Coup de jeune - Bourgogne Aujourd`hui
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Coup de jeune - Bourgogne Aujourd`hui
Rencontre Marc Ragaine Coup de jeune À 31 ans, Marc Ragaine, est devenu Meilleur caviste indépendant du monde en juin dernier. Après avoir officié comme sommelier dans la grande restauration parisienne, ce Bourguignon s’est installé à Auxerre où il contribue à rajeunir l’image des cavistes. Repères Naissance : 13 septembre 1972 à Auxerre 1987-89 : Études au lycée hôtelier Gambetta à Auxerre 1990 : Mention complémentaire de sommellerie à Dijon 1990 à 1995 : Sommelier à La Tour d’Argent 1994 : 3e place au concours de Meilleur jeune sommelier de France. 1996-97 : Sommelier à La Maison Blanche (Paris) 1997 à 1999 : Sommelier au Stella Maris (Paris) 1999 : S’installe comme caviste à Auxerre (Cellier des Agapes) Juin 2003 : Meilleur caviste du monde 18 • Bourgogne Aujourd’hui 55 Vous sentez-vous Meilleur caviste du monde ? Au contraire, j’ai peut-être moins confiance en moi actuellement. C’est un titre qui me paraît presque un peu gros pour moi. Cela fait beaucoup d’un coup. J’ai maintenant une image à défendre et en même temps celle de toute la profession. Les gens viennent voir ce que représente le Meilleur caviste du monde. Certains s’attendent à voir de la dorure partout, des bouteilles et finalement, ils voient une cave toute simple. Pourquoi avoir participé à ce concours ? Pour me situer, mesurer un peu mes connaissances. Je savais que j’allais rencontrer beaucoup de monde au niveau de la profession, des journalistes et que cela allait être très constructif. Je l’ai fait aussi pour mes clients : quand vous conseillez un vin, vous vendez tout un contexte autour et si vous maîtrisez chaque paramètre du vin, le client boit vos paroles. Quels sont les points que vous avez corrigés pour finalement remporter le titre ? Tout d’abord la dégustation, la reconnaissance des vins. La première fois, j’ai tout donné sur la méthodologie de dégustation, alors que ce qui valait le plus de points, c’est la reconnaissance : le cépage, l’appellation et le millésime. Sur le quizz, je répondais plus rapidement. En dehors de ce concours, avez-vous le temps de vous rendre dans les domaines bourguignons et peut-être ailleurs ? En Bourgogne, oui bien sûr, je suis proche des vignobles. Cela reste un réel plaisir. Pour les autres régions, c’est beaucoup moins évident. J’ai depuis peu quelqu’un pour me seconder, je vais donc pouvoir partir plus souvent. À défaut de ne pas pouvoir se rendre dans le LanguedocRoussillon, dans le bordelais régulièrement, la Fédération des cavistes indépendants organise des voyages d’études qui permettent de se déplacer. Par ailleurs, j’ai la chance d’être à 150 kilomètres de Paris où se tiennent régulièrement des salons. La convivialité est moindre, mais vous touchez quand même le vigneron. Le contact est plus satisfaisant que de recevoir simplement un échantillon. Par principe, je goûte tous les vins qui rentrent ici, à l’exception de quelques grands, grands noms. Bourgogne Aujourd’hui 55 • 19 Rencontre On voit beaucoup de bonnes bouteilles en grande surface notamment dans les foires aux vins. Cette concurrence vous inquiète-t-elle ? Ces questions sont un peu moins virulentes aujourd’hui. Je ne pense pas que ce soit inquiétant. Je vais systématiquement dans les foires aux vins, voir les gens qui orientent la clientèle. Ils ne sont pas entièrement de la partie. Ils n’ont pas la même accroche que nous, qui sommes tant imprégnés du produit. On ne travaille pas sur les mêmes styles de vins. Eux sont plus dans une logique de rapport qualité/prix, de vins un peu “techno”, qui vont plaire à un grand nombre. On va avoir moins d’authenticité, de personnalité, de terroir. Nous proposons des vins qui, c’est vrai, sont peut-être un peu plus chers mais élaborés avec plus de rigueur. À nous de faire un travail d’explication, de conseils. L’évolution de la clientèle va vers des produits qui ont une âme, une identité. Dans cette logique, la Bourgogne doit être le vignoble rêvé pour les cavistes tant elle a besoin d’être expliquée ? Tout à fait. La Bourgogne, c’est la région la plus extraordinaire et la pire aussi. C’est un travail Que retenez-vous de vos années d’expérience en sommellerie dans de grands restaurants parisiens ? J’ai goûté des vins, à La Tour d’Argent, que je ne regoûterai plus jamais de ma vie. Des bouteilles exceptionnelles. La grande restauration travaille avec les plus grands noms, les plus grandes appellations. Cela m’incite, aujourd’hui encore, à être intransigeant. Même sur une appellation régionale. On peut avoir en entrée de gamme un vin de qualité, équilibré, propre et avec une certaine identité. Percevez-vous des tendances de consommation ? Peut-on parler de mode ? Oui bien sûr. On a beaucoup parlé de vins de garage dans le bordelais, de grosses extractions, de bête de concours qui vous en mettent plein la bouche. Il est certain qu’il est plus facile de faire des vins dans la puissance et l’opulence, que dans la finesse et l’élégance. Tout le monde est capable de surextraire. On peut parler de “mode” lorsque le vigneron fait son vin selon ce qu’attend sa “Vignerons, négociants, coopératives, je ne m’arrête pas à l’étiquette. Tout le monde peut “faire bon” à son niveau. de fou de pouvoir caractériser les climats, les vignerons, les millésimes. Une fois qu’on y est parvenu, il faut encore pouvoir faire passer le message à la clientèle. C’est une région où l’on se régale. Moi en plus, je suis très pinot. Aucun vin d’une autre région ne peut me transporter autant. Je suis d’autant plus exigeant avec la Bourgogne. Car on peut aussi y faire de la banalisation par des rendements excessifs, un travail des sols insuffisant, etc. Comment se porte la profession de caviste ? Une nouvelle génération de cavistes est arrivée à ce métier par passion. Des financiers, des architectes, des avocats lassés de professions où ils se sont beaucoup donné. Un client qui a en face de lui un passionné est forcément conquis, même si la formation de caviste est perfectible. On est là avant tout pour vendre une passion. Des sommeliers également sont devenus cavistes, c’est mon cas. On y gagne souvent en convivialité. L’image du caviste indépendant avec un gros 20 • Bourgogne Aujourd’hui 55 d’une fraîcheur incroyable, la chair était encore bien présente. Je cherchais le défaut, je me suis dit : il va bien s’écrouler à un moment ou un autre, eh bien non ! nez rouge, un grand tablier, un peu fatigué de la veille, est à faire évoluer. Elle a été bien redynamisée ces derniers temps. clientèle plutôt que selon sa matière première. Sur des appellations, on a eu la mode muscadet, saumur-champigny, saint-émilion, sancerrois. Le danger, c’est d’obtenir une notoriété et ensuite de s’asseoir dessus. Le vignoble évolue à une telle vitesse que l’on ne peut pas se permettre cela. La qualité a-t-elle beaucoup évolué en Bourgogne ces dernières décennies ? Pour moi, le grand tournant a été le début des années 90. Beaucoup de vignerons ont pris conscience de l’importance de l’œnologie. Puis les jeunes vignerons ont compris que le vin se faisait davantage dans la vigne que dans la cuverie. Il y a une émulation. Cette génération a été voir ce qui se fait ailleurs. On se réunit plus facilement entre vignerons pour goûter ce que les uns et les autres font, sans craindre les critiques. Il y a une évolution du négoce également avec des achats en moûts, voire en raisins. Merci au nouveau monde, le vignoble français s’est réveillé, remis en question. Certains cavistes font une distinction entre vin de négoce et de propriétaire. Est-ce votre cas ? Vignerons, négociants, coopératives, je ne m’arrête pas à l’étiquette. Tout le monde peut “faire bon” à son niveau. À nous de faire le tri. Le reste, c’est pour moi un manque d’éducation. Malheureusement, j’ai toujours plus de mal à vendre un vin de négoce ou de cave coop. C’est paradoxal, les Français sont pour beaucoup incultes en matière de vin. Quand vous voyez des Anglais, des Belges, je suis époustouflé de leur savoir. Ce sont quand même les maisons de négoce dans les années 50 qui ont mis en avant les vins de Bourgogne. Nous n’en serions pas là aujourd’hui sans elles. La coopération a été déterminante dans les années 30. C’est vrai qu’à certaines périodes, le négoce a acheté tout ce qui se présentait mais beaucoup se sont remis en question. Cela me fatigue que l’on puisse réagir encore selon des idées préconçues. Comment définissez-vous un grand vin de Bourgogne rouge ou blanc ? Trois mots pour les rouges : chair, finesse et élégance. C’est valable aussi sur les blancs mais je soulignerai également l’importance de la pureté, de la netteté, sans artifice. Le côté rafraîchissant également : un verre appelle l’autre. J’aime les bourgognes qui croquent un peu. Il faut un noyau central, une densité qui canalise tout ce qu’il y a autour. S’il n’y a pas cela, un côté chaleureux, lourd, ou astringent va ressortir à un moment ou un autre. Paradoxalement, beaucoup de clients considèrent que les bourgognes sont plus lourds que les vins du Bordelais, ils expriment la prédominance de ce côté alcooleux, entêtant. Vos meilleurs souvenirs de dégustation ? Un clos-des-Lambray 1937 à La Tour d’Argent. Je me demandais bien sur quoi on allait tomber. Et pourtant ce vin était Quels sont les vins que vous aimeriez ouvrir pour les fêtes, quel millésime en Bourgogne et ailleurs ? Pourquoi pas un vieux chablis, comme le premier cru Fourchaume 1989 de Gérard Tremblay, qui a remarquablement évolué. Dans une année plus récente un village ou un premier cru 2000 peuvent être abordés. Un premier cru Vaucoupins de chez JeanClaude Oudin par exemple. En rouge, deux millésimes assez décriés, 1997 et 2000, offrent beaucoup de plaisir aujourd’hui lorsqu’ils sont bien faits. Ils sont plus flatteurs que les 1999 en ce moment. Le ladoix premier cru Les Carrières 2000 de chez Edmond Cornu, au profil aérien et élégant, est superbe. En côte de Beaune blanc, le puligny Les Combettes 1999 du domaine Prieur est magnifique. Avec quel type de plat ? Pour accompagner un bourgogne, il faut aller vers des plats raffinés comme un pigeonneau rôti avec une farce aux truffes par exemple. La finesse du pinot s’accommode mal de plats trop consistants. Laurent Gotti Photographies : Lionel Georgeot Le professionnel L’élocution est claire et posée, ses mots sont choisis, ses réponses réfléchies. Appliqué, méticuleux, perfectionniste certainement, Marc Ragaine dégage tout cela à la fois. Une volonté de bien faire qui a mené ce jeune Bourguignon jusqu’au titre de Meilleur caviste indépendant du monde. C’était en juin dernier à Vinexpo. Il affrontait sept autres finalistes dont un allemand et une japonaise. Un concours organisé par la Fédération nationale des cavistes indépendants et la maison champenoise Laurent Perrier. Pour se départager, ils ont dû braver un questionnaire aussi éclectique que pointu, une dégustation à l’aveugle d’un vin de la Rioja (Espagne), d’un chinon, d’un sauvignon vin de pays, un spätlese, un vieux cognac, etc. Une victoire au goût de revanche pour Marc Ragaine après une 4e place obtenue en 2001. “J’ai eu une grosse déception. Cet échec m’a énormément servi.” Un titre qu’il accueille avec fierté (il l’arbore sur son tablier), mais aussi comme une responsabilité. Le voilà donc porte-drapeau d’une profession qui entend faire valoir sa différence, défendre une vision du vin objet de culture et d’histoire, rempart contre la standardisation. Casting réussi. Bourgogne Aujourd’hui 55 • 21