QUI PEUT SE VENGER OU GARDER RANCUNE ?

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QUI PEUT SE VENGER OU GARDER RANCUNE ?
QUI PEUT SE VENGER OU GARDER RANCUNE ?
La Torah dans le Lévitique, chapitre 19, nous enjoint de ne jamais se venger ni garder
rancune. Autant l'un que l'autre porte préjudice autant à celui qui se venge qu'à celui dont on se
venge. Pourquoi ?
N'a-t-on jamais essayé de se jauger, habité par l'esprit de vengeance ou par la rancune ?
Tant que nous n'avons pas concrétisé ce souhait profond qui nous meurtrit, seuls ces sentiments
nous poursuivent en permanence. Mais le plus grave, c'est que même après avoir assouvi ces dits
besoins de concrétisation, nous continuons intérieurement de nous ronger soit parce qu'on estime
que ça ne suffit pas ou encore parce qu'on a exagéré dans notre comportement.
Ou bien encore, cette extériorisation laisse une empreinte au fond de nous pour diverses
raisons dans lesquelles chacun se reconnaîtra.
Pour ne jamais se trouver dans cet état de mal être, la loi nous demande de faire disparaître
au plus vite ces deux types d'intention pour qu'ils ne prolifèrent pas. Nous voyons que si la Torah
est aussi précise, ce n'est pas pour qu nous soyons des boucs émissaires, mais pour que nous ne
souffrions pas d'emblée de ce qui risque de nous faire souffrir ensuite. Si l'on admet qu'il ne faut
nous livrer ni à la vengeance, ni à la rancune, peut-on dire qu'il ne nous reste plus qu'à garder le
silence devant toutes les agressions ? Ne dit-on pas, par ailleurs, dans ce même chapitre qu'il
convient, avec force, de reprendre son prochain plutôt que de porter sa faute ? Reprendre son
prochain, c'est aussi le mettre en garde contre les avantages et les inconvénients de se venger ou
de garder rancune. C'est donc que, parfois, l'on aurait le droit de se venger ou de garder rancune,
ou les deux.
Mais, dans ce cas de figure, qui peut être agréé par la Torah ?
Dans le récit se rapportant à Yossef, on a vécu antérieurement tous les méfaits des frères
par jalousie de l'amour du père pour ce jeune frère. Bien que, après examen, il s'était avéré que
Yaakov avait tout lieu de se conduire comme il l'a fait, il n'en resta pas moins dans le cœur des
frères ce désir de vengeance au point de trouver le meilleur moyen pour que Yossef meurt et
qu'on se débarrasse de lui.
La haine les habitait. Ce fut la première faute. Ils envoyèrent ensuite à l'encontre de Yossef
des chiens pour le dévorer. Dans un autre temps, c'est dans un puits rempli de scorpions et de
serpents qu'ils le jetèrent. Puis ils le vendirent comme esclave, et, enfin, ils abattirent un chevreau
pour tremper la tunique de Yossef comme preuve visible qu'au moins un accident avait pu
survenir.
Vingt-deux ans se sont écoulés et voilà que Yaakov, prenant conscience de la famine qui
sévissait en Canaan, demanda à ses fils de se rendre en Egypte pour s'approvisionner. Yossef
savait que ses frères allaient venir. Mais il ne savait pas quand.
Yossef était devenu vice-Roi en Egypte mais c'est lui qui sustentait les habitants de ce pays
et ceux qui venaient d'ailleurs. Pourquoi dit-on qu'il sustentait ? C'est que Yossef en personne
recevait l'argent pour les marchandises vendues. Nos sages se demandent s'il n'aurait pas été plus
simple de nommer un intendant pour cette dernière tâche, pour préserver sa haute dignité. Yossef
avait un but bien précis. Il voulait voir ses frères. Si des intendants avaient accompli ce travail, il
n'aurait jamais pu rencontrer ses frères. De plus, à ce moment de l'histoire, tout acheteur devait
signer de son nom, de celui de son grand père, de ses parents et citer le pays dans lequel il vivait
pour garder trace des « clients ». Et Yossef craignait que l'intervention d'une tierce personne
l'empêche de rencontrer les siens, ne faisant pas confiance à ses subalternes. D'autre part, quand
chacun remplissait le registre, il y avait moyen de visualiser l'acheteur en apprenant dans la
foulée qui il était. C'est pourquoi le texte de la Torah nous dit une première fois : « il les
reconnut » puis : « Yossef reconnut ses frères ». Cette répétition, au premier regard, n'était pas
utile. En réalité, la première formule signifie qu'il prit connaissance de leur présence grâce au
registre et en les apercevant, puis dans un autre temps, il les reconnut un à un, personnellement.
En revanche, eux ne le reconnurent pas car il portait maintenant une barbe qu'il n'avait pas dans le
passé. D'autre part, Yossef avait un interprète qui parlait à sa place. En conséquence, les frères ne
pouvaient pas non plus reconnaître sa voix.
Jusque là, on peut dire que, tandis que Yossef les avait reconnus, les frères n'en avaient pas
été capables. Mais il faut ajouter que Yossef, devenu grand, avait maintenant parlé durement à
ses frères même par l'entremise de l'interprète. Yossef les avait traités d'espions. Ce terme les
avait atteints parce qu'ils n'étaient pas en faute, ils venaient seulement pour s'approvisionner. Par
ailleurs, le comportement de Yossef devenait d'autant plus dur que, dans un premier temps, il les
avait tous incarcérés pour ne garder ensuite que Chimon et Lévy. Enfin, conformément à ses
rêves, ses frères se courbèrent devant lui comme le fera plus tard son père.
On peut se demander pourquoi Yossef a eu un tel comportement vis-à-vis de ses frères,
surtout après la dernière phase quand il fit placer une coupe royale dans le sac de son petit frère,
Binyamin, que Yaakov avait finalement autorisé à accompagner ses frères.
Il est vrai que tous, excepté Binyamin, étaient coupables d'un lourd passé vis-à-vis de
Yossef. Mais ce dernier n'était-il pas nommé tsadik (juste) et ne devait-il pas se travailler pour
effacer toute cette rancœur qu'il portait en lui ? Pouvait-il se substituer à D ieu pour les punir et
les rendre tous tristes ? Dans un premier temps, nous dirons que Yossef voulait que ses frères
subissent ici ces malheureuses péripéties pour leur éviter de les subir dans l'autre monde. Mais,
une fois de plus, cela appartenait-il à Yossef de procéder ainsi ? Des anges auraient pu accomplir
cette mission mais, en aucun cas, un tel tsadik, sauf s'il avait été chargé par D ieu de leur infliger
la mort ou la flagellation. Mais leur faire subir de telles souffrances et infliger à son père autant
de dures épreuves ne relevait pas de ses attributions. En fait, même si Yossef avait tout pardonné
à ses frères, subsistait en son cœur une grande rancune car quand on a autant souffert que Yossef,
cette rancune s'infiltre profondément tout au fond de nous. Yossef avait beaucoup pleuré, en
cachette, du sort que lui avaient réservé ses frères. Mais il aurait du extirper toute cette rancœur
venant du mal que lui avait fait ses frères.
Toutefois, pour éprouver un véritable amour, il lui fallait absolument se défaire de cette
rancune, à la manière d'une opération chirurgicale. Cette même opération, qu'il s'était imposée, il
la fait également vivre à ses frères pour que peu à peu un véritable amour les unisse. Mais là
encore, Yossef n'aurait-il pas du se maîtriser et se travailler pour ne pas en arriver là.
Là encore, on pourrait admettre que, malgré sa hauteur, conformément au psalmiste, Yossef
restait un homme. Il ne pouvait pas faire autrement. Une fois de plus, cette démarche reste
inadmissible pour un tel homme. Du reste, bien plus tard, quand Yaakov mourra, alors que
Yossef aura à ce moment tout pardonné, les frères resteront inquiets de savoir si, maintenant, il
n'allait pas véritablement se venger. On sait que cet épisode inscrit dans la Torah n'était pas à
prendre seulement au pied de la lettre car selon le Zohar, on dit que D ieu se serait, en quelque
sorte, « amusé » de ces événements pour montrer que le véritable maître du monde reste D ieu
malgré les événements qui se déroulent. Ce sont les hommes qui, s'appropriant ces événements
vécus, se substituent à l'histoire pour porter ensuite des jugements.
Concernant D ieu, nous savons qu'Il a tout créé dans ce bas monde, y compris le venin à
petites doses dont va se servir le médecin pour guérir un malade. Ce venin provenant du serpent
originel a des vertus, à toutes petites doses. A une dose plus élevée, il devient mortel. Le serpent
était intervenu dans le Gan Eden. Chaque homme est, si l'on peut dire, un petit monde et tout ce
qui se trouve dans l'univers existe également dans l'homme, y compris le venin existant dans le
serpent. HaChem voulait que le venin soit utilisé avec parcimonie, mais en aucune façon il ne
devait donner la mort. On peut dire là que un mal, à petite dose, peut aider à la vie. Ainsi, dans le
Traité Yoma, il est rapporté que les paroles des grands sages sont comme des braises irradiantes.
Dans cette perspective, on dira qu'un grand homme de Torah, pétri de ses lectures profondes, qui
ne se venge ni ne garde rancune est un serpent, mais pas un grand homme de Torah. Parce qu'en
réalité, on ne peut jamais totalement détruire un être humain. Mais on ne dira jamais que le venin
dans sa totalité habite le tsadik. Il possède la potion ou l'antidote pour redonner vie aux malades.
Aussi, même si HaChem est prompt au pardon, Il nous apprend que pour véritablement faire
téchouva, il faut apporter un sacrifice, révéler toutes ses fautes au prochain, s'il est concerné,
sinon à D ieu et sans retenue. Ce n'est qu'ensuite que la téchouva est acceptée autant vis-à-vis du
prochain que vis-à-vis de D ieu.
La démarche de Yossef n'avait finalement rien de personnel à proprement parler, même si
l'on dit qu'il avait une grande rancœur envers ses frères qu'il ne pouvait pas expulser de son cœur.
Yossef avait seulement très mal de ce qu'avaient fait ses frères, non pas vis-à-vis de lui en tant
que frère, mais vis-à-vis d'HaChem. Dans le même principe concernant les reproches à autrui,
Yossef avait jusqu'au bout accompli cette mitsva pour que ses frères se repentent pleinement,
comme il se doit, selon les règles établies et citées. Par ses propos virulents, il voulait saisir leur
conscience et qu'ils fassent leur propre bilan pour en arriver à une véritable techouva. Mais qu'en
est-il vis-à-vis de son père Yaakov qui n'était pas logé à la même enseigne que ses frères ?
Yaakov avait tout de même manifesté sa préférence pour Yossef et c'est de là que les frères en
ont éprouvé une grande jalousie. C'est cette même jalousie qui les a conduits à en vouloir à mort
à Yossef.
Maintenant que Yossef les a lavés de leur lourd passé dont ils ont pris conscience,
maintenant que Yaakov avait aussi, si l'on peut dire, pris conscience de sa conduite, peut-être
reprochable vis-à-vis des frères de Yossef, tout pouvait revenir dans l'ordre. C'est ainsi que,
comme le voulait Yossef, ils en sont arrivés à véritablement éprouver un sentiment inverse de
celui précédent, c'est-à-dire l'amour mutuel.
A aucun moment Yossef n'a cherché à proprement parler à se venger ou à garder rancune. Il
ne voulait que faire réagir ses frères pour que d'eux-mêmes ils reviennent à la raison.
Nous ne devons donc pas nous dire que la rancune et la vengeance peuvent nous être utiles
tout comme cela l'a été pour Yossef dans un esprit saint. Tout d'abord parce que nous n'avons pas
atteint le degré de spiritualité de Yossef et, d'autre part, parce que nous ne sommes pas en mesure
d'y parvenir car nous n'en avons pas les moyens. Sachons passer un coup d'éponge sur les méfaits
de nos prochains et substituons le bien au mal pour qu'enfin l'avènement messianique vienne tous
nous délivrer définitivement.
RAV BITAN
www.rabbinbitan.fr
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