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11 e RENCONTRES INTERNATIONALES
DU TEXTILE ET DE LA MODE
LA GAST RO NO MIE
ET SE CY CLES D E MO DE
samedi 30 avril 2011 / 10h30
Olivier Assouly
Directeur de la Recherche et de l’Edition, Institut Français de la Mode, modérateur
Intervenants
Bénédict Beaugé, auteur
Caroline Champion, auteur,
Michel Troisgros, Chef, Roanne, 3 étoiles Michelin
Oli vier A ssouly
Bienvenue à tous à la première des tables rondes intitulée « La gastronomie et ses cycles de mode ». Je
vais immédiatement vous présenter mes invités. Sur votre droite, Caroline Champion, une jeune femme
auteur de l’ouvrage Hors d’œuvre, Essai sur les relations entre art et cuisine, paru il y a quelques mois.
Ce livre fera sans doute date, parce que les études portant sur le champ de la gastronomie sont à la fois
légères et rarement approfondies comme peut l’être cet ouvrage dont je vous recommande vivement la
lecture. Caroline Champion est également à la tête du site www.exploratricedesaveurs.com, dans lequel
elle explore un monde de pratiques liées à l’alimentation et à la gastronomie. Le site fait également
mention de certaines performances qui ont été réalisées dans le cadre de la FIAC ou d’autres
événements.
Toujours sur votre droite, Bénédict Beaugé, un auteur spécialiste des questions d’alimentation et de
gastronomie. Il a écrit un certain nombre d’ouvrages dont deux avec Michel Troisgros. L’un s’appelle La
Cuisine acidulée et l’autre, plus récent, s’intitule Michel Troisgros et l’Italie. Bénédict Beaugé dispose
également d’un site particulièrement bien fourni en informations, en analyses et en réflexions sur ces
questions alimentaires.
Sur votre gauche, Michel Troisgros, que j’hésite à présenter. Il est restaurateur et chef, il officie à
Roanne, dans un restaurant qu’il est inutile de recommander.
Béné dict Be augé
Je vais présenter Olivier Assouly qui est directeur de recherche et d’édition à l’Institut Français de la
Mode. Il a d’abord enseigné la philosophie et s'est fait connaître dans le monde de la gastronomie en
publiant deux livres qui, eux aussi, ont fait date : Les Nourritures divines, essai sur les interdits
alimentaires, et Les Nourritures nostalgiques, essai sur le mythe du terroir, respectivement en 2002 et
2004. Il a dirigé des publications de l’IFM ayant pour sujet une réflexion sur le goût en général : Le
luxe, Essai sur la fabrique de l’ostentation ; Goût à vendre, Essai sur la captation esthétique, qui sont
deux ouvrages collectifs, et un ouvrage personnel, Le capitalisme esthétique, essai sur l’industrialisation
du goût.
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Oli vier A ssouly
Mode et gastronomie est un sujet auquel l’Institut Français de la Mode avait déjà réfléchi puisqu’il y avait
consacré un numéro de la revue Mode de recherche. C'était donc une merveilleuse occasion que de
pouvoir reprendre en partie les réflexions qui avaient déjà été amorcées.
Notre problématique réside dans le fait que la gastronomie s’inscrit dans une direction divergente, voire
opposée, à celle de la mode. Pour les uns, la gastronomie renvoie à des cycles de consommation
beaucoup plus longs, à la tradition, au terroir, à l’histoire, au patrimoine - souvenez-vous qu’au mois de
novembre dernier, l’Unesco a reconnu le repas gastronomique des Français comme appartenant au
Patrimoine immatériel de l’Humanité. Donc, elle renverrait à de l’enracinement, à de l’identité, tandis
que la mode renverrait à l’instant, à l’éphémère, au nomadisme, à un flux de nouveautés, à la volatilité
des goûts, à des phénomènes d’imitation, à la globalisation des consommations et à l’essor des marques.
Si je m’en tenais là, on pourrait tous repartir immédiatement et passer d’emblée à la deuxième table
ronde. Evidemment, c'est un peu plus complexe que cela, comme nous allons le voir ensemble. La
gastronomie renvoie également à la mode, non pas au sens vestimentaire, mais à des cycles de
consommation qui sont en partie liés aux tendances. Je vais rapidement les inventorier, mais nous y
reviendrons plus longuement avec nos invités. Ce sont par exemple des techniques : on pourrait dire,
avec beaucoup de prudence, que la cuisine dite moléculaire qui a connu un succès important il y a
quelques années, et peut-être encore à ce jour, a fonctionné comme un phénomène de mode. Certains
ingrédients sont également à la mode : le balsamique l’a été, le yuzu semble l’être aujourd'hui. Des
régimes peuvent également être des phénomènes de mode, comme le régime crétois ; des pratiques de
consommation comme la verrine qui avait inondé une grande partie de la presse notamment ; des chefs ;
des mouvements comme le mouvement critique qui porte le nom de fooding fait d’un néologisme ; des
phénomènes sociaux comme les cours de cuisine ou la multiplication incroyable ces dernières années
d’émission télévisées et de concours qui sont consacrés à la cuisine, etc. Certains produits dits alternatifs
fonctionnent littéralement comme des phénomènes de mode. La liste est longue, mais pour n’en citer
que quelques uns : le beurre de chez Bordier, les légumes de chez Thiébault, la charcuterie Ospital, le
boudin de Parra, le Beaujolais de chez Charmette, etc. Les mises en scène de marchandises semblent
également se calquer sur les phénomènes de la mode. Si vous passez devant la boutique Fauchon, vous
verrez qu’on organise les plats avec des systèmes de couleurs, de collections et d’autres attributs liés à la
mode ou au luxe, notamment à travers des campagnes de communication où, très symptomatiquement,
l’aliment semble disparaître au profit d’une certaine esthétisation. On pourrait également parler du
design, etc, etc.
A partir de ces quelques exemples, vous voyez qu’il existe beaucoup plus de similitudes qu’on ne
l’imagine entre la mode et la gastronomie.
Historiquement, on peut renvoyer la mode et la gastronomie à deux grandes figures emblématiques,
Charles Frédéric Worth au XIXe siècle et, à la même époque, le chef Carême. Ce dernier exerce la même
influence que Charles Frédéric Worth puisqu’il officie dans la plupart des cours européennes comme le
faisait le célèbre couturier. On note donc un rapport toujours très étroit entre le cuisinier, le pouvoir et
l’aristocratie.
Un cas beaucoup plus actuel d’association entre la mode, plus précisément entre le luxe et la
gastronomie, est le restaurant Beige tenu par Alain Ducasse, situé au sommet de la tour Chanel dans le
quartier de Ginza, à Tokyo. On pourrait encore faire référence à de nombreux articles, textes, et à tout
un corpus qui semble accréditer ce parallèle historique entre la mode et la gastronomie.
Je vous lis simplement deux citations qui les mettent en parallèle à deux époques révolues, mais qui
résonnent encore aujourd'hui. Dans ces deux extraits, la mode et la gastronomie manifestent une
identité culturelle française, nationale, voire, à mon avis, nationaliste.
La première est extraite d’un journal qui a disparu, La Mode - l’équivalent d’un magazine féminin
comme Elle -, et qui date du 15 juillet 1889 : « A ses grands pieds, à sa lorgnette, à sa robe voyante, à sa
démarche cavalière, vous reconnaissez l’Anglaise ; à sa taille épaisse, à son teint blond, à ses cheveux
blonds, à sa toilette voyante, à son rire pesant, vous reconnaissez l’Allemande ; sans grâce, hommasse,
celle-ci au visage régulier, à la taille un peu forte mais bien dessinée, c'est l’Italienne, assez mal habillée
parce qu’elle ne s’habille plus à Paris. » Ceci évidemment pour l’aspect vestimentaire. Du côté de la
gastronomie, à une époque sensiblement comparable puisqu’on est au tout début du XXe siècle, dans un
ouvrage qui est un best-seller à l’époque, La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, écrit par
Marcel Rouff, on y lit la phrase suivante : « Si la mortadelle, qui n’est point méprisable, certes, touche
de près à Goldoni, si les boulettes de la Forêt Noire sont lourdes, épaisses, massives comme la pensée, la
littérature et l’art allemands, il y a dans la quiche lorraine, le foie périgourdin ou la bouillabaisse
marseillaise toute la richesse raffinée de la France. »
Vous voyez bien que ces deux citations se font largement écho. Elles sont symptomatiques d’une certaine
hégémonie française. Et pourtant, la cuisine comme la Haute Couture semblent être en permanence
exposées à la critique, et partout on annonce leur fin prochaine.
Néanmoins, nous pouvons relever un certain nombre de différences relativement patentes entre la mode
et la gastronomie. J’en liste cinq :
-
La grande, la « Haute Cuisine » ou la « Haute Gastronomie » - je ne sais pas quelle appellation
exacte retenir - n’use pas de budgets de communication et publicitaires comme la plupart des
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-
maisons de luxe ou de mode, qui sont marquées, au sens propre, par la présence de griffes,
sigles, logos, etc.
Dans la mode, il y a une consommation de signes forts qui passent par la vue. C'est d’ailleurs
l’une des définitions qui convient le mieux à la mode et qui en est indissociable.
Même si la gastronomie fait usage de la vue dans la composition d’une assiette, travaux sur
lesquels on reviendra ultérieurement, elle passe essentiellement par une sensorialité gustative.
On pourrait, de façon polémique, désigner la Haute Couture comme étant la vitrine du prêt-àporter, alors que le grand restaurant ne fonctionne pas nécessairement comme la vitrine d’une
autre ligne de restaurant.
Si une grande partie des marques de luxe est entrée dans les années 1980 dans une politique
d’achats et de financiarisation, avec la constitution de grands groupes, ce n’est pas encore le cas
pour les grands restaurants qui sont majoritairement indépendants et fonctionnent sur un
modèle essentiellement artisanal.
On n’en reste pas moins dévolu à poser cette question de la mode, des modes et des cycles de
consommation. Cette dernière question est essentielle pour la mode mais surtout pour la gastronomie, à
savoir celle du niveau acceptable et du degré de rupture en matière de nouveauté.
Je me tourne vers Michel Troisgros afin qu’il nous parle de la maison Troisgros. Comment s’est
manifestée historiquement son ascension, cette idée de nouveauté a-t-elle été d’entrée de jeu un élément
important dans son développement ?
Miche l Tro isgr os
Mon grand-père s’est installé à Roanne en 1930, une ville plutôt prospère jusque dans les années 196070, notamment grâce au textile. C'était une ville phare pour la maille. Mon grand-père, plein
d’ambitions, y a donc installé ce restaurant. Ses deux enfants, Jean et Pierre, reprennent la maison dans
les années 1950, une époque de progrès, de changement et de reconstruction. Les deux frères ont poussé
le restaurant vers le haut et se sont distingués avec une 3e étoile Michelin en 1968. C'était la période de la
Nouvelle cuisine et ils ont participé à ce changement, ce mouvement, cette révolution même qui voulait
une cuisine plus légère, plus précise, plus fraîche, beaucoup plus en rapport avec son lieu et ses
producteurs.
Je suis le fils de Pierre. Je suis entré à l’école hôtelière de Grenoble en 1976. Ensuite se sont enchaînées
différentes expériences en France et à l’étranger pendant une dizaine d’années. En 1983, mon oncle
Jean est décédé, nous sommes rentrés à Roanne avec mon épouse Marie-Pierre. Nous avons assisté mes
parents pendant quelques années puis, en 1995, la nouvelle génération a repris le flambeau. Nous nous
sommes dès lors installés à Roanne.
Depuis les années 1960, l’imagination et le changement ont toujours fait partie de l’attitude de la maison
Troisgros. Précédemment, ce changement a été initié par d’autres chefs, notamment Fernand Point à
Vienne. C'est un peu pour suivre son exemple que les deux frères ont continué cette pensée de la
cuisine : ne pas uniquement se satisfaire, ne pas figer la carte du restaurant, mais suivre ce que la nature
et aussi leur intuition pouvaient leur offrir. Le changement était déjà amorcé, mais de façon plus
sommaire qu’aujourd'hui, il n’y avait pas tant de création que ça. Ce mouvement, qui n’était pas si
fréquent, permettait surtout à la cuisine de s’alléger, de se préciser, de se tonifier. Il s’est accéléré dans
les années 1990, où l’on s’est mis à créer, beaucoup de nouveaux plats, sans cesse, un peu à la manière
des collections de mode, chaque saison.
Oli vier A ssouly
J’aimerais illustrer cette question du changement et de la nouveauté en projetant un extrait du film de
Paul Lacoste, tiré d’une série de documentaires réalisés il y a cinq ou six ans sur les grands chefs français,
dont Michel Troisgros. Cette séquence montre l’élaboration de la recette des ravioles potiron-orange.
Miche l Tro isgr os
Je précise que cette séquence a cinq, six ans…
Diffusion d’un extrait du documentaire
MT > C’est ça la couleur du potiron ?
** > Oui,
MT > Comment faire pour l’avoir plus soutenu sans l’avoir trouble ?
….
C’est pas spectaculaire, c’est sobre –
et si l’on remplaçait le poivre noir par du wasabi ?
** > Je voulais mettre du piment vert
MT > Envoie un petit coup de wasabi – on essaie
MT > C’est extra – tout à l’heure on parlait de l’esprit ouvert, mais c’est l’esprit large qu’il faut…
MT > On en est là donc, un bouillon orange, fumant qui permet à ces raviolis de gelée de s’attendrir, de
fondre, de sorte que l’on aie une osmose entre la petite raviole et le bouillon, quelque chose qui les
immisce, qui les rapproche l’un et l’autre.
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Voilà où j’en suis. C’est une apparence qui n’est pas foisonnante, éclatante au niveau esthétique mais elle
l’est dans son aspect sensoriel ….
MT > J’y vais sans réfléchir, ce n’est pas un concept, c’est par nature que je tends à ce dépouillement
dans l’esthétique, au contraire des sens où je veux qu’il y ait émerveillement.
Oli vier A ssouly
Plusieurs points sont remarquables dans cette séquence, notamment quand Michel déclare qu’il fallait
avoir l’esprit ouvert à un certain stade de la composition de cette recette et à partir de maintenant, il va
falloir avoir un esprit « large ». Cela nous renvoie à la question de ce qui est acceptable pour les clients
en matière de création, de nouveauté. Selon toi, quel est le seuil critique, limite ?
Miche l Tro isgr os
Tout est acceptable. Le cuisinier décide de ses propres limites, pas le public, même si on doit être
attentif et réceptif à son propos. Je suis en contact avec le client, donc j’entends directement ses
observations, ses critiques. Ils me permettent parfois d’ajuster, en aucun cas d’annuler un plat que
j’aurais composé. Le plat final dans la séquence que l’on voit est un lait caillé qui demande un travail
assez extraordinaire car il cache un pesto, un concassé de truffes. C'est un plat en noir et blanc, en
opposition de puissances : le lait est neutre, vierge, et la truffe est extrêmement terrienne, amère, longue
en bouche. L’un vient atténuer ou contraster l’autre. Ce plat n’est pas facile à comprendre, on peut
passer totalement à côté du sens. La création de ce plat n’a pas abouti immédiatement. Elle a demandé
un cheminement. Comme en couture, on tâtonne et peu à peu l’idée arrive. La finalité de ce plat n’est
pas la chose la plus compliquée. Bien au contraire, c'est la plus simple : l’épure, c'est-à-dire presque
rien. Je n’ai pas pensé tout de suite à cisailler le plat comme ça, mais quelque chose manquait. Et puis je
me suis aperçu qu’il était tellement fragile que le moindre choc ouvrait la surface en rendant visible le
noir de la truffe. Comme je suis ouvert aux arts plastiques, j'ai cisaillé, ça m’a immédiatement fait penser
à Fontana. De façon accidentelle, certes, mais en même temps le rapport avec l’artiste était immédiat. Je
me suis dit qu’il fallait absolument que le client puisse profiter de ce geste. C'est donc devenu un
concept : l’assiette arrive, elle est toute blanche, rien n’apparaît, puis l’homme de salle vient donner,
sous l’œil du client, un coup de couteau. La fente laisse apparaître cette matière noire. C'est très beau…
Oli vier A ssouly
Au-delà des créations que vous initiez, y a-t-il des phénomènes, des mouvements, des tendances, comme
la Nouvelle cuisine - dont on va ensuite largement parler -, qui se sont imposés aux chefs quasiment
malgré eux ? Comment peut-on éviter ou résister à certaines évolutions ?
Miche l Tro isgr os
En ayant des certitudes, on les évite. Pour ma part, je n'ai pas plongé dans la cuisine dite moléculaire,
cette cuisine à la mode faite de fumées et de mousses. En revanche, j'ai tenté de la comprendre, je ne l’ai
pas écartée, j’ai même essayé, mais je m’en suis tout de suite dégagé parce qu’elle ne m’intéressait pas.
On peut se tenir à l’écart tout en étant informé de ce qui se passe dans le monde de la gastronomie, mais
il faut avoir des certitudes. Elles sont fragiles cependant, car on peut passer à côté d’un grand pas de la
cuisine qui est en train de se faire sans nous.
Oli vier A ssouly
La grande cuisine que vous mettez en œuvre pourrait-elle avoir une fonction d’anticipation ou de
laboratoire pour les habitudes plus communes de consommation que l’on retrouve à travers
l’industrialisation ?
Miche l Tro isgr os
Cela va dans les deux sens. Nous avons consacré, avec Benedict Beaugé, un livre à l’Italie. Il ne traite pas
des traditions locales, mais de ce que ma grand-mère et ma mère m’ont légué de l’Italie sans que je ne
m’en rende compte, au quotidien… Ma vie était partagée entre le restaurant et la maison familiale de ma
grand-mère. Ce livre retrace tout ce que j'ai reçu en héritage de l’Italie, tous ces gestes, ces attitudes, ces
techniques et goûts ménagers qui sont venus inspirer la cuisine professionnelle du restaurant Troisgros.
C'était déjà le cas avec mon père, mais je l’ai accentué parce que je pense que la cuisine ménagère recèle
beaucoup de sensibilité, de bon sens. A la maison, mon épouse Marie-Pierre cuisine remarquablement
bien, mais à l’instinct, de façon très induite, avec ce qu’elle a sous la main. Tout est fait promptement,
sans réelle précision mais avec tellement de bon sens… Inutile pour elle d’ouvrir un livre de cuisine,
c'est l’acquis de la vie qui fait que c'est bon. Et ce n'est pas donné à tout le monde !
La cuisine ménagère s’inspire également de la vie professionnelle. On trouve des livres de cuisine dans
chaque maison, pas un couple de copains autour de nous qui ne possède le livre de Michel Guérard, de
Joël Robuchon ou d’un autre. Mais le grand malheur est de se mettre à travailler sur la recette d’un grand
chef à l’occasion d’un dîner, comme ça en direct, sans avoir fait d’exercices auparavant, car généralement
le résultat n’est pas génial. Cependant, certaines techniques comme le sous-vide, la cuisson à basse
température ou les cuissons à l’unilatéral, qui font partie des techniques professionnelles, ont fait leur
entrée dans les maisons.
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Oli vier A ssouly
On vient de mettre l’accent sur le rôle qu’a eu la nouveauté dans l’ascension de la maison Troisgros. Il
semblerait que ce rapport extrêmement étroit avec l’innovation constitue une particularité française qui
la démarquerait d’autres cuisines…
Béné dict Be augé
Elle constitue une spécificité française depuis le milieu XVIIe siècle. La cuisine et l’alimentation ne
cessent de se transformer dans toutes les cultures. Mais c'est le regard porté sur ces transformations qui
change le rapport qu’on a à la nouveauté.
La découverte de l’Amérique a introduit en Europe un grand nombre de produits nouveaux, qui ont été
intégrés plus ou moins rapidement aux cuisines traditionnelles des pays européens. Pour autant, on
rattachait la cuisine à la tradition. Au milieu du XVIIe siècle, le regard change complètement et on
s’intéresse au fait que ces modifications apportent de la nouveauté.
Je voudrais citer une phrase tirée de L’Empire de l’éphémère de Gilles Lipovetsky, qui parle de la mode
vestimentaire mais qui correspond exactement à ce qui s’est passé au début du règne de Louis XIV dans le
domaine de la cuisine en France : « Amour du changement, influence déterminante des
contemporains… Ces deux grands principes qui régissent les temps de mode ont ceci de commun qu’ils
impliquent la même dépréciation de l’héritage ancestral et corrélativement la même dignification des
normes du présent social. La radicalité historique de la mode tient en ce qu’elle institue un système
social d’essence moderne émancipé de l’emprise du passé. L’ancien n’est plus jugé vénérable et le présent
seul semble devoir inspirer le respect. » C'est dans ces mêmes termes que les cuisiniers, qui se mettent à
publier des livres à partir de 1651 (date à laquelle est édité le premier livre de cuisine qui se revendique
française, puisque qu’il s’intitule Le cuisinier françois) posent la question de la cuisine : qu’apporte-ton de nouveau par rapport à ce qui se faisait avant ? Chaque cuisinier indique qu’il initie un
changement radical, même s’il n’est pas toujours aussi absolu. Ce qui est important, c'est que ces
cuisiniers ont l’impression de révolutionner le contenu des assiettes à chaque fois.
L’autre particularité française est qu’au lieu de rester une affaire de professionnels, c'est-à-dire de
cuisiniers et des personnes qui les emploient, la cuisine envahit toute la société. Et en particulier, ce qui
était très important à l’époque, le monde de la littérature. Les grands auteurs français comme La
Bruyère, Molière, Boileau, La Fontaine, ou d’autres font référence à la cuisine dans leurs œuvres. Dans
une scène du Bourgeois gentilhomme de Molière, le bourgeois offre un dîner à la belle dont il
souhaiterait acquérir les faveurs. Cette belle est aussi courtisée par un aristocrate, Dorante, que je cite :
« Je demeure d’accord avec lui (avec Monsieur Jourdain, le bourgeois) que le repas n’est pas digne de
vous. Comme c'est moi qui l’aie ordonné et que je n’ai pas sur cette matière les lumières de nos amis,
vous n’avez pas ici un repas fort savant et vous y trouverez des incongruités de bonnes chères et des
barbarismes de bon goût. Si Damis s’en était mêlé, tout serait dans les règles, il y aurait partout de
l’élégance et de l’érudition, et il ne manquerait pas de vous exagérer lui-même toutes les pièces du repas
qu’il vous donnerait et vous faire tomber d’accord de sa haute capacité dans la science des bons
morceaux, de vous parler d’un pain de rive à biseau doré relevé de croûtes partout, croquant tendrement
sous la dent, d’un vin à sève veloutée, armé d’un verre qui n’est point trop commandant, d’un carré de
mouton gourmandé de persil, d’une longe de veau de rivière longue comme cela, blanche, délicate, et
qui sous les dents est une vraie pâte d’amandes, de perdrix relevées d’un fumet surprenant et pour son
opéra d’une soupe à bouillons perlés soutenue d’un jeune gros dindon cantonné de pigeonneaux et
couronné d’oignons blancs mariés avec de la chicorée. Et pour moi, je vous avoue mon ignorance. Et
comme M. Jourdain a fort bien dit, je voudrais que le repas fût plus digne de vous être offert. »
Cette citation est très intéressante car le Bourgeois gentilhomme, qui date de 1666 ou 67, peu d’années
après cette révolution dans les cuisines, marque une réflexion intellectuelle où l’on parle d’élégance,
d’érudition et qui compare la cuisine à l’opéra.
On voit donc ici qu’elle prend une place importante dans la société française.
Il faut également noter que le système politique mis en place par Louis XIV veut mettre sur la touche
l’aristocratie, en créant la Cour de Versailles, en installant une rivalité entre les membres de cette
aristocratie en particulier dans le champ culinaire. C'est-à-dire que chaque aristocrate va vouloir faire
mieux que son voisin en organisant des dîners où l’on va produire de la nouveauté. Mais il y a encore un
autre échelon : pour financer tout cela, Louis XIV avait besoin de la bourgeoisie. Il instaure une telle
rivalité entre l’aristocratie et la bourgeoisie qu’elle va se traduire par une compétition entre la grande
cuisine, celle de l’aristocratie, et la cuisine bourgeoise, plus simple et qui va alimenter, elle aussi, cette
« Haute Cuisine ». C'est encore valable aujourd'hui, comme le disait Michel Troisgros. Le système est
complexe et enclenche une sorte de machine à produire du nouveau. Les cuisiniers en sont conscients et
très peu de temps après, au début du XVIIIe siècle, le propos va s’emparer de toute la société.
Je trouve cela intéressant car on a souvent l’impression que cette question de la nouveauté est très
contemporaine, mais on se rend compte que cette réflexion existait déjà au XVIIe et XVIIIe siècles.
Oli vier A ssouly
Un point sur lequel nous pourrions mettre l’accent est que la nouveauté passe, comme la mode, par sa
diffusion. Et il n’y a pas de nouveauté qui ne soit à un moment amenée à se diffuser. Par ailleurs, vous
disiez que certains chefs comme Escoffier ou Carême auraient d’une certaine manière amorcé, comme
dans la mode, des produits dérivés.
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Béné dict Be augé
Ce n’est pas tout à fait vrai pour Carême, mais c'est le cas pour Escoffier qui serait comparable à Worth,
parce qu’il joue de la même façon de la valorisation artisanale de cette haute couture ou de cette haute
cuisine. En même temps, ni l’un ni l’autre n’hésitent à utiliser l’industrie pour diffuser leur production.
Escoffier était le partenaire pour la partie restauration de César Ritz qui va monter une société de
développement pour lancer des hôtels tout autour de la planète. Il était basé à Londres, mais son « navire
amiral » devint rapidement le Ritz de Paris, le premier hôtel qui porte son nom. Il crée une société qui
s’appelle Ritz-Carlton, du nom de son hôtel à Paris et de celui qu’il dirigeait à Londres. A travers elle,
Ritz et Escoffier vont mener des missions de conseil tout autour du monde et créer des hôtels au Caire, à
New York, à Buenos Aires, en Australie, en Asie, en Allemagne, en Russie,…
Chaque fois, Escoffier met en application ses principes : il diffuse la cuisine française, met en place des
équipes, etc. Pour assurer une cohérence, il crée, un peu avant la guerre de 1914, la revue La lettre
d’Epicure. Deux ans après son lancement, il organise des dîners planétaires dans tous les hôtels dont il
s’occupe, et sert à la même heure un repas identique à 3000 ou 5000 personnes. De son bureau de
Londres, il pilote les opérations, grâce au téléphone et au télégraphe. Cela génère d’énormes échos dans
les presses locales. Tout cela se passe en 1912-1913. Ces principes sont aujourd'hui appliqués dans de très
nombreux établissements par certains chefs comme Alain Ducasse ou Joël Robuchon. La cuisine
française, telle qu’elle se construit au XIXe siècle, était faite pour cela. La volonté de Carême, après
Escoffier, était d’imaginer une cuisine qui soit reproductible, et donc diffusable.
Oli vier A ssouly
Je voudrais quitter le cosmopolitisme d’Escoffier pour revenir à un temps un peu plus long, c'est celui de
la Nouvelle cuisine, en reprécisant en quoi elle consiste et comment elle s’est articulée avec certaines
évolutions sociales. Comment s’est formée cette triade entre le cuisinier, la critique et la société ?
Béné dict Be augé
Le grand succès de la Nouvelle cuisine, qui est effectivement devenue une réussite sur un temps long,
provient de cette parfaite cohérence avec une demande de l’époque. Le nom « Nouvelle cuisine » a été
donné par les critiques Gault et Millau en 1973 pour désigner un mouvement qui avait commencé en
France à la fin des années 1950 chez certains cuisiniers, mais qui a vraiment pris de l’ampleur au milieu
des années 1960 avec la génération du père de Michel Troisgros, avec Paul Bocuse, Michel Guérard et
d’autres. Ce que cherchaient à traduire ces cuisiniers était une aspiration commune à tout le monde :
manger plus léger, plus sain, plus simplement. En effet, pendant la Seconde guerre mondiale, la
population avait été extrêmement privée et la Grande cuisine faisait dans la surenchère avec une
nourriture très riche. Puis, tout d’un coup, plus personne n’avait envie de manger comme cela. Ou
seulement de temps en temps, mais plus au quotidien, ça faisait partie du passé.
Oli vier A ssouly
Mais la Nouvelle cuisine semble ne pas être comparable à un phénomène de mode, dans la mesure où
l’on est dans un temps long…
Béné dict Be augé
Oui, mais en même temps la Nouvelle cuisine a beaucoup apporté à la mode. Certaines particularités de
la Nouvelle cuisine se sont répandues de manière relativement effrénée. On a vu apparaître les mousses,
les haricots verts sous forme de fagotins, les grandes assiettes - ce sont le père et l’oncle de Michel qui ont
créé ce service à l’assiette, une véritable révolution dans l’approche de la cuisine pour les restaurants !
Ces modes se sont propagées à un rythme extrêmement rapide.
Si la Nouvelle cuisine a eu cette influence capitale sur l’évolution de la cuisine française, voire mondiale,
c'est qu’elle a été en totale phase avec son époque et a pu être assimilée par la société. C'est-à-dire que les
principes de la Nouvelle cuisine ont trouvé des traductions dans la cuisine ménagère.
Oli vier A ssouly
L’un des points du Manifeste de la Nouvelle cuisine a été d’alléger considérablement les plats,
notamment en utilisant des liants qui n’étaient plus constitués uniquement de farine et de beurre. Cela
correspondait à une évolution sociale qui prenait en charge un corps qui devait être plus svelte.
Béné dict Be augé
Il est vrai qu’en 1970, la population n’avait plus les mêmes besoins nutritionnels qu’un travailleur
manuel des années 1910.
Michel Troisgros a souligné quelque chose d’important tout à l’heure : l’intérêt grandissant pour les
cuisines traditionnelles. On voit la Nouvelle cuisine comme futuriste, mais en fait elle s'est beaucoup
intéressée au passé et a essayé de donner des versions modernes de plats traditionnels. Elle a beaucoup
oeuvré dans cette réintroduction des ingrédients familiers qui étaient méprisés parce qu’ils
appartenaient à la cuisine de la grand-mère ou de l’arrière grand-mère. Et, tout d’un coup, ils sont
redevenus à la mode, mais sous une nouvelle forme.
Oli vier A ssouly
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Caroline Champion, dans un passage de votre livre, vous établissez ce parallèle entre la mode et la
cuisine, en montrant comment la cuisine s’est rapprochée de l’art contemporain et comment le cuisinier
lui-même s’est transformé, comme le couturier l’avait fait à son époque, en artiste.
Caro li ne Ch ampio n
J’essaie de penser ce parallèle en trois termes. Nous sommes entre la question de la mode dans la cuisine,
ou celle de la mode et de la cuisine, mais il est intéressant d’ajouter un troisième terme pour montrer
cette dialectique puisque cela circule avec toute une époque. La problématique de l’art contemporain
mise en perspective avec les questions de mode et de cuisine permet de trouver un point commun : tout
s’organise autour de la figure du créateur, qui est associée à la mythologie de l’artiste. Le couturier va
devenir créateur ; le cuisinier va devenir créateur. Derrière cette idée de création, vient celle de la
nouveauté, de quelque chose de très personnel qui va être associé à une signature. Cette notion de
signature ou de griffe en Haute Couture se retrouve aujourd'hui en cuisine. Certains restaurants
proposent des plats-signature. Il y a vraiment cette idée de la figure du cuisinier, artiste ou artisan – je ne
vais pas rentrer dans le débat -, qui travaille sur cet imaginaire de la création. Le parcours du couturier,
qui va être une sorte d’assomption en figure de créateur, précède ou en tout cas est en relation avec celle
du cuisinier, qui va également subir cette transformation de statut.
Derrière ce concept, il y a toute une mythologie d’avant-garde, qui est d’abord à trouver dans l’art. On
pourrait parler d’histoire de l’art, ce qui nous ramène à un temps très long, avec des querelles entre les
anciens et les modernes. L’art n’est pas figé, mais dans l’art contemporain la révolution est permanente :
dans la notion d’avant-garde, dans la négation permanente de ce qui précède. C’est un rythme vraiment
très différent dans la transformation des pratiques. En tout cas apparemment, puisqu’il y a toute une
écume, et l’art contemporain est un style en tant que tel malgré toutes les petites négations que les uns
ont avec les autres.
Je voulais vous citer plusieurs phrases qui montrent comment on passe de la question de la modernité à
la question de la nouveauté. Sur ce point, on rejoint la question de la mode - même si la mode n’est pas
exactement synonyme de « toujours nouveau », car elle implique aussi un circuit de valeur. Pour
Rimbaud, il faut être absolument moderne. Cette phrase de Rimbaud, fondatrice de cette perspective,
entre en résonance avec la définition que Baudelaire, fasciné par la mode, donne de la modernité. En
1863, une époque qui connaît un croisement très intéressant entre l’art et la mode, Baudelaire dit dans
Le peintre de la vie moderne : « La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de
l’art dont l’autre est l’éternel et l’immuable. » On remarque déjà cette idée de l’éphémère dans l’art,
mais associée à l’immuable, deux notions qui vont de paire.
Pour Breton : « La beauté sera fulgurante ou ne sera pas. » On est en 1937, il ne reste plus que
l’éphémère, la fulgurance, la transformation rapide. La transformation de l’art contemporain fait passer
de « Il faut être absolument moderne » à « Il faut être absolument nouveau », ce qui n’est pas du tout
pareil. La modernité est toujours en contradiction avec l’ancien ; le nouveau n’est déjà plus nouveau car
il a déjà été fait une fois. C’est une sorte d’obsolescence programmée, de renouvellement permanent
puisqu’il faut faire quelque chose de neuf. Le tempo s’accélère donc vraiment dans le circuit de
l’innovation, une logique qui se retrouve aussi en cuisine. La mode s’appuie sur un circuit de nouveaux
défilés et cette idée de recyclage. De la même manière qu’en cuisine, il y a des allers-retours entre les
traditions et la modernité, c'est-à-dire qu’on revisite, on reprend, on recycle. Avec une circulation entre
le haut et le bas qui pour la mode vient de la rue. En cuisine, c'est pareil : un plat peut être revu,
retravaillé.
Oli vier A ssouly
D’une certaine manière, et paradoxalement, le rapprochement de la cuisine avec l’art n’a pas favorisé un
temps plus long, mais au contraire, une accélération des rythmes de consommation dans la cuisine.
Caro li ne Ch ampio n
Justement parce qu’une forme de mode était entrée dans l’art : l’empire du nouveau et donc de
l’éphémère.
Oli vier A ssouly
Peut-on dresser une typologie des cuisines et des modes en cuisine ?
Caro li ne Ch ampio n
Une typologie, je ne sais pas, mais quand on parle de cuisine, il faut distinguer la cuisine des restaurants,
la Haute Cuisine, qu’on pourrait associer à la Haute Couture, et la cuisine populaire ou du quotidien
qui, en l’occurrence, n’est pas une forme de prêt-à-porter mais s’inscrit sur un temps différent. La
question qui pourrait être posée est dans quelle mesure n’y a-t-il pas d’épiphénomènes dédiés au cercle
de la gastronomie ? Vous citiez au début le boudin de chez Parra, tous ces name-dropping que l’on a en
ce moment dans les micro-milieux de la cuisine. Tous ces noms qu’il faut avoir à sa carte, ces produits
qui sont à la mode, dans quelle mesure circulent-ils et touchent-ils des personnes qui ne sont pas dans le
milieu de la cuisine ? Pourquoi, par exemple, retrouve-t-on la verrine partout alors que d’autres
produits ne franchissent pas les bornes des petits milieux de la cuisine ? Derrière ces notions, il y a la
question de l’acceptable. Changer la façon de se nourrir n’est pas anodin. Changer sa façon de s’habiller
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est déjà quelque chose d’important, puisque ça rejoint l’image qu’on renvoie de soi, mais ingérer
quelque chose de complètement nouveau touche à des frontières symboliques. Personne n’est prêt à
avaler des fourmis du jour au lendemain, même si l’on vous dit que c'est à la mode. Où sont les limites
de l’innovation en cuisine ? Une rupture totale n’est pas possible, sauf si le public est prêt, qu’il a été mis
en confiance. Chez Ferran Adria, il va goûter des plats incroyables, mais il est dans un contexte de
restaurant côté, il est en sécurité, mais il ne le refera pas chez lui.
Oli vier A ssouly
La nouveauté chez les industriels se traduit par un jeu autour du signe, du packaging, de l’emballage, de
la mise en scène du produit. Comment s’organise la mise en spectacle de la pâtisserie ? Je pensais à
Fauchon, car vous y avez fait un passage. Comment jouer sur les images, les signes, les symboles, peutêtre, dans une certaine mesure, aux dépends de la sensorialité et du goût lui-même ?
Caro li ne Ch ampio n
La relation avec la Haute Couture est cultivée explicitement car elle est valorisante, elle pointe la notion
de luxe. Le pâtissier va donc produire des collections et organiser des lancements, mettre en scène les
vitrines où l’aliment disparaît presque. Les affiches des campagnes de publicité de Fauchon mettent en
avant le côté couture : on ne voit plus l’aliment. De la même manière, Pierre Hermé a organisé le
lancement de sa nouvelle collection de « haute pâtisserie » en mettant en scène les gâteaux comme dans
un contexte de défilé. Cela rejoint la notion de créateur. C'est une façon de valoriser la cuisine et en
l’occurrence la pâtisserie, ce qui est encore plus complexe puisqu’on touche au luxe et à l’inutile. Il y a
une inversion entre le prix et l’utilité : on ne mange pas un macaron pour se nourrir, c'est un plaisir
gratuit.
Cette particularité est d’autant plus intéressante qu’elle permet l’introduction de produits dérivés. Le
nom du chef a acquis une importance énorme, une valeur qui peut être comparée au poids de la marque.
Cela a ouvert la voie aux produits dérivés, soit en travaillant avec l’industrie, soit par un système de
licences et un marketing du nom. Aujourd'hui, certains bouchers ont un attaché de presse !
Oli vier A ssouly
Dans la séquence que nous avons visionnée, Michel Troisgros a dit quelque chose d’extrêmement
remarquable : « Ce plat n’est pas spectaculaire au niveau visuel, mais il y a une explosion sensorielle ».
Vous semblez accorder vos faveurs à une expérience gustative, ce qui n’est pas le cas dans une certaine
mise en spectacle du plat.
Miche l Tro isgr os
Le goût est selon moi prioritaire à toute démarche. Mais effectivement, c'est parallèle : la forme et le
fond se pensent quasiment en même temps. La façon dont on va entreprendre ces goûts et présenter ces
saveurs va forcément avoir une répercussion sur le goût lui-même, pas seulement sur l’esthétique, mais
selon la forme le goût va changer. C'est-à-dire que les mêmes éléments assemblés de façon plus au moins
épaisse ou mince vont avoir un autre goût, et du coup une autre esthétique. Les choses se jouent très
subtilement au même moment.
Oli vier A ssouly
Ce qui montre que le travail du cuisinier n’est pas réductible à celui du designer qui agencerait des
formes. Il faut tenir ensemble, dans la même équation, la totalité des éléments.
Revenons sur cette question du cuisinier comme marque. On pense aux années 1990 et à ce qui a été
amorcé avec Alain Ducasse. Bénédict Beaugé, pouvez-vous nous en dire davantage…
Béné dict Be augé
Cela remonte à beaucoup plus loin. Dès le XIXe siècle, certains cuisiniers importants ont essayé de
capitaliser sur leur nom et ont créé des filiales. Ce système s’est véritablement développé au moment de
la Nouvelle cuisine. Un pas a été franchi avec Michel Guérard qui a été, je pense, le premier à collaborer
réellement avec l’industrie et à lancer des gammes à son nom chez Findus. Cela a été repris par d’autres.
Paul Bocuse a mis son nom sur à peu près tout, y compris des choses dont on ne comprend pas l’utilité.
Oli vier A ssouly
Vous voulez dire que c'est le Pierre Cardin de la cuisine ?
Béné dict Be augé
Oui, c'est vraiment ça ! Parrainer des conserves William Saurin n’est pas très gratifiant pour quelqu’un
qui proclame être le pape de la cuisine française !
Bocuse, bien avant Ducasse, a lui aussi multiplié les adresses. Il a eu, dès les années 1970, quatre ou cinq
restaurants en même temps sous son nom.
Oli vier A ssouly
On rencontre cette logique de duplication de la signature et du nom dès le XIXe siècle. Ce qui me semble
différent chez Ducasse, en comparaison avec Bocuse par exemple, est qu’il organise déjà son activité
comme dans les industries de la mode, avec une stratégie de marque qui n’est en rien laissée au hasard.
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Béné dict Be augé
Il a effectivement envisagé son activité comme dans l’industrie du luxe. Ducasse a toujours travaillé avec
un partenaire financier.
Miche l Tro isgr os
Mais le meilleur exemple n’est-il pas Pierre Cardin avec Maxim’s ? Au moment où il a acquis le
restaurant rue Royale et donc la marque, il a essaimé les Maxim’s, comme sa mode, aux quatre coins du
monde, à Mexico, Rio de Janeiro,…
Béné dict Be augé
Il existait un Maxim’s à Tokyo avant Cardin mais de fait, ce dernier a appliqué à un haut lieu de la
gastronomie les techniques qu’il avait mises au point dans la mode.
Miche l Tro isgr os
C’est peut-être le seul exemple, car par la suite, ce sont les chefs qui se sont pris en main et non les
propriétaires ou les hommes de la salle qui, avant ces années 1960-70, avaient la parole, le pouvoir. Les
cuisiniers étaient quant à eux au placard, oeuvraient comme des artisans dans l’arrière-boutique et n’en
bougeaient pas. Les chefs se sont émancipés avec la Nouvelle cuisine.
Caro li ne Ch ampio n
De plus, la Nouvelle cuisine marque l’ascension du cuisinier-restaurateur. Il devient chef d’entreprise, il
sort de derrière ses fourneaux et doit gérer son nom. Il est en face à de nouvelles problématiques de
concurrence. Les aristocrates à Versailles devaient faire du nouveau pour faire face à la concurrence.
Béné dict Be augé
Oui, concurrence entre les maisons, pas entre les cuisiniers, car ils n’étaient là que pour exécuter.
Seulement quelques uns sont passés à la postérité, mais le plus souvent ils recherchaient le parrainage de
leur patron, en donnant son nom à leur plat.
Caro li ne Ch ampio n
On voit bien que le culte de la nouveauté est associé à une notion de concurrence.
Béné dict Be augé
Cette notion a été introduite par le restaurant. A la fin du XVIIIe siècle, la concurrence entre les
cuisiniers n’était pas très claire, quoiqu’elle commençait déjà à s’établir. Elle n’est devenue effective et
générale qu’avec la Nouvelle cuisine, deux siècles plus tard, même si tout au long du XIXe siècle il y a eu
des cuisiniers stars qui ont revendiqué un statut de créateur et d’artiste, comme Carême, Dubois,
Escoffier et d’autres.
Oli vier A ssouly
La manière dont on revisite un plat dans un restaurant, comme on le fait dans le vêtement pourrait
construire l’un des ponts possibles entre la mode et la gastronomie. Il y a un plat très emblématique dans
la maison Troisgros que Michel a revisité plusieurs fois : le saumon à l’oseille, qui fait aussi l’objet de
quelques minutes dans le documentaire de Paul Lacoste dont on n’a pas vu la séquence.
Miche l Tro isgr os
C'est l’un des aspects de l’innovation puisée dans le patrimoine. Le saumon à l’oseille m’avait tellement
fatigué, il était tellement empreint de la tradition Troisgros que je ne voulais plus en entendre parler. Ce
plat était l’emblème de la maison, mais j’ai pris le risque de l’oublier. Je pense avoir bien fait car cela m’a
permis de me projeter dans une aventure plus risquée. Etre en danger m’a ouvert l’esprit, j’ai dû me
dépasser. Pour la nouvelle version de l’escalope de saumon à l’oseille, qui est arrivée dans les années
2000, c'est-à-dire 40 ans après la version originale, je me suis inspiré des mêmes produits de base mais
l’expression en est totalement différente. Je n’y mets plus de crème, alors que dans la Nouvelle cuisine
française des années 1960-70 c'était un plat crémé. J’utilise à la place un yaourt très aigrelet, qui vient
sous forme de petites touches. Le plat est japonisant ou oriental. Il est très français dans les goûts, mais
très oriental dans la manière dont il a été conçu : une touche de yaourt, une réduction d’échalotes au vin
blanc sec, un saumon taillé non pas fin mais épais. Sa cuisson est rosée… Le saumon n’est bon que dans
cette sous-cuisson. Il est enveloppé dans des feuilles d’oseille et l’ensemble est cuit à la vapeur. J'ai pris
en compte la notion de légèreté, d’épaisseur, la précision dans la cuisson, la praticité de la dégustation.
Tout est léger, dépouillé, actuel.
Oli vier A ssouly
Avez-vous préservé une continuité gustative avec la recette traditionnelle ?
Miche l Tro isgr os
Si le goût de ce plat respecte le goût initial ? Oui, car ce sont les mêmes ingrédients, il y a un respect de
la recette. C’est comme si un artiste d’art contemporain s’inspirait, tout en étant très éloigné mais avec
un rapport très sensible, parfois même invisible mais présent, d’une œuvre majeure d’un artiste
classique.
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Oli vier A ssouly
Je vais passer le micro dans la salle pour ceux qui ont des questions à poser.
De la salle , Je an-P au l L eroy , Ré dacteur en che f, Fashio n M ag.co m
J’aurais une question économique. Le monde du luxe et de la Haute Couture, compte des empires
(LVMH, Gucci Group, etc.), ce qui n’est pas le cas dans la gastronomie. Des créateurs chefs d’entreprise
ont été mentionnés, mais pas de multigroupes.
Oli vier A ssouly
Ce mouvement de financiarisation, de holding et de regroupement n’a pas eu lieu mais je ne saurais pas
vous dire pourquoi.
Béné dict Be augé
Tout simplement parce que la mode vestimentaire à, d’un point de vue temporel, une grande longueur
d’avance. Le phénomène des créateurs est arrivé plus tôt dans la mode que dans la cuisine. Cette prise de
pouvoir des cuisiniers est très récente, alors que les grandes maisons de couture étaient déjà créées dès
avant-guerre. Cependant, LVMH a une part fondée sur un des éléments de la gastronomie dont on n’a
pas parlé, qui est le vin.
Oli vier A ssouly
Lancer une marque de luxe sans un support financier important est exclu aujourd'hui, alors que dans la
gastronomie, les actions individuelles sont encore possibles. Il y a quelques exemples, comme Pascal
Barbot à l’Astrance, où les investissements sont certes importants mais incomparables.
Miche l Tro isgr os
La difficulté, dans la restauration, est qu’on se remet aux fourneaux deux fois par jour. La fraîcheur des
aliments est extrêmement difficile à gérer. La multiplication des adresses a ses limites. Ducasse ou
Robuchon ne vont pas développer les lieux à l’infini car la quantité pourrait nuire à la qualité. Ce n’est
pas comme des collections qu’on met en scène dans des magasins et qui ne s’abîment pas. En cuisine, il y
a également la compétence de celui qui va exécuter et, même si les schémas de recettes sont parfaitement
édités, photographiés, même si les hommes des restaurants sont formés à l’école de base, il y a toujours
ce danger du contexte quotidien. Alain Ducasse ne fait pas la même chose à Tokyo qu’à Paris car il utilise
les produits des marchés locaux. Ce qui crée une différence et pourrait donner lieu à la critique : « Je
n'ai pas mangé la même chose à Tokyo qu’à Paris, c'est moins bien… » Les restaurants sont donc plus
difficiles à multiplier.
Caro li ne Ch ampio n
Les budgets ne sont pas non plus les mêmes. Dans les deux cas nous sommes dans le domaine du luxe,
mais manger dans un 3 étoiles coûte moins cher que d’acheter une robe de Haute Couture. D’un point
de vue économique, les niveaux sont très différents.
Oli vier A ssouly
Michel Troisgros me reprendra si je me trompe, mais j’ai signalé au départ que les restaurants 3 étoiles
n’ont pas de budget de publicité. Elle se fait essentiellement par le relais des guides, comme le Michelin
dont l’influence est majeure. La réputation et la notoriété se construisent par les guides et les amateurs
eux-mêmes apparemment.
Caro li ne Ch ampio n
Excepté les restaurants 3 étoiles des palaces.
Béné dict Be augé
Ils ont des budgets de communication, mais pas publicitaires.
Miche l Tro isgr os
L’inverse est beaucoup plus beau. La force, l’âme d’un restaurant vient de celui qui l’anime. Rien n’est
plus beau que Michel Bras à Laguiole que nous n’avons pas encore cité. Son gargouillou, un plat copié
par de talentueux cuisiniers aux quatre coins de la planète, n’a de vérité et d’âme qu’en Aubrac, car c'est
le fruit d’une personne, de son imagination et de son rituel quotidien de la cueillette potagère ou du
bord de route. Ce plat, qui n’est jamais le même d’un jour à l’autre, est une conception du paysage dans
l’assiette et c’est à chaque fois une pièce unique.
De la salle , R alph To le dano , C on su ltant en stratégi e et dé velo ppe me nt i ntern atio nal
Des parallèles entre la mode et la haute gastronomie viennent d’être évoqués. Dans la mode, les grands
couturiers ont fait du prêt-à-porter, comment se fait-il que les restaurateurs les plus raffinés n’ont pas
fait de restauration rapide ? Pourquoi n’y a-t-il pas de marque française à vocation internationale de
restauration rapide ? La France étant la patrie de la Haute Couture, on a élaboré des marques de prêt-àporter. C'est également la patrie de la gastronomie, alors pourquoi n’a-t-on pas fondé de chaînes de
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restauration rapide, à part Jacques Borel avec les « Restoroute » à la fin des années 1960. Pourquoi estce le domaine des Etats-Unis ou de l’Italie ?
Oli vier A ssouly
C’était une expérience cruelle pour ceux qui y allaient à l’époque… Et pourquoi parler de restauration
rapide, et pas de restauration tout court ?
Caro li ne Ch ampio n
Parce que les Français adorent passer des heures à table !
Béné dict Be augé
Il faut signaler que la restauration collective est entièrement tenue, au niveau planétaire, par les
Français, comme Sodexo par exemple. Depuis la salle, j’entends évoquer Paul, qui devient effectivement
international.
C'est très certainement à cause d’un décalage par rapport au marché. Pendant longtemps ce type de
restauration n’intéressait pas les Français, qui se nourrissaient autrement. La restauration rapide
américaine s’est développée principalement à partir de la seconde guerre mondiale. Le succès de
McDonald’s date des années 1940, alors qu’à ce moment-là en France, il y avait encore les bistrots où
l’on se retrouvait pour manger. Il n’y avait aucune demande pour cette catégorie de restaurant dans
l’Hexagone à cette époque là. Ensuite les marques américaines ont débarqué sur le marché français.
De la salle , R alph To le dano , C on su ltant en stratégi e et dé velo ppe me nt i ntern atio nal
Cela signifie qu’il y a un marché de la restauration sur lequel la France a perdu des parts de marché
importantes ?
Oli vier A ssouly
Je ne suis pas sûr que le cuisinier parte de la perspective d’un marché.
De la salle , R alph To le dano , C on su ltant en stratégi e et dé velo ppe me nt i ntern atio nal
Je viens d’émettre l’idée que ce n’était pas au cuisinier de le faire, mais en tant que pays avec un tissu
industriel, pourquoi, au besoin en utilisant le patrimoine, n’a-t-on pas une ou quelques grandes chaînes
de restauration comme les Américains ? Alors que la restauration rapide est présente dans toutes les
villes françaises mais détenue par des groupes étrangers ?
Caro li ne Ch ampio n
On est en train d’y venir avec le développement de la vente à emporter. C'est une question compliquée
parce qu’elle touche à des résistances culturelles. Je disais en plaisantant que les Français aiment passer
des heures à table, c'est l’image qu’ils se renvoient d’eux-mêmes, car ils ne passent pas des heures à table.
Au début, la restauration rapide, qui est arrivée de l’extérieur, a été vécue comme la « Mcdonalisation »
des Français. La mondialisation en était devenue un synonyme, il y a donc eu des phénomènes de
résistance forte. La France est le pays des chefs, de la gastronomie, c'est l’image qu’elle renvoie et qu’elle
vend à l’étranger. Il y avait donc une contradiction à développer au sein de cette France-là une
restauration rapide. C’est maintenant pris en considération avec le « Slow good », le « Fast good », en
essayant de montrer qu’on peut faire de la restauration rapide de qualité. Certains restaurants de chefs
développent la vente à emporter, mais ce n’est pas pensé à l’échelle d’une chaîne internationale.
De la salle , R alph To le dano , C on su ltant en stratégi e et dé velo ppe me nt i ntern atio nal
En France, pendant des années, les marques françaises de Haute Couture ne fabriquaient pas de prêt-àporter, pourtant elles y sont venues.
Miche l Tro isgr os
Nous, les chefs, nous avons le sentiment que ce n’est pas à nous de faire ça.
Caro li ne Ch ampio n
Il y a un fossé entre l’industrie et les chefs.
Miche l Tro isgr os
Le cas des chaînes américaines de restauration est unique. Vous avez parlé de l’Italie, mais elle n’a pas
plus de chaînes que nous. La pizza est un phénomène, mais ce n’est pas une chaîne italienne qui l’a
répandu sur la planète comme McDonald’s. C'est le plat lui-même qui s'est propagé, car il est facile,
populaire, modeste.
Béné dict Be augé
Dans cette veine, je citerai les crêpes bretonnes, que l’on trouve dans le monde entier. Ou les
croissants…
De la salle , P ascal Mor an d, Directeur Gé néral, ES CP Euro pe
On pourrait dire que l’équivalent de la restauration rapide est la grande distribution. Or les acteurs du
luxe ne sont pas nécessairement ceux de la grande distribution. Concernant l’Italie, je me souviens que
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Benetton avait racheté des restaurants d’autoroute avec notamment l’argument qu’il n’y avait de raison
qu’en Italie les cafés sur les autoroutes soient imbuvables !
J’aimerais savoir si Michel Troisgros a été tenté, non pas par la restauration rapide mais par des
déclinaisons, qu’on les appelle « produits dérivés » ou « vecteur de croissance », comme des brasseries
portant la marque Troisgros ou une autre marque par exemple ? Certains chefs abandonnent les 3
étoiles pour se consacrer à d’autres types de formats. Tout en veillant à cette qualité intrinsèque, faut-il
se lancer dans un certain nombre d’expériences mais en conservant le business model qui fonctionne,
basé sur votre identité et celle de votre cuisine. Ou comme dans le prêt-à-porter, vaut-il mieux créer, en
France ou en Europe plusieurs brasseries sur un même format, dont vous contrôleriez la qualité, mais
qui ne seraient ni au même prix ni au même niveau, bien qu’avec une image haut de gamme. Est-ce cette
idée vous a effleuré l’esprit ?
Miche l Tro isgr os
Marie-Pierre et moi l’avons fait, mais de façon très mesurée. Nous avons ouvert Le Central à côté de
notre restaurant, et il y a 3-4 ans, en collaboration avec Patrick Bouchain dont nous avons découvert le
travail d’architecte ici, à la Villa Noailles, nous avons également réhabilité une ferme « La colline du
Colombier » en auberge, complétée de gîtes pour séjourner. Nous avons donc étendu nos activités et
démocratisé notre style, qui n’est d’ailleurs pas le même dans les deux établissements. L’un est un
restaurant citadin, avec une carte changeante et qui peut s’inspirer des voyages : on peut manger avec des
baguettes ou même se régaler d’un hamburger, les traditions locales sont peu mises en avant, les prix
sont modestes. Alors qu’à la Colline du Colombier, nous pensons la carte avec un souci de proximité : la
règle est de ne travailler que des produits issus de notre territoire, dans un rayon de 60 km alentour.
C’est un exercice intéressant et contraignant. Le style est moderne, pas du tout terroir mais plutôt dans
l’esprit de la cuisine ménagère que j’apprécie. On choisit et on cuisine les ingrédients locaux avec malice.
Nous n’irons pas plus loin dans notre développement, sauf si un coup de cœur se présente car nous
n’avons pas l’ambition de créer une enseigne qui puisse se cloner. Je veux rester un auteur, un acteur de
ma cuisine, de mes cuisines, et je tiens absolument à être au milieu de mes gars, parce que c'est mon
plaisir tous les jours.
Oli vier A ssouly
Je vous remercie tous et en particulier mes invités.
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