Ma fille est une jeune femme autiste âgée de 20 ans
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Ma fille est une jeune femme autiste âgée de 20 ans
Témoignage Alice Ma fille est une jeune femme autiste âgée de 20 ans. Elle ne parle pas et souffre de surcroît d'une épilepsie non stabilisée. Il y a 18 mois, je fus convoquée par la direction de l'établissement qui l'accueillait depuis 11 ans, et que je nommerai X, à me rendre à un entretien où l'on me signifia brutalement que dans un délai de 3 mois, je devrais avoir trouvé un autre hébergement pour Alice, devenue violente et ingérable. X, situé dans la périphérie de Bruxelles, se présente pourtant comme un institut spécialisé pour autistes, et devrait donc ne pas ignorer qu'un autiste n'est pas un personnage éthéré, une sorte d'elfe merveilleux enfermé dans cette fameuse bulle dont on nous rebat les oreilles depuis tant d'années. Une prise en charge incompétente peut avoir des conséquences désastreuses. Suivirent 2 mois d'angoisse, de coups de fil innombrables, de visites. X, qui m'avait pourtant assuré de sa collaboration dans ma recherche, ne me fournira en tout et pour tout qu'une maigre liste d'institutions dont quelques hôpitaux psychiatriques. Comme je m'y attendais, aucune place, à Bruxelles ou en Wallonie, seulement des listes d'attente d'une longueur désespérante. En décembre 2004, une place s’ouvre en Wallonie dans un établissement non-subsidié où ma fille restera 3 semaines : faillite, encadrement insuffisant, retour à la maison en urgence. Le préavis de X est expiré. Je garderai donc Alice avec moi. Je vis seule dans un petit appartement, et, par "chance", je suis au chômage. Entre-temps, mes coups de fil ont permis que ma fille soit inscrite sur la liste prioritaire de l'AWIPH, réservée aux cas lourds. J'attends. Mais la tâche sera au-dessus de mes forces. Les coups, les hurlements, la vaisselle brisée, la cuisine et la salle de bains dévastées, le stress permanent, le sommeil trop rare, le désespoir, ont raison de moi. Tout l'amour du monde ne peut rien. Je suis cloîtrée chez moi. Je n'ose plus sortir avec Alice. Son père et mon fils viennent m'aider, font mes courses, je profite de leur présence pour prendre une douche, manger un morceau. Mais ce n'est pas suffisant. Tous ces neuroleptiques, antidépresseurs, calmants, anti-épileptiques, que Alice prend à forte dose, pourquoi ne pas les prendre tous en une fois, elle et moi, et en finir de cette vie qui n'est qu'un enfer ? Le médecin d’Alice, que souvent j'appelle, comprends ce qui se passe, et demande le placement d'office. En février 2005, ma fille sera placée en hôpital psychiatrique. Une équipe de soutien aux personnes autistes va intervenir, l'asbl ESCAPE. Enfin, j'entrevois une lueur d'espoir. Au mois de mai suivant, un établissement situé en Hainaut me contacte : une place sera libre pour Alice en octobre. Miracle. Mais rien n'est joué. Ma fille a terminé sa période d'essai de 6 mois. 6 mois ! Et l'équipe me prévient qu'elle se donne encore 2 mois pour décider si, finalement, Alice pourra rester dans ce nouvel établissement. En effet, elle demande beaucoup d'attention, les éducateurs sont stressés, trop peu nombreux, et probablement peu formés à la problématique de l'autisme. Que va-t-elle devenir ? Quelle charge sera celle de mon fils après ma mort ? Il m'arrive d'espérer que ma fille disparaisse avant moi.