Le Toucher relationnel, outil de la relation éducative au quotidien

Transcription

Le Toucher relationnel, outil de la relation éducative au quotidien
Ministère de la Justice
Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Katia SOKOLOWSKI
Promotion 2011-2013
Le Toucher relationnel, outil de la
relation éducative au quotidien
Sous la direction de Véronique DASSIE, socio-anthropologue
Mémoire de titularisation aux fonctions
d'éducateur de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse
Master 1 – Mention Sciences de l’Éducation et de la société
Spécialité « Travail éducatif et social »
UFR Sciences de l'éducation – Université Lille III
École Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse
Pôle Territorial de Formation Dijon
SOMMAIRE
Remerciements..............................................................................................
Introduction...................................................................................................
Partie I – Relation éducative et toucher relationnel.................................
I.1 L’entrée en relation éducative........................................................
A. Le lien.......................................................................................
B. La distance................................................................................
C. Le cadre....................................................................................
I.2 Le toucher relationnel.....................................................................
A. Définition...................................................................................
B. Entre la règle et l’affect.............................................................
C. La sphère de l’intime................................................................
I.3 Les apports du toucher relationnel.................................................
A. Instauration d’une communication non verbale........................
B. Apport d’une attention...............................................................
C. Estime de soi et d’autrui...........................................................
Partie II – Ambivalence de l’outil................................................................
II.1 Toucher, être touché : comment garder une juste distance ?.......
A. Toucher avec empathie.............................................................
B. Le Transfert...............................................................................
C. La place de l'éducateur............................................................
II.2 Le toucher, générateur de violence...............................................
A. La peau protectrice de l’être.....................................................
B. L’intérieur touché......................................................................
C. Réparer l’intrusion....................................................................
II.3 Penser sa pratique........................................................................
A. La nécessaire observation........................................................
B. La formation..............................................................................
C. L’analyse de pratique................................................................
Partie III – Projection sur le terrain.............................................................
III.1 Ce que pensent les professionnels de l’équipe............................
A. Présentation de l’UEHC d'Auxerre...........................................
B. Ressenti des professionnels par rapport à mon sujet..............
C. Analyse des questionnaires et bilan.........................................
III.2 Ce qui se pratique dans d’autres domaines.................................
A. Du côté médical : Toucher massage, ostéopathie....................
B. Du côté du sport : Les sports de contact et d’opposition.........
C. Du côté du soin : La socio-esthétique......................................
III.3 Mise en projet...............................................................................
A. Atelier théâtre-jeux d’expression..............................................
B. Atelier psycho boxe...................................................................
C. Atelier socio-esthétique............................................................
Conclusion....................................................................................................
Bibliographie.................................................................................................
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Annexes .......................................................................................................
Encart méthodologique.................................................................
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Questionnaire remis aux professionnels de l'UEHC.....................
Enquête de M. CHOQUET sur la vie relationnelle des jeunes ....
L'accompagnement d'équipe par le DERPAD..............................
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REMERCIEMENTS
En préambule à ce mémoire, je souhaitais adresser mes remerciements les plus sincères
aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce
mémoire ainsi qu’au suivi de ces deux années de formation.
Je tiens à remercier, Madame Véronique DASSIE qui, en tant que directrice de mémoire,
s’est montrée présente et disponible tout au long de la réalisation de ce travail comme
durant ses relectures.
Mes remerciements s’adressent également à Madame Dorothée LECLERC, en tant que
tutrice ainsi qu’à mes collègues qui m'ont apporté de précieux conseils et qui ont accepté
de répondre à mon questionnaire.
Je remercie les formateurs du PTF Dijon et de l'ENPJJ pour leur suivi.
Enfin, je n’oublie pas mes proches qui m'ont soutenue et encouragée durant ces deux
années de formation comme durant l’élaboration de ce mémoire.
Merci à toutes et tous.
1
INTRODUCTION
Le jeune Arnaud1 vient d'être pris en charge à l'Unité Éducative
d'Hébergement Collectif d'Auxerre2. Il a pris ses marques dans le lieu et son grand
jeu est de tester les éducateurs sur le physique. « Qu'est-ce que t'as tu veux une
claque ? », « Je vais te défoncer tu vas voir », nous dit-il, toujours sur le ton de la
plaisanterie. Un après midi où il est resté au foyer il continue sur ce registre et me
tient ces mêmes propos en faisant semblant de lever le poing sur moi. Il est
toujours dans cette posture où il cherche, il joue. Je renchéris, chahutant avec lui.
Sauf que le jeune est beaucoup plus fort que moi et que je manque de tomber à
cause d'une prise de judo qu'il me fait . Je lui demande alors d'arrêter, un peu gênée
par la situation. J'ai compris ce jour, que si je pouvais chahuter avec les jeunes, il
fallait trouver une manière autre que celle-ci de le faire, par exemple avec les mots.
Même si c'est sur un temps de jeu, si le jeune me fait mal, cela peut induire par la
suite un comportement différent envers moi. J'ai alors appris qu'aucun geste n'est
anodin, qu'il faut faire des paris éducatifs pour apprendre et que la posture a de
l'importance dans le métier d'éducateur Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Mon intérêt pour le travail éducatif a été déterminant quant à mes choix
professionnels. Tout en effectuant des études en Lettres Modernes à dominante arts du
spectacle j'ai passé mon Brevet d'Aptitude aux Fonctions d'Animateur et ai exercé ce
métier dans diverses structures. J'ai pu y rencontrer le public adolescent qui m'est apparu
complexe et passionnant. Ceci a aiguisé ma curiosité et l'envie de travailler avec eux.
C'est ainsi que j'ai décidé de passer le concours d’Éducatrice Protection Judiciaire de la
Jeunesse, que j'ai obtenu en 2011. Suite à une première année de formation, j'ai rejoint,
en tant qu'éducatrice pré-affectée, l'Unité Éducative d’Hébergement Collectif d'Auxerre en
Septembre 2012. Jusque là, je n'avais aucune expérience dans ce type de structure dite
d'hébergement. En effet, mon stage de première année « prise en charge collective »
d'une durée de trois semaines, s'était déroulé en Unité Éducative d'Activité de Jour3.
J'avais donc déjà rencontré le public que la PJJ prend en charge mais pas dans le
quotidien qu'institue un hébergement, ouvert 7 jours sur 7 et 365 jours par an. Cette
particularité induit des relations particulières puisque l'éducateur est amené à partager le
1
Par soucis d'anonymat, tous les prénoms de cet écrit ont été modifiés
UEHC : Lieu de placement pénal collectif contenant dont l'objectif est l'autonomie du jeune
3
U.E.A.J : structure mettant en place des activités de jour pour des jeunes déscolarisés et sans formation
2
2
quotidien des jeunes dans ce qu'il y a de plus intime, du coucher au lever.
Pour exemple, ma seule expérience dans l'accompagnement de la nuit et du
coucher était lors de camps en tant qu'animatrice. Je m'en souviens comme d'un
moment privilégié où l'on embrassait les enfants (8-13 ans) et passait du temps
avec eux afin de les rassurer avant qu'ils dorment. Je me suis vite aperçue sur le
foyer, que ce moment était également important. Seulement, étant donné la grande
proximité qu'induit la bise, il m'a fallu remettre en question mon approche et
adapter ma pratique à ce nouveau cadre de travail.
La question de ma posture éducative au quotidien en tant qu'éducatrice PJJ s'est
donc imposée à moi : comment dois-je me comporter avec les jeunes ? Que puis-je dire,
faire, ou pas et comment ? Quelle est la juste distance qui me protège émotionnellement
et physiquement ainsi que le jeune? Et tant d'autres questions inhérentes à la création de
ce lien nécessaire permettant que s'établisse un travail éducatif entre jeune et éducateur.
J'ai, au début de mon stage, fait usage de spontanéité (comportement non réfléchi,
sans calcul) sans réelle réflexion. Je me suis vite rendu compte que j'utilisais beaucoup le
toucher pour entrer en relation avec les jeunes. Ayant eu, en retour, des réponses qui
s'exprimaient de façon positive comme négative de ceux-ci j'ai décidé d'interroger cette
pratique et de l'intellectualiser afin de rendre compte de son possible intérêt pour
l'éducateur. Par exemple, je me suis aperçue qu'un geste du quotidien, de politesse, de
respect, en l’occurrence la poignée de main, pouvait être porteur de sens. Lors d'une fin
de service, je dis au revoir aux jeunes qui partent pour une activité insertion, ils me
serrent tous la main. Le dernier que je viens de reprendre sur son attitude négative
me la serre fortement. Pas assez pour que je verbalise que cela me fait mal, mais
assez subtilement pour que cela semble normal.
J'ai donc échangé à des temps informels sur ce sujet avec mes collègues. Si
certains, hommes ou femmes, se sont tout de suite manifestés comme étant très tactiles
avec les jeunes voire avec un côté « maternel » très assumé, d'autres m'ont verbalisé ne
pas percevoir l'utilité du contact physique. Ceci m'a illustré les propos de Marcel Mauss,
anthropologue, qui a étudié la question du corps, des affects et de la relation et leur
variation d'un sexe et d'une population à une autre4 .
4
Marcel MAUSS, Conférence Les techniques du corps, 1934
3
Après quelques recherches documentaires, j'ai appris que l'utilisation du toucher
dans la relation aidante était théorisée dans le domaine médico-social. On le nomme alors
« toucher relationnel »². C'est un outil, qui permet d'épauler le patient dans sa prise en
charge en lui apportant une dose d'humanité et de soin autre que médical. Je me suis dit
qu'il serait intéressant de faire un parallèle entre ceci et la pratique des éducateurs PJJ,
dans le but de théoriser et d'expérimenter l'impact du tactile sur nos pratiques.
Pour étudier cela je m'appuierai sur une question de départ : Comment l'utilisation
du toucher relationnel, transféré au métier d'éducateur PJJ, contribue-t-il à la
relation éducative ?
Mon hypothèse de recherche est que la posture de l'éducateur participe à la relation
éducative. Je traiterai cette question en trois parties. L'une, intitulée « toucher relationnel
et relation éducative », me permettra de définir les termes utilisés et de poser les bases
de ma réflexion. Puis, la partie « ambivalence de l'outil », montrera pourquoi il faut
penser sa pratique afin qu'elle soit positivement utile. Enfin la dernière partie, intitulée
« projection sur le terrain », fera un parallèle entre théorie et pratique sur mon lieu de
stage.
4
PREMIERE PARTIE : RELATION
EDUCATIVE ET TOUCHER
RELATIONNEL
5
I.1
L'entrée en relation éducative
« La relation éducative ne sert ni à guérir ni à ramener des individus dans la norme
mais à les aider à surmonter l'injustice liée à leur différence et à trouver du sens à leur vie.
C'est ce que l'auteur appelle passer du vivre à l'exister »5. Philippe Gaberan résume bien
ici les objectifs de la relation éducative. Mais comment entre-t-on dans cette relation avec
autrui. Trois grands axes vont nous y aider : la mise en place d'un lien, la distance et le
cadre de notre intervention.
A. Le lien
« On ne peut penser le processus éducatif seulement en termes de procédures
d'acquisitions ou de dispositifs pédagogiques. C'est la dynamique née des interactions du
sujet avec l'environnement et autrui, dans le rapport à la réalité et plus globalement au
monde, qui permet ou interdit une initialisation du processus éducatif par l'individu lui
même. Il faut donc comprendre les différents rapports construits par l'individu dans cette
dynamique. Cependant, si pour des nécessités d'étude, une succession d'approches doit
être présentée, l'élaboration du rapport à soi-même ne peut pas être isolée de celle des
autres rapports (à la réalité, à autrui, à l'inconnu, à l'erreur, à la règle...) »6
La mise en place d'un travail éducatif entre le jeune et l'adulte éducateur ne peut se
faire que par l'élaboration d'un lien. Ce lien va naître des rapports que l'on va entretenir
avec celui-ci. Cela va passer par des choses tout à fait banales mais qui ont pourtant leur
importance dans cet espace. L'attitude, les mots, la voix et tant d'autres choses, souvent
de l'ordre du ressenti, vont amener à la création de ce fil si fragile qu'est le lien.
Si fragile qu'il peut être tendu et détendu. En voici un exemple. Lors de l'arrivée de
la jeune Alexia au foyer, nous avons eu un conflit alors même qu’étant sa référente
j'essayais de nouer un lien avec elle. En effet, je lui avais autorisé l'achat de
nourriture tout en lui précisant qu'elle ne devrait pas être conservée dans sa
chambre. Au retour des courses, je lui demande de ranger la nourriture dans la
cuisine. Là elle se met dans une colère noire arguant que je ne le lui avais pas
précisé. Je suis restée perplexe et blessée devant un tel changement d'humeur
alors que j'avais cru bien faire. J'ai eu à ce moment peur que le travail que je devais
5
4ème de couverture, GABERAN Philippe, la relation éducative, Paris, Éditions Ères, 2007
MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, Ramonville Saint-Agne, Édition Érès, 2005,P88
6
6
entreprendre avec elle soit impossible. Petit à petit je suis revenue vers elle, nous
avons pu reparler des faits. C'est surtout une visite à domicile en sa présence, ce
moment duel et intime, qui a permis que l'on se réinvestisse mutuellement.
Si ce lien semble assez subjectif il est tout de même le fruit d'un travail de
l'éducateur qui vient le jouer dans sa façon d'être et de traiter les situations. « Deux êtres
qui se rencontrent alors qu'ils ne se connaissent pas ne sont pas censés devoir se faire
confiance, du moins pas immédiatement […]. C'est bien après l'épreuve de celle-ci que
surgit la confiance, au détour d'une confidence partagée en un temps et en un lieu bien
souvent imprévu »7
B. La distance
Cette notion a été très travaillée, mais aussi discutée. Voici un court résumé de ce
qui sort de l'analyse du terme selon Christine Delorme. « Deux théories implicites
cohabitent dans les milieux du travail éducatif et social. La première est celle de la bonne
distance qui est garantie par le cadre et protège le professionnel et l'usager d'une
proximité affective et d'un risque d'envahissement fusionnel. Être professionnel nécessite
dans une telle optique, une recherche d'objectivité qui suppose de savoir mettre de coté
ses affects et sa subjectivité, dans une écoute objective et non impliquée. La seconde est
celle de la distanciation construite sur le modèle transitionnel de Winnicot qui énonce
qu'un attachement est nécessaire pour qu'un processus de séparation puisse s'initialiser.
Le travail de distanciation est alors pensé comme une dynamique de rapports de place
permettant une élaboration psychique, affective et relationnelle, par la personne
accompagnée. Être professionnel dans cette optique, c'est accepter de se prêter aux
projections affectives en se situant provisoirement à la place où l'autre nous met et savoir
s'en dégager pour ouvrir à un travail psychique relationnel et social. Un dispositif tiers doit
être le garant de ce travail dynamique de distanciation »8
La juste distance c'est donc celle qu'on s'impose par rapport à ce que l'on est mais
également celle qui se discute en équipe. Vraisemblablement, aucun humain ne peut être
constamment objectif, le « modèle transitionnel » semble donc plus adapté.
7
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames)« l'apprivoisement » P117
8
DORME Christine, Question de distance dans la relation éducative, Paris, Éditions l'harmattan, 2005, P9697
7
Le toucher relationnel doit donc être pensé de façon concomitante à une réflexion
seule et en équipe, sur la projection que peut faire un jeune sur un éducateur ou viceversa. Il faut pouvoir interroger et adapter sa posture. L'éducateur ne doit également pas
perdre de vue qu'il n'est qu'une rencontre dans le parcours d'un jeune et que notre public
est voué, et c'est ce que l'on souhaite fortement, à un retour au droit commun. Les jeunes
pris en charge ne nous appartiennent pas, ce ne sont pas « nos jeunes » comme on peut
l'entendre parfois. Même si on peut s'y attacher, qu'on les affectionne, il faut savoir couper
les ponts afin qu'ils s'épanouissent seuls.
C. Le cadre
Le cadre du travail en hébergement est stipulé comme tel dans le Référentiel
mesures : « L'accueil des mineurs, garçons ou filles âgés de 13 à 18 ans, se fait sur
décision judiciaire en matière pénale (ordonnance du 2 février 1945) et ce 365 jours par
an, 24h sur 24. Les personnels du service mettent en œuvre des mesures éducatives
ordonnées par les magistrats au titre de la PJJ. L'établissement est soumis aux
obligations de l'article L.312-1 du code de l'action sociale et des familles. Par conséquent,
les mineurs qui y sont placés bénéficient des droits reconnus aux usagers tels que
mentionnés aux articles L.311-3 et suivants du même code, la loi N°2002-2 du 2 Janvier
2002. Les objectifs de ce placement sont avant tout éducatifs, le but étant de ramener le
jeune au droit commun. Il en découle de nombreux axes de travail menés en lien avec
l'éducateur référent de milieu ouvert, la famille, le magistrat :
 Éloignement temporaire de l'environnement du jeune en vue de travailler son
rapport à celui-ci et de restaurer les liens familiaux
 Travail sur les actes afin d'éviter la récidive et intégration de la Loi
 Appropriation des règles régissant les relations sociales et d'un rythme de vie
 Insertion scolaire et/ ou professionnelles
 Travail sur la santé physique et psychologique »9
Le cahier des charges des UEHC met également en avant ce cadre en stipulant
des temps et axes phares de l'intervention éducative :
 Admission/ accueil
9
Référentiel des mesures et des missions confiées aux services de la PJJ, Edition Septembre 2005
8
 Projet individuel de prise en charge
 Vie collective et activités médiatisées
 Travail avec les titulaires de l'autorité parentale
 Prise en compte de la santé des mineurs
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), ou Convention relative
aux Droits de l’Enfant, traité international adopté par l’Assemblée Générale des Nations
Unies le 20 novembre 1989, est également un de nos textes cadres.
Mon action et la réflexion de ce mémoire s'inscrivent dans ce cadre. Le toucher
relationnel ne peut d'ailleurs être pratiqué que dans cet optique : un outil éducatif utile qui
permet de réaliser ces objectifs professionnels. Je vais désormais le définir et en montrer
son utilité
I.2
Le toucher relationnel
Le verbe « toucher » vient du latin populaire « tocare », onomatopée signifiant
« faire toc, heurter ». En 1080, dans l'ouvrage de Roland apparaît le mot « tochier »,
signifiant à la fois « atteindre » et « toucher »10 .Le terme « chair » est issu du latin
« caro,carnis ». De ces mots proviennent « charnel ». Le mot est donc rattaché au geste
et à la peau. Sa définition11 est : « Mettre sa main, ses doigts au contact de quelque
chose, de quelqu'un, en particulier pour apprécier, par les sensations tactiles, son état, sa
consistance, sa chaleur ». Mais aussi « Émouvoir quelqu'un, faire impression sur sa
sensibilité ». Toucher est donc un contact physique du doigt avec quelque chose ou
quelqu'un mais aussi une émotion ressentie.
Relationnel est un adjectif en lien avec les relations avec les individus. C'est à dire :
« Lien d'interdépendance, d'interaction, d'analogie »12
A. Définition
Le toucher fait partie intégrante de notre quotidien professionnel, amical, intime.
C'est un de nos cinq sens acquis dès la naissance « Anzieux a pu considérer la nécessité
du contact comme un besoin psychologique incontournable. C'est par les premiers
10
COURJOU Évelyne, Comprendre et pratiquer le toucher relationnel, Paris, Éditions DUNOD, 2007,P67
www.larousse.fr
12
Idem
11
9
rapports que l'enfant va entretenir avec sa mère qu'un Moi-Peau va pouvoir se constituer.
C'est par ce toucher, ce contact entretenu avec sa mère que l'enfant ressent l'existence de
sa propre peau. Ce sentiment d'existence de base lui donne conscience des limites de
son corps, et une confiance suffisamment importante en son intégrité corporelle. La
communication interactive qui va s'engager entre eux va donner naissance à une
enveloppe avec une face externe orientée vers les objets et une face interne, sensible aux
données du Moi. Cette enveloppe est dans un premier temps commune à la mère et
l'enfant, pour s'individualiser par la suite vers la constitution d'un Moi-Peau autonome 13».
On peut donc dire que le toucher est un geste indispensable dans la construction
de soi. De plus, il génère une hormone, l’ocytocine, utile lors de l'accouchement mais
aussi dans le cadre des interactions sociales impliquant la coopération, l'altruisme,
l'empathie, l'attachement.14. Le toucher s'avère donc être un outil constructif de l'humain et
de ses relations avec autrui mais également un facilitateur de communication. Quand je
parle de toucher, je ne parle pas de toucher non pensé mais bien d'haptonomie : « Hapto :
je touche, Nomos : la Loi, la règle. L'haptonomie c'est le toucher en tant qu'il est soumis à
la règle, à la finalité du développement de la sécurité dans la base 15».
Le toucher relationnel est donc un geste, un contact qui fait interaction avec autrui,
avec sa chair. Ce terme a été développé dans le milieu médical. Dans le cadre du soin,
l'utilisation du toucher est permanente, avec tous les publics, que ce soit lors de la toilette
ou des soins médicaux. Le toucher relationnel est dans ce cadre un outil
d'accompagnement dans la souffrance voire même dans la mort. Il humanise les rapports
humains et la médecine, domaine touché par un manque de moyens humains comme
financiers. Il s'agit de prendre le temps de toucher l'autre, tout en respectant un cadre et
son intégrité physique, afin de communiquer, de lui procurer un bien-être physique et
mental. « D'agir avec tact afin de soutenir celui qui est dans le désarroi. […] Toucher n'est
pas un acte anodin. Il véhicule un langage infra-verbal qui nous permet de communiquer
et de tisser des liens relationnels »16.
Cette approche a été pensée par divers professionnels : aides soignants, infirmiers,
13
Idem, P100
14
http://www.universcience.fr/fr/science-actualites/enquete-as/wl/1248100302489/l-ocytocine-ou-l-hormonedu-sacrifice/
15
Idem 19, P100
16
Idem 6, 4ème de couverture
10
kinésithérapeutes. Un certain nombre de livres ont été écrits sur le sujet. Je me suis
concentrée sur l'approche d'Évelyne COURJOU, diplômée d'état infirmière et masseusekinésithérapeute ainsi que doctorante en philosophie. Son ouvrage allie réflexion éthique
et philosophique avec une pratique de terrain.
Considérant cette démarche, j'ai pensé qu'il pouvait en être de même dans mon
travail d'éducatrice et que l'outil était transférable d'un domaine médical au domaine
éducatif et social. Ceci en respectant la règle que l'on se doit de donner aux jeunes mais
aussi la transmission d'affects.
B. Entre la règle et l'affect
Si l'éducateur travaille avec le jeune dans un cadre contraint, l'affect n'en est pas
moins présent dans la relation éducative.
« L'affectivité est bien plus qu'une simple composante de la vie psychique, elle en
est la base. C'est par elle que l'être humain se situe dans le monde et dans ses relations à
autrui. C'est elle qui fonde la personnalité dans ce qu'elle a de plus intime. Même une
fonction abstraite comme la pensée est sous tendue par une certaine manière de sentir et
affectée par les émotions. […] L'être humain a besoin de se sentir aimé et protégé pour se
développer harmonieusement »17.
Il ne faut donc pas négliger la dimension affective dans le travail éducatif. On peut
le constater en premier lieu dans la mise en place du lien. Il s'agit de penser le travail
éducatif comme la restauration d'une relation étayante enfant-adulte afin d'initier l'enfant à
l'expérience de la frustration, de l'interdit mais aussi de la satisfaction et de la tendresse.
La place de l'affect prend donc sens dans l'instauration d'un travail éducatif puisque
l'instauration d'un lien est la première étape essentielle du travail éducatif. Cette
expérience initie l'émergence d'une relation de confiance où l'adulte peut-être perçu à la
fois comme bienveillant mais aussi cadrant. « Ce n'est pas l'affectivité qui est dangereuse,
laquelle au contraire est indispensable à un agrippement et au surgissement d'un lien
d'attachement, mais la façon dont elle est gérée par le professionnel au sein d'une équipe.
En effet pour espérer advenir à l'existence, ce qui exige de
la part de l'individu un
cheminement plus complexe que sa propre naissance, il faut d'abord que cet individu soit
17
DORME Christine, Question de distance dans la relation éducative, Paris, Éditions l'harmattan, 2005, P73
11
relié par un cordon (matérialisation du lien physiologique) et lié par un nom
(matérialisation d'un lien symbolique) pour être ensuite délié, par la coupure du cordon, et
affilié par l'acceptation volontaire de son appartenance à une histoire. »18
Le toucher relationnel mobilise l'affectif ce qui a une grande portée psychique sur
celui qui le reçoit et, notamment, sur des jeunes en construction et en carence affective.
L'éducateur doit donc en connaître les bienfaits comme les méfaits. Il doit se sentir
capable d'en assumer les résultats. Les résultats sur la relation éducative et sur lui-même.
Il doit mesurer la dose d'affects qu'il produit et comment il pourra dans le futur s'en
détacher. L'affectif, la tendresse ne sont, pour moi, pas des obstacles au travail éducatif.
Cependant, ils doivent trouver une fin et une verbalisation sous peine de n'être qu'un aller
sans retour discutable sur le plan pédagogique. En effet, la sphère intime serait ouverte et
resterait béante, alors siège de bien des difficultés émotionnelles et donc de vie pour les
jeunes pris en charge. « La tendresse interroge la question de la juste distance entre les
êtres et entre les groupes [...]. La tendresse est un dialogue qui participe du lien social.
Dans les années soixante Edward T. Hall avait déjà cerné les contours de nos intimités,
ces bulles protectrices qui tantôt s'ouvrent tantôt se ferment, tantôt se rendent, tantôt se
distendent lorsque survient l'autre, étrange, étranger. La tendresse devient alors
l'hospitalité, l'accueil ambigu de l'hôte tour à tour accueillant et accueilli, mais aussi
capable de bienveillance comme d'hostilité. L'accueil peut se manifester par le toucher,
sexué mais non sexuel : poignée de main, bises, accolades, formes si diverses des
congratulations [...] »19.
L'affectif, la tendresse, interrogent donc la notion de distance dans la relation
éducative mais aussi celle du cadre. L'éducateur PJJ a une fiche de poste et agit dans un
cadre prescrit comme vu auparavant. Il faut donc savoir doser les affects des jeunes, ceux
que l'on mobilise afin d'être toujours dans le cadre de nos prérogatives. En voici un
exemple.
La bise : Un dimanche soir je vais chercher Amina à la gare. Je ne l'ai pas vue
depuis environ quinze jours suite à ma formation et à des congés. Je stationne
devant la gare, elle arrive, je sors pour l'aider à ranger sa valise et lui dire bonjour.
Et là, au lieu de lui serrer la main comme c'est l'habitude du foyer, je lui fais la bise.
18
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames) « L'affectivité » P32
19
GOGUEL D'ALLONDANS Thierry, Anthropo-logiques d'un travailleur social, passeurs, passages, passants,
Paris, Éditions Téraèdre, 2003, P99-100
12
Je me sens alors toute confuse comme si j'avais fait une erreur alors que ce geste
m'a semblé naturel. Devant ma mine hébétée elle rit de bon cœur. Au quotidien, la
jeune m'investit beaucoup sur des questions de « fille »:vêtements, beauté, mode.
Ceci me permet d'être assez proche d'elle et donc de pouvoir échanger. Étant la
seule jeune fille du groupe à cette époque, Amina a une place très particulière, très
protégée. Au vu du travail effectué durant sa prise en charge, il a paru opportun de
cesser le placement en institution au bout de dix mois au profit d'un retour en
famille. Je savais que je ne serai pas présente sur le service lors de l'audience de fin
de placement. Je lui ai donc mis un mot dans son casier afin de lui souhaiter un bon
retour chez elle et une bonne continuation pour la suite de sa vie que je « savais
radieuse ».
Ici le geste bienveillant, la bise, était non pensé. Il s'est fait de lui même comme si la place
particulière de cette jeune fille au sein du groupe de jeunes et de l'équipe d'éducateurs
l'induisait. Après l'avoir effectuée, je me suis sentie assez bête et j'avais l'impression
d'avoir enfreint une loi immuable de la PJJ : surtout ne pas instaurer une trop grande
proximité. Après cela, je me suis dis que je ne pouvais pas revenir en arrière, qu'en fin de
compte cela n'était pas si grave et je me suis demandé comment utiliser ceci au quotidien.
Ici la proximité a été physique et mentale pour la jeune comme pour moi car je pense
avoir, par un geste « hors cadre », instauré une relation éducative assez proche. Après
cette situation, Amina a beaucoup été dans l'échange avec moi sur des sujets « futiles ».
Peut-être que la bise lui a fait penser que nous étions des proches. Tout en perpétuant
cela, j'ai constamment remis du cadre. C'est-à-dire que je ne me suis pas cantonnée à
cette image mais ai conservé mon rôle d'éducatrice en instaurant dans et hors (entretiens
éducatifs) de nos échanges informels des thèmes tels que l'insertion, l'acte, la santé. Je
l'ai laissée projeter sur moi tout en ne perdant pas de vue mes missions. Lors de son
départ, par le mot laissé dans son casier, j'ai instauré une rupture dans cette relation qui je
pense, participera au fait que cette jeune fille puisse s'épanouir dans sa vie en dehors du
service. Parce que j'ai montré une attention tout en restant à ma place et en étant positive
quant à son avenir je pense lui avoir montré qu'elle pouvait et devait se détacher du
placement et de l'équipe pour vivre sa vie.
La proximité physique induite par le toucher relationnel oblige à rentrer dans la
sphère intime de l'Autre et à être proche physiquement comme moralement de lui.
C. La sphère de l'intime
13
Edward T. Hall, dans son livre la dimension cachée a décrit la dimension subjective
qui entoure quelqu'un et la distance physique à laquelle les individus se tiennent les uns
aux autres selon des règles culturelles subtiles. Il a ainsi mis en lumière le concept de
proxémie. Soit la distance physique qui s'établit entre des personnes prises dans une
interaction. Elle varie de la distance publique, des personnes qui ne se connaissent pas
obligatoirement, à la distance sociale, celle des connaissances puis à la distance
personnelle, celle des amis et enfin à la distance intime, qui permet aux personnes de
chuchoter.
Cette vision de la distance est assez transposable, sur le concept, pas le physique,
à ce que l'on peut vivre dans une relation éducative. Lors d'une rencontre avec un jeune,
la première chose qui va être perçue c'est ce qu'il renvoie, ce qu'il dégage soit la distance
publique. Ensuite il va y a avoir ce que le jeune va nous donner à voir, la distance sociale.
Enfin, quand cela est possible il va se livrer et montrer le vrai qui est en lui, qui il est
réellement, sa distance intime.
« L'intimité désigne le lien de soi à soi, qui part de la surface vers la profondeur,
invisible et imperceptible de l'extérieur, et sur lequel l'éducateur ne peut intervenir sans
que l'autre l'y convie »20 . Y parvenir est un cheminement qui parfois n'a pas de fin.
Cependant un des rôles de l'éducateur est d'évoluer vers cette sphère de l'intime. Pas
pour lui mais pour le jeune car « Si l'Autre 'est jamais regardé comme digne de respect,
s'il est toujours transparent au regard de ceux qui devraient l'amener à gagner en
épaisseur, s'il n'est jamais considéré comme étant un sujet, il n'a aucune raison de penser
20
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames)« l'apprivoisement » P29
14
que la façon de se montrer a un impact sur son environnement »21.
Le toucher relationnel est une porte d'entrée vers cette la surface qui peut amener à
un travail sur le plus profond du jeune. En effet il peut-être un pas vers la communication
non verbalisée au départ puis qui le deviendra petit à petit.
I.3
Les apports du toucher relationnel
A. Instauration d'une communication non verbale
Voici l'exemple de Sylvio, pour qui la communication fut compliquée dans les
premiers temps de son placement.
Le regard : Le jeune Sylvio vient d'arriver à l'U.E.H.C22. C'est son premier placement
pénal après un passage au civil. À son arrivée le jeune ne regarde personne dans
les yeux, même lorsqu'il serre la main. Chaque éducateur persiste à entrer en
communication avec le jeune en le regardant lorsqu'il lui parle, en favorisant des
moments duels : rien n'y fait. Le garçon se montre discret et se confronte le moins
possible à l'adulte quel qu'il soit. Une collègue prend alors l'initiative, au moment
du coucher, de passer un peu plus de temps que d'habitude dans sa chambre. Elle
rentre, échange des banalités sur l'état du lieu, la chaleur qu'il y fait. Le jeune est
déjà dans son lit. Le sentant réceptif elle s'assoit alors juste à côté de lui. Cette
proximité ne semble pas déranger Sylvio. Au contraire, elle semble lui permettre
d'échanger. C'est le moment de faire un petit bilan sur sa progression depuis son
arrivée, de le féliciter sur son parcours tout en rappelant le chemin à parcourir. Le
jeune sourit. Vient l'heure de dormir, ma collègue pose la main sur la tête du jeune
et lui souhaite une bonne nuit. Il la remercie avant de plonger sous sa couverture.
Après cet événement j'ai entendu le jeune dire « j'aime bien quand V. fait les nuits
car elle me fait des petites grattouilles sur la tête avant de m'endormir ». Peu à peu
la communication avec les adultes s'est créée. Sylvio s'est habitué aux lieux et aux
personnes et notamment à cette collègue avec qui il échange désormais très
librement.
Hormis l'utilité du temps et de la dualité, il me semble que l'action de cette collègue
21
22
Idem
Unité Éducative d’Hébergement Collectif
15
a participé à l'avancement du jeune. Par son intentionnalité, elle a donné du sens à son
action pour elle comme pour lui. Ces gestes anodins, une main sur la tête, s'asseoir sur le
lit du jeune, ont démontré son investissement dans le travail éducatif. Ils illustrent
également que l'adulte n'a pas peur du jeune et qu'il n'est donc pas réduit à une image de
dangereux délinquant. Ceci a généré un climat propice à la confiance, à l'échange et donc
à la communication qui s'est verbalisée peu à peu.
La communication n'est pas uniquement le fruit des mots. Le langage non verbal, et
en particulier le contact physique, influence nos réactions. Tout d'abord il permet d'attirer
l'attention, il a été prouvé par une enquête menée par des psychologues que le toucher
augmente la réceptivité à la demande formulée23. Le contact ouvrirait une voie de
communication positive. Exemple d'une étude psychologique : Un psychologue reçoit pour
la première fois un patient, il a 50% de chance de le revoir s'il a établit plusieurs contacts
physiques banals (poignée de main, toucher de bras). S'il n'y a eu aucun contact, le
patient ne reprendra rendez-vous que dans 30% des cas 24. Par exemple, lorsqu'un jeune
ne veut pas se mettre en action, lui poser la main dans le dos en lui disant « allez,
on y va » va permettre d'accentuer la portée de sa parole.
Le contact améliore l'estimation de notre propre humeur et nous permet de l'adapter
à la personne en face de nous. Nous sommes donc plus disposés à accéder à sa
demande. Une expérimentation menée par Kleinke, psychologue, en 1977 a permis de
tester ceci. « Des personnes pénétraient dans une cabine téléphonique, il y restait
quelques pièces de monnaie et, comme on s’en doute, elles se les appropriaient en
partant. Un peu plus loin, un compère, prétendant avoir oublié de l’argent dans la cabine
quelques minutes auparavant, leur demandait si elles n’avaient rien trouvé. Durant cette
interaction, le compère touchait avec sa main le bras de la moitié des personnes
sollicitées. Ce simple contact physique permit d’augmenter significativement le taux de
restitution des pièces. »25
Á quoi peuvent nous servir ces petites expériences plus scientifiques que sociales ?
Lorsque l'on voit sur le terrain que le public pris en charge par la PJJ rencontre des
difficultés de communication (utilisation d'un registre de langage inapproprié à un contexte,
23
"Toucher et soumission à une requête", Revue internationale de psychologie sociale n°3 du Pr Nicolas
Guéguen
24
25
http://www.e-sante.be/contact-physique-nous-influence/actualite/789
http://gsite.univ-provence.fr/gsite/Local/lpcp/dir/user-318/dossiers/andre/licencepro/HalimiPP07.pdf
16
difficultés scolaires), pourquoi ne pas prendre le parti d'utiliser la communication non
verbale, par le toucher relationnel. En tant que pédagogue, l'éducateur PJJ se doit de
varier ses pratiques afin de mettre le jeune au centre de son action et non pas de nier le
jeune en faisant de son action sa priorité. A partir d'un geste, pensé par celui qui le
prodigue, la relation peut basculer, se créer, se dénouer. Mettre la main sur une épaule et
regarder dans les yeux peut permettre d'appuyer son propos, mettre en confiance un
jeune en lui posant la main sur la tête peut lui permettre de se sentir plus à l'aise dans
l'échange. Toutes ces petites choses peuvent être des déclencheurs et nous aider dans
nos missions. La verbalisation est une finalité qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est un but
et le chemin pour y parvenir est parfois sinueux. D'où l'utilité d'un élément qui vient faire
tiers, ici le geste. Attention cependant à ne pas atteindre certaines dérives, il ne s'agit pas
ici de manipulation de la relation ou de la personne. Utiliser et penser sa gestuelle doit
servir la communication et ainsi le travail éducatif. Il faut agir en pleine conscience pour
prévoir au minimum l'impact de sa pratique car « chaque geste corporel, en tant
qu'expression, renvoie à ma propre intentionnalité et en même temps à mon propre corps,
à l'intentionnalité de mon interlocuteur et en même temps à son corps. Chaque fois que
nous dénions l'un des éléments, nous dénions aussi la spécificité de la personne en tant
qu'agent moral »26.
La spécificité de notre public est qu'il est en pleine adolescence : le lieu de
transformations psychiques, sociologiques, physiques. Ne pas utiliser ces données
« visibles » dans notre prise en charge ce serait nier la personne accueillie et ses
bouleversements, parfois plein de sens. « Ceux qui méprisent le corps, écrivait Nietzsche,
n'ont qu'à s'en débarrasser ce qui les rendra muets. Nul ne saurait contester la dimension
corporelle de l'existence humaine. Nous vivons dans et par notre corps qui s'impose
comme une évidence. Mais l'expérience corporelle n'est pas univoque. Le corps est aussi
bien le lieu du plaisir que du déplaisir ou de la souffrance. Familier et étranger, il nous
ramène sans cesse à la fragilité de notre condition. [...] 27».
Dans ces conditions, le toucher relationnel peut amener à la verbalisation qui est un
de nos axes de travail que ce soit dans le cadre de la réflexion sur l'acte ou de
l’intériorisation des lois sociales. « Dans le corps-à-corps et non dans le verbe s'agit la
fonction de veilleur de l'humain qui caractérise l'adulte éducateur ; même si, et en après26
MARZANO Michela, Penser le corps, Paris, Édition PUF, 2008 ( 3ème tirage), P5
Idem 23, P 24-25
27
17
coup, c'est le mot qui vient dire la chose et révèle la possibilité d'une clinique qui ne soit ni
une ablation ni un redressement. Il n'y a rien à gagner pour l'humain à perdre son ancrage
dans le corps. Il y a tout à perdre pour la relation éducative à nier son arrimage à la
chair »28. Et finalement « Le corps et la parole ne constituent-ils pas les lieux
d'actualisation de la relation éducative ? »29.
Toucher l'autre c'est également lui montrer qu'on lui porte attention et qu'il est au
centre de nos intérêts et notre métier.
B. Apport d'une attention
Le câlin : Un soir alors que j'arrive au sein de ma structure afin d'accomplir
un service de nuit, je viens dire bonjour, en serrant la main, à un des jeunes assis
dans le salon. Il pose alors sa tête sur mon bras, et je pose ma main sur celui-ci et le
taquine en lui demandant s'il souhaite un câlin. Il me répond alors « c'est dommage
que l'on n'ait pas le droit d'en faire ». Ce jeune âgé de seize ans est en extrême
carence affective. Sa mère, diagnostiquée handicapée (déficience mentale mineure)
par la Maison Départementale des Personnes Handicapées, s'est peu occupée de lui
et a beaucoup de mal aujourd'hui encore à le faire. Il a été violé par son beau-père
qui l'a adopté légalement comme son fils et avec qui il garde toujours des liens. Ce
jeune homme est lui-même auteur de violences sexuelles sur de jeunes enfants.
J'ai reçu la phrase du jeune comme une réelle volonté d'affectif alors que d'autres
collègues ont pu la percevoir comme une communication sexuée, légèrement provoquée
par ma propre phrase. Avec le recul je me rends compte que mon propos n'était peut-être
pas adapté au vu de la problématique du jeune et que sa réponse était à double sens.
Dans ce cas il faut bien mesurer sa réponse. Pour moi cette situation est, tout de même, le
signe d'une prise de conscience de la Loi et de ce qui est permis ou pas. J'ai pu apprendre
lors d'une formation C.R.I.A.V.S30 que les mineurs auteurs d'agressions sexuelles étaient
souvent carencés et immatures. Ce geste (main sur le bras) est pour moi une entrée dans
le travail sur la problématique du jeune. Il permet de montrer la distance nécessaire, de
dire que le câlin n'est pas permis dans ce contexte précis mais que, pour autant,
28
GABERAN Philippe, Être éducateur c'est... La place de l'adulte dans le monde postmoderne, Toulouse,
Éditions Érès, 2010 (Collection Trames), P152-153
29
Écrit collectif, La place du corps dans la relation éducative et/ou thérapeutique, Les cahiers de l'actif n°348349, La grande-Motte, Mai-Juin 2005, P44, Sébastien Motard
30
Centre Ressource pour les Intervenants auprès d'Auteurs de Violences Sexuelles
18
l'éducateur estime le jeune et ne le rejette pas violemment. C'est également l'occasion de
faire comprendre que, par la même, d'autres personnes pourront également l'estimer et lui
apporter une affectivité saine. C'est le commencement d'un travail sur les actes et la
différence entre proscrit et autorisé, le cadre, la notion d'adulte et enfant.
L'attention est « une tension qui agit la décentration du souci de soi vers le souci de
l'Autre. Elle est ce qui empêche de s'économiser et ce qui fait qu'au terme d'une journée,
l'éducateur est « vidé » alors qu'il lui semble n'avoir pas fourni d'efforts particuliers »31.
Mettre de l'attention dans notre pratique est primordial pour l'avancée du jeune. Faire sans
sens et seulement pour soi est trop perturbant pour celui pour qui et avec qui on travaille.
Elle est pour moi une obligation d'action, mobilisatrice de bien des ressources chez les
jeunes pris en charge.
Une enquête menée par Marie CHOQUET, psychologue, en 1997 et en 2004, sur la
santé des jeunes de la PJJ fait un état de cette santé affective et relationnelle au sein de
la famille. « Les jeunes sont actuellement plus nombreux à déclarer une qualité
relationnelle satisfaisante avec leur mère. Ainsi, 91% des garçons disent actuellement
que leur mère les aime bien, contre 84% en 1997 ; 77% des filles disent actuellement que
leur mère les aime bien contre 68% en 1997. Cette amélioration se constate quel que soit
l'âge, pour les 14-15 ans comme pour les 18-20. Par contre on observe peu d'évolution
quant à l'affection ressentie de la part du père. En 2004, comme en 1997, près de 75%
des garçons et seulement 60% des filles disent que leur père les aime bien »32.
Ces chiffres sont globalement positifs sans atteindre les 100%. Outre le travail avec
les familles, sans prendre sa place, qu'est-il possible de faire à notre niveau, dans notre
cadre, pour apporter de l'affection au quotidien ? « Prédomine l'idée selon laquelle les
enfants « inadaptés » ont manqué d'amour, et notamment en raison d'une carence
familiale. Telle est la première proposition « diagnostique » d'une théorie spontanée dont
la deuxième proposition « thérapeutique » est complémentaire : ce « déficit » en amour
fait « trou » ou « vide », ce qui entraîne la conviction que l'enfant changera ou
progressera, qu'il sera efficacement aidé, s'il lui est fourni ce qui lui a manqué, si un plein
31
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames),P114 « l'attention »
32
CHOQUET Marie, HASSLER Christine, MORIN Delphine, Santé des 14-20 ans de la PJJ (secteur public)
sept ans après, enquête de l'Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale, 2005, P39
19
d'amour vient remplir le vide dont il souffre »33. Il me semble important, tout en restant à
notre place et dans nos missions de venir panser le vide afin d'aider l'Autre à évoluer.
Par le toucher relationnel, on peut montrer à l'autre qu'il n'est pas rien mais qu'il est
un adulte en devenir à qui l'on porte de l'intérêt et qui en aura à l'extérieur du foyer. Cela
augmente également son estime de lui et donc d'autrui.
C. Estime de soi et d'autrui
« L'estime de soi est la valeur que l'Autre se découvre à travers le regard de son
entourage ; elle est ce qui va lui permettre d'être existant après avoir été fait vivant »34.
Les jeunes pris en charge, en pleine adolescence siège de nombreux
bouleversements, ont souvent peu d'estime d'eux mêmes et donc des autres. Ils se
vantent souvent des délits commis comme si c'était la plus belle face d'eux, sans se
rendre compte qu'ils ont bien d'autres qualités. Un soir lors du dîner, un jeune agité,
racontait ses « exploits ». Mon collègue lui a alors dit « toi tu es le jeune le plus
imaginatif que je connaisse ». Il avait attiré l'attention de la table. Il a donc énoncé à
chaque jeune un trait fort et positif de sa personnalité. Ceux-ci ont alors demandé à
ce qu'il fasse de même pour moi. Nous avons tous deux refusé car nous parlions
d'eux avec eux. Ils étaient au centre de la conversation. Cette mise en valeur a
semblé les stupéfaire, comme si ils n'étaient pour eux-mêmes que du négatif. Ou
alors qu'on ne leur avait simplement que rarement souligné.
Après ce genre d'actes répétés, sous des formes diverses, l'éducateur peut espérer
pouvoir faire évoluer l'image d'un jeune sur lui. Lui dire qu'il n'est pas qu'un acte, est
important pour le faire grandir.
33
FUSTIER Paul, Les corridors du quotidien, Paris, Éditions Dunod, 2008, P6
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames),P45
34
20
La pyramide de Maslow35, travail du célèbre psychologue américain du même
nom, nous l'explique bien. Elle hiérarchise les besoins humains et définit des stades par
lesquels il faut obligatoirement passer pour atteindre le niveau supérieur.
On peut noter que les stades 2 et 3 (besoin de sécurité physique et psychologique, besoin
d'amour et d'appartenance) sont rattachés à la bienveillance possiblement acquise en
famille. C'est le passage obligé vers les stades 4 et 5 (Estime de soi, Réalisation de soi)
qui sont pour moi rattachés à ce qui fait grandir et évoluer et donc aux missions des
éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Le toucher relationnel permet cela. Il montre, physiquement, l'investissement de
l'adulte auprès du jeune et la possibilité pour lui d'être investi. Le geste bienveillant permet
à l'Autre de lui montrer que l'on croit en sa capacité à évoluer. « Pierre Kammerer qualifie
le délinquant à partir d'un Moi dévalorisé et d'un idéal du Moi grandiose. L'impression
d'être sans valeur, de ne pas être « aimable », c'est-à-dire l'impression d'être indigne
d'amour, qualifie le Moi dévalorisé. Dans cette perspective, le Don, qui permet l'échange,
travaille dans le sens de la restauration du self abîmé et de la reconstitution de l'estime de
soi »36.
35
http://www.partages-et-questionnements.fr/article-les-modules-comportementaux-biologiques-mis-enlumiere-par-l-ethologie-4-4-112577171.html
36
Idem 33, P80
21
Toucher l'autre c'est le ré-assurer dans ce qu'il est bien plus que l'injonction « Aie
confiance en toi ! ». Ceci va l'aider à construire cette estime de soi si nécessaire à
l'autonomie et à la prise de responsabilité. Et en s'estimant soi, il me semble que l'on a de
l'estime pour les autres voire de l'empathie. Ce qui peut permettre la non réitération de
délits.
Après avoir définit le toucher relationnel et perçu ses atouts nous allons voir qu'il
peut vite devenir un outil ambivalent voire dangereux si l'on ne le pratique pas de façon
normée.
22
DEUXIEME PARTIE : AMBIVALENCE
DE L’OUTIL
23
II.1 Toucher, être touché : comment garder une juste
distance ?
Toucher l'autre induit une proximité physique et inconsciemment morale. C'est à
dire que par le geste de l'éducateur, le jeune pourra fantasmer une proximité entre lui et
l'adulte. Afin de pouvoir garder une distance nécessaire à la réalisation d'un travail éducatif
il ne faut pas annihiler cette pratique. En comprendre l'impact, qui peut être négatif,
permet de trouver des astuces afin que chacun soit à sa place.
A. Toucher avec empathie
Le toucher est un de nos seuls sens à être réciproque. On ne peut toucher sans
être touché. Touché au sens émotionnel comme au sens physique. Il faut donc que ceci
soit conçu et voulu par celui qui le pratique afin qu'une certaine empathie du tact se mette
en place. Empathie qui va protéger celui qui prodigue le geste d'une trop grande intrusion
d'autrui en lui. Empathie qui va également protéger celui qui reçoit le geste.
L'empathie de « en » signifiant dedans et de « pathie » ce que l'on éprouve. C'est
« la faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent »37. C'est
une qualité souvent plébiscitée dans les prises en charge éducatives et plus largement
dans toute démarche qui suppose une attention à l'autre. En effet, elle permet de
comprendre l'autre, de se mettre à sa place tout en gardant un recul nécessaire sur la
situation. On peut dire que l'empathie est une qualité humaine.
L'empathie permet d'être suffisamment proche pour être solidaire et le faire
comprendre au jeune et suffisamment loin pour ne pas être psychologiquement blessé et
pour garder son objectivité. Elle est très difficile à pratiquer. En vérité, on ne peut jamais
être en symbiose totale avec une personne. On peut faire face à une même situation mais
ne pas partager les mêmes émotions, les mêmes sensations. « Pour concevoir l'intensité
de la douleur de l'autre il faut devenir l'autre. La coupure des corps, la séparation
nécessaire des identités rend impossible la pénétration de la conscience douloureuse de
l'autre rivé à son mal, comme à sa liberté et à sa personne »38.
Il faut donc prendre garde à ne pas considérer ses propres ressentis comme ceux
37
http://www.larousse.fr/dictionnaires/
Daniel le Breton, citation in COURJOU Évelyne, Comprendre et pratiquer le toucher relationnel, Paris,
Éditions DUNOD, 2007, P77
38
24
d'autrui. Car si l'on pratique le toucher relationnel en pensant seulement à soi et non pas à
la personne en face de nous, la pratique est vouée à l'échec. Il faut pouvoir adapter sa
gestuelle à la personne qui la reçoit tout en se gardant d'être trop intrusif. Respecter l'autre
est ici une obligation, il faut donc mesurer toutes les formes de contact que l'on met en
place.
Pour l’éducateur, il faut donc être au clair avec sa pratique et ce qu'elle peut
renvoyer. Ceci est d'autant plus important si un transfert s'instaure entre le jeune et le
professionnel.
B. Le Transfert
Lorsque se créée un lien éducatif entre l'Autre et Soi, l'éducateur s'engage. Il
s'engage jusqu'à prendre le risque du transfert. Le transfert c'est le « Processus selon
lequel le patient réactualise ses conflits infantiles en projetant sur le thérapeute l'image de
ses parents et les sentiments (désirs, expériences pénibles, découverte de la sexualité,
etc.) qu'il a éprouvés envers eux »39. Ce concept psychanalytique renvoie au fait que la
personne prise en charge va attribuer à la personne qui l'accompagne un rôle imaginaire.
En psychanalyse ce sera sur l'analyste, le soignant. Ici, ce sera l'éducateur qui portera ce
transfert d'affects. Par exemple il m'est arrivé qu'un jeune, avec qui je suis souvent
dans le toucher relationnel (Pansements, attention particulière à ses problèmes de
peau) souligne le fait que je ressemble à sa petite copine et que je pourrais donc
l'être. Ce fut le moment de recadrer les choses en expliquant que j'étais adulte et
que les relations adulte-enfant sont proscrites. Que j'étais éducatrice et présente
pour l'accompagner dans une relation éducative et non pas amoureuse.
Ce terme est couramment utilisé dans la pensée éducative notamment par Phillippe
Gaberan qui explique à quel point cela participe, sous certaines conditions, à la relation
d'accompagnement. « Et cela ne peut s’accomplir que si l’éducateur accepte le risque du
transfert d’affects, son mode relationnel étant avant tout basé sur les liens d’attachement.
La prise de distance ne se fait pas par l’évacuation des ressentis mais par leur
transformation. Ce qui compte le plus pour le professionnel n’est pas tant le savoir-faire
technique, mais la capacité de dégager l’autre de la dette en inscrivant la relation
éducative dans le don »40.
39
40
www.larousse.fr
4ème de couverture GANERAN Philippe,la relation éducative, Paris, Éditions Ères, 2007
25
Le transfert n'est donc pas nocif en soi, seulement et seulement si l'éducateur en a
pleine conscience et qu'il le partage en équipe. Mais aussi, s'il parvient dans la
construction de son travail à parvenir à ce que l'autre se détache de cette projection pour
pouvoir évoluer seul, ce qui est un de nos objectifs à la PJJ : le retour au droit commun.
Dans le cadre de la pratique du toucher relationnel, la verbalisation et la réflexion
sur la pratique sont primordiales comme nous le verrons dans la troisième partie de ce
chapitre. En effet, la considération de son geste et de ce qu'il renvoie, seul et en équipe,
permet de poser les bases d'un travail. Il permet d'interagir avec le jeune. Il restera à la
charge de l'éducateur de faire comprendre et de faire en sorte que sa pratique, pleine
d'affectif, ne dépasse pas le cadre prescrit par ses fonctions. La parole est alors un atout
indispensable pour fixer les barrières entre éducateur et jeune. Employer un ton parfois
ferme, pas trop doux, permet de ne pas prêter à confusion, chose que la proximité du tact
induit.
Ce possible transfert, visible dans la pratique du toucher relationnel, doit être
questionné avec soi et avec le jeune afin qu'il lui permette de s'inscrire en tant qu'un « je »
trop souvent oublié.
C. La place de l'éducateur
On l'a vu précédemment, les notions de distance et de transfert sont à ne pas nier
mais doivent être utilisées à bon escient dans sa pratique. Un autre élément reste pour
moi indispensable : la position de l'éducateur que j'assimile à celle d'un adulte référent.
Les missions de l'éducateur Protection Judiciaire de la Jeunesse sont décrites comme
telles :
 Pédagogue et à l’écoute de ses interlocuteurs, l’éducateur aide le jeune à
mettre en œuvre un projet de vie et de réinsertion sociale.
 Humain et ferme, il doit constituer un repère stable et permanent pour le jeune
en difficulté.
 Spécialiste de la relation éducative, il aide le jeune à se rescolariser et/ou à
déterminer des objectifs professionnels.
 Rédacteur, il rend compte par écrit du travail éducatif effectué grâce à des
notes et des synthèses destinées aux magistrats.
26
 Homme de terrain, il a un goût prononcé pour le travail en équipe et fait preuve
d’un bon sens de l’organisation.41
Il est donc bien spécifié dans ce descriptif de poste l'importance d'être un repère
stable pour des jeunes qui souvent en manquent. « L'essentiel de ce métier (éducateur)
est ailleurs que dans ce qu'il donne à voir de lui même : la répétition au quotidien d'actes
extrêmement banals, qui ne sont que le biais par lequel l'Autre accède au sens de ce qui
le fait être là au monde ». La répétition d'actes quotidiens va permettre cette stabilité.
Il en est de même dans le toucher relationnel, le faire avec empathie, en ayant en
tête le possible transfert que le jeune peut faire sur nous, comme un acte quotidien, va
l'inscrire comme un repère. Un repère qui vient dire au jeune qu'il peut être respecté, qu'il
peut communiquer, qu'il est quelqu'un. Ceci en gardant une posture, une éthique
professionnelle qui fera tiers entre soi, le geste et le jeune.
Garder en tête cela, va nous permettre, de mesurer notre geste en fonction de
l'instant, de la situation du jeune. D'être un adulte référent présent pour accompagner et
faire grandir. « Il n'est pas de petites décisions qui ne contribuent au grandir »42.
II.2. Le toucher, générateur de violence
L'utilisation du toucher relationnel se veut positive pour celui qui le donne comme
pour celui qui le reçoit. Je l'ai d'ailleurs pensé au début de l'écriture de ce mémoire
uniquement comme tel. C'est en exposant mon sujet en réunion de service et, notamment,
par la suite, avec la psychologue de l'unité que je me suis aperçue que mon avis était trop
orienté. Pour illustrer son propos, cette collègue m'a fait part d'un entretien qui s'est conclu
de manière très violente avec une patiente dès lors qu'on lui avait touché le bras. Pourtant
la volonté des professionnels était de montrer une empathie, de réconforter. Je me suis
donc remémoré toutes les situations vécues de pratique du toucher. Il m'est effectivement
apparu que si j'avais retenu principalement le positif, il y avait eu des situations où la
portée de mon geste n'avait pas été celle espérée. « Et l'éducateur spécialisé entre dans
41
hutte://www.metiers.justice.gouv.fr/presentation-des-metiers-10070/les-metiers-de-la-protection-de-lajeunesse-10073/educateurs
42
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames), P46
27
le métier par les premiers corps-à-corps qui révulsent ou au contraire impulsent, contacts
épuisants et à la fois énergisants, proximités lourdes de violence et d'aimance mêlées»43
A. La peau protectrice de l'être
Le toucher peut exister uniquement par l’intermédiaire de la peau, organe sensoriel
par excellence. Elle renferme sous ses trois couches (épiderme, derme, hypoderme)
différents capteurs plus ou moins réceptifs à différentes choses : pression, température,
douleur. Les sensations ressenties remontent directement au cerveau et permettent une
intervention en adéquation. Par exemple, lorsque l'on pose sa main sur un objet chaud, la
sensation est analysée et nous permet d'enlever notre main afin d'éviter la brûlure.
Certaines zones sont plus sensibles que d'autres, par exemple les doigts ont besoin de
moins de pression que le dos pour avoir du ressenti.
La peau recouvre l'ensemble du corps, elle protège nos organes vitaux contre les
agressions extérieures. Grâce à cela notre être est impénétrable à moins d'être
« perforé ». Elle est une interface entre notre intérieur et le monde extérieur, elle est aux
yeux des autres « un reflet de bonne ou mauvaise santé organique et un miroir de notre
âme »44. En sont témoins nos rides, cicatrices, tatouages, piercings ou autres maladies de
peau (acné, psoriasis, eczéma).
Voici un cas vécu qui démontre que nous sommes tous différents face à cette
enveloppe protectrice et au toucher en fonction de notre vécu tactile.
Le non toucher : La scène se joue un jeudi après-midi. Je suis dans le bureau des
éducateurs, au rez-de-chaussée de l'établissement, assise devant l'ordinateur, en
plein écrit adressé à un Juge des Enfants portant sur une demande de week-end en
famille pour un jeune. Trois jeunes garçons rentrent dans la pièce sans dire un mot.
L'un d'entre eux passe rapidement derrière moi, derrière le bureau et dérobe un
flacon de « biseptine » qui se trouvait sur le meuble. Il part dans le couloir avec, en
courant et riant, se vantant de son méfait. Je me lève, ferme le bureau et part à sa
suite afin de récupérer l'objet. Je trouve le jeune accolé au mur du couloir de la
cuisine. Je lui demande de me rendre le produit. Il refuse, rit et le passe de la main
gauche à la main droite derrière son dos. Je tente de saisir l'objet sans y parvenir.
43
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Éditions
Érès, 2010 (Collection Trames), P152
44
ANZIEUX Didier, Le Moi-Peau, Paris, Éditions Dunod, Série psychismes, 1995, P39
28
J’attrape alors sa main libre, le regarde dans les yeux, et lui demande de me
redonner le produit car mal utilisé il peut être dangereux. Là, le jeune Étienne se
raidit et crie « touche moi pas ». Son regard change, il se bloque, ne rit plus. Il laisse
tomber le médicament par terre et s'en va à l’extérieur du bâtiment.
Lorsque j'ai effectué ce geste j'ai voulu apaiser le jeune et capter son attention afin
de lui faire rendre l'objet. Je suis restée calme afin de ne pas l’énerver encore plus qu'il ne
l'était. Cependant je n'avais pas pris en compte différentes données qui auraient pu me
permettre d'intervenir autrement.
B. L'intérieur touché
Sur le papier mon attention était louable sauf qu'elle n'a pas du tout eu l'effet
escompté. Bien au contraire, elle a créée un effet inverse. Je me suis rendu compte que le
toucher ne fonctionnait pas avec tous les jeunes ni dans tous les moments. Après
discussion en équipe, j'ai peu à peu compris l'attitude d’Étienne. Je savais déjà que ses
parents et lui avaient fuit leur pays d'origine car ils étaient des opposants à la politique au
pouvoir. Ce jeune homme a donc du connaître la peur et la violence ce qui peut expliquer
son geste. De plus son père, absent la semaine pour raisons professionnelles, est décrit
par le jeune comme par les écrits le concernant, comme quelqu'un d'assez violent
physiquement envers ses enfants lors de ses retours en famille. Enfin, il se trouve que des
troubles psychiques ont été identifiés chez ce garçon par la M.D.P.H. Étienne dit avoir la
sensation d'être mort, il a de gros problèmes au niveau du coucher, moment qui l'angoisse
énormément car il fait beaucoup de cauchemars la nuit.
Un vécu de violence et des problèmes de dissociation entre réel et ressenti ont
probablement mené à cette réaction du jeune. La situation s'est répétée plusieurs fois, à
chaque fois qu'un éducateur le touchait il répétait cette phrase « touche moi pas ».
Comme si c'était une protection qui se mettait en place, une distance qu'il instaurait avec
l'adulte mais également avec les autres jeunes placés. Au fur et à mesure du temps, les
choses ont changé. Désormais ce jeune prend un traitement prescrit par un psychiatre ce
qui semble avoir largement apaisé ses angoisses et ses terreurs nocturnes. Il est placé au
foyer depuis maintenant neuf mois. La barrière du toucher est tombée, lorsque l'on pose la
main sur l'épaule de ce jeune pour le rassurer ou l'encourager, il ne demande plus à ce
29
qu'on l'enlève. Les médicaments ont beaucoup aidé à ce changement mais également la
mobilisation de son estime de soi par tous les éducateurs et le soin apporté au quotidien à
son bien-être notamment par l'écoute et le temps passé en duel. Ceci montre une réelle
avancée dans son parcours même si il n'a toujours pas verbalisé concrètement pourquoi il
ne supportait pas d'être touché.
Pourquoi une telle ambivalence dans une action qui semble pourtant si commune et
pensée dans un but de bien-être de l'autre ? La peau est une enveloppe protectrice de soi,
elle contient ce que l'on est, ce que l'on a, à l'intérieur de son corps et de son esprit. Elle
forme une barrière entre soi et le monde. Si l'on y touche on brise cette protection et
l'autre peut alors se sentir profondément agressé, intrusé contre son gré d'où une réaction
violente. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela :
 L'individu n'a jamais été habitué aux gestes envers lui et ceci vient lui faire violence
par la nouveauté
 Le corps a été le lieu de maltraitances et en gardant la mémoire de celles-ci se
forme un bouclier que l'on pénètre à ses risques et périls
 Les limites corporelles et psychiques sont peu fiables et donc peu utilisées. La
distinction entre l'intérieur et l'extérieur n'a pas été intégrée durant l'enfance et
impacte le quotidien. Tant du point de vue psychique que corporel, la personne est
impénétrable
 L'adolescence, lieu de changements physiques peut être mal vécue. Ainsi le jeune
habite un corps nouveau, pas encore apprivoisé. Le toucher peut donc entraîner
une réaction de rejet
Le toucher vient alors faire intrusion physique et psychique.
C. Réparer l'intrusion
Dans tous ces cas le corps doit être réapproprié voire approprié par son propriétaire
avant d'être utilisé comme outil de la relation éducative car « chaque toucher ravive le vif
de notre chair réveillant nos empreintes et les traces des autres en nous »45. Cela peut
être fait dans le cadre d'une thérapie mais aussi, et pourquoi pas en parallèle, par une
ANDRIEU Bernard, http://www.huffingtonpost.fr/bernard-andrieu/toucher-corps-humain_b_2631029.html,
Février 2013
45
30
action menée par l'éducateur. Par le biais tout d'abord du dialogue, dans le cadre d'un
questionnement après l'aperçu de la difficulté à être touché. L'éducateur reviendra ainsi
vers le jeune afin de lui expliquer la volonté de son geste et de questionner sa portée
auprès du jeune. Si cela ne fonctionne pas par l'oral, c'est le corps qui pourra être entendu
par le biais d'une médiation : un atelier théâtre, psycho-boxe ou socio-esthétique par
exemple. Nous le verrons dans une troisième partie.
C'est ainsi que le toucher relationnel peut mêler le « contre » (opposition) et le
« contre lui » (affection) « montrant l'ambivalence du lien tissé à travers la relation
éducative »46. Il peut être rejeté et parfois même avec violence. Si l'éducateur est prêt à le
donner il lui faut également savoir si le jeune est prêt à le recevoir, car toucher c'est
également toucher à l'intimité.
On peut donc considérer qu'avant d'utiliser le toucher relationnel il faut savoir quel
impact il aura sur le jeune. C'est pour cela qu'il faut penser sa pratique grâce à plusieurs
éléments.
II.3 Penser sa pratique
Il ne faut pas oublier que l'un des outils principaux de l'éducateur est l'écrit. Penser
la pratique du toucher relationnel passe tout d'abord par ce média. En lisant les écrits
relatifs à l'histoire familiale, les notes psychologiques que l'on peut trouver dans le dossier
du jeune ou par l’intermédiaire de son éducateur de milieu ouvert. Ceci peut interpeller sur
des faits ou une construction psychique amenant à une incapacité à cerner les limites de
son corps et donc à permettre à l'éducateur de l'investir par le toucher relationnel. Par
exemple, le jeune Elton, arrivé récemment sur le service est un « enfant de la
guerre ». Il a vécu pendant dix ans au Kosovo où il a assisté et participé à des
événements d'une violence traumatisante qui a des incidences sur sa vie actuelle et
son psychisme. En effet, ce jeune homme est dans l'attente d'une place en unité
psychiatrique pour adolescents car il présente des symptômes psychotiques. À
l'évocation du parcours de vie de ce jeune, j'ai décidé de tester petit à petit
l'utilisation du toucher dans sa prise en charge. Je ne souhaitais pas le brusquer ou
faire que mon geste lui fasse violence. Aujourd'hui il arrive que ce soit lui qui me
46
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames),P55, « le contre »
31
prenne dans ses bras afin de « s'excuser de son comportement ». Mais ce n'est pas
le seul outil à notre disposition.
A. La nécessaire observation
Certaines observations peuvent également sensibiliser à ce phénomène. Avant de
toucher, l'éducateur va devoir observer. À l'arrivée du jeune, une phase d'observation
d'une semaine sans sorties libre et retours en famille est prescrite dans le projet de
service. Elle a pour but que l'équipe éducative se fasse un premier avis sur le jeune en
fonction de son comportement au sein du foyer. Elle amorce les prémices d'un travail
éducatif puisqu'elle permet de fixer des objectifs de travail.
Observer c'est finalement toucher du regard, c'est un sens tactile, de contact, tout
comme le toucher, le goût et l'odorat. Par exemple, si un jeune est très renfermé sur luimême, qu'il garde constamment sa veste ou une casquette sur lui comme une protection,
qu'il ne regarde personne dans les yeux, rentrer en contact physique avec lui sera sans
doute compliqué. Notre observation va permettre un premier état des lieux d'une situation.
Chaque être est différent et il faut plus au moins de temps à l'éducateur pour
parvenir à toucher un jeune, à pratiquer un geste envers lui. Cependant, « Accepter le
corps-à-corps c'est, pour l'adulte éducateur, accepter de s'en prendre plein la gueule et
d'en ramasser plein les tripes. Accepter le corps-à-corps, c'est tourner le dos au refuge
paresseux d'une « juste distance »47. Mais même après cet « effort », le toucher
relationnel pourra être impossible à la fin d'une prise en charge. Parce qu'aucune
confiance n'aura été établie, que ce n'était pas le temps du jeune, qu'il était trop meurtri
par son existence pour pouvoir s'ouvrir à cette pratique. D'autres moyens devront donc
être utilisés une fois cette impossibilité constatée.
En plus de la lecture des écrits et de l'observation, des formations existent pour
appréhender le toucher relationnel.
B. La formation
En faisant des recherches documentaires, je me suis aperçue que des formations
47
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames), P150
32
sur le toucher relationnel existaient. Si elles sont souvent destinées au personnel médical,
il semble qu'elles peuvent présenter également un intérêt pour les éducateurs de la
Protection Judiciaire de la Jeunesse. En effet, certains objectifs peuvent être communs
aux deux professions : optimiser la relation aidante, cadre et limites du travail
d'accompagnement. À charge alors à la personne formée de faire un parallèle avec sa
pratique. Elle pourra ensuite en faire part à ses différents collègues afin de mettre en place
une « boite à outils » de l'éducateur sur sa structure.
Voici une présentation de la fiche de la formation mise en place par l'Institut
Régional de Formation Sanitaire et Social de la Croix Rouge Française dans le Limousin48.
48
http://irfss-limousin.croix-rouge.fr/Catalogue-des-formations/Toucher/(offset)/120
33
Durée de la formation : 2 jours
Coût : Tarif net par stagiaire : 170 € / jour
Tarif de groupe ou formation en intra : nous consulter
Objectifs
 Définir le toucher dans la relation de soin
 Analyser le sens de ce toucher
 Expérimenter certaines approches afin d’optimiser la relation aidante
 Réfléchir à l’approche de la personne âgée pour trouver la bonne distance
physique et psychologique
Public concerné
Tout professionnel en relation avec la personne âgée
Contenu de la formation
 Définition du toucher dans la relation d’aide
 Toucher technique et toucher relationnel
 Travail à partir de différents techniques d’accompagnement
 La fonction du toucher corporel, psychique, affectif
 La mémoire corporelle
 Cadre et limites du travail d’accompagnement
Méthodes pédagogiques
Pédagogie interactive fondée sur l’expérience, l’implication personnelle et le
partage
Intervenants
Psychomotricien
Validation
Attestation de présence
34
Un autre type de formation, intitulé « toucher relationnel, sanitaire et social,
pratiques relationnelles », est également proposé par l'IRFSS Aquitaine49.
Durée de la formation : 1 jour
Objectifs
 Repérer la distance de communication.
Identifier les ressentis quand on est touché et quand on touche.
 Déterminer le degré de confort ou d'inconfort du fait de pratiquer le
toucher-massage et le recevoir.
 Prendre conscience de l'influence de la confiance à l'Autre.
 Clarifier ce qui est associé à l'action du toucher.
Public concerné
Tout personnel des secteurs sanitaire, médico-social et social.
Contenu de la formation
 La peau : limite corporelle, vecteur de communication, interface entre le
dedans et le dehors
 La relation de confiance à travers le toucher
 Les émotions véhiculées par le toucher
 La distance relationnelle
Méthodes pédagogiques
 Apports théoriques
 Etudes de cas
 Expérimentation
Intervenants
Infirmier diplômé en masso-relaxinésie
Ces deux exemples nous montrent que le toucher relationnel peut être pensé et
49
http://irfss-aquitaine.croix-rouge.fr/Catalogue-des-formations/Le-toucher-relationel/(offset)/80
35
faire partie d'une formation. Un partenariat pourrait être mis en place entre ces IFRSS et la
PJJ afin de créer un module pertinent par rapport à nos missions. Celui-ci pourrait alors
faire partie du catalogue de formation à destination des professionnels.
C. L'analyse de pratique
L'analyse de la pratique est un outil prescrit dans le cahier des charges des Unités
Éducatives d’Hébergement Collectif. J'ai pu constater par ce travail que l'utilisation du
toucher relationnel avait des vertus dans le domaine éducatif et plus notamment dans le
travail avec des jeunes carencés, en manque d'estime d'eux même et d'autrui. Public
rencontré en nombre dans notre administration. Cependant elle peut également être
ressentie négativement et avoir un impact négatif sur la relation éducative.
Dans les deux cas la pratique doit être pensée. Tout d'abord parce qu'elle doit être
adaptée à un jeune et à un projet personnalisé. Ensuite, si l'on veut que le toucher
relationnel devienne un geste professionnel et non pas une pratique isolée discutable, il ne
doit pas rester une pratique secrète.
Pour cela, il faut confronter ces données à des notions théoriques pour les
comprendre. Analyser une situation avec son propre ressenti est riche, cependant il faut
l'étayer de données théoriques pour s'en distancer. Les auteurs, les ouvrages nous
apportent un premier regard pluridisciplinaire. En effet, notre seul avis de personne,
d'éducateur, ne fait pas tout. Il est indispensable de l'apposer au filtre d'autres savoirs.
Que l'on soit en accord ou non avec le résultat de nos recherches théoriques, nous en
retirerons forcément quelque chose de grandissant. Confronter ma réflexion à la théorie
m'aide à la faire évoluer.
Dans le même sens, il faut également traiter ses données en équipe afin de
débattre et d'échanger, afin d'ouvrir sa pratique et son regard aux autres. Cela permet
également d'adopter une position éducative cohérente. Tout comme la multiplicité des
apports théoriques cette multiplicité des regards s'avère constructive. Je me suis donc
rendu compte qu'il nous manque un espace de parole et d'analyse au sein de la structure.
Cet espace faciliterait le recul par rapport aux situations vécues avec l'avis d'un spécialiste
éclairant le point de vue de l'équipe. J'ai compris l'utilité de cette instance notamment avec
la venue lors de la formation du Dispositif Expert Régional Pour Adolescents en Difficultés
36
(DERPAD)50 qui met en pratique ce système. Le DERPAD officie gratuitement à Paris
dans un lieu tiers où chaque professionnel peut venir poser une situation afin d'être éclairé
par un binôme psychiatre/éducateur, sur sa pratique ou celle de son service. Le principe
étant que ce ne sont pas les jeunes qui doivent s'adapter à l'Institution mais bien
l'Institution qui doit s'adapter aux jeunes. Les intervenants peuvent également se déplacer,
dans la mesure du possible, en France.
Outre son utilité dans l'analyse d'un travail éducatif global, l'analyse de la pratique
est pour moi importante dans le domaine du toucher relationnel afin qu'il n'y ai pas
méprise sur le but de l'outil. « Il y a nécessité d'un groupe d'analyse dans le cas du
handicap, en institution classique une éducatrice me disait qu'un jeune adolescent lui avait
demandé, à la douche, de lui laver le dos : « je savais, disait l'éducatrice, que cet enfant
avait été abandonné, éprouvait un grave manque affectif, qu'il demandait un geste
maternel, mais dans notre institution cela ne pouvait se faire. Elle a eu raison de ne pas le
faire dans la mesure où aucune instance d'analyse évolutive n'existait là. Elle n'avait
aucune garantie. On aurait pu la taxer de chouchoutage et pourquoi pas de pédophilie.
Dans ce genre d'institutions, les éducateurs ne peuvent pas donner la mesure de leurs
compétences et sont traités comme de simples exécutants. On s'y prive du meilleur mais
le pire peut aussi s'y réaliser faute de régulation. Seule une structure appropriée peut
permettre des interventions plus proches du corps pour apaiser des âmes, éveiller des
esprits. 51»
En effet, expliciter sa pratique physique envers les jeunes avec son équipe peut
permettre qu'elle ne soit pas mal interprétée. Par exemple, récemment, un collègue qui
utilise le tactile dans la prise en charge, a fait part de l'attitude séductrice d'une
jeune fille envers lui. Il ne savait pas à qui s'adresser, où parler, où écrire afin de
faire trace de cela et de se protéger si une accusation contre lui était portée. Il a
donc profité d'une réunion de service afin d'en faire part à l'équipe. Si une analyse
des pratiques était mise en place, il aurait sans doute pu interroger ce phénomène
et adapter sa façon d'être et de faire avec cette jeune. Expliciter les choses en équipe
et au regard d'un spécialiste, permet de trouver des solutions aux situations problèmes et
d'adopter une éthique professionnelle.
50
Annexe 4
Écrit collectif, La place du corps dans la relation éducative et/ou thérapeutique, Les cahiers de l'actif n°348349, La grande-Motte, Mai-Juin 2005, P21
51
37
Nous avons pu voir dans cette partie l'ambivalence de l'outil toucher relationnel
dans une prise en charge éducative à la PJJ, mais aussi comment la penser et la réguler.
Je vais désormais montrer comment, en ayant ceci à l'esprit on peut faire du toucher
relationnel un outil pratique. Pour cela, je me baserai sur d'autres domaines d'intervention,
afin de mener une expérimentation.
38
TROISIEME PARTIE : PROJECTION
SUR LE TERRAIN
39
III.1. Ce qu'en pensent les professionnels de l'équipe
A. Présentation de l'Unité Éducative d’Hébergement Collectif
La majeure partie des structures d’hébergement collectif du territoire dépendent de
l’État (Ministère de la Justice et des Libertés) ou du secteur associatif habilité justice.
Certains établissements ont une habilitation conjointe qui leur permet de faire cohabiter les
différents publics.
Il existe dans l'Yonne une structure d'hébergement collectif dépendante de la
Protection Judiciaire de la Jeunesse depuis 1980. L'entité administrative Établissement
de Placement Éducatif Bourgogne Ouest est composée de deux unités éducatives,
situées sur deux départements, distantes de 115 kilomètres :
- L’Unité Éducative d’Hébergement Collectif d'Auxerre
- L’Unité Éducative d’Hébergement Diversifié-Renforcée de Nevers
Cet E.P.E participe à l'expérimentation d'un Dispositif de Placement Intégré dont le
concept est de s'inspirer en matière pénale des modalités de prise en charge introduites
dans le code civil par la loi du 5 Mars 2007 relative à la protection de l'enfance.
L'hypothèse pose que ce type d'organisation, regroupant divers lieux de placement
(collectif, familles d'accueil, appartements partagés, Foyer Jeunes Travailleurs) permet
d'adapter l'action éducative aux situations singulières des mineurs tout en réduisant les
risques de ruptures ou d'échecs.
Actuellement, dix jeunes dont deux jeunes filles, sont accueillis sur la structure où je
suis pré-affectée. Douze peuvent l'être au maximum. L'UEHC est installée dans une
maison bourgeoise près du centre ville, à proximité des transports urbains. La directrice de
l'établissement a ses bureaux à la Direction Territoriale. Le lieu dispose d'un rez-de
chaussée où est situé le pôle administratif : bureau de la Responsable d'Unité Éducative,
de la secrétaire, de la psychologue, des éducateurs ainsi que l'infirmerie, la cuisine et la
salle à manger-TV. Douze chambres, sont réparties sur deux étages ainsi que deux salles
de veille pour les éducateurs, une salle d'activités et trois points sanitaires. Une salle de
travail où l'équipe se réunit tous les mardis matin pour la réunion de service et tous les
mois pour la réunion de fonctionnement occupe le troisième étage.
40
L'équipe est composée d'une directrice, d'une RUE, d'une secrétaire, de quatorze
éducateurs, d'une psychologue à mi-temps, de deux ouvrières professionnelles de cuisine,
d'un ouvrier professionnel chargé de différents travaux. Sur les quatorze éducateurs, il y a
quatre contractuels présents depuis plusieurs années, 7 titulaires venant de la formation
initiale ou d'autres corps du domaine éducatif et trois éducatrices en formation, préaffectées. Un professeur technique est également présent sur la structure, il mène un
atelier de menuiserie et gère l'insertion des jeunes dans le cadre du Dispositif Accueil
Accompagnement mis en place par l'article 7 du décret n°2008-689 du 9 juillet 2008 relatif
à l'organisation du ministère de la Justice et la Circulaire du 3 Avril 2012 relative à l'action
d'éducation structurée par les activités de jour dans les établissements et services du
secteur public de la PJJ. Dans ce même cadre, des ateliers cuisine et artistiques sont mis
en place par les personnels de cuisine accompagnés des éducateurs. Des ateliers
« Judo » et « Musculation » existent également. L'établissement participe à des
manifestations nationales PJJ telles que « Le challenge Michelet », « Le parcours du
goût » ou « Des cinés la vie ».
B. Ressenti des professionnels par rapport à mon sujet
Il y a eu autant de ressentis par rapport à mon sujet que de collègues. Ceci m'a
permis de mieux élaborer mon questionnement. En effet, lorsque j'ai exposé mon sujet de
mémoire, sous forme de projet, à ma directrice elle a trouvé qu'il n'était pas vraiment
adapté au cadre d'un mémoire professionnel avec une expérimentation à mettre en place.
J'en ai donc discuté lors d'une réunion de service avec mes collègues. Il m'a été assez
difficile de leur exposer mon sujet car il ne faisait pas forcément sens pour eux. Certains
collègues m'ont fait part de leur peur que mon sujet soit non objectivable. Mon sujet était
alors en phase de conception, j'ai du prendre ses remarques en considération et
l'améliorer afin qu'il remplisse les conditions de la commande. J'ai donc du choisir mes
mots afin qu'ils expriment correctement ma pensée et soient compréhensibles.
Je me suis aperçue que mon sujet, s'il paraissait assez théorique, pouvait utiliser un
bon nombre de situations pratiques, vues ou vécues, pour l'illustrer. Ma ressource
première a donc été mon lieu de pré-affectation. Tout d'abord il a été source de données
pratiques recueillies par observation directe que j'ai menée tout au long de mon écrit.
Ensuite, afin de mieux cerner l'opportunité et l'importance de mon sujet sur le terrain, j'ai
choisi de créer et d'utiliser un questionnaire que j'ai soumis à mon équipe (Professeur
41
Technique, cuisinières, psychologue, éducateurs). Si au début j'avais fait le choix qu'il soit
à destination unique des éducateurs, j'ai changé d'avis grâce à une collègue qui a
souligné que mon thème interrogeait toute l'équipe éducative en contact quotidien avec
les jeunes pris en charge au sein de l'Unité Éducative d’Hébergement Collectif.
Une équipe nombreuse, pluridisciplinaire, induit des façons multiples de travailler.
Tout en respectant le cadre prescrit par la PJJ et ses missions, chaque professionnel aura
des manières différentes d'opérer sur le terrain. Cette variété des regards et des pratiques
fait la richesse d'une équipe. Elle évite une vision uniforme des prises en charge et des
actions menées. C'est donc cela que j'ai souhaité interroger
C. Analyse des questionnaires et bilan
Sur 18 questionnaires distribués52, 9 m'ont été retournés. J'analyse de multiples
raisons l'expliquant : manque de temps, oubli, congés ou formation sur le temps prescrit.
2 collègues masculins sur 5 ont répondu contre 7 collègues féminines sur 9. En
dehors des éducateurs, une des cuisinières a répondu au questionnaire. Ils sont âgés de
26 à 48 ans, la moyenne étant donc de 34,22 ans. Je fais partie d'une équipe
expérimentée dans le monde éducatif (PJJ ou autre) puisque la moyenne est de 8,05
années d'expériences pour les personnes interrogées. Ce que l'on peut retenir c'est que
mon panel représente 50% des personnes interrogées, il s'agit d'une majorité de femmes,
de personnes d'âges variés avec au minimum deux ans d’expérience dans le domaine
éducatif. Ceci laisse à penser qu'une réflexion sur la professionnalité et sur le vécu est
déjà bien amorcée.
En débutant cette enquête j'avais quelques à priori qu'il me fallait pouvoir vérifier
sur le terrain. On peut penser que les femmes utilisent plus le contact physique, ceci par le
côté maternant, maternel, qu'on leur attribue. Ceci se retrouve d'ailleurs dans l'intérêt
qu'elles ont accordé à ma démarche puisqu'elles ont été relativement plus nombreuses à
répondre aux questionnaires. L'homme est plus associé dans notre travail et dans la
société à l'idée de virilité, celui qui apporte le cadre donc peu dans le toucher relationnel.
Moins de la moitié des hommes sollicités s'est sentie concerné par le questionnaire que
52
Annexe 2
42
j'avais distribué. Un autre à-priori était que tous les professionnels utilisent le toucher dans
leur travail. Enfin il me semblait que dans certains cadres d'intervention, notamment les
entretiens éducatifs formels, l'éducateur n'utilisait pas le tactile. Nous verrons si cela se
vérifie en comparant les réponses hommes-femmes et en posant des questions ouvertes
comme directes afin de comprendre les pratiques.
1. Pensez-vous que le toucher soit utile à la relation éducative ?
Les deux hommes et cinq femmes ont répondu oui. Je classerai les réponses en trois
groupes.
Les personnes qui l'utilisent afin d'entrer en relation avec le jeune, dans
l'interaction, afin d'évaluer ses réactions
 « Il rassure et montre un certain investissement dans la relation, il n'est pas
obligatoire, juste humain »
 « Il sert à la construction d'une posture qui, elle, vient interagir avec l'autre (le jeune
à la PJJ) »
 « Il permet parfois, et sous différentes manières de « casser » la distance »
 « Il permet de savoir ce que le jeune accepte, ses limites et si elles évoluent »
Les personnes qui l'utilisent parfois, avec un certain objectif, de manière
spécifique :
 « dans la limite du raisonnable, quelquefois une petite attention, la main sur l'épaule
par exemple peut débloquer le dialogue. Notre relation avec tous les jeunes débute
avec un contact physique : poignée de main »
 « De temps en temps pour valoriser, apaiser (une main sur l'épaule) »
Les personnes qui pensent que cela dépend d'une volonté et d'une personnalité de
l'éducateur :
 « Utile n'est pas le mot que j'emploierai. Il peut faire partie du lien éducatif si
l'éducateur est quelqu'un de tactile ou maternant »
Les personnes qui pensent oui et non selon le parcours du jeune :
 « Cela dépend de la problématique du jeune et de la réaction qu'il peut avoir quand
on le touche »
43
 « Cela dépend du jeune et de son histoire de vie »
Si toutes les réponses tendent vers le oui et confirment qu'un contact peut sembler utile
pour mes collègues, elles nuancent cet intérêt en émettant certaines conditions à sa mise
en œuvre : volonté du « donneur », but inscrit, interaction avec le jeune, apaisement de
celui-ci...
2. Avez-vous déjà eu un contact physique, par le toucher relationnel, avec un
jeune pris en charge ? Si oui à quelle fréquence, qu'est-ce que cela apporte à
votre travail ? Si non, pourquoi ?
Toutes les questionnées répondent oui.
 « Rarement, pour apaiser le jeune et le contenir »
 « gestes « affectueux » pas nécessairement pensés et réfléchis »
 « Au judo, une fois par semaine. Je sers la main de chaque jeune en embauchant
(signe de reconnaissance et de respect). La main dans les cheveux peut être un
signe d'affection
 « Quotidiennement. Proximité acceptée par le jeune si le lien est bon. Permet de
jauger l'état du jeune en fonction de la réponse et de la réaction physique (jeune) »
 « En disant bonjour et au revoir, et de temps en temps une main sur l'épaule »
 « Pour un réconfort, lors de soins, pour « chahuter » »
 « Fréquence non déterminée, quand les circonstances le permettent, dans le cadre
des soins, cela peut ouvrir le dialogue sur le respect du corps »
Les temps du toucher sont, pour les femmes : quotidiens, de l'ordre de l'affection, du
réconfort ou du soin. Ils permettent également d'évaluer le comportement du jeune en
réaction. Il peut faire également partie du sport, du jeu. Il est souvent non pensé
 « Tout le temps quasiment avec les garçons et plus rarement avec les filles »
 « Il n'y a pas de mesure et de fréquence de ce contact car je suis naturellement
tactile mais envers les jeunes je prépare un contact particulier (professionnel) type
câlin, accolade, plus ou moins viril »
Pour les hommes, le contact est fréquent. Une différenciation est marquée en fonction du
sexe du jeune. Il semble que ce soit pour des raisons dues aux changements corporels,
44
physiques, psychiques, de l'adolescent et sans doute à la dimension sexuelle qui peut être
donnée au geste. Une différence est faite entre le tactile « civil », en dehors de l'UEHC et
le toucher relationnel professionnel.
3. Avez-vous déjà fait la bise à un jeune ? Si oui dans quelles conditions, si non,
pourquoi ?
Les femmes sont 5 à avoir répondu oui et
 « Lors d'un départ, anniversaire, visite après main levée du placement »
La bise est donc pratiquée mais dans des situations précises décidées par l'éducateur. En
effet l'une des participantes a spécifié « non demandée mais un jeune m'a déjà fait la bise,
spontanément et par surprise. Je ne l'ai pas repoussé mais après coup je lui ai demandé
que cela ne se renouvelle pas ».
Une seule a répondu non spécifiant qu'elle ne s'était jamais posée la question de
pourquoi. Ceci montre que la question du geste proche n'est pas forcément pensée mais
se pratique selon es appétences de chacun.
Un des hommes a répondu non. L'autre a répondu oui « pour remercier d'un cadeau.
Après une prise en charge, pour dire au revoir ».
La bise est donc utilisée à titre exceptionnel, comme pour marquer une étape dans la vie
du jeune ou de la relation éducative. La poignée de main est la façon unique de se saluer
entre adultes et jeunes.
4. Avez-vous déjà pris un jeune dans vos bras ? Si oui dans quelles conditions
si non pourquoi ?
6 femmes ont répondu oui. Soit pour rassurer ou calmer avant une échéance ou lorsqu'un
jeune était en pleurs, soit pour contenir lors d'une altercation. Une a répondu non car la
situation ne s'était pas présentée.
Les deux hommes ont répondu oui.
 « Pour un retour lointain ou pour féliciter »
45
 « Pour réconforter ou rigoler »
Prendre un jeune dans ses bras semble donc être une pratique souvent réalisée afin de
contenir par le corps à corps que ce soit dans le cadre de violence, de tristesse ou pour
montrer un soutien.
5. Avez-vous déjà eu un contact physique avec un jeune qui vous a fait
violence ? Si oui, dans quelles conditions ?
Quatre femmes ont répondu non et trois oui.
 « Passer de la crème dans le dos d'un jeune »
 « Quand il s'agit d'une agression dirigée contre moi ou autre »
 « Lors du vol des clefs d'une collègue »
Les hommes ont tous deux répondu oui.
 « Après un incident, afin de rétablir un lien et le réparer »
 « Toute altercation physique fait violence »
Ici, le geste qui fait violence c'est l'agression physique d'un jeune envers l'éducateur, le
retour auprès du jeune après celui-ci. C'est également un geste que l'on fait par obligation
mais que l'on n'a pas envie de pratiquer.
6. Utilisez-vous le toucher lors du lever ?
4 femmes ont répondu oui, 2 non, une n'était pas concernée. Les hommes ont répondu
oui
7. Utilisez-vous le toucher lors d'entretiens formels ?
Une femme n'était pas concernée, les autres ont répondu non sauf une :
− « Repositionnement si l'attitude du jeune le nécessite ou contact bienveillant si
entretien trop difficile »
Un homme a répondu non et un autre oui sans l'expliquer.
46
Les réponses à ce questionnaire nous montrent bien qu'il n'y a pas forcément de
différence de pratique de l'utilisation du toucher entre homme et femme même si la
question de la portée du geste est interrogée. Ceci est sûrement du à la mixité du public
de l'établissement. Une majorité des personnes interrogées utilise le toucher relationnel
envers les jeunes dans la relation éducative. Cependant certains gestes demeurent
exceptionnels (la bise) alors que d'autres semblent plus récurrents (prendre dans ses
bras). Ces gestes viennent de la part de l'éducateur vers le jeune, dans des circonstances
précises afin de ne pas casser une distance qui paraît faire partie du cadre d'intervention.
J'ai été étonnée de voir que lors d'entretiens formels certains collègues utilisaient le
toucher, je pensais justement que ce cadre solennel ne le permettait pas. Après coup il me
semble utile au recadrage ou aidant dans le cas d'évocation de sujets douloureux.
Si chaque professionnel a sa façon de travailler, on peut constater qu'une majorité
d'entre eux utilise le toucher. Cependant chacun le fait de façon différente, en fonction de
sa volonté. Car avant tout, pour utiliser le toucher et en faire un outil éducatif il faut le
pouvoir et le vouloir. Il faut également être sûr de soi, de ce que l'on fait et d'en maîtriser
les conséquences. Pour cela il faut, auparavant, avancer à tâtons avec le jeune et adapter
sa pratique.
Afin d'avoir un autre regard sur l'utilisation du toucher dans le travail éducatif, je vais
présenter ce qui se pratique dans d'autres domaines professionnels.
III.2 Ce qui se pratique dans d'autres domaines
A. Du coté médical : toucher massage, ostéopathie
Lors de manifestations nationales, comme Rencontres Scène Jeunesse, à laquelle
j'ai participé lors de ma première année de formation, des ateliers « détente-massage »
sont proposés par des masseurs diplômées. Durant la pause déjeuner, ils amènent leur
matériel sur place et dédient leur temps et leurs compétences aux jeunes présents. Ce
type d'atelier fonctionne très bien, généralement les créneaux sont vite remplis. Les
jeunes en ressortent détendus et calmes, leurs tensions semblent atténuées. Ils ont profité
d'un moment, rien qu'à eux, où ils ont été « bichonnés ». Il n'y a que lors de ce moment
47
que j'ai pu observer cette pratique à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Pourtant elle
est assez développée ailleurs, notamment dans le domaine médico-social.
Dans le cadre du soin médical, l'utilisation du toucher est permanente, avec tous les
publics, que ce soit lors de la toilette ou des soins médicaux. Elle est d'autant plus
importante avec les personnes âgées ou alitées. C'est pourquoi elle est pensée afin d'être
un apport supplémentaire au médical. En voici deux exemples.
Le toucher massage, « offre aux soignants la possibilité d'améliorer la qualité de
leurs soins et de leur relation avec les soignés »53. Il s'inscrit dans le même but que le
toucher relationnel. Ce terme met en exergue une façon de faire assez intuitive mais mêle
également un coté gestuel plus élaboré lié à une formation. Le massage apporte bien-être,
confort, détente, améliore la confiance, la communication, aide à supporter la souffrance
et la solitude. C'est un outil du soin qui humanise les rapports à l'autre et prend en compte
le physique comme le psychique.
L’ostéopathie, est une thérapie non conventionnée assez récente. Elle a été crée
en 1874 par Andrew Taylor Still, un médecin américain. Il s'agit de manipuler le système
musculo-squelettique afin d'apaiser des douleurs. Aujourd'hui des diplômes inter
universitaires de médecine manuelle et d’ostéopathie ont été crées au sein des facultés de
médecine afin de professionnaliser la pratique. L’ostéopathie se situe entre le médical et la
médecine traditionnelle. Elle permet de rétablir un équilibre dans la structure du corps. Elle
peut être un formidable outil pour les adolescents. En effet dans cette période de
changements, de croissance, de stress, l’ostéopathe pourra aider à réduire les douleurs
du corps et à relaxer.
B. Du côté du sport : Les sports de contact et d'opposition
Les sports de contact sont regroupés dans une fédération dédiée, la Fédération
Française de Sports de Contact et Disciplines Associées. Elle regroupe : Kick-boxing,
boxe thaï, full contact-boxe américaine, lutte contact etc... . Mais les contacts physiques
sont présents dans bien d'autres sports tels que : le rugby, les arts martiaux, tous les
sports d'opposition où le contact du corps des uns et des autres est en jeu. Si les objectifs
principaux sont de libérer son trop plein d’énergie, d'acquérir une bonne santé physique et
53
SAVATOFSKI Joel, Pratiquer...Le toucher massage, Editions LAMARRE, Paris, 1999
48
morale, ses sports présentent d'autres intérêts pédagogique et éducatifs. La situation
d'opposition permet de rechercher des solutions à une situation, de l'analyser, d'apprendre
des règles, de respecter l'autre, d'adopter un esprit sportif « fair-play ». Ces sports
permettent également de maîtriser son corps et sa force. Ils peuvent être un outil pertinent
pour des jeunes en manque de règles, qui ont des difficultés à maîtriser leurs mots et leurs
gestes voire leur violence. Ces compétences acquises par le sport sont transférables dans
la vie quotidienne. Celles-ci permettent, entre autres, d'aider à vivre en société et avec
autrui ce qui peut être un outil à l'une de nos missions : le retour dans les dispositifs de
droit commun.
C. Du côté du soin : La socio-esthétique
La socio-esthétique est une discipline assez récente. Pensée en relation avec
l'équipe où elle est pratiquée elle apporte un complément aux soins médicaux
traditionnels. Il ne s'agit pas d'un soin de beauté en tant que tel mais bien d'un outil
thérapeutique. Il s'agit de prodiguer détente, relaxation, confort et réconfort. La socioestheticienne permet également de maintenir un lien symbolique avec l’extérieur. Elle
apporte toucher et écoute afin de faciliter la communication avec le patient. Certaines
maladies ont des conséquences sur le physique, ce type de soin peut permettre d'en
amoindrir les effets parfois difficiles pour la personne comme pour son entourage. Cela
permet également de travailler l'estime de soi et le bien être intérieur comme extérieur. Le
rôle de la socio esthéticienne est de54 :
Sur le plan physique :
 Amélioration de l’aspect de la peau par des techniques esthétiques et des
produits adaptés
 Restauration de l’apparence et maintien de la netteté au moyen d’une épilation,
d’une beauté des mains
 Estompe de certaines imperfections grâce au «maquillage correcteur»
 Amélioration de la sensation de bien-être grâce à un toucher agréable et
reposant et à l’effet rafraîchissant des produits de beauté ainsi qu’à leur odeur
54
Alloncle Janick « Une nouvelle approche en soins palliatifs: la socio-esthétique », Revue internationale de
soins palliatifs 2/2002 (Vol. 17), p. 59-60. URL : www.cairn.info/revue-infokara-2002-2-page-59.htm.
49
Sur le plan psychologique :
 Mise en place de différents vecteurs de communication par une approche
différente et une écoute non-médicalisée
 Aide au maintien de la conservation d’une énergie positive et de la personnalité
en revalorisant l’image corporelle et l’estime de soi
 Influence positivement les relations sociales et familiales
La socio-estheticienne peut proposer des soins du visage, maquillage, massage du corps,
manucure, beauté des mains et des pieds, conseils en perruque et en cosmétiques.
Ce travail peut être fort intéressant avec le public de notre institution, garçons
comme filles. La valorisation de l'image et du corps, l'estime de soi peuvent amener une
meilleure appréhension de son être et donc un mieux être au monde. Ceci peut également
favoriser la communication et la sociabilisation.
Il ne faut pas hésiter à aller chercher ce qui se passe dans d'autres domaines que
l'éducatif afin d'approfondir nos pratiques. Ces données m'ont, par exemple permis
d'imaginer des projets à mettre en place sur l'UEHC
III.3 Mise en projet
Le projet d'activité permet de mettre par écrit ses idées, de les organiser de les
développer. Il permet de budgétiser, de définir des objectifs éducatifs et pédagogiques. En
effet, afin de permettre de ne pas être juste dans la consommation mais dans la médiation
qui va faire tiers et permettre au jeune d'élaborer sa pensée, l'éducateur va devoir définir
ses objectifs de travail.
Dans le cadre de cet écrit j'ai choisi de présenter trois idées de projets d'activité en
lien avec mon sujet de mémoire. L'une d'entre elles a pu être expérimentée sur l'UEHC,
quant aux deux autres elles pourront l'être dans le futur. Le « faire avec », c'est à dire être
à côté de l'autre dans son apprentissage, guidés par un même but, y aura toute sa place.
Ceci est nécessaire pour vérifier l'impact du toucher relationnel dans la relation éducative.
L'éducateur ne sera pas spectateur, il fera avec le jeune. Pour cela je m'inspirerai de mes
appétences, de ce que j'ai pu observer sur le terrain ou dans d'autres domaines.
A. Atelier théâtre - jeux d'expression
50
Constat : Des ateliers sportifs et manuels sont proposés sur la structure mais pas d'atelier
culturels où le corps entre en jeu, est mis en scène
Objectifs :
Pour l'éducateur :
− Intervenir dans un autre contexte que l'UEHC, « jouer » avec les jeunes
− Évaluer le fait de toucher et d'être touché par les jeunes dans un cadre imaginaire
mais normé par des règles théâtrales
− Test du lien dans sa relation éducative et des limites que les jeunes vont euxmêmes se poser dans l'improvisation
Pour les jeunes :
− Travail sur l'expression verbale et non verbale du corps
− Travail sur l'imaginaire, capacité à se projeter
− Espace d'amusement et de détente
Cet atelier théâtre n'aurait pas pour but premier de monter une pièce mais plutôt de laisser
cours à l'expression du corps, des mots, de l'imagination et des règles normatives
sociales.
Moyens : Prêt d'une salle possible par le foyer de l'enfance d'Auxerre, ce qui permettrait
d'adopter un budget nul mais aussi de mêler des publics différents. Ceci apporte à la
rencontre de l'autre et à son acceptation, à la communication.
Plusieurs éducateurs ont pratiqué une activité théâtrale ou l'ont menée, ils se sentent donc
capables de mener à bien ce projet en le préparant auparavant.
Méthode : Il faudra préparer en amont les exercices à raison d'une séance par semaine,
celle-ci ne sera pas obligatoire. Deux éducateurs devront être présents à chaque fois dont
un qui sera l'animateur de la séance et l'autre le participant.
Évaluation : A court terme, nous pourrons observer si les jeunes sont plus à l'aise avec
leur corps, moins embarrassés. A long terme nous pourrons observer si cet atelier a
changé quelque chose dans la relation éducative avec l'éducateur participant. A mon sens,
51
l'expérience d'un vécu commun, de proximité, avec le jeune, apportera sans doute
quelque chose.
Ayant monté ce type d'atelier dans le cadre de ma formation, pour les Rencontres Scène
Jeunesse 2012, je me sens capable de l'animer et d'y participer. Deux collègues seraient,
de plus, susceptibles de faire vivre cet atelier avec moi.
B. Atelier psycho-boxe
« Il ne s’agit pas de pratiquer un sport, mais de faire un détour par le corps en mouvement
pour mieux en venir à la parole, en laissant émerger les affects. Pas question
d’échauffements, ni d’enseignements techniques du corps, ni de confrontations visant à
établir une victoire ou une défaite en se mesurant à son adversaire. Il s’agit plutôt
d’interroger le corps confronté à l’autre dans des mouvements d’opposition, sur ce qu’il fait
apparaître d’une organisation défensive mobilisée par la conservation, elle-même enrichie
par des associations qui renvoient à des souvenirs ravivés par le corps en mouvement »55
Voici comment, Richard Hellebrunn, inventeur de la psychoboxe, définit le principe de son
projet. Il ne s'agit donc pas d'un sport mais d'une pratique normée et pensée basée sur la
boxe mais visant à la verbalisation de sa propre violence.
Constat : Souvent la violence, présente en chacun de nous, s'exprime par le corps et pas
par les mots.
Objectifs :
− Verbaliser ses gestes, ses affects, sa violence
− Mieux se connaître pour mieux agir
− Appréhender la violence de l'autre
− Contrôler sa force
− Appliquer des règles précises
− Appréhender et vaincre ses peurs
55
HELLEBRUNN Richard, A poings nommés, la violence à bras le corps, Editions ERES ARCANES,
collection Hypothèses, Paris, 2003.
52
− Apprentissage des limites corporelles et psychiques
Moyens : Pour une séance il faut deux personnes formées : un psychanalyste et un
psychoboxeur. Il faut également une salle de sports adaptée et du matériel notamment
des gants de boxes afin de pouvoir toucher sans faire mal.
Méthode : Avant le combat, exploration de l'espace, énonciation des règles : on peut
arrêter et reprendre à tout moment, les frappes sont atténuées, pas de coups sous la
ceinture ni dans la nuque, la puissance des coups est testée. Le psychanalyste observe
pendant que le combat se joue entre le psychoboxeur et le jeune. Le temps est normé.
Évaluation :« Le but n’est pas d’obtenir des résultats thérapeutiques rapides, même si
nous constatons souvent une amélioration rapide des capacités de verbalisation et une
aptitude croissante à relier, dans la parole, des souvenirs, des actes, des affects, des
mouvements du corps dans l’espace, et ceci autant chez des sujets qui s’étaient montrés
jusque là totalement réfractaires à toute démarche renvoyant à la cure type que chez ceux
qui nous consultent pour tenter d’élaborer un matériel enkysté, après avoir effectué une
bonne vingtaine d’années de psychanalyse totalement pure. Notre but est de permettre à
un sujet d’effectuer des liens de parole entre son corps en mouvement, ses actes, ses
affects, afin de pouvoir, le cas échéant, les élaborer secondairement dans une perspective
psychanalytique à laquelle notre approche ne saurait se substituer. La psychoboxe agit
comme une proto-analyse psychocorporelle »56
J'ai pratiqué la boxe française à l'université mais jamais la psycho-boxe. Je n'ai pas
pu l'observer directement mais je pense que cela peut-être un outil performant notamment
dans l'analyse de situations de violences qui interpellent profondément l'éducateur (cf.
analyse de mon questionnaire). Pour cela il faut des personnes formées et donc un budget
(la formation coûte environ 1140 euros par personne) et/ ou des intervenants compétents.
Ce projet peut donc être pensé mais le budget doit être évalué par la hiérarchie.
C. Atelier socio-esthétique
56
Idem , P153
53
L'atelier socio-esthétique est assez simple à mettre en place même sans
professionnelle qualifiée. Même s'il ne faut pas nier qu'une formation technique est
toujours un apport supplémentaire au projet. Je vais détailler ici un atelier déjà pratiqué
par deux fois au sein de l'UEHC par le média « beauté des mains ».
Constat : L'hygiène est un problème récurrent en hébergement : jeunes qui ne se
douchent pas, ne se coupent pas les ongles, ne changent pas leurs draps etc...J'ai
plusieurs fois observé que certaines jeunes filles ne se démaquillaient pas avant de se
coucher ou gardaient un vernis écaillé sur les mains pendant plusieurs semaines.
Objectifs :
− Apporter des notions d'hygiène élémentaire
− Mettre en valeur le corps et l'intérêt d'en prendre soin
− Revalorisation de l'estime de soi
− Moment duel, de détente permettant l'échange et le bien-être
− Apport d'une attention particulière
Moyens : Un éducateur sachant faire une beauté des mains (pour ce module), du matériel
(dissolvant, lime, bâton de buis, vernis, crème pour les mains, cotons)
Méthode : Avoir un temps dédié, pour ma part je l'ai fais une première fois en le proposant
lors d'un service et une deuxième fois à la demande des jeunes. Cet atelier n'est pas
obligatoire
Évaluation : Sur le long terme, voir si les jeunes qui ont participé prennent plus soin d'eux,
s'ils sont dans la demande de nouveaux ateliers, si ce moment duel apporte à la relation
éducative.
C'est avec étonnement que j'ai pu constater que même les garçons étaient intéressés par
l'activité. Je pense que l'on peut donc la penser de façon mixte. Ce temps permet
l'échange sur un moment qui peut paraître futile mais qui est utile à l'estime de soi. C'est
l'occasion pour les jeunes de poser des questions sur le soin, la beauté, la séduction voire
54
la sexualité. Ces moments duels apportent à l'éducateur et aux jeunes car c'est
l'éducateur qui prend du temps pour prendre soin d'eux physiquement et le jeune se
recentre sur lui-même. Ils permettent de le valoriser. Cet atelier peut-être pensé sous
différentes formes (massage, coiffure, maquillage etc.. ) et être réitéré. Il se définira alors
comme un temps phare de la prise en charge. Un partenariat pourrait également être mis
en place avec la Maison de la Jeunesse d'Auxerre qui propose des ateliers « les rendezvous de la santé », certains ayant pour thème l'estime de soi.
Ces trois projets d'atelier utilisent différents domaines : culturel, sport, soin
esthétique dans un même but : favoriser des moments d'échange éducateurs et jeunes.
Ces moments, duels ou non, où le toucher relationnel est prégnant, vont permettre une
communication autre et donc un autre mode de verbalisation. Pour des jeunes parfois en
proie au mal-être et à une problématique d'expression des émotions, ils peuvent s'avérer
des outils pratiques efficaces.
55
CONCLUSION
J'ai voulu montrer dans cet écrit ce qu'était le toucher relationnel, comment il était
transférable à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, ses atout et ses revers, sa mise en
pratique sur le terrain. Mon but étant de montrer comment l'on pouvait faire d'une théorie
un outil pratique, ce qui manque souvent dans notre « boîte à outils » d'éducateur.
Nous avons également pu voir la façon dont s'en saisissent les professionnels de
l'UEHC et à quel point le fait de penser sa pratique en équipe est primordial dans la prise
en charge des mineurs accueillis au sein de notre administration.
J'ai bien conscience que l'éducateur n'est pas un « super héros » et que le toucher
relationnel ne lui sera pas toujours d'un grand secours. « Les travailleurs sociaux,
confrontés plus que jamais à une gestion prépondérante des nouveaux risques sociaux,
connaissent bien cette part irréductible et pourtant laissée pour compte de leur travail : la
solitude affective des sujets qu'ils accueillent, ce sentiment profond d'abandon comme
une blessure qu'aucun entour ne cicatrise durablement. Il y a des demandes d'amour que
certes rien ni personne ne pourra combler »57.
Il faut alors tenter de nouvelles approches (partenariat, soin) afin de ne pas se
retrouver démuni face à ce genre de situation. Ceci est possible grâce à un travail inter-et
pluridisciplinaire. La multiplicité des regards est un phare dans la grande recherche de sa
pratique.
Être éducateur, c'est pour moi être capable de tenir un cadre, d'affection envers les
jeunes mais aussi être doté d'imagination afin de s'adapter aux situations qui se
présentent à nous. Ceci dans un but final réunissant plusieurs objectifs : faire grandir
l'Autre. Afin qu'il s'affirme en tant qu'individu propre, qu'il s'estime, qu'il devienne un
citoyen acteur de la société dans laquelle il vit, qu'il comprenne les actes commis et
pourquoi il ne doit pas les réitérer. Cette mission est difficile mais au combien
passionnante. Si elle n'est pas forcément efficiente au quotidien, l'idée de pouvoir planter
des graines dans le parcours de ces jeunes qui germeront rapidement ou non l'est. Cette
57
GOGUEL D'ALLONDANS Thierry, Anthropo-logiques d'un travailleur social, passeurs, passages, passants,
Paris, Éditions Téraèdre, 2003, P100
56
pensée est ce qui fait, je pense, guide dans ma pratique. Ceci va également de paire avec
l'interrogation continuelle sur sa pratique et la confrontation à la théorie. Elles prennent
alors tout leur sens et ce tout au long de sa carrière.
Pour finir je vais revenir sur la jeune Alexia mentionnée dans ma première partie.
De façon concomitante à l'écriture de ce mémoire la jeune a atteint la majorité et a donc
quitté le foyer. Nous l'avons, mon co-référent et moi, raccompagnée dans sa ville d'origine
située à 4 heures de route de l'UEHC afin d'assurer une continuité éducative. Ceci fut
l'occasion d'un point global sur les souvenirs de son placement, ce qui avait été positif ou
pas, son avenir. Arrivée chez elle nous avons discuté avec sa famille des enjeux de son
retour au domicile familial, appuyés par une ordonnance modificatrice des obligations de
son contrôle judiciaire58. Au moment de notre départ je lui ai fait la bise en lui disant que si
elle avait besoin elle savait où nous joindre. Ce geste est venu inscrire la fin de mon
parcours à ses cotés.
Loin de la bise faite « hors cadre » à la jeune Amina, celle-ci est venue marquer la fin du
cadre du placement, l'encouragement à la continuité du parcours positif entamé avec
l'équipe et l'affection d'éducatrice que j'ai pour cette jeune comme pour les autres que j'ai
rencontrés et que je rencontrerai encore dans mon parcours professionnel.
58
Mesure pénale pré-sentencielle prononcée dans le cadre de l'instruction qui astreint à se soumettre à une
ou plusieurs obligations retenues par le Juge parmi celles limitativement énumérées par le Loi.
57
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages lus :
COURJOU Évelyne, Comprendre et pratiquer le toucher relationnel, Paris, Éditions
DUNOD, 2007
DORME Christine, Question de distance dans la relation éducative, Paris, Éditions
l'Harmattan, 2005
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien,
Toulouse, Édition Érès, 2010 (Collection Trames)
Ouvrages consultés :
ANZIEUX Didier, Le Moi-Peau, Paris, Éditions Dunod, Série psychismes, 1995
FUSTIER Paul, Les corridors du quotidien, Paris, Éditions Dunod, 2008
FUSTIER Paul, le lien d'accompagnement, entre don et contrat salarial, Paris, Éditions
Dunod, 2000
GABERAN Philippe, Être éducateur c'est... La place de l'adulte dans le monde
postmoderne, Toulouse, Éditions Érès, 2010 (Collection Trames)
GABERAN Philippe, La relation éducative, Paris, Éditions Érès, 2007
GOGUEL D'ALLONDANS Thierry, Anthropo-logiques d'un travailleur social, passeurs,
passages, passants, Paris, Éditions Téraèdre, 2003
HELLEBRUNN Richard, A poings nommés, la violence à bras le corps, Paris, Éditions
Érès, collection Hypothèses, 2003
MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, Ramonville Saint-Agne, Édition Érès, 2005
MARZANO Michela, Penser le corps, Paris, Édition PUF, 2008 ( 3ème tirage)
MONTAGU Ashley, La peau et le toucher, un premier langage, Traduction Paris, Éditions
du seuil, 1977
SAVATOFSKI Joël, Pratiquer...Le toucher massage, Éditions LAMARRE, Paris, 1999
Revues :
Écrit collectif, La place du corps dans la relation éducative et/ou thérapeutique, Les
cahiers de l'actif n°348-349, La grande-Motte, Mai-Juin 2005
Enquêtes :
CHOQUET Marie, HASSLER Christine, MORIN Delphine, Santé des 14-20 ans de la PJJ
(secteur public) sept ans après, enquête de l'Institut National de la Santé Et de la
Recherche Médicale, 2005
Sites internet :
Dictionnaire LAROUSSE : www.larousse.fr/dictionnaire
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/
Index international et dictionnaire de la réadaptation et de l'intégration sociale :
http://www.med.univ-rennes1.fr/iidris/
IRFSS Limousin : http://irfss-limousin.croix-rouge.fr/Catalogue-desformations/Toucher/(offset)/120
IRFSS Aquitaine : http://irfss-aquitaine.croix-rouge.fr/Catalogue-des-formations/Letoucher-relationel/(offset)/80
Articles internet :
ALLONCLE Janick « Une nouvelle approche en soins palliatifs: la socio-esthétique »,
Revue internationale de soins palliatifs 2/2002 (Vol. 17), p 59-60, URL
: www.cairn.info/revue-infokara-2002-2-page-59.htm.
ANDRIEU Bernard,
http://www.huffingtonpost.fr/bernard-andrieu/toucher-corps-humain_b_2631029.html,
Février 2013
ROGELET Agnès ,
http://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Relationnel/Articles-et-Dossiers/Je-nesupporte-pas-que-l-on-me-touche/4, Mai 2006
Dr SOLANO Catherine,
http://www.e-sante.be/contact-physique-nous-influence/actualite/789, Décembre 2007
Illustrations
Travail de peinture, collection « Ados » de Sylvain Dubrunfaut
http://www.dubrunfaut.info/
ANNEXES
Annexe 1 : Encart méthodologique
De la question de départ à la problématique
Les travailleurs sociaux, et plus particulièrement les éducateurs revendiquent
souvent une de leur spécificité : travailler avec de l'humain. « La valeur de son bilan
( l'institution) ne se décompte pas en unité marchande ; à défaut de produire des Objets,
et peut-être surtout à défaut de fabriquer des hommes (Philippe Meirieu, Frankenstein
pédagogue), l'éducateur est un faiseur d'humanité. Il est le tiers accueilli par l'Autre, et non
imposé à lui, afin d'être une aide dans l'accès à la conscience de soi. Parce qu'il est celui
qui permet à l'Autre de reprendre pied dans la vie et de renouer avec le sens de son
existence, l'éducateur conduit l'Autre à passer du vivre à l'exister »59. Et travailler avec de
l'humain semble signifier que cela impose de travailler avec le corps. Philippe Gaberan
nous l'assure encore dans un autre de ses écrits :« Être adulte éducateur c'est s'en
prendre à la matière de l'enfant de sorte que le corps ne soit pas un obstacle mais un
tremplin vers l'humain »60. Il ne faut donc pas séparer notre travail entre utilisation du
corps et de l'esprit « psyché » mais lier les deux pour tendre à un projet constructif de
l'adulte en devenir.
J'ai donc choisi d'aborder la question de l'investissement du corps de l'éducateur
dans son travail car c'était un sujet peu abordé et qui me semblait intéressant.
Ce thème a été trouvé, par certains collègues de mon équipe, trop subjectif pour
être travaillé. Pour eux, il était difficile de cerner comment quantifier et analyser la chose.
J'ai tout de même décidé de persister vers ce sujet en faisant en sorte de le centrer et de
le définir de plus en plus. En effet la notion de corps étant beaucoup trop vaste j'ai décidé
de parler de contact physique. Ce terme exprimait pour moi le côté relationnel et
communicant et c'est ce dont je souhaitais parler dans mon mémoire. Pourtant ce n'est
pas du tout ce que cela a suscité lorsque j'en ai parlé à mes collègues. Ils m'ont tout de
suite interrogé sur la dimension violente du mot alors qu'a priori rien ne l'induisait. C'est
comme si un automatisme s'était crée. Il m'a semblé que, pour eux, la logique de notre
métier était de réfléchir sur un geste agressif et non pas sur un geste bienveillant. Quant
aux personnes extérieures à la PJJ, ce mot leur renvoyait souvent à la sexualité. Afin
59
GABERAN Philippe, Cent mots pour être éducateur, Dictionnaire pratique du quotidien, Toulouse, Édition
Érès, 2010 (Collection Trames) « l'Humain » P88
60
GABERAN Philippe, Être éducateur c'est... La place de l'adulte dans le monde postmoderne, Toulouse,
Éditions Érès, 2010 (Collection Trames) P153
d'être explicite et qu'il n'y ai pas de méprise sur mon sujet, j'ai décidé de changer le titre de
mon écrit pour un terme plus adéquat : le toucher relationnel. Celui-ci faisait référence à
une pratique pensée dans le domaine médico-social61. Il m'a alors semblé plus pertinent
d'utiliser ce terme et de voir son possible transfert à notre métier. Il induisait quelquechose
de neutre et en même temps une action. C'est pour cela que j'ai choisi de l'utiliser dans
ma problématique : Comment l'utilisation du toucher relationnel, transféré au métier
d'éducateur PJJ, contribue-t-il à la relation éducative ?
De l'exploration aux hypothèses
En arrivant sur le lieu de ma pré-affectation j'étais perdue quant à la façon dont je
devais me positionner. Je me suis posée beaucoup de questions cherchant même un
mode d'emploi. Il m'est vite apparu que chaque éducateur fonctionnait différemment et
que, comme me l'ont dit deux collègues (éducateur et cuisinière), « chacun faisait avec ce
qu'il était ». J'ai vu que chaque professionnel avait des points forts et des points faibles
dans sa pratique : certains meilleurs à l'écrit, d'autres ayant un lien exceptionnel avec les
jeunes par exemple. J'ai cherché à me l'expliquer en échangeant lors de temps informels
avec eux. J'ai compris qu'une personnalité, des valeurs, un physique, issus d'une
personne, formaient une posture éducative. Ceci toujours en lien avec notre cadre
d'intervention, nos missions, notre règlement, nos objectifs de prise en charge. J'ai donc
émis l'hypothèse que la posture de l'éducateur participe à la relation éducative.
Méthode de recueil et analyse des données
J'ai recueilli mes données par observation directe participante sur l'UEHC d'Auxerre
de Septembre 2012 à Mai 2013, soit 9 mois. Cette pratique est théorisée par Bronislaw
MALINOVSKI, notamment dans Les Argonautes. Pour cela, il s'est basé sur la pratique
ethnographique : « l'observation rigoureuse par imprégnation lente et continue de groupes
d'humains minuscules avec lesquels les ethnologues entretiennent un rapport
personnel »62. Pour lui, seule l'observation directe permet de comprendre les principes
implicites qui organisent une société. Il faut donc accumuler les exemples afin de saisir la
norme sous-jacente. Le terrain devient un gage d'authenticité. Les limites en sont que la
transcription de l'expérience n'est jamais neutre et qu'aucune comparaison n'est possible.
61
62
Cf première partie
www.ethnoclic.fr citation de F.Laplantine in la description ethnographique
J'ai ensuite distribué un questionnaire avec des questions directes et indirectes afin
d'avoir un réel point de vue des éducateurs mais aussi des réponses simples. Sur 18
questionnaires distribués63, 9 m'ont été retournés. 2 collègues masculins sur 5 ont répondu
contre 7 collègues féminines sur 9. En dehors des éducateurs, une des cuisinières a
répondu au questionnaire. Ils sont âgés de 26 à 48 ans, la moyenne étant donc de 34,22
ans. La moyenne est de 8,05 années d'expériences pour les personnes interrogées. Mon
panel représente 50% des personnes interrogées. Ce petit bilan statistique n'a pas
prétention à être exhaustif car ma démarche n'est pas quantitative mais qualitative. Mon
échantillon ne pouvait être représentatif.
Hypothèses d'action
Après le recueil et l'analyse de mes observations, de théorie, du point de vue de
mes collègues j'ai élaboré des hypothèses d'action. Il me fallait montrer la pertinence de
l'outil toucher relationnel dans la prise en charge des jeunes de la Protection Judiciaire de
la Jeunesse. Pour cela j'ai choisi trois ateliers utilisant trois médias différents mais
touchant tous au tactile. J'ai voulu qu'ils soient basés sur le « faire avec » développé dans
les pédagogies nouvelles. C'est à dire une action où l'éducateur intervient aux cotés du
jeune afin d'avoir un vécu commun qui va permettre d'une part de participer à la relation
éducative, au lien, et qui va dans un deuxième temps permettre à l'éducateur d'adapter sa
pratique et ses objectifs de prise en charge. Pour cela je me suis basée sur la méthode
« COMME » apprise lors de mon brevet d'aptitudes aux fonctions d'animateur. Il s'agit de
mener son action en passant par différentes phases : Constat, Objectif(s), Moyens,
Méthode, Évaluation. C'est un outil très pratique pour la mise en place de projet car il
permet d'organiser sa pensée et son action.
Descriptif de la phase d’expérimentation et évaluation
J'ai explicité ceci dans ma troisième partie sous l'intitulé « Mise en projet ». Étant
donné le temps imparti pour l'écriture de ce mémoire je n'ai expérimenté qu'un projet,
l'atelier socio-esthétique. Je l'ai mis en place par le média « beauté des mains » par trois
fois. Ceci a surtout intéressé les jeunes filles (2 sur le collectif) mais un jeune homme m'a
également spontanément demandé de lui faire les mains car, pour lui, les hommes
devaient autant prendre soin d'eux que les femmes. Pour cela je me suis installée sur la
table du salon avec mon matériel, à tour de rôle chaque jeune choisissait son vernis et je
63
Annexe 2
lui posais après avoir nettoyé, coupé et limé ses ongles. Je ne me fixais pas de temps
maximum de séance.
J'ai évalué cet atelier selon mes objectifs de travail. Pour moi il a été très positif. Ma
première réussite est que les jeunes m'ont demandé d'eux-mêmes de réitérer
l’expérience. Ensuite j'ai constaté que ce temps était l'occasion de questions sur le soin, la
santé, l'hygiène voire même la sexualité. Lorsque je me suis occupé du jeune homme il
m'a, par exemple, demandé si une femme pouvait être allergique à la pilule. Ceci a permis
des échanges désinhibés tout en restant corrects. Les perspectives d'évolution de cet
atelier sont désormais : le partenariat avec la maison de la Jeunesse d'Auxerre qui met en
place des interventions sur le soin, la multiplicité des médias, l'intégration des garçons au
projet par ceci et l'intervention d'une professionnelle avec un diplôme de socioesthéticienne.
Points forts et limites de la démarche
Parler de sa pratique revient à parler de soi. J'ai pu constater que cela était difficile
pour mes collègues. J'ai pu le voir par le peu de questionnaires remplis, ceci montre qu'il y
a un manque de temps des professionnels pour cela, un manque d'intérêt pour le sujet ou
pour le média questionnaire. J'ai pu également le constater lorsqu'un collègue a proposé
de faire une réunion de fonctionnement sur le thème des valeurs de chacun et que
plusieurs autres s'y sont opposés disant qu'ils n'avaient pas envie de s'exprimer sur cela.
J'émets l'hypothèse que des entretiens duels enregistrés auraient été plus propices au
dialogue.
L'observation directe a donc été un point fort dans ma méthodologie, car j'ai pu tirer des
conclusions de ce que j'ai vu et vécu sans me baser uniquement sur les données de mes
collègues. Sa limite est que seul mon avis, étayé par la théorie, est présent d'où l'utilité
des réponses au questionnaire ou à un entretien qui viennent appuyer mes propos.
Sur un tel sujet, il semble impossible d'avoir une réponse unanime à ma
problématique. Ceci n'a pas été un soucis car mon but était de m'inscrire sur ma structure
de travail et non globalement sur les établissements PJJ.
Annexe 2 : Questionnaire remis aux professionnels de l'UEHC d'Auxerre
QUESTIONNAIRE A L'ATTENTION DES EDUCATEURS DANS LE CADRE DU
MEMOIRE DE KATIA SOKOLOWSKI AYANT POUR THEME « LE TOUCHER
RELATIONNEL, OUTIL DE LA RELATION EDUCATIVE AU QUOTIDIEN»
Age :
Sexe :
Nombre d'année d'expériences à la PJJ et/ ou dans le domaine éducatif :
Pensez-vous que le toucher soit utile à la relation éducative ?
 OUI
 NON
Pourquoi :..............................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
..........................................................................................................................................................
Avez-vous déjà eu un contact physique, par le toucher relationnel, avec un jeune pris en
charge ?
 OUI
 NON
Si oui : A quelle fréquence ? Qu'est ce que cela apporte à votre travail ?
Si non :Pourquoi ?
…............................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
▪ Avez-vous déjà fait la bise à un jeune ?
 OUI
 NON
Si oui dans quelle(s) condition(s) ?
Si non, pourquoi ?
…............................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
 Avez-vous déjà pris un jeune dans vos bras ?
 OUI
 NON
Si oui, dans quell(e)s condition(s) ?
Si non, pourquoi ?
…............................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
 Avez-vous déjà eu un contact physique avec un jeune qui vous a fait violence ?
 OUI
 NON
Si oui, dans quell(e)s condition(s) ?
…............................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................
 Utilisez-vous le toucher lors du lever ?
 OUI
 NON
 Utilisez-vous le toucher lors d'entretiens formels ?
 OUI
 NON
M'autorisez-vous à vous recontacter pour un éventuel entretien ?
 OUI
 NONSi oui, Merci d'indiquer votre prénom :
Merci de votre participation
Annexe 3 : Étude de Marie CHOQUET sur la vie relationnelle des jeunes
PJJ
Annexe 4 : L'analyse de la pratique par le DERPAD
Le DERPAD et l’accompagnement d’équipe
L’accompagnement des équipes de la Protection de l’enfance a toujours été présenté
comme un outil précieux pour soutenir leur travail auprès des jeunes. Cette nécessité se
trouve renforcée ces dernières années, tant les transformations législatives, structurelles
et économiques, interrogent les acteurs de terrain dans leurs repères et leur identité
professionnelle, créant parfois des conditions de travail plus difficiles. Confrontées à cette
situation, les institutions se trouvent de plus en plus soumises à des impératifs
d’encadrement, d’évaluation et de contrôle des pratiques.
De ce constat émerge une demande d’aide extérieure émanant des professionnels et des
équipes : parmi les outils actuellement proposés à ces services, il en est un qui se
développe particulièrement, et dans toutes les directions : c’est celui de la supervision, ou
de l’analyse des pratiques, ou de l’accompagnement d’équipe, ou de… La récurrence
interroge, tout comme le caractère interchangeable des mots qui désignent ces
lieux/temps où sont posés le vécu et la difficulté. Cela soulève un certain nombre de
questions : de quoi est faite cette demande (qui peut aussi s’exprimer, dans un registre
plus individuel, par la multiplication de l’offre de coaching), comment concilier les
impératifs cliniques et économiques et enfin et plus globalement quel sens actuel donner
au travail social, aux pratiques d’évaluation et à l’intervention auprès des jeunes en
difficulté…
Pourquoi faire appel à un tiers ?
On conviendra que ce n’est pas au jeune de devoir s’adapter à l’institution mais à
l’institution d’avoir la souplesse suffisante pour satisfaire et répondre à la forme particulière
de chaque situation. Cela suppose par exemple, dans la situation d’un lieu d’hébergement,
que l’institution soit en mesure de faire le repérage subtil de la relation privilégiée qui se
révélera efficace pour l’enfant, relation qui n’est pas toujours décidée ou instituée par
l’équipe ou les responsables de l’institution (même si elle organise son travail avec un
système de référence) mais élue par chaque jeune, parfois dans la plus parfaite
méconnaissance.
Il faut aussi que l’ensemble de l’institution accueille l’idée de la complexité des interactions
avec les jeunes : le recours au tiers vise là à rappeler, formellement ou non, au
professionnel et au sujet avec qui il est en relation, que leur incomplétude est structurelle
et qu’aucun des deux ne peut donner à l’autre ce qui lui manque fondamentalement. Ce
qui ne condamne pas pour autant à l’inertie.
Le travail de l’institution devrait donc avoir pour objectif premier d'apprécier ce qui a
motivé, dans la vie de l'intéressé, l'obligation de faire appel à une institution, de repérer le
lieu de la relation privilégiée qu'il y a établie, mais aussi sa capacité à tirer profit de l’aide
qui lui est offerte, en sachant à l'occasion respecter ses refus.
Ce travail en commun doit permettre que s’expriment aussi les sentiments des membres
de l’équipe envers chaque jeune et qu’une place soit faite à l’expression de ces positions
qui sont d’autant plus fâcheuses qu’elles ne s’avouent pas. Un collectif institutionnel n’est
en effet pas composé d’éléments neutres et c’est ce travail nécessaire qui fait apparaître
l’utilité d’un élément tiers.
Cette fonction tierce n’est pas nécessairement tenue par un professionnel extérieur à
l’institution. La fonction tierce, à ne pas confondre avec une quelconque supervision ou
surveillance, est justement ce qui permettra d’élaborer une pensée malgré et à travers les
erreurs, ou encore d’éviter que ne s’instaure une relation de type fusionnel entre le
professionnel et le jeune ou, au contraire, une trop grande distance entre eux. Comme on
le sait, ou comme on devrait le savoir, pour s’investir pleinement et convenablement, ce
n’est pas vis à vis des jeunes qu’il y a à prendre de la distance, mais vis à vis de l’image
que l’on se fait d’eux. La mise en commun et en circulation par la parole des présupposés
de chacun dans ce domaine permet de faire progresser le sens du travail mené et une
confrontation féconde entre les fondements de l’institution, sa légitimité et ses modes de
fonctionnement. Il s’agit donc à la fois de concourir à renforcer la cohésion de l’équipe et
la cohérence de l’institution.
Le tiers, c’est celui qui, en dehors d’une relation d’autorité ou de surveillance, est capable
d’écouter et d’entendre l’autre, et qui aide à progresser. Il s’agit essentiellement d’un lieu
symbolique, un lieu de langage qui ne procède pas à une objectivation du discours de
l’autre, ni à son interprétation, mais qui intervient plutôt comme une condition de l’altérité :
le tiers est avant tout séparateur, empêchant la confusion des identités. C’est une fonction
que devrait remplir le cadre institutionnel. Une fonction qui permet de poser la question
suivante : « Comment suis-je avec tel ou telle ? », rouvrant ainsi ce qui a pu être fermé.
Cette place tierce peut donc être occupée de diverses façons et, si elle s’incarne, par
diverses personnes : ce n’est pas ici la position officielle qui compte mais le discours qui
est tenu.
L’analyse de pratique en institution est fondamentalement au service de l’enfant car celui-
ci sera d’autant mieux écouté et entendu que le professionnel se sentira plus ouvert pour
l’entendre. L’interrogation des pratiques est une condition de la qualité des prises en
charge et une équipe qui n’analyse pas ses pratiques se dé-professionnalise et
s’appauvrit. Le travail social doit se réinventer continuellement dans le processus
d’analyse de ses pratiques.
Pourquoi faire appel au DERPAD ?
L’espace proposé par le DERPAD aide à prendre du recul par rapport à des situations
éprouvantes, à faire tomber des peurs personnelles ou des doutes. Il ne s’agit pas de
proposer aux institutions une instance de décision mais un lieu qui peut aider à la
décision. Il s’agit d’aider l’institution à re-faire fonctionner du tiers. C’est un lieu où il est
possible de déposer les émotions qui perturbent ou parasitent le travail, mais aussi un lieu
où évoquer le plaisir à faire et pas uniquement les difficultés ou les souffrances
rencontrées. Il ne s’agit pas de plaquer une théorie, mais d'expérimenter en commun. De
même qu’il n’est pas viable de n’entretenir des relations avec les partenaires extérieurs
que dans l’urgence de situations ingérables, sans avoir préalablement tissé avec eux des
liens de confiance et partagé ensemble la satisfaction de prises en charge en commun
« réussies », de même à l’intérieur d’une institution, le collectif de travail suppose, pour
bien fonctionner, que des signes de reconnaissance soient donnés sur la qualité du travail
accompli, ainsi que sur les efforts fournis par chacun pour dépasser les difficultés
professionnelles.
Une des particularités de l’intervention proposée par les professionnels du DERPAD tient
à ce qu’elle se déroule en binôme. Si les intervenants du DERPAD ne sont pas sans
savoir, ils ne sont pas à une place d’exception fondée par un savoir, c’est-à-dire une
position d’expertise. Intervenant à deux, binôme psychanalyste et éducateur, ils
interviennent au nom d’une institution - le DERPAD - fondée sur cette articulation de
l’éducatif et du soin, et non en leur nom propre. Tiers extérieur au fonctionnement de
l’institution, intervenant sur un temps limité, ils apportent à la fois un regard neuf et une
compétence du côté de l’expérience du métier qui recentre sur la pratique professionnelle.
La logique personnelle des membres de l’institution n’est en effet pas interrogée pour ellemême. Cela n’opère en aucune façon une sorte d’analyse sauvage déguisée : intervenir à
deux, de deux places professionnelles différentes, concourt à créer un espace
intermédiaire plus souple, une écoute plurielle où la parole circule plus librement. Il ne
s’agit pas d’entretenir l’illusion d’une « super-vision » mais d’ouvrir l’écoute des
professionnels afin de permettre à chacun de trouver le style à adopter en face de chaque
sujet particulier qu’il aura à connaître dans son travail. L’expérience de chacun des
professionnels du DERPAD dans le champ de la protection de l’enfance sert de point
d’appui théorique et clinique pour assurer cette place.
Mise en place du travail
La demande faite au DERPAD fera l’objet d’un travail d’élaboration et de clarification des
attentes. Il y a, dans ce cadre, une sorte de contrat à passer avec l’équipe et avec le ou
les responsables :
- Il s’agit d’abord d’une identification de l’état actuel de l’équipe et de l’institution, de son
organisation et des éventuels problèmes relationnels en son sein. On sait à ce propos qu’il
est une dérive habituelle aux institutions qui consiste à oublier l’objet pour lequel elles ont
été créées pour ne plus s’occuper que d’elles-mêmes. Quand surgissent des différences
d’appréciation, des désaccords voire des tensions et que ceux-ci s’expriment sans fin, il
n’y a plus possibilité pour la pensée de circuler, il n’y a plus possibilité pour les
professionnels d’ordonner les alternatives qui s’offrent à eux ; les divergences ne peuvent
plus être entendues en termes de proposition et l’équipe, empêchée de penser, engluée
dans la fascination de son objet, ne parvient plus à les rassembler, à les contenir et encore
moins à les élaborer. En effet, s’il convient, comme nous l’avons souligné, d’accorder toute
la place nécessaire aux problèmes des membres de l’équipe et à leur vécu, il faut aussi
savoir limiter les débordements habituels concernant cet aspect particulier de la vie
institutionnelle.
- Il s’agit ensuite d’un temps de définition, qui se précise au fur et à mesure du travail, du
but à atteindre : il peut s’agir d’engager un changement de pratique ou d’organisation, de
parvenir à préciser les missions et fonctions de chacun. Il s’agit de remettre chaque
professionnel à sa place, une place qui doit être lisible pour être utilisable dans le travail
institutionnel.
- Enfin, il doit y avoir une formalisation du cadre de l’intervention du DERPAD, cadre que
ce dernier garantit une fois qu’il est posé : l’objectif général, les conditions d’évaluation, la
durée, le lieu, le caractère obligatoire ou non de la présence des membres de l’équipe, la
gratuité ou non, etc. Il n’y a peut-être pas à formuler des règles applicables à l’identique
dans toutes les situations mais un choix est à faire, qui sera déterminant pour la suite du
travail.
La place spécifique des responsables est également à préciser à chaque fois ; nous
sommes plutôt favorables à leur participation, ne serait-ce que pour ne pas valider, par
leur absence, le tour que prend trop souvent leur place institutionnelle dans un
éloignement progressif à l’égard du terrain.
Conclusion
Le DERPAD n’intervient que dans un temps second mais pas accessoire. Il n’a pas
vocation à se substituer aux institutions et au nécessaire travail d’adaptation continuelle de
leurs outils qui leur incombe. Nous partons du postulat qu’en règle générale, elles
disposent en interne des compétences et de l’expertise nécessaire à cela. Ce ne peut
donc être que dans des circonstances qu’il faut bien qualifier d’exceptionnelles que les
problèmes rencontrés sont susceptibles de déborder (ponctuellement ou non) la capacité
de l’institution à les contenir et qu’il peut alors être pertinent et légitime de faire appel à
l’intervention, extérieure, du DERPAD.
Ce travail se veut également être un outil permettant à l’institution de ne pas fonctionner
sur un mode totalitaire, repliée sur elle-même. Soutenir que cette nécessaire place tierce
n’implique pas nécessairement un extérieur pour fonctionner, ne signifie pas pour autant
que cette question de l’extérieur, c’est-à-dire à la fois ce qu’il en est de la prise en compte
des limites de l’intervention institutionnelle et de sa nécessaire articulation avec les autres
institutions qui interviennent auprès du jeune, ne doive pas être soutenue et travaillée. Il
ne s’agit pas de penser l’institution comme toute-puissante et ayant, en interne, réponse à
tout ! Il s’agit au contraire de favoriser une ouverture institutionnelle qui ne saurait se
satisfaire d’être réduite à l’appel à un superviseur extérieur. D’ailleurs, faire fonctionner du
tiers dans une institution, ce peut être parfois tout simplement proposer à une équipe
d’utiliser certains tiers qu’elle a à disposition mais qu’elle tend à méconnaître, comme le
cadre institutionnel de travail et ses contraintes. Le cadre légal de l’intervention peut, par
exemple, constituer une garantie que les membres de l’équipe ne s’enfermeront pas dans
un tête à tête avec leur public.
Il s’agit finalement de permettre à l’institution d’affiner ses propres outils et de soutenir une
clinique du travail social se transmettant à travers la distance qu’un professionnel peut
prendre avec sa propre pratique en la nommant, et ainsi en savoir un peu plus sur ce qu’il
fait, sachant qu’une pratique de l’humain ne peut prétendre à être tout à fait lucide.
Katia SOKOLOWSKI
Titre : Le toucher relationnel, outil de la relation éducative au quotidien
Thème : Comment l'utilisation du toucher relationnel, transféré au métier
d'éducateur PJJ, participe à la relation éducative ?
Résumé :
Le toucher relationnel est un terme utilisé dans le domaine du médicosocial. Il décline la façon dont les professionnels prennent soin d'autrui par le
geste, en parallèle des soins médicaux. Il s'agit d'optimiser la relation aidante
et de réfléchir à l'approche de la personne pour trouver la bonne distance
physique et psychologique. Le toucher participe, dans ce cadre, à
l'accompagnement dans la souffrance, la maladie, voire même dans la mort.
Cette pratique humanise les rapports humains dans un domaine où le manque
de moyens humains et financiers est prégnant.
Dans le domaine éducatif et notamment à la Protection Judiciaire de la
Jeunesse où je suis pré-affectée dans une Unité Éducative d’Hébergement
collectif, cet outil n'est pas pensé. En effet, le toucher est souvent utilisé au
quotidien par les éducateurs envers les jeunes mais sa visée et son utilité ne
sont pas toujours réfléchies. Pourtant, j'ai pu m'apercevoir sur le terrain que
son intérêt est transférable du domaine socio-médical au domaine socioéducatif tout en respectant le cadre légal de nos missions.
Nous verrons donc en quoi le toucher relationnel participe de la relation
éducative et comment cette action pensée, de façon négative comme positive,
peut produire un outil pratique du quotidien de l'éducateur.
Mots clefs : Corps, toucher, relation éducative, distance, relationnel

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