Ralph BALEZ

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Ralph BALEZ
Balez (Ralph).— Retour sur le contexte : les artefacts liés à l’influence du cadre institutionnel, des attentes
du psychologue et des participants, Bulletin de psychologie, Tome 60, N°Hors série, 2007, p. 103-108.
RETOUR SUR LE CONTEXTE : LES ARTEFACTS LIES A L’INFLUENCE DU
CADRE INSTITUTIONNEL, DES ATTENTES DU PSYCHOLOGUE ET DES
PARTICIPANTS
A REEXAMINATION OF CONTEXT: ARTIFACTS CONNECTED TO THE
INFLUENCE OF AN INSTITUTIONAL FRAMEWORK AND THE EXPECTATIONS
OF THE PSYCHOLOGIST AND THE PARTICIPANTS.
Ralph BALEZ*1
*Courriel : [email protected]
ou : [email protected]
site web : www.balez.eu
Appartenance institutionnelle : Chercheur associé au laboratoire de psychologie
sociale de l’université Paris X – Nanterre.
Ralph Balez
11 rue St Luc
75018 PARIS
06 77 81 89 71
01 42 64 28 57
1
L’auteur remercie particulièrement Gina Arapakis, Magda Dargentas, et Françoise Dintinger pour leurs
lectures critiques de certains passages ou de l’ensemble du texte.
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Balez (Ralph).— Retour sur le contexte : les artefacts liés à l’influence du cadre institutionnel, des attentes
du psychologue et des participants, Bulletin de psychologie, Tome 60, N°Hors série, 2007, p. 103-108.
Résumé
Quand le psychologue intervient dans un cadre institutionnel spécifique pour valider des
hypothèses, il est porteur d’une attente théorique. La relation chercheur/participant est
une interaction susceptible de relayer l’effet du contexte, des attentes du chercheur et du
participant, et de produire des artefacts. Ces phénomènes relevent du champ du biais
expérimentateur, de l’effet d’attente ou « effet Pygmalion » (Rosenthal & Jacobson,
1968). Cette relation qui s’instaure entre un psychologue et un répondant implique des
motivations spécifiques et un cadre institutionnel qui peuvent conduire à une validation
artificielle des hypothèses. Nous illustrons ici cette problématique puis nous exposons des
applications qui visent à prendre en compte ces phénomènes. Elles s’appliquent à toutes
situations d’interaction entre un chercheur/praticien/intervenant et un participant/patient.
Mots-clés : « effet Pygmalion », attente du psychologue, biais de confirmation, prophétie
auto-réalisatrice, cadre d’étude
Summary
When a psychologist intervenes in a specific institutional setting to validate a hypothesis,
s/he carries some theoretical expectations. The relationship between a researcher and a
participant in a study is an interaction that is susceptible to conveying the context's effect
and the researcher and participants' expectations. These phenomena are referred to as "the
experimenter's bias", the "expectations effect" or the "Pygmalion effect" (Rosenthal &
Jacobson, 1968). The relationship established between a psychologist and a participant
involves some specific biased motivations and therefore could lead to the artificial
validation of a hypothesis. We examine this problematic by using specific examples. As a
result, we suggest some basic precautions to limit the effects of this problem. These
propositions can be applied to all the interactional situations between a researcher
practicing intervener and a participant/patient.
Key words: "Pygmalion effect", psychologist’s expectations, confirmation bias, selffulfilling prophecies, frame of study.
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Balez (Ralph).— Retour sur le contexte : les artefacts liés à l’influence du cadre institutionnel, des attentes
du psychologue et des participants, Bulletin de psychologie, Tome 60, N°Hors série, 2007, p. 103-108.
Introduction
Souvent l’intervention d’un psychologue s’inscrit dans une situation d’interaction coconstruite par ses acteurs dans un cadre spécifique (par exemple, Ghiglione, Matalon,
1978). L’interaction entre un psychologue et un participant est susceptible de conduire
celui-ci à détecter les attentes du chercheur pour s’y conformer artificiellement
(Rosenthal, Jacobson, 1968). Ce type de confirmation intéresse autant la pratique
expérimentale que la pratique clinique ou l’intervention en psychologie du travail. Par
exemple, elle peut conduire les cibles d’un stéréotype à se conformer à celui-ci (Snyder,
1984) ou bien amener des praticiens à valider artificiellement un pré-diagnostic clinique,
fourni avec les résultats d’un test de Roschach (Chapman, Chapman, 1967). La majorité
des psychologues s’interroge sérieusement sur la validité de leur travail, et nous
souhaitons apporter ici quelques éléments de réflexion. À partir du champ de la
psychologie expérimentale, nous souhaitons nous adresser à l’ensemble des praticiens
concernés par cette problématique. Puis, nous revenons sur des procédures permettant de
limiter l’influence implicite des attentes du psychologue.
I. Les trois entrées possibles d’une confirmation artificielle des hypothèses du
chercheur
Au préalable, distinguons trois activités que le chercheur / psychologue exerce. La
conception d’une recherche : il s’agit de concevoir une expérimentation ou une
intervention, de choisir un cadre, de préparer et élaborer un protocole en fonction
d'hypothèses échafaudées (Lemaine, 1975 ; Kruglanski, 1975). Puis, il s’agit du recueil
des données, des observations et de leur enregistrement auprès des participants en
fonction des paradigmes (c’est-à-dire, un parti pris d’appréhension et d’étude de l’objet).
Intervient enfin une confrontation des observations avec ce que les hypothèses
prédisaient (Lemaine, 1980). Notons, à l’instar de Rijsman (2000) la nécessité de
distinguer le fait (c’est-à-dire, mesuré ou observé) de sa fiction (c’est-à-dire
l’interprétation guidée par les désirs des chercheurs). Le recueil des données s’effectue au
moyen d’outils empiriques (par exemple, des grilles, questionnaires ou entretiens).
Théoriquement, la conception d’une recherche, le recueil, le matériel, et le participant ont
un rôle clairement défini et distinct, mais ce n’est pas toujours le cas dans la pratique
psychologique (Rosenzweig, 1933 dans Lemaine, 1975). Le contexte de l’observation
implique souvent une confusion et une interaction entre les étapes d’une recherche, les
acteurs et le matériel. Cette confusion peut avoir des répercussions artificielles sur les
résultats (Balez, 2007). L’observation comporte des marqueurs institutionnels, le
participant y réagit, l’attente théorique du psychologue peut aussi exercer une influence
implicite. Nous développons et proposons ici quelques illustrations de cette
problématique.
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du psychologue et des participants, Bulletin de psychologie, Tome 60, N°Hors série, 2007, p. 103-108.
1) Les conditions institutionnelles de l’observation influencent les participants
Toute recherche suppose un contexte social (c’est-à-dire normes, valeurs et
représentations) où le participant s’autodétermine (Merton, 1948, 1973). La situation
d’observation qui s’impose le conduit à sélectionner l’information de façon parfois
inconsciente (par exemple, Bruner, 1991 ; Jussim, 1996). Dans la situation expérimentale,
l'expérimentateur est automatiquement investi par le participant d'un pouvoir (Beauvois,
1994, 2000, 2005 ; Rosenthal, 1973). D’ailleurs, certains travaux intègrent ce facteur
dans le protocole suivi. Par exemple, Zimbardo, Cohen, et coll. (1969) observent l’impact
d’un milieu carcéral (recréé pour l’occasion) sur le comportement des participants.
Illustration : l’institution comme condition de l’observation
Les travaux de Milgram (1974) sur l’obéissance illustrent l’impact de ces facteurs
institutionnels. Ces recherches montrent une influence importante des marqueurs
institutionnels sur l’obéissance des participants (en position d’interrogateurs) pour
délivrer des chocs électriques à d’autres participants (en position de répondants). C’est
moins l'ordre d’envoyer des chocs électriques, émis par le chercheur qui emporte la
décision, que la source académique d’où il émane. Ainsi, on obtient plus d’obéissance à
l’université de Yale que dans un hangar. Si les expérimentateurs manifestent un
désaccord entre eux, l'action du participant est déterminée par l'expérimentateur au statut
le plus élevé. Si l’expérimentateur porte une blouse blanche l’obéissance est plus forte
que s’il porte une blouse grise. Dans les entretiens post-expérimentaux les participants
obéissants expliquent leur obéissance par leur adhésion au cadre hiérarchique
institutionnel encadrant la situation expérimentale.
2) Le participant adopte un comportement adéquat avec ce qu'il perçoit de la recherche
En psychologie, le participant est actif dans l’expérience (Rosenthal, Fode, 1963). La
plupart des recherches confrontent le participant à une consigne explicite (réaliser une
tâche, passer un test, répondre à un questionnaire ou se prêter à un entretien), elles
comportent aussi un volet implicite. Les connaissances du participant, ses motivations à
participer, les significations de sa participation interviennent dans la représentation de la
situation de recherche à laquelle il se prête.
Concernant les connaissances préalables du participant, beaucoup de recherches sont
menées sur des étudiants en psychologie par des enseignants de psychologie simultanément expérimentateurs, autorité scientifique et évaluateurs potentiels. Les
consignes implicites sont parfois transparentes pour un étudiant de psychologie (Kelman,
1967). On peut se demander dans quelle mesure un résultat expérimental se maintient
quand les participants connaissent le phénomène visé (Rayko, 1981 dans Guimond,
1998). Notons que ce problème concerne également les thérapeutes en situation clinique
confrontés à des patients médecins ou psychologues. De plus, la participation volontaire
exerce une sélection qui écarte du cadre de la recherche les participants qui refusent de
participer au dispositif. Les échantillons constitués avec ce type de recrutement écartent
les participants qui refusent systématiquement leurs participations. Ces derniers résistent
peut-être plus à l’influence implicite des attentes d’un expérimentateur (Rosenthal, 1969 ;
Sanquirgo, 2005).
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Les motivations activées par le contenu de la demande expérimentale sont nombreuses.
Le participant peut s'attendre à une évaluation (Rosenberg, 1965, 1969), tendre vers une
désirabilité sociale (Leyens, 1983 ; Leyens, Fiske, 1997), voire chercher à participer au
progrès de l’humanité (Balez, 2002). Confronté au matériel, le participant peut se donner
pour objectif de déterminer le but véritable de l'expérience : la consigne implicite (Orne,
1962 ; Orne, Evans, 1965). Dès lors, on peut s'attendre à ce que le participant se
comporte, dans un contexte expérimental, comme un bon sujet, c’est-à-dire qu'il confirme
l'hypothèse de départ du chercheur (Doise, 1983).
Illustrations : la signification qu’une situation de recherche implique
Accepter de se prêter à une expérience revient à accepter une subordination à la
recherche, voire au psychologue. Dans le secteur de l’évaluation professionnelle,
Beauvois (1984) estime que les échelles d’évaluation d’un subordonné dans une
entreprise sont moins informatives qu’une simple appréciation personnelle de la part de
sa hiérarchie. La consigne implicite de ce type d’évaluation revient donc plus à démontrer
un « savoir-plaire » plutôt qu’un « savoir-faire ». Ainsi, certains travaux sur l’allégeance
(Gangloff, 2000, 2001) ont montré que les échelles d'internalité (par exemple, Dubois,
1994) mesurent moins l'intériorisation de la norme d'internalité (c’est-à-dire, la
valorisation sociale des explications se référant aux efforts et aux capacités de l’acteur
plutôt qu’à la chance, au destin ou à autrui), que la norme l'allégeance (i.e ., la
valorisation sociale de la non remise en cause de la structure sociale et de sa hiérarchie
des pouvoirs). Dans le cas d’une étude menée dans un contexte hospitalier, la proposition
faite aux patients de participer à une recherche est souvent perçue par le patient au même
titre qu’une « prescription ». Le contexte hospitalier mobilise implicitement l’autorité
médicale qui ne distingue pas nécessairement le chercheur et le praticien. Dans le cadre
du laboratoire, Orne (1962) cite les cas de participants requis à exécuter des séries de cinq
pompes. La participation est justifiée par la phrase magique « c’est une expérience ». Une
autre tâche consiste à faire une série d’additions de chiffres au hasard (2000 feuilles
comportant 224 additions). Après chaque feuille le participant doit déchirer sa
production. À la surprise des chercheurs, les participants continuent plusieurs heures ce
type de tâche. Dans le débriefing, ils attribuent une grande importance au travail, perçu
par exemple, comme une tâche d’endurance.
3) La volonté de psychologue, à son insu, peut s’exercer sur les participants
Le psychologue intervient dans une institution qui requiert, encadre et souvent accueille
son activité. Expérimentateur ou praticien, il intervient directement sur les participants.
On peut s'interroger sur les signaux implicites qu’il émet comme relais de ses attentes
théoriques de chercheur. Un acte involontaire, une intonation, un regard, sont
susceptibles de créer une motivation de connaissances chez le participant. Ces signaux
considérés comme des facteurs parasites peuvent êtres sciemment employés dans les
protocoles expérimentaux (Balez, 2007). Plusieurs études ont montré, par exemple, que la
corpulence de l’expérimentateur, son ton, ses attitudes influencent son appréciation
(chaleureux vs. froid) par les participants, voire leurs réponses (Balez, Sanquirgo, 2007).
Si ces facteurs se font le relais des attentes de l’expérimentateur rien ne s’oppose à les
considérer comme amicaux (pour une revue, Lemaine, 1975). Ainsi, les recherches de
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du psychologue et des participants, Bulletin de psychologie, Tome 60, N°Hors série, 2007, p. 103-108.
Rosenthal et de ses collaborateurs (pour une revue, Rosenthal, 1994) montrent
notamment une influence des croyances des enseignants sur les performances scolaires et
cognitives de leurs élèves.
Illustration : Les croyances et les attentes du chercheur
Rosenthal, Jacobson (1968) administrent un test d’intelligence aux élèves d’une école en
début d’année ; il est présenté aux enseignants comme est un bon prédicteur de
« l’épanouissement » intellectuel. Puis, on désigne certains élèves (choisis aléatoirement),
comme très performants aux tests. Suite à cette prédiction, les élèves désignés montrent
des gains de Q.I. significativement plus importants que les élèves non désignés, ne
bénéficiant que d’une maturation normale. On constate qu’une attente de résultats
influence la performance des enfants sur lesquels portent ces attentes, les attentes
expérimentalement induites ayant entraîné un comportement para-verbal spécifique
relatif à certains élèves.
Le comportement d'un participant placé dans une situation de recherche est influencé par
les variables indépendantes classiques, explicitement invoquées ou manipulées par le
psychologue intervenant, et les variables parasites, implicitement mobilisées par la
situation de recherche. Si la conduite du participant répond aux attentes théoriques du
chercheur, mais découle davantage des variables implicites que des variables
explicitement étudiées, nous sommes en présence d’un artefact limitant la validité des
travaux et de leur interprétation.
(a) Dans certains de ses travaux, Orne (par exemple, 1962) suggère brièvement de
procéder à une enquête « avant, après-coup ». Avant l’intervention, on fait une simulation
de la passation avec des participants à qui on explique pas à pas ce que l'on aurait fait
avec eux (au niveau du recrutement, de l’objectif déclaré, de la présentation du matériel,
des relances et feed-back). Outre la vérification de la procédure, cette simulation permet
au participant de donner ses impressions sur les objectifs de la recherche. On a vu
précédemment que les participants tiennent à ce que leurs performances aient une
signification (Orne, 1962), mais dans le cadre d’un pré-test ou d’un débriefing classique
face au psychologue il peut leur être difficile de remettre en cause une recherche ou un
outil. Les participants tiennent à ce que leurs performances aient une signification, aussi
ils risquent de passer sous silence ce qui pourrait rendre leurs contributions inutilisables
(par exemple, la non-adhésion à une mise en scène expérimentale). Dans la situation
« avant » le chercheur est amené à proposer deux consignes : la consigne du protocole et
la consigne du débriefing de sorte à autoriser le participant à s’exprimer sur ces attentes
voire à remettre en cause les dispositifs de l’étude. Après cette étape, on procède aux
passations véritables (avec d’autres participants) ; alors l’entretien post-expérimental
commence par des questions très générales, du type « A votre avis sur quoi portait cette
expérience ? » et va progressivement vers des questions plus précises sur les consignes,
le matériel ou l’appréciation du chercheur. Ce mode d’entretiens encourage l’imagination
et diminue les réticences des participants à donner des avis sur la recherche.
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L’enquête « avant, après-coup » nécessite assez peu de participants. Elle permet
d’élaborer progressivement le matériel effectivement employé ensuite. De plus, les
participants peuvent exprimer leur compréhension des hypothèses, voire des objectifs (en
termes de résultats) du psychologue.
(b) La démarche procédurale suppose que le chercheur délègue les passations à différents
intervenants. Il n’est jamais en contact avec les participants et évite ainsi de les influencer
implicitement. Son rôle se restreint à former des délégués qui procèdent aux passations. Il
conserve un contrôle légitime de celles-ci au moyen de participants compères. Ceux-ci,
sont chargés de détecter les consignes implicites du protocole, ils utilisent les éventuels
indices liés au contexte et aux outils de la recherche pour en déterminer les objectifs
(Wallach, Wallach, 1998). Naturellement, les délégués ignorent la nature des participants
avec lesquels ils procèdent. La démarche procédurale permet de contrôler le mode et
l’homogénéité des passations des délégués et de vérifier que certains d’entre eux
n’influencent à leur insu les participants (par exemple, au moyen d’une analyse de
variance sur les données obtenues en utilisant le facteur « délégué » comme facteur
indépendant).
Si les moyens matériels le permettent, les interventions en parallèle des différents
délégués peuvent diminuer le temps consacré aux passations, facilitant la multiplication
des effectifs expérimentaux. Si les moyens matériels sont plus limités, une étude
procédurale pilote qui démontrerait l’absence d’indices implicites dans la situation de
recherche permettrait par la suite d’alléger le recueil de données, le chercheur
administrant directement son protocole aux participants.
(c) La démarche formelle (comme la précédente) suppose des délégués. Elle consiste à
comparer les résultats de deux groupes de recherches mobilisant des protocoles
similaires. Dans l’un de ces groupes, le protocole est administré en simple aveugle, alors
que l’autre bénéficie du double-aveugle (Flieller, 1981 ; Flieller, Trognon, 1981). En
condition simple aveugle, le participant ignore la modalité expérimentale à laquelle il est
exposé. En condition double-aveugle, le délégué ignore ce qu’il administre. Par exemple,
il découvre les consignes dans une enveloppe avant la passation ou bien il lance une
application informatique chargée de délivrer le test au participant.
Partant de là, la démarche formelle consiste à déterminer les poids respectifs des
variables classiquement manipulées et de la transmission implicite des attentes du
chercheur. Le coût de cette méthode cumule la formation et l’encadrement des délégués à
la nécessité d’introduire des interfaces. En contrepartie, la comparaison statistique des
résultats obtenus par chaque groupe de délégués (en simple et en double-aveugle) permet
de déterminer le poids de l’influence implicite des attentes des délégués. Si le poids de
cette influence s’avère négligeable ou nul, on obtient un argument empirique justifiant
l’emploi plus économique de l’administration en simple aveugle.
Conclusion
L’objectif de la démarche expérimentale est d’établir des connaissances, écologiques,
généralisables et reproductibles. L’intervention psychologique clinique ou
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professionnelle implique des préoccupations similaires. Il s’agit de s’appuyer non
seulement sur une base théorique cohérente, mais aussi d’approfondir la méthode en
amont du recueil de données ou de l’intervention. La prise en compte dans le paradigme
des conditions de l’observation, des motivations des participants et des attentes des
chercheurs / psychologues s’inscrit dans cette perspective.
Une étude pilote menée avec l’une ou l’autre de ces techniques montrant que les
participants ne peuvent détecter les objectifs de la recherche en termes de résultats
escomptés et qu’ils ne sont pas implicitement influencés par le cadre de l’intervention,
permet d’alléger le protocole utilisé par la suite. Dans une démarche réflexive, ces
propositions attirent l’attention des acteurs sur les signaux qu’ils sont susceptibles de
véhiculer implicitement. Elles permettent de sensibiliser les chercheurs et les praticiens à
certains des facteurs psycho-sociaux qui interviennent dans une recherche et qui doivent
être tout au moins pris en compte voire fixés ou homogénéisés.
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