l`obsession du beau

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l`obsession du beau
Abercrombie&Fitch : l’obsession du beau
Quand d’autres demandent des références, chez Hollister une photo suffit !
Abercrombie&Fitch, Hollister, des techniques de recrutement osées et axées sur le physique. Dans les boutiques, seuls des articles pour les physiques avantageux sont proposés. C
’est au détour d’une journée shopping entre amies au centre commercial que, devant une jolie façade, notre regard est attiré par deux jeunes hommes torse nu au physique avantageux. Mais quel est ce lieu ? Aucune enseigne, aucun indice, ni distribution de flyers, rien qui puisse nous mettre sur la voie. Nous Les models de la marque à l'entrée de Hollister (Italie) nous rapprochons et observons qu’à côté des jeunes hommes se trouvent deux belles jeunes filles, à la ressemblance frappante. Il n'en faut pas plus pour piquer notre curiosité. Que font ces personnes légèrement vêtues en plein milieu d’une galerie commerciale? Autour de ces tops model, les gens se font de plus en plus nombreux et ne parlons pas du nombre de filles et de femmes à se précipiter pour poser à côté de ces jeunes hommes en shorts rouges et tongs. Les filles, d'ailleurs plus couvertes, portent un jean, une chemise à carreaux rouge ainsi que des tongs. Tous se tiennent devant un bâtiment assez particulier. On voit des volets marron ainsi qu’une sorte de véranda. Là, se trouvent de gros fauteuils en cuir marron recouverts de plaids. Le décor est largement dominé par un imposant lustre, placé au dessus des fauteuils. Le lieu est intriguant et quasi intimidant mais il nous en faut plus pour nous impressionner. Nous pensons découvrir un nouveau bar branché ou peut-­‐être une galerie d’exposition. Nous arrêtons de nous interroger et décidons d’enfin aller voir ce qui se passe à l’intérieur. A l’entrée, une hôtesse. Cheveux blonds, longs et détachés, vêtue de la même manière que ses collègues, elle nous accueille de manière sympathique, mais troublante. Elle est très belle, très souriante, et nous lance une phrase en anglais que nous avons du mal à distinguer à cause de la musique assourdissante qui perturbe nos sens. Une seule de nous trois réussit à déchiffrer un « Hey ! What’s up ! » Mais elle n’est pas sûre de la fin de la phrase. Nous lui rendons simplement le sourire et visitons l’intérieur des lieux. C’est finalement une boutique de vêtements que nous découvrons. Nous sommes tout de même un peu déçues, nous qui croyions atterrir dans un bar branché ! Cela dit, nous nous intéressons aux vêtements. Nous identifions finalement la marque Hollister grâce à son logo, une mouette, présente sur tous les articles vendus. Petit historique de la marque Hollister est une filiale de la fameuse marque Abercrombie&Fitch, une marque de vêtements créée en 1892 par David Thomas Abercrombie et Ezra Hasbrouck Fitch. A la base, les deux hommes commercialisaient des vêtements de randonnée et la marque était réputée pour ses fusils de chasse. Mais les choses ont bien changé depuis cette époque. En 1977, Abercombie&Fitch fait faillite et revend le nom de la marque en 1988. Depuis, la marque travaille sa réputation de vêtements de casual luxury, soit de luxe décontracté. Mais depuis 1997, la marque subit de nombreuses critiques et accusations car le recrutement est basé sur l’apparence physique des postulants. Elle est donc souvent accusée de discrimination. Il est vrai que la ressemblance entre les différents vendeurs et leurs physiques irréprochables nous donnent l’impression d'avoir atterri dans le film américain futuriste, « Bienvenue à Gattaca ». Dans ce film, les hommes sont créés sur mesure, en laboratoire, et selon le bon vouloir des parents. Il n'y a donc plus de place pour l'imperfection. C'est une des premières choses qui nous a traversé l’esprit. Toutes les filles se ressemblent, mêmes cheveux, mêmes vêtements, mêmes sourires, même voix et il en est de même pour les garçons. La réputation de la marque se confirme dans nos esprits, mais nous essayons de nous éloigner des clichés. Une des vendeuses nous interpelle, c’est en fait une camarade de classe qui veut simplement nous saluer. Nous sommes ravies de cette rencontre et lui faisons savoir que nous souhaitons la questionner sur la boutique. « Je n’y vois aucun inconvénient, mais je n’ai, normalement, pas le droit de le faire, donc on va éviter devant les managers », nous dit-­‐elle. Nous la saluons et continuons notre visite du magasin. Une musique très forte est continuellement diffusée dans la boutique, mais en fond sonore, nous distinguons un bruit de vagues. Une filiale d’Abercrombie&Fitch, une architecture de maison, une musique de boite de nuit, un son de vagues, nous finissons par comprendre que nous sommes censées être dans une maison de vacances. « Une ambiance californienne », nous précise la vendeuse. Nous commençons maintenant à sérieusement nous intéresser aux vêtements. Nous fouillons chacune de notre côté afin de trouver la perle rare, mais le manque de lumière ne nous aide pas à nous décider. Il faut se rapprocher des spots lumineux pour pouvoir distinguer les vraies couleurs des articles. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seules à procéder ainsi. D’autres femmes ont emprunté la même technique. Chez Hollister, le bleu marine se confond avec le noir, il en va de même pour le rouge et l’orange. Les clients adolescents n’ont eux, aucun problème avec cette confusion des couleurs. Nous laissons tomber notre rayon et décidons d’emprunter les escaliers lumineux que nous avons remarqué dès notre entrée dans le magasin. En arrivant à l’étage, nous entendons deux vendeurs échanger quelques mots en anglais. D’ailleurs, l’un d’entre eux nous regarde et nous dit en souriant « Hey! What’s up? Welcome to the pier! », ce qui signifie « Salut! Comment ça va ? Bienvenue sur la jetée ! » Nous comprenons alors que c’est cette fameuse phrase que nous n’avions pas tout à fait saisie à notre entrée dans la boutique. Nous apprécions l’accueil et continuons notre visite. Un joli polo retient notre attention, mais un débat est alors entamé autour de l’article avec deux autres clientes. La question étant : Quelle est la couleur de ce polo? Rouge? Orange? générations lorsque nous entendons plus tard Clara, 15 ans, cliente fidèle de la marque, dire « Hollister est une marque américaine branchée qui me fait rêver. Tous mes amis en portent. » D’ailleurs, même si Clara est consciente que le prix des vêtements en magasin est relativement élevé, elle n’hésite pas à contraindre sa mère à parcourir 80 kilomètres pour trouver son bonheur ! N’étant pas intéressées par les vêtements proposés et ayant toutes les trois un début de migraine, nous finissons par nous résoudre à quitter la boutique A notre sortie, nous réussissons à comprendre qu’un énième vendeur veuille nous dire au revoir en lançant « Goodbye, see you soon !», soit « Salut, à bientôt ! ». Enfin sorties du magasin, nous nous rendons compte que le mal de tête que nous ressentons, n’est en vérité que le résultat de 10 minutes passées à l’intérieur du magasin, et non pas d’une demi-­‐heure comme nous le pensons. Telle a été notre expérience Hollister, et nous nous en souviendrons. L’arrivée d’Abercrombie& Fitch sur le marché français Les sweatshirts emblématiques de Hollister disposés dans un rayon de la boutique nantaise.
Peu importe, nous finissons par nous décourager une fois de plus. Nous nous sommes bien rendues compte que nous ne correspondons pas à la clientèle ciblée. En effet, nous sommes entourées d’adolescents accompagnés de leurs parents, souvent désespérés. Une dispute finit par éclater entre une mère et sa fille à propos d’un t-­‐shirt blanc à 25 euros. Une vendeuse aux cheveux longs et châtains clairs et aux yeux verts vient alors à la rescousse. Nous comprenons qu’il puisse y avoir un conflit de En réalité, tout le monde se souvient de son passage dans un magasin Abercrombie&Fitch. Il faut dire que la marque fait tout ce qu’il faut pour retenir l’attention des consommateurs, et plus particulièrement celle des jeunes. Parmi les nombreuses marques de prêts à porter sur le marché, Abercrombie&Fitch est probablement la seule qui ose afficher clairement son esprit élitiste. Et ça marche, du moins chez les jeunes d’aujourd’hui, très axés sur l’importance de l’image et de l’apparence. Depuis son installation en mai 2011 sur les Champs Elysées, la marque américaine ne cesse de s’étendre sur le marché français. Elle a déjà ouvert un peu partout en France des magasins Hollister, une branche de la marque dont l’esprit SoCal (Southern Californian) plus décontracté cible principalement les adolescents. La vague Abercrombie et Hollister a déjà touché plusieurs grandes villes telles que Lyon, Lille, Rennes, Strasbourg, Rouen et bien sûr Nantes. C’est en novembre 2012 que le magasin Hollister a ouvert ses portes dans la partie la plus récente de la galerie commerciale Atlantis, à Nantes. Mais dans les rues de la métropole, la marque a fait parler d’elle avant même l’ouverture de son magasin. De nombreux étudiants ont déclaré s’être fait aborder par des recruteurs du magasin alors qu’ils marchaient dans la rue. Ceux-­‐ci se voyaient proposer des postes de vendeurs ou même de managers dans la future boutique. « Les recrutements se font aussi en boite de nuit, à la sortie du cinéma ou dans les festivals » Politique de recrutement Emilie, la vendeuse que nous avons reconnue dans la boutique, nous dit avoir été abordée dans la bibliothèque de l’université par un homme qui lui proposait un poste chez Hollister. « Je n’ai jamais été manager, ni même vendeuse, je ne pourrai jamais gérer une équipe ! », lui a-­‐t-­‐elle répondu, mais cela n’a pas semblé gêner le recruteur qui a insisté pour qu’elle se présente à un entretien. Et c’est ainsi que se sont déroulés la plupart des recrutements de la marque. Le deuxième vendeur qui a accepté de nous répondre, Tom a, lui, été abordé lors d’une séance de sport dans une salle de musculation. « Mais les recrutements se font aussi en boite de nuit, à la sortie du cinéma ou dans les festivals », nous apprend-­‐il. Les lieux de repérage en disent long sur les critères de recrutement. Cette méthode de sélection est nommée scouting et est généralement utilisée par les agences artistiques ou de mannequins. Il est vrai que la grande taille de Tom et sa silhouette athlétique pourraient clairement correspondre aux mensurations d’un mannequin. Il nous raconte pendant notre entrevue le processus de son entretien d’embauche. « Une semaine après avoir été repéré, je devais me rendre à la boutique pour un entretien groupé. Je devais m’habiller sobrement et sans gel coiffant. En fait, je devais être le plus naturel possible. Un manager nous a lu un texte, c’est une étape apparemment exigée par la marque. Ensuite, nous avons eu à remplir des papiers, une fiche de disponibilité, le poste souhaité et une charte de droit à l’image. Puis on nous a emmenés individuellement dans une salle pour être pris en photo avec un polo Hollister.» Quand d’autres demandent des références, chez Hollister une photo suffit! Par la suite, nous apprenons que les employés ont le choix entre différents postes : impact, overnight ou model. Tom nous explique la différence entre ces postes: « En fait, les models sont ceux qui représentent le mieux l’esprit de la marque. Les impacts, eux, sont un peu comme les models, mais ils peuvent être amenés à s’occuper des stocks de temps en temps. Par contre, les overnight s’occupent juste des stocks, mais ils travaillent seulement la nuit. En fait, ils ne correspondent pas aux critères physiques souhaités, donc ils ne sont pas exposés aux clients.» Le témoignage de Tom correspond exactement à la réputation de la marque. Le jeune homme se sent obligé de justifier son passage chez Hollister, en précisant qu’il ne faisait ça que pour gagner un peu d’argent. Abercrombie&Fitch préserve cette image discriminatoire malgré les différentes plaintes qu’ils ont reçues au cours des dernières années. Physiques types des models Abercrombie&Fitch Mais la marque, comme le précise un manager que nous avons eu la chance de rencontrer à notre deuxième visite, tient à employer des personnes de toutes les origines. Nous le nommerons Daniel. Celui-­‐ci est en charge de la prévention des pertes, et accepte de répondre à nos questions en émettant des réserves. Lorsque nous évoquons la politique de recrutement basée sur l’apparence des vendeurs, il nous répond : « C’est normal, allez sur les Champs Elysées et regardez les vendeuses, vous ne verrez aucun thon». Ensuite, il ajoute : « Il y a un scandale autour de nous, mais regardez les hôtesses de l’air, elles aussi sont soumises à d’énormes critères, c’est plus présentable et ça met en valeur l’image de la marque. En plus, vous voyez de tout chez nous : des blonds, des bruns, des noirs, des métisses ». Nous discutons plus profondément de la marque Abercrombie&Fitch et de Hollister. Il nous apprend que la première s’adresse à une clientèle se situant entre 20 et 30 ans tandis que la seconde vise plutôt les adolescents. Daniel nous dit aussi que comparé aux vendeuses de la boutique parisienne, les vendeuses de Nantes sont « juste mignonnes, ce ne sont ni des bombes, ni des mannequins ! ». Cette remarque incite une des membres de notre équipe, typée maghrébine, à lui demander si elle pourrait correspondre « aux critères Hollister ». Celui-­‐
ci sourit poliment et répond « envoyez votre CV », mais son sourire nous fait clairement comprendre que la réponse est simplement non! La marque n’exclue personne d’entrée de jeu, mais la sélection est claire. Aux États-­‐Unis, elle a déjà été condamnée à verser 50 millions de dollars à une action collective pour discrimination raciale. Au Royaume-­‐Uni, la marque a été accusée de licenciement abusif et de harcèlement moral auprès d’une jeune vendeuse dont le bras gauche a été amputé. Suite à ces scandales, le PDG de la marque Mike Jeffries, a clamé haut et fort d’après le site Libération.fr : « Nous embauchons des gens beaux dans nos magasins, parce que les beaux attirent d’autres gens beaux, et nous voulons nous adresser à des gens cool et beaux […] Beaucoup de personnes n’ont rien à faire dans nos vêtements. Sommes-­‐
nous exclusifs ? Absolument. » Cette obsession de perfection physique est totalement assumée chez Abercrombie&Fitch. La marque pousse le vice jusqu’à bannir les grandes tailles. Depuis 2006, impossible de trouver des vêtements au-­‐dessus de la taille 40 dans le rayon femme ! La marque est souvent qualifiée d’«anti-­‐moches», elle ne souhaite pas vendre ses produits aux physiques imparfaits et ne s’en cache pas. « Je ne trouve pas ça si scandaleux, ça encourage les gens à faire attention à leur ligne » La politique de recrutement de la marque fait souvent polémique et peut être comparée à de l’eugénisme, même si le terme peut paraitre fort ; cette technique vise à transformer génétiquement l’espèce humaine afin d’atteindre la perfection. Chez Hollister, il n’est évidemment pas question de modifier les gènes des vendeurs ou des acheteurs, mais les notions d’idéal, de perfection et de moule universel sont clairement recherchées. Les recruteurs disposent d’une feuille de recrutement. Celle-­‐
ci contient la photo du profil type des employés selon les différentes origines ethniques. Les candidats qui se rapprochent de ces physiques types sont presque sûrs d’être embauchés et c’est aussi comme ça qu’ont lieu les séances de scouting. Nous n’avons pas pu nous procurer ce document, mais savons de source sûre qu’il existe. « Je ne pense pas être valorisée parce que je travaille à Hollister, mais certains employés s’en vantent » Mais alors, les employés adhèrent-­‐ils à l’esprit de la marque? Emilie, la vendeuse évoquée précédemment, nous dit qu’elle ne se sent pas vivre dans « l’état d’esprit Hollister », mais nous dit que « certains vendeurs vivent pour Hollister. Ils se vantent d’y travailler, cela leur donne confiance en eux. Ils sortent entre eux et ont même créé un groupe sur Facebook. » À propos de la limitation des tailles, elle répond : « Je ne trouve pas ça si scandaleux, ça encourage les gens à faire attention à leur ligne ». Bien qu’elle soit convaincue de son détachement par rapport aux valeurs de Hollister, cette remarque nous laisse indéniablement penser que l’état d’esprit de la marque a une influence sur elle. La chaine Abercrombie&Fitch est souvent critiquée, sa réputation est régulièrement entachée, mais ni le PDG, ni les managers ne semblent y accorder de l’importance. Une chose est sûre, la pérennité de Hollister est quasi certaine, la marque cible les plus jeunes, les fidélise et les oriente ensuite vers sa « grande sœur » Abercrombie&Fitch. Les jeunes continuent de porter des vêtements Hollister et Abercrombie&Fitch car ils se sentent valorisés, beaux, et ce malgré les pratiques discriminatoires de la marque. C’est pour eux le symbole d’appartenance à une certaine catégorie sociale. Mike Jeffries le dit lui-­‐même, « le beau attire le beau » ; mais alors, le scandale autour de ces valeurs controversées n’est-­‐il pas une excellente stratégie marketing ? Une publicité issue de la campagne publicitaire Hollister, 2010 Texte : Bouzaiene Yosser, Livet Louise, Pajot Mathilda Les photos proviennent d’internet www.Inforapide.fr www.new-­‐york-­‐city-­‐travel-­‐tips.com 

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