Un Président dans les îles mais nous faut-il vraiment un

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Un Président dans les îles mais nous faut-il vraiment un
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Un Président dans les îles mais nous faut-il vraiment un
Président ?
Date : 25 février 2016
Michel Lhomme, politologue ♦
Réflexions sur un voyage présidentiel
Qu'est-ce qu'un Président ? Qu'est-ce en définitive que le Pouvoir ?
Nous avons assisté en direct à la préparation de l'arrivée du Président François Hollande en
Polynésie française. Ce fut pathétique.
Citons un exemple, le médecin de l'Elysée constatant qu'à Uturoa, le bloc opératoire était fermé
pour cause de rénovation. S'il arrivait donc quelque chose, faudrait-il opérer le Président devant
tout le monde dans la salle des urgences ? Le Président se doit de marcher pieds nus sur le
marae sacré mais les pierres sont glissantes et si le Président se fracturait la jambe ? Ainsi, le
Président se déplace à chaque fois avec ses conseillers, son équipe de sécurité, le médecin de
l'Elysée, son anesthésiste personnel. Les équipes sont ensuite doublées sur place par les
moyens hospitaliers locaux.
Á Toulouse, lors d'une visite présidentielle de De Gaulle, il avait fallu commander un lit de deux
mètres ! Un Président, c'est donc quelqu'un qui est avant tout bien soigné. Est-ce aussi le cas
pour la main tremblante du Premier Ministre ? On doit donc vraiment tenir à ce poste pour tous
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ces petits avantages de la bonne santé et de la longévité garantie. Puis, ce sont les cadeaux,
perles de luxe, tiki de première main, tapas à Wallis. On sait que chaque Président en reçoit
tant qu'il finit par créer à chaque fois un Musée dans la bourgade où il a commencé sa carrière
politique.
Lorsque François Hollande s'installa dans la tribune de son premier 14 juillet, on me raconta
qu'il eut une brève conversation avec Le Drian et Ayrault s'étonnant eux-mêmes de se retrouver
là dans les gradins au plus haut rang officiel : « Comment en est-on arrivé là ? Qui l'aurait cru,
dis-moi, il y a trois ans ? ». Effectivement, imagine-t-on, avouer à Mitterrand que François
Hollande le remplace ? Il aurait éclaté de rire et pourtant.... François Hollande fut un Président
par défaut comme le sera le prochain mais il est le Président et à ce titre auréolé, même chez le
plus lucide de ses adversaires de l'auréole maurassienne des institutions de la Vème
République à savoir il est le Président élu au suffrage universel. Drôle de République que la
République française qui fait des Présidents des rois et des princes.
En inscrivant dans la constitution de 1962, l'élection au suffrage universel du Président de la
République française, le Général de Gaulle "monarchisa" la République parce qu'il voulait en
finir avec le régime tout puissant des partis qui divisaient la France. Effectivement, par ce genre
de voyages officiels, on atteste que l'exécutif a bien recouvré toute son efficience, toute sa
réalité symbolique et un peu de son lustre. On se précipite de partout pour couronner de fleurs
le Président, on l'acclame alors qu'hier, on le critiquait. En fait, ils ne sont pas grands parce que
nous sommes à genoux (La Boétie) mais parce que nous leur avons construit des institutions à
leur mesure. C'est en réalité par la Constitution que l'on change le profil politique d'un pays et
que demain, espérons-le, nous le changerons.
Le Président, en étant directement élu par les Français, est leur « souverain ». La Vème
République n'est rien d'autre qu'une monarchie républicaine capable aussi de transformer
comme lors des dernières élections régionales un premier tour proportionnel en scrutin
majoritaire sans que personne n'y ait quelque chose à redire. Le Président irradie tous les
couloirs jusqu'à celui des Assemblées parlementaires qui peuvent être désertées puisque le
rôle des partis demeure encadré, raisonné, voire neutralisé par l'exécutif. Si Hollande recherche
en sa dernière année les voyages exotiques, c'est que lui, l'un des meilleurs manœuvriers de la
classe politique française (incontestablement sa plus grande qualité politique) court aussi
comme tous ses prédécesseurs derrière la Présidence « au-dessus des Partis » dont il a
fortement besoin pour être réélu. La Présidence «au-dessus des Partis », l'Outre-mer
généreuse et souriante l'a toujours offert aux Présidents de la République française sur des
plateaux parfumés et pimentés mais en coulisses quelque peu couteux. Mais voilà, pour avoir
une telle Présidence, il faut ou sortir dans les îles ou gérer les catastrophes naturelles voire les
attentats, curieusement efficaces d'ailleurs en campagne électorale (Merah, 13 novembre).
Alors, une question : cette singulière monarchie républicaine de la Vème République est-elle
vraiment compatible avec une démocratie représentative et une société plurielle ?
Dès 1965 c'est-à-dire dès les premières élections du Président au suffrage universel, le Général
de Gaulle fut mis en ballotage et le Général en voyage extérieur fut lui-aussi toujours le simple
porte-parole d'une majorité politique et surtout politicienne, celle de « la droite la plus bête du
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monde », la bourgeoisie conservatrice. Celle-ci tuera d'ailleurs dans l'œuf la « participation » ou
les idées socialisantes d'un gaullisme de gauche à la Séguin ou à la Chaban. De Gaulle, ce
sera la Droite classique. Jamais de Gaulle ne réussira à sortir de cette ornière. Il échoua donc à
monarchiser la République française puisque n'est pas roi qui veut. De Gaulle et ce sera pire
encore pour ses successeurs, sera toujours le chef d'un clan.
De fait, ses successeurs précipiteront la partitocratie en y ajoutant les influences extérieures, le
poids des loges et les réseaux de l'ENA. Non seulement les politiques prendront le contrôle de
l'Elysée mais ils seront de plus en plus secondés et inféodés aux administratifs qu'ils ont en
général cooptés. Entre partis politiques et haute administration, le gouvernement ne sera plus
jamais « populaire » mais celui d''un cercle d'amis réunis souvent autour de dispendieuses
prébendes (la gamelle) et d'intérêts particuliers. C'est donc effectivement le peuple celui qui se
met au bord des trottoirs lors du quatorze juillet à Paris ou lors des visites présidentielles qui
reste le grand perdant de la tentative de monarchisation gaullienne de la République française
par l'élection au suffrage universel. La réduction à cinq ans du mandat présidentiel aura achevé
l'ensemble, réduisant sur le calendrier la vie politique à une campagne permanente pour les
primaires, incluant même - et c'est un comble ! - le président en exercice dans la tournante. Le
candidat de 2017 ne sera pas l'homme de la nation mais encore l'homme d'un parti sauf bien
sûr pour le Front National. En n'organisant pas de primaires internes, Marine Le Pen s'impose
bien en effet comme candidate dans ce qu'elle croit être le lien qu'elle a tissé avec la Nation et
avec les Français. On ne saurait le lui reprocher sauf qu'hélas, il n'y a plus depuis longtemps en
France de Français au sens où elle l'entend, au sens de «patriotes » ou de «citoyens ».
En Polynésie, nous avons fait remarquer que François Hollande court après des voix mais
n'oublions pas que récemment Alain Juppé faisait de même en Algérie. Juppé y allait même
très fort en déclarant, en plein débat parlementaire à Paris sur les binationaux que, je cite, « les
binationaux sont une passerelle entre nos deux pays et que la France est riche de sa diversité
». Comme l'Outre-mer, la visite en Algérie ou au Maroc est devenue le passage obligé de tout
candidat présidentiel. D'ailleurs, avant de partir pour Papeete, François Hollande recevait le roi
du Maroc.
Du coup, on se demande si, dans un tel état de détournement de l'esprit de la constitution de
1958, il faut maintenir la présidentialisation de la démocratie française. Est-ce un bon choix ?
N'est-ce pas justement le régime présidentiel lui-même qu'il s'agirait de remettre en question ?
Pourquoi s'interdirait-on ce débat ? Pouvons-nous vraiment tomber dans l'illusion à chaque fois
du « recours » et de l'« homme providentiel » qui solutionnerait tous les problèmes ? Nous
envions les royalistes : ils ont un nom pour Vincennes ou Versailles. Nous rêvons d'un
populisme mais peut-il se passer de chefs ? Nous fantasmons sur la démocratie participative
mais peut-on occulter le décisionnisme ?
En attendant, nous allons assister cette année au défilé des candidats, y compris du présidentcandidat, qui ont besoin d'aller chercher à l'étranger ou dans les îles leur (contre)-légitimité, à
défaut d'avoir tisser avec le peuple le lien charnel du politique et du civisme ou d'envisager de
reconstruire l'État.
Illustration : cérémonie des cadeaux à Wallis - document exclusif de notre correspondant
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