Les Bach au clavier - Conservatoire de Paris

Transcription

Les Bach au clavier - Conservatoire de Paris
Elle se produit à Paris (Hôtel Soubise, Église
allemande, temple protestant du Foyer de l’Âme,
Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, Théâtre du
Châtelet, cathédrale Saint Louis des Invalides,
Oratoire du Louvre), à Genève, à Caen (Concerto
pour clavecin de Manuel de Falla – Grand Théâtre),
à Utrecht (Festival Oude Muziek – fringe concerts)
comme continuiste, soliste et récitaliste. Elle a aussi
participé à de nombreux stages et masterclasses
en Europe, où elle a pu recevoir les conseils de Bob
van Asperen, Françoise Lengellé, Aline Zylberajch,
Béatrice Martin (Les Arts Florissants junior),
Pierre Hantaï et Andrea Marcon. De la musique
italienne du xvıe siècle jusqu’à la création de
musique contemporaine, elle a un large répertoire
de musique pour clavier et de musique de chambre.
Actuellement, elle est dans la classe de pianoforte
(pianoforte du xvıııe siècle, piano romantique)
du Conservatoire de Paris, chez Patrick Cohen, et
elle travaille le clavecin auprès d’Élisabeth Joyé.
HYUN-YOUNG CHOI
CLAVECIN, CLAVICORDE
ET PIANOFORTE
Née en 1985 en Corée du sud, Hyun-Young CHOI
débute sa première formation musicale à l’âge
de 4 ans. Elle étudie le piano et la musicologie au
Seoul Arts High School et à l’Université Nationale
de Séoul où elle découvert le clavecin. Passionnée
par cet instrument, elle décide de s’y consacrer
et vient en France en 2005.
Elle entre au Conservatoire de Paris, dans la classe
d’Olivier Baumont (clavecin), de Blandine Rannou
(basse continue) et de Kenneth Weiss (musique de
chambre) où elle obtient le Master en 2011.
COLLECTION JEUNES SOLISTES HYUN-YOUNG CHOI LES BACH AU CLAVIER
Born in Korea in 1985, Hyun-Young CHOI began
studying music at age 4. She studied piano
at the Seoul Art High School, then piano and
musicology at the Seoul National University
before discovering the harpsichord in 2004.
Very passionate, she decided to dedicate herself
to this instrument and arrived in Paris in 2005.
Soon, she entered the Paris conservatory
(Conservatoire National Supérieur de Musique
et de Danse de Paris) in 2006, in the classes of
Olivier Baumont (harpsichord), Blandine Rannou
(basso continuo) and Kenneth Weiss (chamber
music) where she obtained her Master degree
in 2011. She plays regularly in Paris and Geneva
as continuo player or soloist. She gave her solo
recitals in Paris and Utrecht. Also, we could hear
her at the Grand Theatre of Caen playing Manuel
de Falla’s Concerto for Harpsichord. She has
participated in many summer courses and master
classes in Europe, which were complemented
with valuable advice from Bob van Asperen,
Françoise Lengellé, Aline Zylberajch, Andrea
Marcon, Pierre Hantaï and Béatrice Martin
(Les Arts Florissants junior). From 16th century
Italian music to ‘premières’ of contemporary music,
she is interested in wide range of clavier and
chamber music. She also studies the fortepiano
with Patrick Cohen at Conservatoire de Paris,
and the harpsichord with Élisabeth Joyé.
1
LES BACH
AU CLAVIER
1 Cité dans VIGNAL, Marc,
Les fils Bach, Fayard, 1997,
pp. 117-118.
2 ROUSSEAU, J.-J.,
Dictionnaire de musique,
Paris, Chez la Veuve
DUCHESNE, 1768, p. 428.
3 Ibid., p. 231.
Le clavier est une source inépuisable de musique;
depuis le premier apogée de l’orgue au xvııe siècle
jusqu’au piano d’aujourd’hui, en passant par tous
les types de claviers, la création musicale leur fait
honneur. Mais le terme en lui-même, «clavier»,
est loin d’être précis quant à la destination à laquelle
est vouée l’œuvre. Il vient du latin clavis, signifiant
«clé» et désigne, à l’époque de Jean-Sébastien Bach,
un instrument à clavier et à cordes; aussi trois types
d’instruments peuvent-ils être utilisés: le clavicorde,
le clavecin et l’épinette ou virginal. Excepté pour
les Variations Goldberg BWV 988 et le Concerto
italien BWV 971, où Bach prescrit l’usage du clavecin,
les compositeurs n’indiquent que rarement
l’instrument précis de destination. Même si, durant
la seconde moitié du xvıııe siècle, on désigne
souvent le clavicorde par le terme «clavier»,
certains auteurs trouvent néanmoins des manières
de distinguer les instruments entre eux; Carl Philipp
Emanuel Bach, dans son traité Versuch über die
Wahre Art das Clavier zu spielen, (2 volumes rédigés
de 1753 à 1762) écrit que «celui qui joue bien du
clavicorde jouera bien du clavecin, mais
non l’inverse. Il faut donc utiliser le clavicorde pour
apprendre la bonne exécution et le clavecin pour
acquérir dans les doigts la force qui convient.
Si l’on se limite au clavicorde, on […] jouera avec
difficulté les pièces pour clavier accompagnées par
d’autres instruments, qui étant donné la faiblesse
sonore du clavicorde exigent le clavecin. (sic) […]
Si l’on se limite au clavecin, on s’habituera à jouer
d’une seule couleur, sans les différences de toucher
que seul un bon joueur de clavicorde est capable
de rendre au clavecin.»1 . Cet extrait révèle en quoi
l’écriture et la technique instrumentale peuvent
aider à cerner sur quel instrument pouvait être
jouée telle ou telle pièce. Un fait plus contextuel
permet également de voir en quoi, en ce milieu
du xvıııe siècle, l’usage du pianoforte va de soi,
en plus du clavicorde et du clavecin. Cet instrument
est familier à Quantz et Carl Philipp Emanuel Bach
car, dans les années 1740, Frédéric II fait l’achat
de tous les pianofortes déjà construits par Gottfried
Silbermann. Ainsi le croisement entre telle pièce
et telle donnée historique permet une plus large
appréhension du phénomène «clavier.»
SENSIBILITÉ
ET INTIMITÉ
Grâce à son titre et à son programme, cet
enregistrement nous parle aussi et surtout d’un
basculement d’une époque – celle du père Bach –
à une ère nouvelle. Le clavier, Jean-Sébastien
COLLECTION JEUNES SOLISTES HYUN-YOUNG CHOI LES BACH AU CLAVIER
s’en sert beaucoup; cependant, l’écriture prime,
même si des données pragmatiques rentrent
en compte. Avec les quatre fils Bach ici présents,
l’utilisation du clavier devient porteuse d’une
expression de l’intime – elle-même évoluant
jusqu’au piano romantique. Le clavicorde, grâce
à ses caractéristiques organologiques, représente
alors la clé de voûte de cette sensibilité artistique.
Il n’y a en effet pas d’intermédiaire entre la touche
et le marteau; ainsi l’instrumentiste peut développer
une relation délicate avec l’instrument et obtenir
des sonorités très diversifiées jusqu’au vibrato
d’une note, rendant ainsi justice à son inspiration
et à sa créativité. Sa puissance sonore est faible
mais douce, aussi l’intimité est-elle grande.
Rousseau, dans son Dictionnaire de musique, pense
ainsi la sensibilité: «Disposition de l’âme qui inspire
au Compositeur les idées vives dont il a besoin,
à l’Exécutant la vive expression de ces mêmes idées,
et à l’Auditeur la vive impression des beautés et
des défauts de la Musique qu’on lui fait entendre.»2
Rousseau l’assimile au goût. «De tous les dons
naturels le Goût est celui qui se sent le mieux et qui
s’explique le moins; il ne serait pas ce qu’il est,
si l’on pouvait le définir: car il juge des objets sur
lesquels le jugement n’a plus de prise, et sert, si j’ose
parler ainsi, de lunettes à la raison.»3 . À en croire
Rousseau, la sensibilité est une donnée de l’âme
échappant au musicien, mais lui donnant l’inspiration.
On relève donc une part d’improvisation dans l’acte
musical. Or, n’est-ce pas de cette oreille-là qu’il faut
écouter, notamment, la Polonaise Falk 12 nº 8 de
Wilhelm Friedemann et la Fantaisie en do majeur
Wq 59/6 de Carl Philipp? Qu’en est-il de la sensibilité
intérieure dans ces pièces?
D’abord, la tonalité dépressive de mi mineur dans
la Polonaise permet, éventuellement, de l’assimiler
à la théorie de l’ethos des modes. Pour Rousseau,
mi mineur est une tonalité tendre; pour Rameau,
elle signifie douceur et tendresse. Évidemment,
cette théorie est plus impressive qu’expressive en
ce sens qu’elle est établie pour produire des effets
et non pas véritablement exprimer ses sentiments.
Mais ces pratiques-là perdurent et sont à mon avis
fortement ancrées dans l’esprit des compositeurs;
ce n’est peut-être pas par hasard que Wilhelm
Friedemann utilise la tonalité de mi mineur pour
une pièce usant du rubato, de la dissonance,
des retards expressifs, et rendant ainsi compte
de l’Empfindsamkeit, cette sensibilité toute
particulière de la deuxième moitié du xvıııe siècle.
Il faut prendre les Polonaises Falk 12 en mineur
comme des Adagios, nous dit Griepenkerl dans son
édition dont la préface constitue une sorte d’essai
sur la façon d’interpréter les pièces. Ces lignes sont
précieuses car Griepenkerl tenait ces informations
de Forkel, lui-même élève de Wilhelm Friedemann.
Il faut les jouer avec un maximum d’expression
2
4 VIGNAL, Marc, op. cit.,
p.121.
5 Ibid., p.118.
6 Impressions relatées
par le flûtiste aveugle
Friedrich Ludwig DÜLON,
admirateur de C. P. E. BACH,
à la suite d’un concert
donné en 1787 à Bückeburg,
cité dans VIGNAL, op. cit.,
p.384.
7 GEIRINGER, Karl,
Bach et sa famille,
Buchet/Chastel, Paris, 1979
pour la traduction française;
The Bach Family:
Seven Generations of
Creative Genius, Oxford
University Press, 1954:
«Quelques-unes des
Fantaisies de Friedemann
penchent plutôt vers la
toccata avec des roulades
et des accents brisés»,
p.361.
8 Édition de pièces
de W. F. BACH par
Hugo RIEMANN, Leipzig:
Steingräber Verlag,
Ed.165, n.d. Plate 486.
mais sans rien rajouter au texte imprimé et choisir
les tempi en fonction du caractère de chacune des
polonaises. Dans la Fantaisie en do de Carl Philipp,
la progression se fait de plus en plus morcelée,
révélant une attitude d’improvisation confrontant un
style récitatif à un autre plus arioso (respectivement
Andantino et Allegretto). Là où l’Andantino propose
la création de phénomènes d’attente accentués par
les points d’orgue, des ruptures entre véhémence
et évanescence, l’Allegretto instaure une profonde
mélancolie fondée sur des harmonies aussi
douloureuses que surprenantes. «Les fantaisies
non mesurées sont incomparables pour l’expression
des sentiments, car chaque type de mesure recèle
une contrainte qui lui est propre. Les récitatifs
accompagnés montrent bien que pour faire naître
et apaiser en succession rapide plusieurs émotions
différentes, il faut changer souvent de tempo et de
mesure. La mesure n’est donc souvent indiquée que
par nécessité graphique, sans qu’il faille absolument
la respecter.»4 . Ces considérations techniciennes
viennent justifier une nécessité plus profonde:
«Un musicien ne pourra jamais émouvoir sans être
lui-même ému; il est indispensable qu’il ressente
lui-même les sentiments qu’il veut susciter chez
ses auditeurs; il doit leur faire comprendre sa propre
sensibilité pour qu’ils soient plus à même de la
partager. […] À peine a-t-il fini d’exprimer une idée
qu’il en suscite une autre, il modifie donc sans arrêt
ses passions. […] C’est avec des fantaisies de sa
propre imagination que l’interprète est le plus à
même de dominer les émotions de ses auditeurs»5 .
Cette expressivité n’est pas entièrement nouvelle.
Vers 1700, Jean-Baptiste Santerre peignait le
magnifi que tableau La Madeleine pénitente qui,
avant d’être une représentation de la piété
catholique, parle surtout d’un regard et d’une
expression, celle de la tristesse de cette femme
face à la méditation sur la mort.
Jean-Baptiste Santerre, La Madeleine pénitente
Magny-en-Vexin, église Notre-Dame
COLLECTION JEUNES SOLISTES HYUN-YOUNG CHOI LES BACH AU CLAVIER
VIRTUOSITÉ
Le clavier des fils Bach peut aussi être vertueux,
c’est-à-dire virtuose, et s’inscrire dans un classicisme
plus galant, facile et virtuose. Trois des quatre fils
musiciens de Bach sont d’ailleurs reconnus à l’époque
comme de très grands virtuoses; Carl Philipp est
engagé comme premier claveciniste du roi Fédéric ıı
en 1740, Wilhelm Friedemann est considéré comme
un virtuose du clavier et de l’improvisation
et Johann Christian est l’exécutant le plus populaire
de Londres dans les années 1760–1770.
L’Allegretto con Variazioni sur Ah, vous dirai-je maman
(1785–1790) de Johann Christoph Friedrich Bach
comprend dix-huit variations de virtuosité (par le
rythme, par l’ornementation etc.); esprit classique
et héritage baroque sont finalement mêlés.
Une variation, la neuvième, échappe cependant
à toutes les autres. En minore et tranquillo,
elle off re un sublime effet de berceuse créé par
les syncopes liées entre elles. Malheureusement,
ces variations n’égalent pas, à mon avis, les
fameuses variations de Mozart, K.265, composées
en 1778. Il faut souligner qu’à partir de la fin des
années 1770, Johann Christoph Friedrich compose
beaucoup de musique instrumentale «galante» car
la chapelle de Bückeburg se procure des symphonies
de Haydn ainsi que des arrangements de L’Enlèvement au sérail et d’Iphigénie en Tauride de Gluck.
Aussi devient-il un homme de plus en plus désabusé,
désavoué par certains musiciens de l’époque:
«[Manquaient chez lui] non pas la solidité, mais
l’aisance et la séduction stylistiques, la richesse de
pensée par lesquelles les œuvres du dernier nommé
[Carl Philipp Emanuel] se distinguaient de toutes
celles de ses contemporains. [Enfin], son style était
démuni de la délicatesse de sentiments, de l’audace
intellectuelle et du feu vivifiant grâce auxquels
l’Orphée de Hambourg savait conquérir tous les
cœurs. Comme artiste, il n’en restait pas moins, tant
en théorie qu’en pratique, quelqu’un qui de toute
évidence avait reçu en héritage, dans toute sa
richesse, l’esprit de son grand homme de père.»6 .
La Fantaisie Falk 19 de Wilhelm Friedemann se situe
encore dans un autre genre de virtuosité, le stilus
fantasticus baroque, certainement hérité de
Jean-Sébastien. À juste titre, Karl Geiringer parle
de «toccata»7, ce genre mettant en valeur les
particularités sonores et visuelles d’un instrument:
toccare, c’est jouer, c’est prendre en compte ses
dimensions physique et pragmatique. Avec son
allure improvisée, son triple contraste entre les
rythmes pointés à la française, les arpèges en
roulades, les notes répétées et l’écriture fuguée,
cette pièce porte bien son nom de Fantaisie, à tel
point que Riemann, dans son édition8 l’intitule
«Capriccio»…
Plusieurs facettes du classicisme se trouvent ici
mêlées. Il faut même rendre justice à un jalon
3
9 BASSO, Alberto,
Jean-Sébastien BACH, vol. II,
Fayard, 1985 pour la traduction
française, p.752.
10 GEIRINGER, Karl, op.cit.,
p.298.
un peu trop souvent oublié et conduisant à Mozart.
Johann Christian Bach fut une grande source
d’inspiration pour lui, et son style est généralement
galant, portant la marque de l’Italie: il a connu
Sammartini lorsqu’il était organiste à la cathédrale
de Milan. Avec lui, le classicisme adopte les allures
de l’école de Mannheim et donc du Sturm und Drang.
C’est ce qu’on retrouve dans les sonates 1 à 5 de
l’opus 5, la sixième, celle qui est ici enregistrée, en
style ancien, étant le résultat de son apprentissage
avec le Padre Martini à Bologne.
MUSIQUE
INSTRUMENTALE
Même si l’on différencie l’Empfindsamkeit de l’école
de Mannheim, le style galant du Sturm und Drang,
une donnée commune au classicisme voit
cependant le jour; c’est le poids de la musique
instrumentale, désormais maîtresse dans l’évolution
et le basculement d’une idéologie. Jusqu’alors,
la musique était plus ou moins restée sous le joug
du verbe et, devant cette association musique
et texte, elle était soit considérée comme première
– prima la musica – soit comme seconde, devant
absolument exprimer et souligner les mots – prima
la parole, sauf que jamais l’équilibre ne réussit
à s’installer – aujourd’hui non plus, mais la question
est-elle vraiment soluble? – et soit la musique
envahissait tout (les polyphonies franco-flamandes,
le siècle d’or, le contrepoint luxuriant etc.) et le texte
n’était plus compréhensible, soit elle était taxée de
simplisme. Durant la seconde moitié du xvıııe siècle,
on résout – en partie seulement – le problème en
instaurant, en théorisant comme Idéal artistique la
musique absolue – Absolut Musik – la musique qui
n’est plus soumise au verbe, la musique autonome,
c’est-à-dire la musique instrumentale.
Cette dernière devient donc le vecteur d’une pensée
idéalisante, dans laquelle se fonde l’ère romantique,
car contenant en elle-même ses propres ressources,
ses propres moyens d’expression, son propre théâtre.
Aussi voit-on apparaître de nouvelles formes et de
nouveaux genres musicaux. Parmi eux la symphonie
et la sonate. Seul compositeur berlinois à placer
le clavier au centre de sa production, Carl Philipp
Emanuel Bach écrit en cinquante ans plus de cent
cinquante sonates pour clavier seul. La sonate
en la mineur interprétée dans cet album fait partie
des sonates avec reprises variées, Wq 50/1 à 6
composées en 1759, parues chez Winter en 1760
et dédicacées à la princesse Anna Amalia de Prusse,
sœur de Frédéric ıı. Dans sa préface, Carl Philipp
Emanuel explique que la coutume étant de varier,
d’ornementer la musique lors des reprises, les
interprètes tendent à faire outrage à la pièce pour
s’attirer les bravos du public; il décide donc d’écrire
lui-même les reprises variées. Cette troisième et
sublime sonate du recueil répond à tous les critères
COLLECTION JEUNES SOLISTES HYUN-YOUNG CHOI LES BACH AU CLAVIER
mentionnés plus haut; en trois mouvements, elle
instaure une dramaturgie à longue échelle par ses
seules ressources intrinsèquement musicales et
par le contraste d’un mouvement à l’autre (Presto –
Largo – Allegro moderato mà innocentemente). En
outre, la forme du premier mouvement installe, par
le jeu des tonalités et du travail thématique, une
dramaturgie à plus petite échelle.
Toutes ces richesses musicales, Bach père les avait
déjà comprises et expérimentées, à sa manière et
à son époque. Dans ses Partitas, les danses perdent
peu à peu leur caractère typique et originel, révélant
ainsi les subtiles possibilités et le doux pouvoir
de la musique. L’allemande devient, dans la Sixième
Partita, une composition dramatique. Dans la
Cinquième Partita, le menuet… n’est plus vraiment
un menuet! «Au lieu du menuet apparaît un tempo
di minuetta [sic]: c’est une finesse, mais qui dissimule
le souci de s’éloigner de la réalité de la suite et
de concevoir la construction rythmique en dehors
de la danse en tant que forme préconstituée.»9
La première chose en effet qu’on entend dans cette
pièce est ce jeu rythmique incroyable de 6/8 contre
3/4, les cadences nous faisant revenir cruellement
au 3/4 noté dans la partition! La gigue, quant à elle,
devient une double-fugue... diabolique!
PÉDAGOGIE
FAMILIALE
La richesse musicale des Bach devait également
passer par un enseignement suivi au sein du foyer.
Outre la preuve apportée par cette touchante
image d’une famille unie dans et par la musique,
les recueils de musique destinés à ses fils ou
à sa femme nous renseignent sur leur visée pédagogique. Parmi eux on compte l’Orgelbüchlein,
le Clavierbüchlein, entrepris en 1720 pour son fils
aîné Wilhelm Friedemann, et dans une progression
du plus simple au plus difficile établie par Bach.
Toby Edward Rosenthal,
Jean-Sébastien Bach en famille, 1870
© Leipzig, Museum der Bildenden Künste
4
Il y fait usage du pouce et de son passage
d’avec les autres doigts, technique que très peu
usitée jusqu’alors. Mais il marque aussi son attachement pour la vieille méthode du croisement du
troisième doigt sur le quatrième; une combinaison
d’anciennes et de nouvelles méthodes,
«perfectionnant les apports du passé et n’en
abandonnant que peu de chose.»10
Selon Alberto Basso, le manuscrit reste entre
les mains de Wilhelm Friedemann jusqu’en 1746,
puis appartient à Johann Christian Bach, fils de
Georg Michael et élève de Wilhelm Friedemann
Bach.
Le deuxième recueil familial, pour Anna Magdalena,
Clavier-Büchlein vor Anna Magdalena Bach in
ANNO 1722 a ensuite appartenu à Carl Philipp
Emanuel Bach. Sur le dernier manuscrit autographe
de ce recueil [les inventions et les sinfonies],
Bach père écrit ceci:
«Guide intègre, pour enseigner aux amateurs du
clavier, mais plus particulièrement à ceux qui sont
désireux d’apprendre, une méthode claire, non
seulement pour apprendre à jouer correctement
à deux voix mais aussi, après avoir progressé à
exécuter correctement et bien trois parties obligées,
et non seulement à obtenir en outre de bonne
inventiones [sic], mais encore à bien les exécuter et
surtout à acquérir dans l’exécution une manière bien
chantante, et enfin à se donner dès le départ un
goût solide en matière de composition. Exécuté par
Joh. Seb. Bach, maître de chapelle du Prince
d’Anhalt-Cöthen, Anno Christi, 1723.»
Mathieu Picard
www.mathieu-picard.com
Mathieu Picard partage sa vie artistique entre la musicologie et
le piano, deux univers auxquels il est très fortement attaché.
La même année que l’obtention de son prix de piano à l’unanimité
du jury au CRR de Lyon en 2009, il est admis dans les classes
de musicologie au Conservatoire de Paris, où il étudie toujours.
Il travaille le piano avec Olivier Peyrebrune au conservatoire
du XIIIe arrondissement. de Paris, puis avec Catherine Weill-Coz
au Conservatoire de Paris. Il se produit régulièrement en soliste
et en musique de chambre ; depuis peu, il a créé avec deux amis,
l’un clarinettiste, l’autre chanteuse, un trio, le Trio Baronnies.
Il est également l’auteur de divers textes pour l’Opéra de Montpellier,
le Grand Théâtre de Provence, le festival Automne en Normandie,
le Conservatoire de Paris etc. Passionné par la question de la
transmission, il est tour à tour médiateur culturel ou pédagogue
pour diverses institutions.
JOHANN SEBASTIAN BACH (1685–1750)
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
Partita V en sol majeur, BWV 829*
Præambulum 2'39
Allemande 2'40
Corrente 0'59
Sarabande 3'29
Tempo di Minuetta 1'05
Passepied 1'05
Gigue 2'20
WILHELM FRIEDEMANN BACH (1710–1784)
8. Fantaisie en ré mineur, Falck 19* 5'38
CARL PHILIPP EMANUEL BACH (1714–1788)
9. Fantasia II en do majeur, W59/6** 7’25
CARL PHILIPP EMANUEL BACH
Sonata III en la mineur***
10. Presto 3'41
11. Largo 2'50
12. Allegro moderato mà innocentemente 2'59
WILHELM FRIEDEMANN BACH (1710–1784)
13. Polonaise en mi majeur (Andantino),
Falck 12 nº 7** 1'36
14. Polonaise in mi mineur (Andante),
Falck 12 nº 8** 2'40
JOHANN CHRISTOPH FRIEDRICH BACH (1732–1795)
15. Allegretto con XVIII Variazioni
« Morgen kommt der Weihnachtsmann »* 7'33
JOHANN CHRISTIAN BACH (1735-1782)
Sonata VI en do mineur***
16. Grave 2'41
17. Allegro moderato 3'50
18. Allegretto 1'38
Durée totale 55'15
*
Clavecin allemand par David Ley
** Clavicorde Friederici par Émile Jobin
*** Pianoforte Lengerer par Christophe Clarke
Enregistrement réalisé en janvier 2012 par le service audiovisuel du Conservatoire, Grand Plateau d’orchestre. Prise
de son et mixage: Jean-Christophe Messonnier. Montage et
direction artistique: Camille Frachet, étudiante en Formation
Supérieure aux Métiers du Son (FSMS). Centre de Recherche et
d’Edition du Conservatoire (CREC). Collection Jeunes Solistes
avec le soutien de la Fondation Meyer pour le développement
culturel et artistique.
CREC-audio 12/086
COLLECTION JEUNES SOLISTES HYUN-YOUNG CHOI LES BACH AU CLAVIER
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