Revue de jurisprudence « Restructuration sociale »

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Revue de jurisprudence « Restructuration sociale »
Revue de jurisprudence
« Restructuration sociale »
FEVRIER 2016
REVUE DE JURISPRUDENCE « RESTRUCTURATION SOCIALE »
(Février 2016)
Un salarie démissionnaire peut-il bénéficier de l’indemnité prévue par un plan de départ
volontaire ? : …………………………………………………………………………………. p. 3
Cour de cassation 12 janvier 2016 n°13-27.776
Répartition de l’activité entre plusieurs repreneurs et transfert des contrats de travail, que dit
la Cour de Cassation ?………………................................................................................... p. 4
Cour de cassation 12 janvier 2016 n° 14-22.216
Redressement puis liquidation judicaire : qui peut licencier ?……………………...…...…
Cour de cassation 29 janvier 2016 n°14-13.414
p. 5
Que risque l’employeur qui omet de mentionner un mandat dans la demande d’autorisation
de licencier ? ……………………………….... .......................................................................... p. 6
Cour de cassation 3 février 2016 n°14-17.886
Transfert partiel et cessation d’activité : est-il possible de licencier un salarie
protégé ?……………………………….... .................................................................................. p. 7
Conseil d’Etat 8 avril 2013 n°348559
UN SALARIE DEMISSIONAIRE PEUT-IL BENEFICIER DE L’INDEMNITE
PREVUE PAR UN PLAN DE DEPART VOLONTAIRE ?
Une entreprise en difficultés économiques met en place un plan de départ volontaire. Un
salarié dont l’emploi n’était pas menacé par le plan décide néanmoins d’y souscrire et voit sa
candidature refusée.
Ayant trouvé un autre emploi, le salarié démissionne quelques jours plus tard et demande à
bénéficier de l’indemnité prévue par le plan.
L’employeur refuse au motif que la démission n’est pas une rupture d’un commun accord,
condition expresse prévue par le plan pour en bénéficier.
Le salarié saisit alors le conseil de prud’hommes et réclame le bénéficie du versement de
l’indemnité prévue par le plan.
La Cour d’appel de Bourges lui donne raison. Pour la Cour, les salariés occupant un « emploi
en mutation » pouvaient prétendre au bénéfice de l’indemnité de départ volontaire si leur
« départ offrait une opportunité à un salarié situé sur en emploi identifié comme menacé ».
En l’espèce, le salarié démissionnaire a été remplacé par une personne dont l’emploi n’était
pas menacé, mais qui a elle-même été ensuite remplacée par un salarié dont le poste figurait
dans la liste des emplois menacés.
Ainsi, par un subtil jeu de chaises musicales, la démission du salarié a permis à ce salarié dont
le poste était menacé de demeurer au sein de la société. De fait, la condition de fond
permettant au salarié démissionnaire de bénéficier des avantages du plan de sauvegarde de
l’emploi était remplie.
C’est ce que confirme la Cour de cassation dans son arrêt du 12 janvier 20161: «ayant, d’une
part, relevé, sans dénaturation, que le plan de départs volontaires ne précisait pas que le
sauvetage d’un emploi menacé devait résulter directement ou indirectement du départ
volontaire envisagé, la finalité de l’opération étant de conserver dans l’entreprise un salarié
menacé de licenciement, d’autre part, constaté que le départ de l’intéressé avait permis de
préserver l’emploi menacé d’une autre salariée, la cour d’appel en a exactement déduit que
le salarié remplissait les conditions auxquelles le plan subordonnait, au titre de la catégorie
« emploi en mutation » un départ volontaire et qu’il était créancier de l’indemnité de départ
prévue par ce plan ».
La Cour de cassation fait ainsi preuve de pragmatisme en s’en tenant à la philosophie du plan
de départ volontaire: le salarié qui quitte l’entreprise et qui permet ainsi de sauver un emploi
menacé doit bénéficier des contreparties prévues par le plan.
A partir du moment où le plan de départ volontaire ne fait pas de différence entre un
sauvetage direct ou indirect d’un emploi menacé, il n’y a pas de raison que les juges en fasse.
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Cour de cassation 12 janvier 2016 n°13-27.776
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REPARTITION DE L’ACTIVITE ENTRE PLUSIEURS REPRENEURS ET
TRANSFERT DES CONTRATS DE TRAVAIL
Une société immobilière perd le mandat de gestion d’un centre commercial qui est par la suite
confié à deux sociétés distinctes. Le mandat de gestion est alors repris et redistribué entre ces
deux sociétés : la première assure la gestion administrative, comptable et financière et la
deuxième la direction du centre.
Lors de la vente du centre commercial mettant fin au mandat de gestion, cette deuxième
société adresse la liste de son personnel à la société ayant repris la gestion du centre
commercial dans son ensemble (gestion administrative, comptable et financière ainsi que
direction du centre). Cette dernière refuse cependant de reprendre le personnel au motif que
l’activité de la société immobilière ayant été repartie en deux, il ne pouvait y avoir transfert
automatique des contrats de travail.
Ne l’entendant pas ainsi, plusieurs salariés saisissent le conseil de prud’hommes afin
d’obtenir la résiliation de leur contrat aux torts des deux repreneurs de l’activité exercée
précédemment par la société immobilière.
Le fait que l’activité exercée par la société immobilière ait été répartie entre deux sociétés
permettait-elle néanmoins l’application de l’article L.1224-1 du contrat de travail qui prévoit
le transfert automatique des contrats de travail des salariés rattachés à une entité économique
conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ?
La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 4 juin 2014, donne raison aux salariés
considérant que l’activité de gestion du centre commercial était exercée par une entité
économique autonome d’un point de vue organisationnel, le lien fonctionnel était maintenu,
ce qui permettait au repreneur la poursuite d’une activité identique. L’application de l’article
L. 1224-1 s’imposait alors.
Telle n’est pas la position de la Cour de cassation, qui, dans son arrêt du 12 janvier 20162,
casse l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles :
« en statuant ainsi, alors […] qu'elle avait constaté que l'activité de la société
[immobilière] avait été répartie entre deux sociétés, en sorte que l'entité économique
n'avait pas conservé son identité […], la cour d'appel a violé les textes susvisés »
Ainsi, la répartition de l’activité entre plusieurs repreneurs fait perdre à l’entité son identité et
exclut de ce fait l’application de l’article L.1224-1 du code du travail.
Cette solution avait déjà été apportée par un arrêt récent rendu par la Cour de cassation3.
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Cour de cassation 12 janvier 2016 n° 14-22.216
Cour de cassation, 12 mars 2014 n°12-27.235
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REDRESSEMENT PUIS LIQUIDATION JUDICAIRE : QUI PEUT LICENCIER ?
A la suite de la mise en redressement judiciaire d’une société le 3 mai 2011, le tribunal de
commerce arrête un plan de redressement par voie de cession des actifs et autorise le
licenciement de 138 personnes en application de l’article L 642-5 du code de commerce dans
le délai d’un mois à compter du jugement rendu le 30 juin 2011.
Par jugement du même jour, le tribunal prononce la liquidation judiciaire de la société, met
fin à la période d’observation, à la mission de l’administrateur judiciaire et nomme le
liquidateur judiciaire. C’est néanmoins l’administrateur judiciaire
qui notifie les
licenciements pour motif économique par lettres du 18 juillet 2011.
Une salariée licenciée saisit alors le conseil de prud’hommes pour demander les dommagesintérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle fait valoir que le jugement de
liquidation ayant mis fin à la mission de l’administrateur, celui-ci ne pouvait valablement
prononcer les licenciements en application de l’article L.631-17 du code de commerce. Dès
lors, les licenciements sont dépourvus de cause réelle et sérieuse.
Dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour d’appel d’Orléans rejette sa demande. La salariée
forme alors un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation rejette également l’argumentation de la salariée :
« le tribunal de commerce ayant, pendant la période d’observation du redressement
judiciaire de la société débitrice, arrêté un plan de cession prévoyant des licenciements
et ordonné qu’ils soient notifiés par l’administrateur judiciaire, la cour d’appel a
exactement décidé qu’il appartenait à celui-ci de procéder à cette notification peu
important que, le même jour, le tribunal ait ensuite prononcé la liquidation judiciaire et
mis à la mission de l’administrateur, cette décision n’ayant pas eu pour effet, à défaut
d’une disposition expresse du jugement de liquidation judiciaire, de retirer le pouvoir
de notifier les licenciements». 4
Ainsi, peu importe que le tribunal ait, le même jour, prononcé la liquidation et mis fin aux
fonctions de l’administrateur. A défaut d’une disposition expresse du jugement lui retirant le
pouvoir de licencier, l’administrateur judiciaire conserve cette compétence et peut ainsi
valablement prononcer les licenciements.
Cette décision mérite d’être saluée pour son pragmatisme car elle permet d’éviter un
contentieux ruineux pour le débiteur mais aussi et surtout pour l’AGS.
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Cour de cassation 29 janvier 2016 n°14-13.414
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QUE RISQUE L’EMPLOYEUR QUI OMET DE MENTIONNER UN MANDAT DANS
LA DEMANDE D’AUTORISATION DE LICENCIER ?
Un salarié d’une société placée en liquidation judiciaire et titulaire de plusieurs mandats
électifs et syndicaux est licencié pour motif économique après autorisation de l’inspecteur du
travaille le 23 novembre 2011.
Le 24 mai 2012, cette décision est annulée par le ministre du travail en raison de l’omission
par l’employeur dans sa demande, de la mention de l’un des mandats dont était titulaire le
salarié, en l’espèce, son mandat de conseiller du salarié.
Le salarié saisit alors la juridiction prud’homale pour demander notamment la nullité de son
licenciement, obtenir le versement de l’indemnité pour violation de son statut protecteur.
N’ayant pas obtenu gain de cause devant la cour d’appel, il se pourvoit devant la Cour de
cassation
La Cour de cassation, dans son arrêt du 3 février 20165, ne suit pas l’argumentation du salarié.
Elle confirme tout d’abord l’illégalité de l’autorisation de licenciement, suivant en cela la
jurisprudence constante du Conseil d’Etat 6 : « l’omission dans la demande présentée par
l’employeur de l’un des mandats exercé par le salarié, dès lors qu’elle n’a pas mis
l’inspecteur du travail à même de procéder aux contrôles qu’il était tenu d’exercer au regard
des exigences de ce mandat, emporte annulation de la décision d’autorisation ».
Elle précise cependant que l’omission de l’un des mandats détenus n’emporte pas violation du
statut protecteur : « cette annulation n’a pas pour effet de placer le salarié dans une situation
identique à celle d’un salarié licencié en l’absence d’autorisation administrative ».
Elle en déduit alors que l’indemnisation à laquelle peut prétendre le salarié ne peut pas être la
même que celle qu’il aurait perçu en cas de violation de son statut protecteur. Rappelons que
depuis un arrêt du 15 avril 20157, la Cour de cassation plafonne l’indemnité pour violation de
son statut à 30 mois de salaire.
Lorsqu’il ne peut pas se prévaloir de la violation de son statut protecteur et qu’il ne demande
pas sa réintégration dans son entreprise ou que cette réintégration est matériellement
impossible, le salarié a droit, selon la Cour de cassation:
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« à l’indemnisation de son préjudice depuis le licenciement et jusqu’à l’expiration du
délai de deux mois suivant la notification de la décision annulant l’autorisation de
licenciement
au paiement des indemnités de rupture, s’il n’en a pas bénéficié au moment du
licenciement et s’il remplit les conditions pour y prétendre
et au paiement de l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail, s’il est
établi que son licenciement était, au moment ou il a été prononcé, dépourvu de cause
réelle et sérieuse » [soit une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six
derniers mois]
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Cour de cassation 3 février 2016 n°14-17886
CE, 15 octobre 2014 n°370620
7 Cour de cassation 15 avril 2015 n°13-27211
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LICENCIEMENT D’UN SALARIE PROTEGE EN CAS DE
TRANSFERT PARTIEL ET DE CESSATION D’ACTIVITE
Dans le cadre de sa cessation d’activité, une entreprise décide de transférer une partie de ses
activités à deux sociétés. L’employeur sollicite alors l’autorisation de procéder au
licenciement d’un salarié protégé en raison de la cessation d’activité de l’entreprise.
L’inspecteur du travail refuse le licenciement. Ce licenciement est cependant autorisé par le
ministre du travail.
Le salarié ayant été licencié, il saisit la juridiction administrative pour contester le bienfondé
de son licenciement.
Le tribunal administratif de Nantes rejette sa demande. La Cour administrative d’appel de
Nantes infirme le jugement et annule l’autorisation administrative car la cessation d’activité
n’était ni totale ni définitive du fait de la cession d’activité intervenue.
Dans son arrêt du 27 janvier 20168, le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour administrative
d’appel. A partir du moment où « le salarié n’est pas compris dans ce transfert partiel
d’entreprise ou l’établissement, l’employeur qui cesse son activité peut demander à l’autorité
administrative l’autorisation de licencier au motif de la cessation d’activité de l’entreprise »
Par ailleurs, selon le Conseil d’Etat, « s’il incombe, à l’autorité administrative, pour établir
la réalité du motif économique du licenciement, d’examiner si la cessation d’activité est totale
et définitive, cet examen ne porte que sur les activités de l’entreprise qui n’ont pas fait l’objet
du transfert partiel ».
Le Conseil d’Etat avait déjà reconnu que la cessation d’activité de l’entreprise constituait un
motif de licenciement économique autonome9 reprenant ainsi à son compte la position
adoptée par la Cour de cassation 10 et par la Conseil Constitutionnel11.
Pour rappel, la Cour de cassation considère que si la cessation d’activité constitue un motif
économique de licenciement, encore faut-il qu’elle ne résulte pas d’une faute de l’employeur
ou de sa légèreté blâmable12.
Le principal intérêt de l’arrêt du 27 janvier 2016 tient au fait qu’il vient préciser le cadre
d’appréciation de la cessation d’activité en cas de transfert partiel d’entreprise :
l’administration ne doit prendre en compte que l’activité de l’entreprise non transférée pour
vérifier la réalité du motif économique résultant de la cessation définitive d’activité.
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CE 27 janvier 2016 n°386656
CE 8 avril 2013 n°348559
10 Cour de cassation 10 octobre 2006n°04-43.453
11 Conseil Constitutionnel 12 janvier 2002 n°2011-455 DC
12 Cour de cassation chambre sociale 16 janvier 2001 n°98-44.647
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