Promesse de soin et cessation de traitement

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Promesse de soin et cessation de traitement
POINT DE VUE
PROMESSE DE SOIN ET CESSATION DE TRAITEMENT
Marcelle Monette, inf., Ph. D.
Introduction
Dans la situation présente, il est question d’une dame âgée, atteinte de déficits cognitifs
assez sévères et qui ne veut plus prendre de médicaments. La réflexion que nous faisons
montre qu’on continue de maintenir un plan thérapeutique (la promesse de soin) tout en
respectant le refus de la dame. La cessation de la médication ne signifie pas la cessation
de l’ensemble des traitements puisque la dame n’est pas en train de mourir.
La promesse de soin
Les êtres humains confiés aux infirmières sont uniques. La reconnaissance de cette valeur
se traduit par une promesse 1 inconditionnelle de soins prodigués de façon spécifique et
individualisée. L’unicité de la personne, parfois appelée dignité, est une composante
essentielle du soin, continuellement présente et qui se traduit par des gestes
professionnels de fidélité à l’accompagnement jusqu’au bout. Autrement dit, aucun motif
sérieux ne peut justifier l’abandon d’un malade.
Toucher les limites du raisonnable
Alice a 72 ans. Récemment, elle subissait un troisième infarctus après un accident
vasculaire cérébral. C’est une artiste qui a consacré cinquante ans de sa vie à
l’enseignement de la peinture et de la sculpture. Elle vit présentement dans un centre
d’accueil. Elle a une seule sœur, religieuse en communauté, qui la visite régulièrement.
Atteinte de troubles neurologiques assez sévères, elle est incapable de s’exprimer de
façon cohérente par des mots. Par contre, elle parle sans arrêt et si on l’écoute
attentivement, on finit par entendre les paroles suivantes : « Non, je ne veux plus ». Très
handicapée, elle est incapable de marcher sans aide. Son diagnostic médical est sévère et
une prochaine attaque pourrait lui être fatale.
Le moment de la prise des médicaments est devenu un véritable tour de force : elle fait le
geste de la tête qui signifie « NON! », ferme la bouche et l’infirmière retourne au poste
1
. MARSDEN, Celine, “Care giver fidelity in a pediatric bone marrow transplant team”: Heart&Lung
(1988-17-no6) 624. La référence à la fidélité a été tirée de RAMSAY, Paul, The patient as a person, New
Havn, Conn., Yale University Press, 1970. La référence à la promesse de soin a été tirée de la thèse de
doctorat non publiée de MONETTE, Marcelle, Analyse du concept de dignité humaine en bioéthique entre
1996 et 1999 et construction d’une définition, Université de Montréal, 2000, p. 113-115.
1
avec les médicaments. Récemment, après la visite de sa soeur qui l’incitait à coopérer
« pour son bien », Alice a modifié son comportement. Elle fait semblant d’avaler les
comprimés, mais le personnel en retrouve un peu partout, par terre, dans et autour de
son lit.
Le personnel infirmier réalise qu’il a essayé plusieurs interventions qui ont échoué. Il se
réunit avec le médecin et la sœur d’Alice, substitut au consentement. Celle-ci a accepté
l’invitation de l’équipe, mais dit qu’elle aurait préféré ne pas s’en mêler et s’en remet
entièrement aux décisions de l’équipe. Elle ne se rappelle pas non plus avoir entendu
Alice parler de ses volontés de fin de vie.
Dès la début de la rencontre, l’infirmière pose la question : « Doit-on envisager l’arrêt
complet de la médication? »
Réfléchir ensemble pour décider ensemble
1. Qu’est-ce qui dérange les personnes dans cette situation?
Réfléchir ensemble pour décider
ensemble
• Identifier ce qui dérange l’équipe, la famille
et la patiente elle-même.
• Dégager les désaccords.
• Rechercher la visée thérapeutique pour la
personne malade.
• Identifier les moyens proportionnés pour
atteindre la visée thérapeutique.
• Évaluer ces moyens régulièrement.
Plusieurs facteurs. Alice
n’a plus d’autonomie, il
faut décider pour elle sans
rien connaître de ses
volontés
explicites.
L’équipe de soins est mal
à l’aise de forcer Alice à
prendre ses médicaments,
mais en même temps
reconnaît qu’ils lui sont
nécessaires.
Tout
le
monde serait bien soulagé
de ne plus avoir à
administrer
de
médicaments à Alice,
mais reconnaît que ce
serait la négliger et ne pas
lui administrer des traitements requis par son état de santé.
2. Quels sont les désaccords possibles qui peuvent empêcher les membres de
l’équipe de s’entendre?
D'abord, il faut préciser que les professionnels de la santé sont troublés quand ils ont
l’impression de ne pas soigner adéquatement une personne malade, de manquer à leur
promesse de soin. Et c’est le cas d’Alice.
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Mais l’équipe est divisée. Des membres seraient d’accord de respecter le refus d’Alice et
de cesser les médicaments pourvu que tous les membres de l’équipe le soient afin de
porter ensemble le poids moral de cette décision.
D’autres membres proposent plutôt d’administrer les médicaments par toutes les autres
voies sauf orale.
La sœur d’Alice ne prend parti pour aucun des deux groupes.
Les désaccords de l’équipe sont partagés entre ceux qui privilégient le respect du refus
d’Alice et les autres qui privilégient la bienfaisance.
3. Quelle est la manière habituelle de traiter les personnes atteintes de ces maladies
et qu’est-ce qui m’empêche de traiter Alice tel que son état le requiert?
Incontestablement, les médicaments qu’Alice reçoit font partie du traitement requis par
son état de santé. Ce qui fait problème pour certains c’est qu’Alice semble signifier
clairement qu’elle n’en veut plus et il est insoutenable de traiter quelqu’un contre son gré.
Pour d’autres, ce qui fait problème c’est qu’elle ne reçoit pas les soins auxquels elle a
droit.
Faut-il donner plus d’importance au respect du refus d’Alice ou lui donner ses
médicaments à tout prix?
4. Peut-on rechercher une visée thérapeutique sur laquelle l’équipe et la personne au
consentement substitut pourrait s’entendre?
La recherche de la visée thérapeutique évite d’avoir à trancher entre les partisans du
respect du refus d’Alice et les partisans du traitement à tout prix. Il ne s’agit pas de savoir
quel parti va gagner, mais plutôt de réfléchir à ce qui convient le mieux à Alice.
Il n’existe pas de médicaments pour guérir Alice. Certains médicaments peuvent
légèrement améliorer son état ou le maintenir. Par conséquent, si on ne peut la guérir
qu’est-ce qui peut être amélioré ou maintenu tout en tenant compte du comportement
d’Alice?
Une visée thérapeutique pourrait certainement être de rechercher à procurer un confort
optimal à Alice autant sur le plan physique que psychologique. Si on s’entend sur cette
visée, l’équipe recherche les moyens proportionnés pour l’atteindre. Ainsi, on revoit tous
les médicaments en priorisant ceux qui améliorent ou maintiennent l’état de santé avec
comme conséquence que certains ne seront plus requis.
Faudrait-il administrer les médicaments par toutes les autres voies qu’orale? La décision
reste à considérer tenant compte tenant compte des contraintes qu’il faudra utiliser si on
choisit la voie intramusculaire ou intraveineuse.
La visée du confort optimal prend autant en considération la nécessité d’administrer à
Alice les médicaments qui lui sont requis pour son confort que sa qualité de vie, pour ce
qu’il en reste.
3
Il est certain que la visée thérapeutique du confort optimal privilégie certains
médicaments, en élimine d’autres et favorise le bien-être psychologique d’Alice. Il faut
choisir. La prise en compte du bien-être psychologique implique la nécessité
d’améliorer la qualité de la communication par des moyens tels des gestes affectueux,
une présence douce et attentive, des mots doux, etc.
5. Une fois qu’on a choisi cette visée thérapeute et les moyens appropriés, est-on
tenu de les maintenir à tout prix?
Rien n’est définitif. La visée thérapeutique et les moyens appropriés se modifient selon
l’évolution de santé de la personne malade. L’important est de ne pas décider seule de
changer l’orientation du plan, à moins d’une situation très grave ou urgente
S’il faut porter des ajustements au plan de traitement convenu, il faut que cela soit fait en
équipe. La décision est commune et doit le rester. Une équipe est solidaire dans le
meilleur
intérêt
du
malade.
Position de l’infirmière
• Solidarité avec l’équipe de soins sur la visée
thérapeutique.
• Obligation de rechercher des moyens
proportionnés.
• Conservation de la relation thérapeutique
avec l’ensemble des parties.
• Maintien de la promesse de soin avec la
personne malade.
Position de l’infirmière
L’infirmière est solidaire
de l’équipe de soins. Elle
exprime librement ses
inconforts face au refus
de la personne malade en
regard des médicaments
administrés. En même
temps elle a l’obligation
de rechercher un équilibre
de soins, pour la personne
malade, avec les autres
membres de l’équipe.
L’infirmière a l’obligation de maintenir une relation thérapeutique avec la personne
malade, son substitut au consentement et les membres de l’équipe de soins. Elle a aussi
l’obligation de tenir sa promesse de soin inconditionnelle à l’égard de la personne malade
comme si elle lui disait : « Tu n’es pas facile à soigner, mais je ne t’abandonnerai
jamais ».
Conclusion
Dans cette situation, la réflexion de l’équipe interdisciplinaire s’est faite sur la recherche
d’une façon de respecter le refus de prendre des médicaments d’une personne atteinte de
déficits cognitifs tout en maintenant un plan thérapeutique. La solution était acceptable
pour la dame et les membres de l’équipe de soins.
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