir une
perspective différente, à prendre conscience des difficultés mais aussi et surtout de ses
forces.
En conclusion je rappellerai que chaque situation est différente, chaque personne
comme chaque ado est différent.
L’adolescence est à elle seule une période de bouleversements et il est important de ne
ni minimiser les difficultés ni toutes les mettre sur le compte du Marfan.
Les parents sont là pour prendre des coups et protéger et contenir l’ado qui cherche la
confrontation et attend qu’on lui réponde ; ils ont de multiples rôles, soutien
narcissique, devoir de limite, travail de lien, respect des places, respect de l’intimité,
reconnaissance des transformations en cours… Tout est une question d’équilibre entre
protection et liberté, limites et autonomie, il faut trouver le bon niveau d’investissement
et cela demande un ajustement continuel.
Madame Sylvie FOURDRINOY
Psychologue
Centre de Compétences Marfan
Service de Génétique
69500 BRON
Tél. : 04.27.85.65.25
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