Quelques conditions gagnantes pour réussir les grands projets

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Quelques conditions gagnantes pour réussir les grands projets
Quelques conditions gagnantes pour réussir les grands projets urbains
par Florence Junca Adenot, directrice du Forum Urba 2015.
Prononcée le 30 avril 2008
Mise en contexte
De tous temps, les grands projets publics et ceux des villes, (arts, infrastructures,
énergie, transports, santé, éducation, notamment), agissent comme des moteurs de
développement de la société et de l’économie en raison de leurs effets structurants
et de leurs effets d’entraînement.
Récemment, les grands projets gagnent une nouvelle importance pour le
développement des métropoles où vivent déjà 81% des citoyens des pays
industrialisés, et où vivront 60% de la population mondiale d’ici 2020, dans une
période de croissance urbaine et de redéveloppement des friches industrielles,
souvent proches des cœurs de ville. Les métropoles rivalisent entre elles, comme
nouveaux lieux de la compétition mondiale et misent sur la qualité de vie urbaine et
les attraits culturels pour attirer les investisseurs et les employés bien formés. Le
défi est de maintenir un équilibre dynamique entre le bien commun et les intérêts
particuliers, à court et à long terme
Les citoyens, particuliers ou corporatifs, bien informés, veulent contrôler leur
milieu de vie et défendent de nouvelles valeurs ou l’environnement, les transports
écologiques, la ville à échelle humaine, et la qualité de vie urbaine, détiennent une
place de plus en plus importante. Leur action se manifeste quand un nouveau projet
survient, surtout s’il est perçu comme imposé sans concertation, à la société, et s’il
heurte les nouvelles valeurs urbaines.
Ce nouveau contexte réduit les écarts entre les conditions de succès des grands
projets publics et ceux financés privément et modifient le rôle des ministères, des
villes et des promoteurs.
Problématique
Alors que les projets éclosent partout dans le monde et que les villes multiplient les
exemples réussis, pourquoi l’opinion publique traduit l’impression qu’au Québec
et, en particulier à Montréal, les décisions se figent ou se prennent mal. Tout
nouveau projet semble générer la méfiance. Les groupes de pression, les médias en
présentent les dissonances. Les villes hésitent entre le laisser faire et le contrôle du
développement. On parle d’immobilisme alors que les projets à défendre se
multiplient. Pourtant dans la région de Montréal, surviennent de beaux succès
comme la rénovation du Vieux Montréal, la réhabilitation du canal Lachine, le
Nordelec, le projet Angus, Pointe Saint Charles, le Quartier international de
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Montréal, la renaissance des trains de banlieue etc….. Quels sont donc les
ingrédients ou facteurs de succès des grands projets en ce début du XX1è siècle, sur
lesquels miser pour renverser la tendance et rendre la prise de décision plus fluide,
plus conviviale, et mieux adaptée aux nouveaux besoins urbains?
Un essai de définition. La réussite d’un projet repose sur une bonne planification,
une bonne organisation, une réalisation rigoureuse et une promotion efficace auprès
des nombreux partenaires, précédée d’un exercice de concertation des parties
prenantes et des populations principalement concernées. Les projets peuvent se
composer de plusieurs sous projets mais liés entre eux par une approche globale qui
intègre les volets social, économique et environnemental. Ils doivent s’inscrire à
l’intérieur du plan directeur ou du plan d’urbanisme qui définit le bien public ou
commun. Un grand projet n’est pas juste un gros projet. Il s’agit de projet
d’infrastructure publique ou d’un projet immobilier ayant une incidence sur le
milieu urbain.
Les facteurs politiques
Dans un contexte opportun, un projet doté d’une vision de qualité, défendable,
pertinent, qui réponde à des besoins compatibles avec le milieu d’insertion, et
qui soit cohérent, devrait engranger les premiers ingrédients de sa réussite.
Qu’il s’agisse de répondre à des besoins de logement, d’éducation, de santé, de
saisir une opportunité d’affaires comme bâtir une nouvelle entreprise, d’investir
stratégiquement comme les projets de la Baie James ou encore de réhabiliter un
quartier, le projet doit être publiquement expliqué, de façon transparente, autant
dans ses objectifs et les résultats attendus que dans ses impacts, ses contraintes, et
les processus qui seront suivis tout au long de sa planification et de sa réalisation.
S’il s’agit d’un projet public il ne peut échapper à justifier sa cohérence par rapport
à des choix politiques incorporés dans une planification approuvée tel qu’un plan
stratégique, un plan d’urbanisme ou des priorités gouvernementales. Par exemple,
si la priorité est accordée aux transports collectifs et que les premières décisions
budgétaires se portent sur des investissements dans le réseau autoroutier, les
graines de discorde sont semées et la contestation s’installe. Il suffit de suivre les
débats vigoureux entourant les projets de l’autoroute 25, de la rue notre Dame, de
l’échangeur Turcot, alors que le Gouvernement s’est doté d’une politique de
développement des transports collectifs et de critères rigoureux de lutte aux gaz à
effets de serre. Ces règles s’appliquent aussi à des projets tels que le déménagement
du Casino ou la vente du Parc Orford.
Un projet doit être porté avec vigueur par un ou des leaders
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Aucun projet ne peut progresser positivement s’il n’est pas porté, défendu, négocié,
expliqué avec ouverture et ténacité par un leader capable de mobilisation. Ce leader
peut appartenir aux élites politiques ou venir de la société civile à condition qu’il
travaille avec les pouvoirs administratifs et politiques car tout projet a un effet sur
la ville et requiert des fonds publics. Ce leader doit générer des leaders chez les
parties prenantes pour qu’ils deviennent les défenseurs du projet.
La continuité dans les choix et dans le temps est importante. Les changements
d’équipe politique lors d’élections ne devraient pas interrompre ou modifier un
projet bien lancé. Prenons des exemples de réussite tels que celui du maire L’Allier
pour le développement du quartier Saint Roch à Québec, de la grande bibliothèque
du Québec, du réseau universitaire, de la Baie James, comme exemples de projets
menés à terme et portés sans relâche, à travers les différents gouvernements qui se
sont succédés. En sens inverse, pourquoi le CHUM, planifié au 6000 Saint Denis et
ayant obtenu l’accord unanime de toutes les parties prenantes, après 3 ans de
travaux de planification, a-t-il changé de site suite à un changement d’équipe
gouvernementale et, depuis, piétine à retrouver une faisabilité adéquate et une
cohérence, avec les gaspillages de temps, de ressources, de crédibilité, qui en
découlent?
Les intervenants et de la société civile s’impliquent en amont et tout le long du
projet
Obtenir l’adhésion des parties prenantes aux objectifs du projet est incontournable.
Tout grand projet public et, maintenant tout grand projet privé ayant des incidences
sur l’environnement de la population, ne peut plus être développé derrière des
portes closes, et annoncé comme un fait accompli. La population et les groupes
d’intérêt, plus éduqués, informés par les médias, méfiants face à diverses
mauvaises expériences, veulent être impliqués, sinon, ils s’opposent, parfois avec
un peu d’aveuglement.Les entreprises et chambres de commerce emboitent le pas
Cela signifie que les décideurs publics et privés sont appelés à partager leur pouvoir
en associant, de façon organisée, les intervenants et la population, en amont, à la
définition même du concept, via des processus de consultation ouverts,
multilatéraux, intégrateurs des opinions émises, soutenu dans le temps jusqu’à la
fin du projet. Une telle approche enrichit le projet. La consultation doit expliquer
les impacts et retombées concrètes, tout en expliquant les alternatives.
Consulter ne veut pas dire unanimité à tout prix. L’exemple du déménagement du
casino dans le bassin Peel, en autant que le projet était défendable, est un bel
exemple de décision perçue comme un fait accompli imposé, à vendre à la
population. Cette approche peut expliquer, en partie, le sort qu’il a subi. Les
difficultés à faire avancer le projet de Notre Dame ou celui de l’A30 sont d’autres
exemples. En sens inverse, des grands projets réussis, cités au début de cet article
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représentent des projets exemplaires qui ont impliqué les intervenants concernés
tout au long du processus, dont la réalisation fut harmonieuse et les résultats
concluants. Consulter ne veut pas dire non plus manipuler l’opinion publique pour
vendre un projet.
Un des derniers exemples récents et flamboyants de projet urbain réussi est la
construction de 43KM de tramways et une opération de rehaussement urbain, dans
26 villes de la Communauté urbaine de Bordeaux, en 9 ans, portées par son maire,
et reposant sur plusieurs centaines de groupes de consultation et d’intervention qui
ont permis que le projet se réalise sans accrocs ni contestations importantes, malgré
la vie intenable qu’il faisait vivre aux citoyens et entreprises, pendant plusieurs
années.
L’appropriation du projet par la société civile, les élus et les développeurs est
essentielle à sa réussite et la gouvernance doit refléter ce ménage à 3, tout en
s’appuyant sur des projets pertinents et recevables, portés par des leaders
rassembleurs. Ce mouvement est irréversible et, autant aux USA qu’en
Europe, les grands projets respectent ces facteurs politiques de succès, sinon
ils rencontrent de grandes difficultés.
Les facteurs environnementaux
Intégrer les projets à la ville.
Les grands projets publics ou privés doivent tenir compte du contexte urbain et
humain dans lesquels ils s’insèrent, pour créer des quartiers urbains dotés d’une
mixité de fonctions. L‘amélioration de la qualité de vie de ceux qui y vivent et qui
y travaillent prédomine. Les différents groupes de la société cohabitent et l’histoire
urbaine des lieux est respectée. Les projets doivent aussi être insérés dans la
planification de la municipalité. Ces nouvelles contraintes complexifient la tâche
des planificateurs des grands projets. L’exemple de l’installation de l’Université de
Montréal dans la cour de triage d’Outremont est un bel exemple de donneur
d’ouvrage à qui on demande de prévoir des dessertes de transport en commun, des
commerces de proximité, des services locaux, des parcs, dépassant les buts d’une
université. Le cas fut le même, en 1983, pour l’UQAM qui, planifiant son campus
au cœur de la ville, devait prévoir des commerces au niveau de la rue pour
poursuivre la trame urbaine, s’assurer que les hauteurs des bâtiments s’harmonisent
avec le quartier, ou changer l’heure du début des cours pour éviter la congestion
du métro. Il est demandé à Griffintown, un projet privé, d’inclure tous les
ingrédients d’un village urbain en y incluant les services. C’est le cas des nouveaux
projets de TOD (transit oriented development) où l’ensemble du quartier
prédomine par rapport aux parties qui le composent.
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Respecter les milieux urbains et naturels
Les grands projets urbains ne peuvent plus s’installer dans les milieux urbains et
naturels, détruire, et construire en toute impunité, car ils ont des comptes à rendre
quant aux valeurs environnementales qui guident dorénavant la société. Respect du
patrimoine, des espaces verts, de la morphologie de la ville, des milieux naturels,
de l’intégration architecturale de qualité, sont autant de préoccupations que les
décideurs et gestionnaires de grands projets doivent incorporer dans leur propre
planification sinon ils courent le risque d’être contestés.
Il s’agit ici de trouver l’équilibre entre le but individuel de rentabilité à court terme
et le but collectif de conserver des patrimoines qui augmenteront la valeur des
villes de l’avenir. Remplir le fleuve pour l’expo 67 ne serait plus accepté
aujourd’hui. Les discussions actuelles autour de la protection du Mont Royal
l’illustrent. Le tollé soulevé par la construction de tours d’habitation sur l’île
Charron, à l’entrée du parc national des îles de Boucherville est un autre exemple
qui aurait pu être évité si la ville de Longueuil et le promoteur avaient considéré
l’importance collective des îles pour Montréal et l’agglomération, et pas juste
l’intérêt des taxes et profit à court terme. Le Musée de la Pointe à Callières ou le
Centre Canadien d’architecture sont exemplaires à cet égard.
Le phénomène des ilots de chaleur, en croissance, commence à être compris, et
entrainent l’adoption de stratégies de verdissement systématique des projets
urbains, plantation d’arbres, parcs, toits verts etc qui s’appliquent maintenant aux
grands projets urbains.
Construire durablement des projets de qualité
Construire durablement et y mettre le prix correspondent à de nouvelles
préoccupations aux fins d’économiser des ressources et de moins polluer.
Construire des immeubles de qualité crée de la valeur et une plus longue durée de
vie Aucun grand projet ne peut y échapper. Ce choix représente parfois un coût
additionnel au moment de construire dont les économies au niveau des budgets
d’opération ou les retombées sur la société dépassent largement l’addition. Les
règles du jeu privées peuvent en tenir compte plus facilement que les règles
publiques qui séparent hermétiquement les enveloppes d’investissement et de
fonctionnement. De plus, la règle du plus bas soumissionnaire conforme remplace
le jugement éclairé et l’approche de calcul sur la base du cycle de vie. Il suffit de se
rappeler les critiques acerbes essuyées par la Caisse de dépôt et de placement du
Québec pour avoir conçu un bâtiment durable, et énergiquement économe, à un
prix au pied carré plus élevé que la moyenne, pour illustrer cette affirmation; ou
encore le magnifique projet de rénovation des édifices de Benny Farm dont
l’approche entièrement verte et durable s’est heurtée aux difficultés des règles de
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subventions fédérales qui ne reconnaissaient pas ces choix dans leurs règles de
financement des investissements..
Donc, les grands projets doivent tenir compte des milieux urbains et humains
dans lesquels ils s’insèrent et retisser la trame urbaine pour valoriser les
quartiers à échelle humaine dotés d’une mixité de fonctions. Les valeurs
environnementales contribuent à améliorer la qualité de vie urbaine et sont
nécessaire à la préservation de la qualité et de la valeur des villes de l’avenir.
Pour ce faire construire durablement des édifices et infrastructures de qualité
contribue à préserver les ressources rares tout en embellissant les milieux
urbains.
Facteurs économiques et financiers
Les infrastructures représentent un investissement et non une dépense
À cet égard, des changements d’attitude sont requis. Les grands projets
d’infrastructure publics doivent cesser d’être considérés comme une dépense
analysée sous le seul angle comptable, et être examinés comme un investissement
porteur de retombées économiques, environnementales et sociales, et donc, évalués
au mérite avec ces indicateurs. Dans tous les pays du monde il s’agit d’un
formidable bras de levier, qui rapporte des taxes plus élevées que l’investissement
public initial et génèrent des investissements privés, évidemment quand le projet
est défendable.
Par exemple, la construction des espaces publics du Quartier international de
Montréal a requis des dépenses publiques de 90M$, mais a généré jusqu’à
maintenant 1.3MM$ d’investissements privés aux alentours. Les 5 stations de
métro d’Arlington (banlieue de Washington) ont généré en 20 ans en
investissements, 9 fois ce qu’il a coûté à construire. Ce sera peut être le cas pour le
métro de Laval d’ici 10 ans. À Saint Roch, le maire L’Allier se faisait ridiculiser
par les médias quand il plantait des arbres à 800$ l’unité, installait des
infrastructures et des parcs dans un quartier taudifié. Il a gagné son pari. Évidement
cela ne se fait pas sans organisation. Il n’y a pas de lien de cause à effet miraculeux.
Il faut mettre en place les conditions pour que les investissements publics génèrent
ce genre d’effets.
Un grand projet s’avère un moteur de prospérité et d’attrait des investisseurs
Un grand projet privé ou public doit être considéré pour ses retombées plus larges
sur la société. Le choix de développer la Baie James n’est pas un choix comptable
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mais bien de doter le Québec des outils en matière d’énergie pour le rendre
indépendant et lui permettre de prospérer. Les grands investissements à Portland
pour relancer le centre ville, en perdition, avec un chantier tramways et de relance
urbaine, ont réussi à faire du centre de Portland un milieu prospère et agréable à
vivre.
Les projets annoncés doivent se réaliser à leur juste prix et non à leur juste
prix politique
Un sujet qui fait très mal aux grands projets, particulièrement publics, provient de
l’opacité qui entoure les annonces de coûts d’un projet, toujours sous estimés afin
d’obtenir le feu vert du démarrage. Ensuite, quand la réalité rejoint le projet, elle
devient dépassement de coûts et scandales, ce qui taxe d’incompétents les
gestionnaires de projet. Alors que la plupart des fois, cette interprétation se révèle
fort loin de la réalité. Il y a dans tout cela une bien mauvaise compréhension de ce
qui se passe, et qui devrait se passer, et les tords sont souvent partagés. Pour
vérifier si un projet respecte son budget, il faut attendre qu’il y en ait un, et donc
que les plans soient suffisamment avancés, et que tous les arbitrages en termes de
programmation et de choix soient terminés. On oublie aussi que même si un projet
n’est pas encore défini, il existe au moins des normes comparatives qui permettent
de comparer des moyennes de coûts de réalisation pour des ouvrages semblables
dans le monde.
Une annonce politique d’un projet se fait en général bien longtemps avant que le
projet soit planifié, et un coût politique lui est souvent associé pour le faire passer.
Une étude réalisée à Londres en 2003 portant sur 230 projets de transport dans le
monde a démontré que ces derniers lorsque terminés coûtaient de 50 à 150% de
plus qu’annoncés. Même la Baie James a été annoncée en 1972 à 8MM$, alors
que les études de faisabilité étant avancées, en 1975 le budget prévisionnel
s’établissait à 15MM$ et fut respecté par la suite. Le CHUM a changé de lieu en
invoquant comme raison qu’il allait coûter 800 000$, alors que les professionnels
savaient qu’il ne pouvait pas se réaliser à moins de 1.5MM$. Et, évidemment, le
cas du métro de Laval annoncé par le Gouvernement, avant même que le tracé soit
défini, à 66M$ par KM alors que celui de Toronto se construisait à 150M$ par KM,
s’ajoute aux exemples. Les professionnels ont fait leur travail. Les coûts
prévisibles, sur une base de normes moyennes, étaient connus. Les médias parlent
encore d’un projet cher alors qu’il s’est réalisé à15% de moins par KM que le coût
moyen des autres projets, qu’il gagne tous les prix en terme de gestion de projet, et
qu’il attire beaucoup plus de monde qu’espéré.
Pourtant il est possible de prévoir correctement un coût de projet et de s’y tenir. Il
faut que le projet, le programme, soient bien définis, que tout soit inclus et qu’une
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fois commencé il n’y ait plus de changements, que soient incluses des marges
raisonnables de contingences pour faire face aux risques, et que des équipes de
gestion de projet rigoureuses soient engagées. L’annonce du projet devrait
normalement se tenir une fois les budgets bien attachés.
Ici encore les ministères de tutelle ont aussi leur examen de conscience à faire.
Combien de longues négociations pour accepter des réserves de contingences, des
réserves pour l’inflation, les frais de financement à l’intérieur du budget d’un grand
projet public!!! Mais si ce parcours à obstacles est franchi, il n’y a pas de raison
pour que le projet ne se réalise pas à l’intérieur du budget prévu. C’est à partir de là
que peut s’affirmer le respect ou le dépassement des coûts, et que des mesures
d’évaluation de la performance des gestionnaires peuvent être retenues.
De nouveaux modèles de financement voient le jour pour stimuler les grands
projets urbains. Au traditionnel emprunt hypothécaire ou service de dette,
s’ajoutent de nouvelles sources. La prise en charge du coût total ou partiel d’une
infrastructure peut s’apparenter à une redevance de développement. Par exemple, le
promoteur de Griffintown offrait 15M$ pour implanter un tramway. Les parties
prenantes peuvent accepter de financer un grand projet urbain en partie pour
améliorer la qualité du quartier reconstruit comme ce fut le cas du Quartier
international dont 14M$ de fonds privés ont rehaussé la qualité. Les fonds verts
influencent les choix d’un projet via le financement. Le principe de l’utilisateur
payeur s’introduit progressivement tel que les péages à Londres pour financer les
projets de transports collectifs. Différentes formules de partenariats peuvent
faciliter la réalisation de projets urbains complexes en partageant les risques.
Des annonces politiques plus prudentes de projets à leur juste prix, des
décideurs administratifs n’hésitant pas à s’opposer à des mandats impossibles
à respecter, des règles du jeu plus proches de la réalité des grands projets et
des personnes compétentes sont les ingrédients de base pour éviter les crises
publiques et redonner la confiance au public dans les annonces de projet.
Développer une approche et des outils mesurant les projets d’infrastructures
comme des investissements, et acceptant la notion de partage de risques dans
des grands projets urbains, entre les fonds publics et privés, me semblent des
contributions positives pour faciliter le développement de projets.
.
Facteurs liés à l’expertise
Choisir les meilleures équipes expertes, talentueuses et multidisciplinaires
conditionne la réussite des grands projets.
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Les nouveaux contextes décrits dans cet article conduit aussi à bâtir autrement les
équipes de professionnels d’un projet. Travailler en équipe multidisciplinaire, dès
le concept en ayant en tête un projet inspirant, ajoute aux strictes préoccupations
des besoins du clients, en inscrivant dans la planification du projet les conditions du
développement durable, la qualité du design, l’aménagement de la ville, l’approche
multifonctionnelle à retenir, les choix de mobilité et de transport, ou encore les
efforts de communication à prévoir. Le résultat se traduit en des concepts mieux
adaptés aux nouveaux contextes, aux nouvelles valeurs, au milieu urbain; ce qui
facilite ensuite la préparation et l’acceptation du projet.
Le rôle des professionnels est important auprès du donneur d’ouvrage qui n’a pas
toujours l’expérience des projets de construction de plus en plus complexes. Ils
doivent expliquer qu’un bon projet ne se limite pas juste à des beaux principes mais
c’est aussi un bon programme, bien analysé, dont les objectifs parfois
contradictoires ont fait l’objet d’une bonne médiation, un projet bien communiqué
aux professionnels qui ont le devoir de conseiller s’ils notent des lacunes, bien
communiqué aux parties prenantes, et non changeables une fois les contrats
octroyés. Savoir prévenir les conflits et les résoudre, fait aussi partie d’un bon
projet. Investir dans les professionnels dont les honoraires représentent entre 6% et
13% du coût d’un projet, représente un investissement très rentable et non une
dépense qu’il faut réduire à tout prix, car il devient un garant de la qualité, du prix
raisonnable d’un projet et du respect des échéanciers.
De nouvelles façons de travailler des administrations publiques émergent
Les municipalités doivent se doter d’une vision claire à court et à long terme,
cohérente et partagée par tous et d’outils adaptés.
Ces nouvelles approches mettent une pression forte sur les élus qui n’ont pas
nécessairement l’expertise innée pour cerner la complexité accrue du
développement d’une ville, ainsi que et sur les fonctionnaires en sandwichs entre
les promoteurs et les élus. Cette vision se retrouve dans ses différents documents
d’encadrement tels que les plans directeurs, d’urbanisme, plans sectoriels, et
règlements. Un plan d’urbanisme ou un PPU partagé par tous devient un document
d’encadrement clair pour tous qui lance un message de cohérence. Par exemple, le
plan d’urbanisme de Montréal, adopté après un vaste chantier de consultation,
constitue un pacte social et un outil de développement cohérent à condition qu’il
soit respecté. Assorti d’un processus de négociation ouvert, flexible et ferme à la
fois, de processus de consultation avisés et crédibles, il devient le tableau de bord
incarnant la vision et projetant dans le futur, la ville renouvelée, alors que gérer par
exception et dérogation nuit, à terme, à l’image et au concept d’ensemble de la
ville.
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Une nouvelle organisation interne à la ville qui alloue à chaque grand projet, un
responsable, chargé de coordonner les différents services impliqués, évite au
promoteur de se faire balloter et de se trouver au cœur des contradictions
administratives. Tout le monde le vit.
Les ministères, aussi font face aux changements pour faciliter les grands
projets urbains.
Tout nouveau projet devrait être le déclencheur d’un travail de coordination inter
ministères pour identifier les besoins et contraintes en termes d’écoles, de services
publics, de centre de santé, de transport au lieu de travailler en silo. En plus d’une
nouvelle coordination, les politiques et les réglementations, telles que le code de
construction ou les règles de subvention mériteraient d’être revues pour s’adapter
aux nouvelles tendances et enjeux. Le respect des responsabilités de chacun,
politiques, experts, fonctionnaires, donneurs d’ouvrage, intervenants, citoyens
facilite le respect des objectifs visés et signifie moins d’ingérence politique dans
l’exécution
Facteurs de communication
Les médias détiennent un rôle prépondérant
Les médias se sont donnés le rôle de chien de garde face aux errances publiques et
aux cachettes, particulièrement en ce qui concerne les grands projets urbains, qu.ils
assassinent régulièrement. Au lieu de s’impatienter, de les critiquer, et de chercher
à les utiliser pour passer des messages, pourquoi ne pas changer d’attitude face à
eux. En les formant à la complexité des grands projets urbains, en les impliquant
en amont des projets, en étant transparents face aux difficultés, contraintes et
nouvelles règles du jeu, il serait possible que les communications publiques
informent plus justement les publics.
Les mécanismes de communications et de concertation avec la population et
les intervenants font maintenant partie intégrante des structures de réalisation
Tous les grands projets urbains démarrent par des opérations de réflexions avec les
parties prenantes, afin d’en définir mieux la vision, les orientations et de tenir
compte des avis de la communauté. Du démarrage à la fin de sa réalisation, tout
projet repose, quant à la fluidité de son avancement, dorénavant, sur les structures
de concertation et d’information mises en place avec les intervenants et la
population. Les exemples comme celui du métro de Laval, du tram de Stockholm,
du projet de Vancouver, de Benny Farm, d’Angus, de Bordeaux, ont pris leurs
assises sur une formidable opération de concertation. Utilisant des approches
comme celles prônées par les agendas 21et autres méthodes de concertation, les
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projets développent progressivement leurs formules adaptées à leurs milieux. Et
ceux qui ne le font pas, courent le risque de la colère publique, accrue par le
manque d’information. La crainte des dérapages et de la lourdeur engendrée peut
en faire hésiter certains, mais la contribution positive découlant de telles stratégies
vaut la peine de les adopter.
Conclusion
Une communauté sans projet est une communauté perdante. Les tendances citées
dans cet article sont irréversibles autant aux États Unis qu’en Europe. Les grands
projets respectent la plupart de ces facteurs de succès, sinon ils rencontrent de
grandes difficultés. L’expérience Québécoise est reconnue mondialement en
matière de gestion de projets. Le Québec dispose de ressources bien formées pour
réaliser les grands projets, autant pour des projets publics que privés, ainsi que de
bons entrepreneurs, capables de livrer des projets solides à intérieur des budgets et
des échéanciers. Des équipes multidisciplinaires engagées en amont des concepts
aident à définir mieux les projets urbains et leur programme pour répondre aux
nouveaux contextes. Par contre, au niveau de la gouvernance, en plus de nécessiter
des porteurs de ballon visionnaires et tenaces, la réussite des grands projets urbains
repose sur des nouveaux rôles partagés entre les ministères revoyant leur
organisation et leurs indicateurs de décision pour tenir compte des nouvelles
valeurs, les villes qui jouent leur rôles d’encadrement, et d’investisseurs dans le
domaine public, les promoteurs qui développent et négocient leur intérêt tout en
respectant les intérêts plus collectifs, et les citoyens individuels et corporatifs qui,
en s’impliquant, enrichissent les projets et surveillent l’application des nouvelles
valeurs des villes du XX1è siècle.
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