Le Consentement aux soins dans un cadre contraint

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Le Consentement aux soins dans un cadre contraint
sommaire
Le Service de santé mentale
dans une politique de santé mentale en Région wallonne
2
Christiane Bontemps
Les Belges sont-ils en bonne santé ?
5
Les « projets thérapeutiques » : regard sur quelques enjeux
6
Refonder les pratiques sociales... Refonder les pratiques de santé
8
Sylvie Gérard
Alain Weyers
Thierry Wathelet et Vanni Della Giustina
L’aide sous contrainte aux personnes sans-abri
12
Du silence et de l’oubli à la mémoire collective
13
L’accessibilité aux soins en santé mentale :
14
Sylvie Gérard
Paul Jacques
aux portes du colloque
Christiane Bontemps et Virginie Olivier
À lire, à découvrir
16
DOSSIER : le consentement aux soins dans un cadre contraint
Préface - Christine Gosselin
Mon histoire - Marc Lapouge
Paroles d’usagers - Christine Gosselin
Humaniser les soins sous contrainte.
17
18
20
22
Réflexions éthiques à partir de témoignages
Jean-Michel Longneaux
Réflexions d’un quidam - Patrick Nedergedaelt
Quelle place pour la famille ?
Point de vue multipartial d’une médiatrice en santé mentale
sur le consentement au traitement - Patricia Wastrat
Le consentement en psychiatrie à la lumière de la contrainte :
Un tour d’Europe - Claude Louzoum
Pour susciter un dialogue entre juristes et cliniciens
24
25
26
28
30
Christophe Adam
Conjuguer contrainte et consentement
32
N. Demeter et coll.
Pratiques et vécus des soignants autour de la problématique
34
du consentement dans le cadre de la Mise en observation
et du Maintien - Christine Gosselin
Une approche du traitement sous contrainte en Défense sociale
40
A. Claix, D. Macquet, M. Menghini
La question du consentement chez l’enfant
42
L. Servais, E. Joiret, F. Turine
À la rencontre de l’autre - André Lambert
Le consentement dans le cadre de la thérapie contrainte
44
45
Michel Martin
Le consentement en traitement forcé - Léon Cassiers
Repères bibliographiques
46
48
1
Le Service de santé mentale
dans une politique de santé mentale en Région wallonne
Christiane Vienne, Ministre de la Santé de la Région wallonne nous a confié la
mission de préparer les Assises des Services de santé mentale en Wallonie.
Une large consultation des travailleurs et des pouvoirs organisateurs du secteur,
de ses usagers et de ses partenaires s’organise dans cette perspective, via le
site www.ecolloques.be, pour susciter le débat et en extraire des pistes concrètes
sur les priorités politiques à soutenir en la matière dans la Région.
Ce 2 mai, lors d’une conférence de presse, la Ministre lançait officiellement le projet
dans les locaux-mêmes de l’Institut, l’occasion pour elle de témoigner, en outre,
de la place qu’elle entend donner à notre association pour alimenter sa réflexion.
Les e-colloques, un outil de consultation
Pour contribuer à cette réflexion, chacun –
professionnel, partenaire ou bénéficiaire – est
invité à donner librement son avis sur la façon
d’améliorer l’offre de soins dans la Région. Les
e-colloques sont à leur disposition depuis le
1er mai et les Assises des Services de santé
mentale, programmées pour le 12 septembre,
permettront de faire le point.
Christiane BONTEMPS - IWSM
La santé mentale est un sujet particulièrement
vaste. Elle ne se limite pas, loin de là, à la
maladie mentale et les problèmes rencontrés
sont nombreux. L’offre de soins se doit de
tenir compte des multiples facettes de ces
souffrances qui peuvent peser lourd dans la vie
de ceux qui les vivent, de leur entourage et de la
société toute entière. C’est pourquoi, la Ministre
de tutelle du secteur a décidé de s’intéresser,
cette année tout particulièrement, à la santé
mentale.
Le Service de santé mentale,
un outil de santé publique dans la Région
Grâce aux Services de santé mentale, la
Région wallonne propose une offre diversifiée
de soins. Le décret1 qui les régit a tout juste
10 ans ! Au quotidien, les services cherchent
des réponses. Mais ils ne sont pas tout seuls.
Leurs interventions viennent parfois compléter
ou prendre le relais de celles d’autres acteurs,
psychiatriques ou sociaux.
Les problèmes qu’ils rencontrent évoluent,
tout comme les ressources sur lesquelles
ils peuvent s’appuyer. Par leur action, avec
leurs partenaires, ils sont témoins d’un certain
mal-être de la population. Leur travail au cœur
Confluences n°13 mai 2006 / 2
de la cité les mettent aux premières loges pour
accueillir les personnes en souffrance. Ce rôle
qu’ils sont amenés à jouer nécessite un peu de
recul et de réflexion sur leurs interventions, ses
réalités, ses écueils, les difficultés rencontrées
et les réajustements possibles pour améliorer
leur mission de service au public.
La Ministre les soutient dans cette perspective,
pour en faire œuvre utile dans une réflexion
politique. « Il faut intégrer les Services de
santé mentale dans une réflexion globale
pour aboutir à une redéfinition des missions
et des rôles du champ de la santé mentale en
Région wallonne » a-t-elle confié à la presse.
Il ne s’agira pas de révolutionner le secteur ni
de chambouler tous les repères mais bien de
faire évoluer les pratiques de façon à prendre en
compte l’évolution de ces dix dernières années
en Wallonie. « Le territoire est une donnée
importante » nous dit-elle. « L’articulation
avec le fédéral est indispensable. Le principe
est d’améliorer la situation sur un territoire
donné, compte tenu de ce qui se construit
par ailleurs, comme les expériences pilotes de
travail en réseau menées au niveau fédéral, ou
la redéfinition des métiers de la santé mentale
actuellement sur la table du législateur ».
Un e-colloque, c’est un colloque sur internet.
« Internet est un outil de communication
efficace qui favorise une expression spontanée,
plus décomplexée, qui permet d’aller plus loin
dans la réflexion qu’un colloque classique »
nous explique Madame Vienne. Dans une
Wallonie résolument moderne, les e-colloques
proposent à tous ceux qui se sentent concernés
par la réflexion d’y participer. Il suffit de se
connecter, de surfer sur le site, de lire ce que
d’autres ont déposé et/ou de réagir. Pas besoin
de se déplacer… Pas besoin de bousculer son
agenda, son horaire ou son organisation, …
Pas besoin de prendre des notes… Chacun
prend connaissance des interventions des
autres, intervient quand il le souhaite, seul ou
en équipe, pose une question ou apporte une
contribution…. Et l’Institut Wallon pour la
Santé Mentale suit les réactions au jour le jour.
Il relance les questions et recadre le débat si
nécessaire. C’est aussi lui qui répond à « tout ce
que vous avez voulu savoir sur les e-colloques
sans oser le demander… ».
« Reste à faire le pari, » comme le souligne
Jean Marie Kreuch2, responsable d’un des
Services de santé mentale de l’AIGS3 dans la
Région liégeoise, « que les équipes vont pouvoir
entendre cette proposition de participation.
Gageons qu’elles vont développer une réflexion
interne sur : « qu’est-ce que la santé mentale ?
Confluences n°13 mai 2006 / 3
Comment l’envisageons-nous ? » L’e-colloque
est une occasion unique pour les services de
s’exprimer. Les questions posées rencontrent
en partie leurs préoccupations ».
Reste aussi à parier sur les résultats. Interpellée
par les journalistes, la Ministre s’est expliquée
sur le choix de l’outil « e-colloque » pour atteindre
son objectif. Il est vrai que l’expérience est
encore nouvelle et une 1ère utilisation de l’outil
par le Cabinet de Madame Vienne en 2005
permet d’être optimiste pour une 1ère approche
du sujet. Des réflexions ont été déposées, elles
ont été lues et elles sont exploitées. Il faut
savoir que l’anonymat est garanti pour ceux qui
le souhaitent et que des portes sont ouvertes
pour permettre la participation de ceux qui n’ont
pas accès à Internet4. Par rapport à la charte
sociale travaillée lors des e-colloques 2005, la
santé mentale est un sujet pointu et sensible
qui ne manquera pas de susciter des réactions.
C’est en tout cas ce qui est attendu… et nous y
travaillons ensemble.
Des pistes parmi d’autres…
Une articulation entre l’action sociale et la
santé mentale semble incontournable. Il
y a aujourd’hui une prise de conscience
réciproque de l’imbrication des deux secteurs.
« Mais, précise la Ministre, en santé mentale,
la porte d’entrée, c’est la souffrance des
gens. Et je ne veux pas qu’on psychologise
des problématiques sociales. Ce n’est pas
- par exemple - parce qu’une personne
se sent mal dans sa peau qu’elle ne trouve pas
de travail ».
Pour faire face à ces recouvrements, la Ministre
prône avant tout les collaborations. « Je ne veux
pas de moitié de psy un peu partout ; mais des
articulations entre services qui interviennent,
chacun, selon leurs compétences ».
« Le développement de ces articulations et, par
là, de nouvelles pratiques au sein des services,
amène de « nouveaux types d’usagers » qui
ne s’adressaient pas aux SSM5 auparavant…
Confluences n°13 mai 2006 / 4
Les équipes sont alors, comme le souligne
Jean-Marie Kreuch, confrontées à un problème
de volume de travail… ».
Pour la Ministre Vienne, il faut effectivement
s’arrêter sur cette difficulté. « Je n’ai pas
l’impression qu’il y a un manque de
professionnels » souligne-t-elle toutefois.
« Ce qui manque, c’est un lien entre les
différents services pour assurer le suivi du
patient. Le problème, c’est que les services
ne se parlent pas assez, ne se connaissent
pas… et les relais sont difficiles. Au sortir
des services d’urgences, par exemple, il n’y a
pas toujours de suivi… Vu la complexité des
situations pourtant, souvent, un seul service ne
suffit pas. » Sa solution ? « J’ai envisagé » nous
dit-elle « de financer des organes de
coordination entre services pour faciliter ce
suivi. Il faut toutefois être attentif au respect
de la vie privée des patients. Ma difficulté
aujourd’hui, c’est l’objectivation des besoins.
Nous ne sommes pas suffisamment loin pour
pouvoir avancer concrètement » dira-t-elle.
L’e-colloque devrait permettre de faire un 1er
pas dans ce sens…
évoluer en fonction des besoins. Il s’agit de se
poser les questions de fond. L’IWSM est un
organe de conseil et un outil efficace de relais
avec le terrain ».
Un nouveau défi pour l’Institut… qui cherche
justement à asseoir ses perspectives dans un
cadre officiel, reconnu et soutenu, de manière à
pérenniser son action en santé mentale.
Toute la gageure sera d’articuler le dynamisme
des forces vives trans-sectorielles et la richesse
des réflexions plurielles, issus de la volonté
de transversalité des acteurs et des secteurs
rassemblés au sein de l’Institut, au bénéfice
d’une politique concertée de santé mentale
en Wallonie qui tient compte des outils mis en
place par la Région.
Le débat est ouvert ! A suivre…
1 Décret
(Moniteur Belge du 23/05/1996).
2 Chef
« Cela suppose un élargissement du rôle de
l’Institut, qui se voit ici confier une mission
très concrète de collecte des interventions
du terrain pour me permettre d’arriver à une
évaluation de la situation que je compte faire
Association Inter-régionale de Guidance et de Santé.
des formulaires papiers, disponibles dans les Services
de santé mentale.
5 SSM
Madame Vienne a précisé qu’elle attendait
des pistes très concrètes de cette vaste
consultation. Et pour y arriver, elle compte
bien sur l’Institut Wallon pour la Santé Mentale.
« Je me pose des questions pour lesquelles
j’attends des réponses » affirme-t-elle « et
je compte sur l’IWSM pour disposer des
éléments pour orienter ma politique ». Parmi
les questions soulevées, il y a notamment celle
de l’articulation entre missions généralistes et
missions spécifiques, celle de la place des SSM
dans l’offre de soins, celle des groupes cibles,
celle des modes d’interventions à soutenir, etc.
de service du Service de santé mentale de Visé.
3 AIGS :
4 Via
Et l’Institut dans tout cela… ?
du 4 avril 1996 organisant l’agrément et le
subventionnement des Services de santé mentale
: Service de santé mentale.
Pour faire le point et donner votre avis :
- Participez activement à la réflexion sur
www.ecolloques.be du 1er mai au 30 juin 2006,
ou via les formulaires « papier », disponibles
dans les SSM.
- Inscrivez-vous aux Assises des Services de
santé mentale, programmées le 12 septembre
2006 de 13 à 18h à l’Arsenal à Namur.
Au programme : 1ère synthèse des e-colloques
/ échanges sur les résultats en ateliers
thématiques / perspectives.
Infos : IWSM : Vincent Gérard (modérateur) [email protected] - 081/23.50.15
Les belges sont-ils en bonne santé ?
Un belge sur quatre se dit insatisfait de sa santé. C’est ce qui ressort de l’enquête
santé réalisée en 2004 par l’Institut scientifique de santé publique6. Globalement,
l’état sanitaire du pays ne s’est ni amélioré ni détérioré par rapport aux bilans
dressés en 1997 et 2001. C’est vrai aussi en matière de santé mentale. En revanche,
la consommation de médicaments psychotropes n’a cessé d’augmenter et pourrait
faire l’objet d’actions plus ciblées de la part du gouvernement.
Sylvie GERARD
IWSM
Différents types de mal-être
Le recours aux soins
En Belgique, une personne sur quatre, âgée
de 15 ans et plus, présente un « mal-être »
psychologique au moment de l’enquête
et un peu plus de la moitié d’entre elles
(13%) pourrait manifester une affection mentale
assez sérieuse.
La répartition par types de troubles montre que
8% de la population connaissent des troubles
dépressifs, 8% se plaignent de symptômes
somatiques, 6% manifestent des symptômes
anxieux et 1 personne sur 5 signale des
troubles du sommeil. En outre, 6% des individus
rapportent avoir souffert d’une dépression
sérieuse dans l’année qui a précédé l’enquête.
Le médecin généraliste reste pour beaucoup
le premier référent. En moyenne, 60% des
belges le consultent pour un problème de santé
mentale (avec des différences sensibles selon
les régions puisque les wallons sont, dans ce
cas, 70% à consulter un médecin généraliste ;
les flamands, 55% et les bruxellois, 43%). 36%
des individus consultent un spécialiste, 19%
ont suivi une psychothérapie et 84% ont pris
des médicaments pour se soigner.
L’enquête stipule par ailleurs qu’une personne
sur dix ne serait pas prise en charge pour
sa dépression.
Y a-t-il un public plus fragilisé ?
Ces chiffres sont dans la même lignée que
ceux rapportés au niveau européen : 27%
des adultes de l’Union connaissent au moins
une forme de mauvaise santé mentale au
cours d’une année donnée et les troubles
les plus fréquents sont les troubles anxieux
et la dépression.
A noter aussi que la Belgique se place dans le
peloton des 10 pays de l’Union les plus touchés
par le suicide (12% de la population ont déjà
sérieusement pensé à se suicider. 4% ont posé
un geste en ce sens).
Si l’indicateur de « mal-être » psychologique
global touche toutes les couches de la
population, les problèmes spécifiques de
santé mentale tendent à se concentrer chez les
personnes les plus défavorisées. Les femmes et
les personnes peu scolarisées sont également
plus sensibles. Les hommes, en revanche, sont
plus souvent victimes de suicides.
Excepté les troubles anxieux et du sommeil, tous
les indicateurs de santé mentale se présentent
sous un profil plus favorable en Flandre.
Succès des psychotropes
Si le bilan de santé mentale des belges est
stationnaire depuis une dizaine d’années8,
on constate en revanche que le recours à un
professionnel de la santé et la consommation
de médicaments sont plus importants qu’en
2001. 15% de la population âgée de plus de
15 ans (18% en Wallonie) ont consommé des
médicaments psychotropes dans les deux
semaines qui ont précédé l’enquête. Ce sont les
aînés qui en consomment le plus. A partir de
75 ans, quasiment 1 femme sur 2 !
Vers une politique plus ciblée
Si l’enquête est limitée par l’absence de
mesures diagnostiques, les résultats semblent
proches de ceux rapportés dans des enquêtes
épidémiologiques en santé mentale.
La plus-value de cette recherche est de pouvoir
croiser ces données à d’autres indicateurs (style
de vie, consommation de soins, incapacité
physique de longue durée, …) et de pouvoir
identifier des sous-groupes de populations plus
à risque vers lesquelles les actions préventives
et de soutien devraient, à l’avenir, s’orienter.
6 12.945
personnes ont été interrogées à domicile en 2004.
L’enquête peut être consultée sur le site :
www.iph.fgov.be/epidemio
7
L’enquête pointe des dispositions psychologiques
généralement moins favorables pour le groupe d’âge des
L’âge ne serait pas non plus sans influence.
Le mal-être psychologique, par exemple, est
plus fréquent chez les jeunes alors que les
troubles dépressifs, somatiques et du sommeil
sont plus nombreux en vieillissant7.
35-44 ans surtout au regard des affections plus sévères.
C’est à partir de 45 ans environ que les troubles du sommeil
sont les plus marqués.
8 Si l’on se rapporte aux deux précédentes enquêtes menées
en 1997 et 2001.
Confluences n°13 mai 2006 / 5
Les « projets thérapeutiques » : regard sur quelques enjeux
Les « Projets thérapeutiques » lancés par le Ministre Demotte et les suites qu’ils
engagent sous la forme d’une concertation transversale destinée à dégager des
directives en matière de bonnes pratiques méritent l’attention à plus d’un titre.
S’ils sonnent officiellement le glas de l’hospitalocentrisme, c’est qu’ils promeuvent
aussi un nouveau paradigme d’intervention en santé mentale dont les implications
mériteraient une analyse critique.
Il ne sera question dans les lignes qui suivent que de mettre en évidence
le paradoxe dont s’entoure le repositionnement du champ hospitalier psychiatrique
et le problème de fond dont il est porteur.
l’asile et son successeur hospitalier
psychiatrique ne doivent plus être au centre du
dispositif de soins. Sur le plan « modélique »
ou « idéologique », il y a belle lurette qu’ils ne
l’étaient plus. Ils ne le seront plus, pratiquement.
Et, faut-il relever, ce renversement vaut, au
premier chef, pour les pathologies que leur
« lourdeur » prédestinait en somme à une prise
en charge « complète ».
Alain WEYERS
Directeur Général
C.H.P. « Chêne aux Haies »
Les positions vaille que vaille maintenues
pendant les deux dernières décennies par
le monde hospitalier, malgré les réformes
successives qui ont amputé ses capacités
d’accueil d’une patientèle plus ou moins
stabilisée (réformes de 1990, avec la création
des « Maisons de soins psychiatriques » et
l’impulsion nouvelle donnée aux « Habitations
protégées »), sont maintenant attaquées de
front. Puisque c’est le cœur même de son
métier qui est mis en question.
Le secteur, apparemment, ne s’y trompe pas,
qui réserve aux « Projets Demotte » un intérêt
éminent, à en juger par la multitude des groupes
de travail, des comités divers, … qui en font
l’objet de leurs réunions.
Le plus souvent cantonnées à des considérations
pratico-pratiques, ces rencontres, toutefois, ne
paraissent guère soucieuses de prendre la juste
mesure de l’événement ou d’en dégager les
enjeux, même si elles enregistrent qu’il y va,
dans cette « expérimentation des conditions de
travail en réseaux et circuits de soins » (puisque
telle en est dorénavant l’appellation officielle),
d’un certain avenir du secteur. A la clé, en effet,
ce sont des normes d’agrément qui sont en
gestation.
Ce paradoxe d’un intérêt soutenu mais pour
ainsi dire périphérique renvoie sans doute à
l’impuissance structurelle de la santé mentale
francophone à se faire l’inspiratrice des
politiques publiques.
Car les « Projets Demotte », à l’évidence,
incarnent une politique dont les effets sont mal
mesurés du côté francophone, alors qu’ils le
sont, côté néerlandophone.
Confluences n°13 mai 2006 / 6
Ce n’est pas un hasard, en effet, si le banc
psychiatrique de nos concitoyens du Nord, au
sein du Conseil National des Etablissements
Hospitaliers (CNEH), par le biais de sa Fédération
hospitalière la plus puissante, promeut, dans
la foulée même de l’initiative du Ministre, une
application de l’article 97ter de la Loi sur les
hôpitaux. Soit, pour faire bref, la possibilité
pour les hôpitaux psychiatriques de consacrer
10% de leur budget à une amplification de
l’expérimentation précitée.
La conjonction ainsi nouée appelle un constat
évident. Les « Projets Demotte » modélisent
ce qu’il faut bien nommer une prise en charge
hospitalo-décentrée des pathologies complexes
et de longue durée. Il n’est que de suivre la lettre
de la circulaire qui va en officialiser le lancement
pour constater que l’hospitalisation n’y a plus
statut que de pis-aller, voire de marque même
d’échec : quand tout le reste a échoué …
L’événement mérite mention.
La révolution copernicienne, dès longtemps
opérée dans les esprits, devient le point d’appui
de la nouvelle politique. Du fait de puissantes
forces socio-historiques dont l’inventaire peut
être dressé, outre des raisons économiques,
Mais l’affaire, évidemment, n’en reste pas au seul
plan de la substitution des modèles, même si la
rupture qui s’y marque, par sa netteté, traduit
l’aboutissement d’une phase séculaire, un point
de non-retour : les signes précurseurs, ces
dernières années, du « référent hospitalier » et de
« la prise en charge psychiatrique au domicile »
traduisent la constance de l’inspiration.
Car les réalités institutionnelles (et donc aussi
financières) ne s’évanouissent pas sous prétexte
que le ciel des idées a vu apparaître la nouvelle
constellation du « réseau ». Si, dans sa forme
classique, l’hôpital psychiatrique est voué à un
rôle de plus en plus marginal - alors même que
des expériences similaires menées à l’étranger
ont démontré qu’une réduction trop drastique
de la capacité est contre-productive -, il lui reste
donc l’échappatoire de la mue. Tel est le sens
de l’article 97ter. Au départ des moyens et des
Fabian Pinsart, CFR Club A. Baiilon
qu’emporte comme son ombre le changement
de paradigme instauré par les « Projets
Demotte » et leurs suites.
équipes dont il dispose, il est encouragé, pour
ne pas dire contraint, à faire autre chose que de
l’hospitalisation ! La métamorphose est la clé
de sa survie.
Si l’hôpital connaît, ainsi, une crise identitaire
fondamentale, la porte de sortie que lui dessine
l’article 97ter lui offre une possibilité de rebond
inattendu.
Condamné à restreindre son
périmètre d’activités, il est « invité » à aller voir
ailleurs, « dehors ».
C’est une autre option politique qui se trouve,
là, mise en œuvre et dont les effets sont, en
Les raisons qui commandent un tel montage
paradoxal sont multiples. Il en est deux au
moins dont la portée ne peut être sous-estimée.
La première a trait à la complexité de
l’échafaudage institutionnel du pays. Comment,
dans le contexte présent, imaginer des transferts
de moyens entre les niveaux de pouvoir …
sans s’inscrire dans le scénario, redouté, d’une
scission de la sécurité sociale ? Quant à la
seconde, elle concerne la prise en compte de
la « casse sociale » (suppression d’emplois, …)
qui accompagnerait tout transfert important
de ressources, quand bien même, à d’autres
niveaux, des embauches compensatrices
verraient le jour.
quelque sorte, antagonistes à celle de la
marginalisation du modèle hospitalier comme
paradigme de la pratique. Car la conclusion n’est
pas - encore - tirée que ce déclin « idéologique »
doit s’accompagner d’un transfert des moyens
vers les secteurs dont les pratiques se coulent
dans les nouvelles normes d’une prise en
charge dans le milieu de vie du patient, axée
sur la réintégration sociale, … Sur le plan des
ressources se met en place, non un transfert
intersectoriel, mais un recyclage intra-sectoriel.
A partir de cette esquisse, chacun, selon son
inclination et son appartenance, ne manquera
pas de se représenter le futur. Certains traits
en sont déjà tracés par la logique paradoxale
que j’ai cherché à mettre en évidence. Mais le
dessin est loin d’être achevé.
Elle est déjà présente, sous une forme encore
masquée, dans l’article 97ter. Elle ne manquera
pas de se formuler de manière de plus en plus
ouverte, à mesure que prendront consistance
les nouvelles pratiques intersectorielles,
quand, immanquablement, réponse devra
être apportée au problème des ressources
à allouer aux différents partenaires du réseau.
Car la situation d’aujourd’hui, expérimentale,
ne pourra durablement prévaloir, où la rhétorique
des partenaires égaux fait injure à leur réalité
profondément inégalitaire.
Ici aussi, encore et toujours, se marque l’insigne
absence d’une réflexion projective francophone,
à rebours des scénarios élaborés qui sont en
discussion sur la place publique en Flandre.
Sans doute les néerlandophones ont-ils été
sensibilisés à se saisir de l’affaire par sa
dimension en quelque sorte communautaire, via
le transfert de compétences et de ressources
fédérales vers les autres niveaux de pouvoir.
Thème familier de leurs revendications.
Et ce croisement de la problématique avec cette
dimension plus proprement politicienne n’en
simplifiera pas le traitement. Qu’importe au
fond, si, dans tous les cas de figure - maintien
du périmètre des compétences fédérales
ou extension des pouvoirs communautaire
et régional -, la question mérite, toutes affaires
cessantes, de mobiliser nos esprits.
A bon entendeur, salut !
La tâche, en effet, est immense puisqu’elle
concerne au dernier chef la réallocation
intersectorielle des ressources du champ de la
santé mentale. Voilà la question fondamentale
Confluences n°13 mai 2006 / 7
Refonder les pratiques sociales...
... Refonder les pratiques de santé
Parce que nous, travailleurs des maisons médicales et d’autres horizons, pensons qu’un autre
monde est possible ;
Parce que nous rêvons d’une société solidaire et équitable, d’une économie redistributrice,
d’un vivre ensemble de qualité ;
Parce que nous faisons le constat que les forces qui traversent la société (néolibéralisme,
privatisation, marchandisation) ne lui permettent pas de relever les défis de justice sociale,
de démocratie politique, de pluralisme culturel ;
Parce que nous, travailleurs des maisons médicales et travailleurs d’autres secteurs du
psychosocial, sommes « là où ça se passe » au carrefour entre le système social et de santé et
le vécu des individus et leurs communautés ;
Parce que nous pointons les limites et les risques d’une pratique qui enfermerait
les souffrances sociales dans la médicalisation, dans la psychologisation ou l’assistance
sociale ;
Nous avons voulu ré-interroger nos pratiques, en questionner le sens et les ré-ancrer dans
un terreau revivifié, dans des références et des valeurs revisitées.
Préparé de longue date, le congrès9 organisé par la Fédération des Maisons
médicales10 pour marquer son 25ème anniversaire avait pour thème : « Refonder les
pratiques sociales, refonder les pratiques de santé ».
Une démarche amorcée en partenariat avec des représentants de l’ensemble du
monde associatif.
Une étape dans un projet plus large de réflexion pour un changement social.
Décliner la santé selon
quatre orientations majeures :
Promotion / solidarité /
citoyenneté / formation
Vue d’ensemble des quatre perspectives d’analyse,
proposées lors du congrès, pour servir de référence
à la construction de projets concrets.
Perspectives à partager…
Thierry WATHELET11
et la Fédération des Maisons médicales,
De la promotion de la santé à la loi santé12
Quel défi pour la promotion de la santé ? Poser
cette question, c’est inévitablement s’interroger
Confluences n°13 mai 2006 / 8
sur les déterminants de la santé et plus encore
évaluer l’ampleur de leurs impacts et le poids de
leurs interactions. C’est ainsi que parallèlement
aux facteurs intra-individuels, intra-personnels
que sont les dispositions biologiques ou
psychologiques, on voit aussi et surtout
apparaître des facteurs environnementaux qu’ils
soient sociaux, physiques ou économiques.
A ces deux groupes de déterminants viennent
se surajouter tous les facteurs qui font lien entre
ces deux catégories c’est-à-dire ceux qui se
situent à l’interface entre facteurs individuels et
environnementaux.
Selon certaines études, l’impact spécifique
de la mise en place de systèmes de soins sur
l’espérance de vie resterait limité, compte tenu
du poids des facteurs sociaux et économiques,
particulièrement pesant dans la sphère sanitaire.
Quel travail pouvons-nous faire vis-à-vis de ces
co-déterminants de la santé ?
Une piste essentielle sera le « réseau ». Nous
ne pouvons plus travailler seuls. Nous sommes
nécessairement en lien avec les autres secteurs
et constamment dans l’obligation de nous
poser la question du comment mieux travailler
avec eux.
Et la mondialisation complexifie encore davantage
la situation. Pour l’OMS, elle représente un défi
majeur de santé publique dont on perçoit déjà
les impacts sur la santé. Nous devons nous
interroger sur les conséquences de cette
mondialisation dans la gestion des systèmes
de santé et dans nos définitions de politiques
de santé. Comment pouvons-nous en contrôler,
en prévenir ou en diminuer les conséquences
négatives sur la santé des populations ?
Une des pistes possibles serait ici le développement
d’une « loi santé ». Celle-ci aurait le souci de
rendre plus transparent l’impact de politiques et
d’actions, quelles qu’elles soient, sanitaires ou
non, sur la santé.
De la sécurité sociale à la socialisation13
La solidarité, la dignité et la justice sociale
sont les valeurs qui fondent notre système
de sécurité sociale.
La solidarité, c’est la responsabilité collective
que nous avons les uns vis à vis des autres.
La sécurité sociale postule en effet que nous
soyons à la fois contributeurs et bénéficiaires ou,
en tout cas, en capacité de l’être.
La dignité postule que nous sommes tous
des semblables malgré les inégalités, dans le
sens où nous sommes tous des êtres humains
qui doivent être traités comme sujets et non
pas comme objets.
Permettre à chacun de vivre dans la dignité ne
peut se faire que dans un contexte de justice
sociale. La définition de ce concept et la définition
de ce qu’est une société juste varie évidemment
selon les conceptions, les pays et l’histoire. Cette
exigence de justice sociale va toutefois de pair
avec celle de réduire les inégalités : inégalités de
chances d’une part, mais aussi inégalités des
résultats ou inégalités dans les parcours. Dans
notre système de sécurité sociale, la justice
sociale va au-delà de la simple ambition de
réduire l’inégalité des chances ; elle vise à limiter
des écarts entre les niveaux de vie et ne se limite
pas à octroyer des revenus minimaux de base.
La crise de la sécurité sociale ou – tout au moins
– le débat en cours est lié à la crise de ces
valeurs. Elle peut prendre trois dimensions : la
crise financière, la crise d’efficacité et la crise
de légitimité.
Du point de vue financier, si la dynamique propre
aux dépenses est bien connue (vieillissement,
développement technologique, médicalisation
du social…), la dynamique des recettes est
quant à elle mise sous contrainte. Ce décalage
a progressivement amené, depuis les années
80, une inversion dans notre politique. Avant, on
considérait que les dépenses étaient légitimes et
qu’il fallait y adapter les recettes. Maintenant, on
fait l’inverse. Mais quand on adapte les dépenses
aux recettes, on introduit nécessairement des
mécanismes de sélectivité et on développe la
privatisation. Par ce fait même, on réintroduit les
notions de nécessiteux et de capacitaires. Or, les
exigences de dignité et de justice sociale visent
à considérer les individus soit comme n’étant ni
l’un ni l’autre, soit comme étant les deux à la
fois. D’où crise des valeurs !
Du point de vue de l’efficacité, la crise se révèle
lorsqu’on pose la question des indicateurs de
pauvreté, de sécurité d’existence et de taux
d’emploi. Pour ce qui est des deux premiers,
même si plus de 35 % de la population vit dans
un système de sécurité d’existence grâce à la
sécurité sociale, on sait bien que depuis des
années le taux de pauvreté a plutôt tendance à
augmenter. Donc, on a de bons résultats si on se
compare à d’autres systèmes mais la situation
n’évolue pas favorablement. Pour ce qui est de
l’emploi, on se trouve dans la même situation. En
effet, si on considère que l’emploi est une forme,
et même la forme centrale, de participation
citoyenne, alors on peut considérer que notre
système de sécurité sociale, voire notre système
social au sens large, subit une crise d’efficacité
puisque les taux sont insuffisants.
Parmi les différentes pistes de réflexions
possibles, deux propositions se dégagent :
la première, c’est la réhabilitation des
prélèvements obligatoires. Il faut arrêter de
ne voir les cotisations sociales que comme
des charges sociales et les impôts comme de
l’argent perdu. La sécurité sociale correspond à
des prélèvements et à une redistribution. Et les
frais d’administration de l’ensemble du système
de sécurité sociale sont relativement peu
importants par rapport à d’autres systèmes de
protection sociale, particulièrement les systèmes
de protection privée.
La seconde porte sur le travail de socialisation
à poursuivre pour ancrer, dans les consciences
individuelles et collectives, l’importance de la
sécurité sociale et ses valeurs fondamentales.
Il y a là un important travail à mener, dans
l’éducation permanente, dans la socialisation
auprès des enfants,…
De la place de l’usager à la
citoyenneté active 14
L’enjeu consiste ici à permettre à l’usager de
passer d’une citoyenneté relativement passive à
une citoyenneté active. Pour cela, il lui faudra
passer par cinq étapes.
de la dépendance à l’autonomie
Le patient est dépendant du prestataire de soins,
de ses savoirs médicaux et des équipements
dont il dispose. Le professionnel est invité à
réduire cette dépendance, à amener le patient
à se soigner lui-même. Mais l’autonomie que
l’usager peut acquérir est relative car il restera
toujours des maladies que seul le médecin
peut diagnostiquer et que le patient ne peut
soigner seul.
de l’autonomie à la critique
Devenu relativement autonome, le patient peut
plus facilement critiquer le soignant quant à la
qualité de son travail. L’usager autonome devient
critique. Pour que sa critique soit pertinente,
il doit acquérir des savoirs non seulement sur
son corps et sur l’environnement mais aussi
sur l’exercice de la médecine. Une partie de ses
savoirs sur le métier de l’autre lui vient de son
expérience de soigné.
la militance
Celle-ci consiste pour les usagers à se liguer
pour faire pression sur l’institution de soins. Des
dispositifs sont prévus par la loi pour accueillir
cette volonté d’ouverture : les médiateurs et les
conseils d’usagers dans les institutions de soins.
Mais, dans la pratique, ces dispositifs statutaires
sont peu habités : manque de disponibilité et de
militants chez les usagers et une difficulté à
partager le pouvoir dans le chef des directions
d’établissements.
de la militance locale à la politique sectorielle
Les usagers peuvent étendre leurs
questionnements sur l’établissement sanitaire
à la politique de santé en fédérant leurs
organisations locales.
Il existe une ligue des usagers des services de
santé et les mutuelles dépassent progressivement
leur rôle de répartition financière pour prendre en
charge, dans la négociation de la politique de
santé, les besoins qualitatifs des usagers.
Le problème pour cette quatrième étape est
d’accroître la participation des usagers dans
les institutions et d’étendre leurs intérêts vers
le sommet de la pyramide institutionnelle,
c’est-à-dire dans un sens vertical.
de la militance sectorielle à la citoyenneté
active
L’intérêt des usagers peut aussi s’étendre
à l’horizontal, là où les conduit le souci de
prévention, par exemple de la santé vers
l’environnement. C’est de cette façon qu’ils
Confluences n°13 mai 2006 / 9
pourront approcher d’une citoyenneté active
qui demande que l’on s’intéresse à tous les
problèmes de la société. Cependant, cet idéal
est, dans une société complexe, pratiquement
inaccessible à la majorité des individus. En effet,
le temps qu’ils peuvent y consacrer est limité par
les contraintes du travail et de la vie domestique
autant que par une culture individualiste.
Vouloir améliorer la santé par une autonomie
et une participation accrue des patients, et cela
de façon durable, implique de s’intéresser aussi
à la qualité de l’enseignement. Au niveau local,
il s’agit par exemple, d’inciter ceux qui participent
au conseil d’usagers de Maisons médicales, à
s’investir aussi dans les conseils de participation
des écoles de leurs enfants.
De la formation à l’éducation permanente15
La pratique des Maisons médicales confronte au
quotidien les intervenants à l’intérêt de dépasser
la division du travail hiérarchisée. Ce changement
se construit au profit du développement de
pratiques de coopération, à l’interne comme à
l’extérieur, entre travailleurs, avec les usagers
et la population.
Ces orientations qui se dessinent dans un
monde de plus en plus complexe amènent
inévitablement à interroger la connaissance.
Seul l’agencement de regards multidisciplinaires,
interdisciplinaires, transdisciplinaires permettra
de trouver des pistes utiles dans ce sens.
Pour y contribuer, rien de tel que d’extraire
les savoirs sociaux de l’expérience, d’émerger
vers un programme de formation continuée,
de croiser les savoirs et de construire une
université ouverte, ouverte à elle-même, ouverte
à la Société. C’est là que se situe l’objectif
d’éducation permanente, traduit notamment
dans l’université d’été comme plate-forme de
formation et d’échange intersectoriel. C’est un
volet primordial. La santé ne pourra se penser
et se travailler sans un décloisonnement des
pratiques, des lieux d’interventions (hors champ
de la santé) et des intervenants.
Confluences n°13 mai 2006 / 10
Les maisons médicales16
Le concept de « Centre de santé intégrée » (plus connu
chez nous sous l’appellation de Maison médicale)
a émergé à la fin des années 60 dans un contexte
socio-économique favorable et propice, en matière
de santé, au développement de la science, de la
technique et aux pratiques médicales hospitalières
centrées sur le diagnostic et le traitement des
maladies.
Face à cette évolution, la nécessité s’imposait aux
yeux de quelques-uns de proposer une pratique plus
proche de la population, assurant une continuité
des soins, abordant chaque individu dans sa
globalité et intégrant l’information, la prévention et
les soins dans une perspective de promotion de la
santé. C’est dans cette dynamique que les maisons
médicales se sont implantées dans le tissu local de
façon à être à l’écoute de leur public pour travailler
ensemble, usagers et professionnels, dans et avec
la collectivité, au développement de la santé.
Telle qu’ils la soutiennent, la santé est perçue comme
un processus dynamique global. Elle concerne à la
fois le bien-être physique, affectif, relationnel et social
et suppose donc la nécessité de travailler en équipe
pluridisciplinaire.
Les maisons médicales emploient aujourd’hui 900
personnes dont 300 médecins et 600 infirmiers,
kinés et psychologues.
A ce jour, la Fédération des Maisons
médicales regroupe 71 maisons médicales
et soigne un peu plus de 220 000 patients
(3,4% de la population en Communauté française).
Les maisons médicales prennent en charge une
population plutôt jeune, et plus pauvre que la
moyenne nationale en raison sans doute de la
participation aux frais ( à l’acte ou au forfait)
particulièrement démocratique mais aussi de sa
localisation (en milieu urbain notamment dans les
quartiers plus défavorisés).
La qualité des soins, pour chacun, selon ses
besoins et quels que soit ses moyens ; l’autonomie
de la personne, la solidarité et la convivialité sont
toujours, les points d’ancrage de leur action.
FMM - Fédération des Maisons médicales
Boulevard du Midi, 25 boîte 5 -1000 Bruxelles
www.maisonmedicale.org
16 Pour en savoir plus, il est possible de consulter la brochure :
« Les Associations de santé intégrée en Région wallonne :
un axe de la politique de soins de santé de proximité »,
Au terme du colloque, la Fédération des Maisons
médicales propose :
9 « Refonder les pratiques sociales, refonder les pratiques de
1. De défendre la solidarité et de participer
à une Plate-forme sur la sécurité sociale ;
2. De faire converger des initiatives qui
mobilisent les compétences des citoyens ;
3. D’agir sur tous les déterminants pour
promouvoir la santé ;
4. De mettre en place une université ouverte
des savoirs sociaux en santé ;
10 Voir
santé », Congrès de la Fédération des Maisons médicales,
Louvain-la-Neuve, les 3 et 4 février 2006.
11
encadré.
Thierry Wathelet est médecin généraliste à la Maison
médicale “Espace Santé” à Ottignies et psychothérapeute
familial. Il est Secrétaire-adjoint de la FMM et Administrateur
à l’IWSM.
12
A partir de l’intervention de Jeanine Pommier,
Ecole nationale de santé publique de Rennes.
13
A partir de l’intervention de Pierre Reman, économiste,
directeur de la FOPES.
C’est sur ces pistes qu’elle a décidé de se
mobiliser. Elle souhaite s’inscrire dans le grand
mouvement de tous ceux et celles qui sont déjà
ou seront en marche. Elle invite ses partenaires
à se joindre à elle…. car on n’est jamais
trop nombreux pour dire qu’un autre monde
est possible mais aussi et surtout pour faire
qu’il le soit.
14 A
partir de l’intervention de Eugène Mommen, auteur de
« Qualité publique et Critique civile : Debout les usagers ! ».
15 A
partir de l’intervention de Luc Carton, philosophe.
Le manteau de Saint Martin
Vanni DELLA GIUSTINA
Psychologue en Maison Médicale
« Si le social m’est supportable, c’est parce
que j’ai gardé la capacité de m’indigner ! »
P. Bourdieu
J’ai eu le plaisir d’animer cet atelier. Il fut introduit
par Manu Gonçalves et Léandre Nshimirimana
qui travaillent tous deux dans un Centre de Santé
Mentale.
Il s’agissait d’ouvrir une parole sur la souffrance
soignante suscitée par la confrontation
permanente à la détresse sociale : Quelle est
la place des sentiments personnels ? De la
compassion ? De l’exaspération ? Du fantasme
de toute-puissance ? De rédemption ? Qu’en estil des ambitions personnelles ? Qu’est-ce que
le professionnalisme face à des situations de
détresse ? Faut-il travailler avec son âme ? Quels
sont les dangers qui menacent la santé mentale de
l’intervenant ? Comment préserver son identité ?
Quelles ressources pour assumer les limites de
l’aidem? Le militantisme en est-il une ?
A propos de militantisme, on nous raconta la vie
de Saint Martin de Tours (316-397). A l’époque des
faits, Martin était un militaire romain qui partagea
son manteau en deux avec un pauvre, devint ainsi
la risée d’une partie de l’assistance présente et
en mobilisa une autre « par contagion ». Ce n’est
que longtemps après qu’il fut « institutionnalisé »
évêque de Tours avant de choisir le retrait comme
ermite en fin de vie.
Cette figure emblématique d’un « professionnel »
confronté à la souffrance d’autrui nous permit
de questionner tout au long le sens de nos
pratiques.
El Greco (c. 1597-9) National Gallery of Art, Washington DC.
« Le manteau de Saint Martin » : la confrontation à la
souffrance sociale : menace identitaire, tension entre
professionnalisme et militantisme.
Coup de projecteur sur un des ateliers du colloque
consacré à la question de la détresse sociale.
Maison Médicale, Centre de Planning,…)
ne peut manquer de produire des comportements
ajustés à nos attentes institutionnelles et
qui sont parfois en inadéquation totale avec ce
qui leur est problématique.
Selon Charles Burquel, on serait passé d’un
modèle de représentation de l’aide à un autre.
Un premier modèle serait celui de Ptolémée,
c’est à dire un modèle géocentrique où on a
la discipline au centre et les individus qui
gravitent autour. La révolution dans la manière
d’aborder l’aide est de passer à un modèle
plus copernicien où, au centre, il n’y a plus la
discipline mais l’individu. Et la discipline gravite
autour de lui.
Selon Gilles Bibeau, une conjoncture complexe,
des éléments contextuels et extra-individuels,
par exemple la pauvreté, l’absence de pouvoir
politique, la violence, vont interagir pour former
des dispositifs pathogéniques. Ainsi, ils vont
favoriser l’émergence de certains problèmes
dans certaines catégories de la population.
C’est toute la discussion : comment se fait-il
que certaines maladies ou comportements
sociaux ne se retrouvent qu’à certains endroits ?
Bibeau prend l’exemple du diabète de type
2 : au Canada, il touche deux populations
de jeunes adolescents, les amérindiens et
les jeunes adolescents d’origine asiatique.
Pas tous les autres…
Nos
modes
d’intervention
participent
peut-être d’une forme d’aliénation sociale qui
est liée à nos structures d’aide. S’adresser à des
publics fragilisés par des conditions de vie avec
des modes de prises de contacts spécifiques
à nos structures (Centre de Santé Mentale,
Comment instaurer une analyse critique de nos
professions ? Comment soigner l’institution,
soigner l’aliénation sociale des structures
d’aide ? Comment mettre en évidence l’attente
des personnes qui se porterait au-delà du
professionnalisme, l’attente d’un engagement
de l’intervenant ? Il ne suffit pas de mettre la
personne au centre du processus. L’humain, ce
n’est pas que boucher un manque, c’est aussi
permettre à quelqu’un de se remettre debout
et en marche. Il s’agit aussi de sans cesse se
questionner sur le « comment rester humain »
dans un univers de spécialisation croissante
des services d’aide qui risque à tout moment
de renforcer la honte de l’exclu. Mais il s’agit
aussi de ne pas nier la honte et l’agressivité
du soignant à la fréquentation de la pauvreté.
Et le militantisme peut aussi quelquefois être
vécu comme agression par l’usager.
Pense-t-on à suffisance la place des usagers
dans nos élaborations institutionnelles ?
Quel cadre éthique et méthodologique peut
réellement permettre cette participation ?
Le réseau aussi nécessite son lot d’approches
critiques. Le réseau duquel s’inspirent les
pratiques soignantes est, au départ, un réseau
spontané, souterrain, dans une logique du
maquis. Comment garder cette capacité
subversive du réseau ? Comment organiser
un réseau qui ne soit pas organisé ? Comment
rester à l’écoute de l’anormal, c’est à dire de ce
qui n’est pas identique aux autres, qui s’écarte
du type, de la norme…. une parole d’usagers
non formatée car il y a aussi à lutter contre
la logique d’homogénéisation, celle qui rabat
le réseau sur l’organisation.
De ceci découle la métaphore du chauffage
central : comment ménager des ouvertures
et points de fuite dans les tuyauteries pour
que le sujet puisse trouver sa place et sa
parole propre.
Confluences n°13 mai 2006 / 11
L’aide sous contrainte aux personnes sans-abri
Peut-on secourir un SDF contre son gré ? Un
projet de loi l’envisage mais la proposition émise
par Yvan Mayeur17 vient de recevoir un avis
négatif de la Commission consultative de l’aide
sociale18. Le texte propose d’introduire, dans la
loi organique des CPAS, un dispositif d’urgence
sociale permettant d’emmener des personnes
sans-abri dans un lieu d’hébergement et de soins,
sous contrainte si nécessaire, dans des situations
d’exception. Bref aperçu19 des réactions dans
le secteur.
Sylvie GERARD
IWSM
La mort de deux SDF l’hiver dernier à Bruxelles a
re-questionné le dispositif mis en place pour secourir
les personnes sans-abri. Des procédures existent
mais seraient, dans certains cas, insuffisantes
(notamment si la personne ne désire pas être
secourue malgré un risque vital et qu’elle n’est pas
reconnue blessée ou malade).
Les Présidents des CPAS sont compétents20 pour
leur accorder une aide urgente, mais cette aide
ne peut se faire sans leur consentement même en
situation d’urgence avérée.
La loi sur la protection des malades mentaux
permet également une intervention à condition que
l’urgence soit d’ordre psychiatrique. Le seul fait de
vivre à la rue ne justifie bien sûr pas une intervention
de ce type même si le recours à ces hospitalisations
forcées semble de plus en plus fréquent.
Quant à la loi réprimant le vagabondage, elle
est abolie depuis plus de 20 ans. C’est donc
en réponse à un vide juridique que la proposition de
loi est présentée.
Caractéristiques du projet de loi
Le texte s’inspire du décret sur l’aide à la
jeunesse21en laissant la possibilité aux CPAS
d’intervenir d’initiative si le travailleur social constate
une situation d’urgence ; s’il s’essuie à un refus
Confluences n°13 mai 2006 / 12
explicite ou implicite (absence de consentement
lié à l’incapacité de s’exprimer ou à un manque
de conscience) de la personne d’être secourue
et si ce refus induit un risque vital pour la
personne. Ces 3 conditions sont indissociables
de manière à garantir un caractère exceptionnel
à l’aide contrainte.
Oui à l’action, non à l’urgence
C’est le maître mot des réactions qui se donnent
à lire sur le forum du site d’Alter Echos. Usagers,
travailleurs et acteurs sociaux y échangent leurs
points de vue au départ de leurs expériences de
terrain. La réaction est unanime : le projet de loi
a le mérite d’ouvrir le débat mais l’urgence ne
s’impose pas. Au contraire… la forme et la rapidité
de la réponse inquiète.
Plusieurs lacunes ou imprécisions sont relevées,
notamment une formulation trop vague qui laisse
place à de dangereuses interprétations.
« … ne s’agit-il pas dans ce projet d’évaluer
l’état de santé mentale d’une personne en se
référant à la notion de manque de discernement ?
Cette dernière nous apparaît trop floue ! Elle
est susceptible de faire l’objet d’interprétations
arbitraires laissées à des travailleurs sociaux
épaulés de médecins qui n’ont ni l’un ni l’autre
de compétences particulières en matière de santé
mentale. Et déjà se pointe comme une évidence
que de décider de rester à la rue dans un espace
de vie investi pour ce qu’il est, ne peut être que
l’indice d’un manque de discernement ? »22.
Autres faiblesses du projet : l’absence de modalités
de recours et le manque de suivi de la personne
une fois la mesure prise. D’où l’impérieuse
nécessité d’associer aux débat et prise de
décision des représentants du secteur (usagers
et professionnels) et des experts pour prendre en
considération tous les aspects (éthiques, sociaux,
médicaux, juridiques, psychologiques) que soulève
une telle mesure ou encore, comme le rappelle
Georges De Kerkove23 , de rendre opérationnel
un dispositif juridique existant (notamment
pour réquisitionner des immeubles inhabités) mais
totalement inopérant faute de volonté politique sans
doute.
« … Les droits fondamentaux sont indivisibles.
Admettre qu’un seul d’entre eux soit bafoué et
tous les autres sont menacés (…) Un membre
d’A.T.D. Quart Monde connaissait bien une des ces
deux personnes. Elle a refusé d’être secourue la
nuit de son décès ? Sans doute. Mais ce que nous
savons (…), c’est que cette personne s’est battue
pendant quatre ans pour faire valoir ses droits et
qu’elle n’a pas obtenu gain de cause ; (...). Et ce
vain combat risque de passer sous silence ».
La proposition de loi n’est pas abandonnée mais
elle devra tenir compte de l’avis de la Commission
consultative fédérale de l’action sociale. Le texte
doit être amendé sur base des remarques qui ont
été faites par les Présidents et les représentants des
travailleurs de CPAS, des juristes et des associations
lors des auditions à la chambre. Des groupes
de travail24 seront appelés dans les prochaines
semaines à s’y atteler. A suivre…
17
La proposition de loi a été cosignée par les partis
démocratiques à l’exception du CDH.
18Qui
dépend du Ministre de l’Intégration sociale, Christian
Dupont.
19
Cet article s’appuie notamment sur Alter Echos n°203
du 24/02/2006 : www.AlterEchos.be
20
Loi du 12/01/1993.
21
Décret qui prévoit que les directeurs de l’aide à la
jeunesse peuvent intervenir d’initiative pour venir en aide
aux mineurs en danger.
22
Intervention de Paul Preud’homme, Co-Président du
SMES (Santé Mentale Exclusion Sociale).
23 Avocat
et Président de A.T.D. Quart-Monde Belgique
24 Groupes de travail formés par les différents co-signataires
de la proposition de loi.
Du silence et de l’oubli à la mémoire collective
A l’occasion de ses cinq ans, « Clinique de l’Exil » a organisé une journée
de réflexion25 sur le thème de la mémoire et la transmission dans l’après génocide.
La question du trauma collectif et de ses effets sur plusieurs générations, alliant
le point de vue psychologique et historique, a été peu abordée en Belgique.
La formule, combinant conférences « pointues »26, films documentaires27 et
témoignages28 a plu au public. Manifestement, le thème répondait à un besoin
puisqu’il y a eu plus de 180 participants.
Paul JACQUES,
Psychologue en SSM et au sein de Clinique de l’Exil29
Le propos de la rencontre n’était pas le génocide
arménien ou juif ou rwandais, mais portait sur
ce qui est transmis aux enfants de survivants de
n’importe quel génocide ou crimes de masse.
Plusieurs questions ont ainsi été abordées.
Le temps aide-t-il à guérir les blessures
individuelles, familiales et celles d’une société ?
Le pardon, oui, mais à condition qu’il y ait eu
justice et que la société dans son ensemble se
soit penchée sur les zones sombres de son
passé ; à condition également que les auteurs
de crimes de masse ne restent pas impunis et
demandent pardon publiquement. Ce qui est
rarement le cas. La victime, elle, est hantée
par une mémoire qui n’oublie pas. L’oubli est
impossible, d’autant lorsque les conditions de vie
difficiles maintiennent un état de survie, comme
c’est encore le cas au Rwanda aujourd’hui, mais
aussi dans les pays qui sortent de la guerre ou de
la guerre civile, en République Démocratique du
Congo, au Kosovo, en Bosnie, … Comme c’est le
cas pour les demandeurs d’asile, survivants dans
une interminable attente d’un droit de séjour,
attente à l’issue incertaine qui fige le travail de
deuil dans un éternel présent.
Cette journée a rappelé aux psys que la thérapie
n’est pas pensable sans la Justice, et sans la
Justice sociale. Aux juristes et historiens, cette
journée a montré que le Droit et l’histoire sont les
ingrédients d’une thérapie « collective » qui permet
aux victimes de s’en sortir. Il s’agit donc d’une
matière complexe qui, du point de vue pratique,
fait appel à plusieurs domaines (psychologie,
psychiatrie, mais aussi travail social, justice, ...)
et du point de vue théorique fait appel à plusieurs
disciplines, (psychanalyse, droit, histoire, politique,
géopolitique, anthropologie). Les orateurs ont très
bien répondu aux attentes des organisateurs.
Les trois exposés, chacun dans leur style propre,
étaient tout à fait complémentaires : Esther
Mujawajo par la dimension poignante de son
témoignage personnel et la leçon de vie qu’elle a
partagée avec un auditoire captivé et ému. Janine
Altounian, par la rigueur de sa pensée, parfois
difficile d’accès pour les profanes, mais basée
sur une profonde analyse de son expérience
d’enfant de survivant ; Marie-Odile Godard, qui a
parfaitement réussi une synthèse en faisant le lien
entre le nécessaire travail de re subjectivation et
celui de re symbolisation à travers le travail de la
culture (mémorial, monuments, commémoration,
rituels funéraires).
sociale et de sa portée politique et éthique.
Les débats en présence de représentants de la
communauté juive de Belgique et d’un historien
ont montré que la question des génocides ne
concerne pas seulement telle ou telle communauté
qui a été victime, mais porte atteinte aux droits
fondamentaux et à l’humanité. Le devoir de
mémoire ne cherche pas seulement à rappeler
la mémoire des disparus, mais à rester vigilant
contre tout discours extrémiste basé sur le rejet
et la négation de l’Autre. Rappelons qu’encore
aujourd’hui le projet Mpore, projet d’aide aux
rescapés Tutsis en Belgique, a du mal à trouver
des subsides ! Pour l’équipe de la « Clinique
de l’Exil », au travers de l’organisation de cette
journée, il était évident, non seulement de tenter
sortir de l’oubli généralisé mais évident aussi
de traiter ensemble la question des génocides
en général et pas de tel génocide en particulier,
pour éviter la « concurrence des victimes ». La
présence de nombreuses personnes issues
des communautés arménienne, rwandaise et
juive, mais aussi congolaise, a contribué à créer
un climat de tolérance et de dialogue. Lors du
débat, les dérives polémiques communautaires,
négationnistes ou revendicatrices ont ainsi pu
être évitées en soulignant l’importance de la
solidarité humaine. A refaire dans cinq ans !
25 « Du silence et de l’oubli à la mémoire collective », Journée
d’études, le 22 février à Namur.
26
Janine Altounian : « Quelle transmission quand les
derniers survivants nous quittent ? » et Marie-Odile Godard :
« Du traumatisme au Symbolisme ; commémoration,
mémorial et juridiction ? ».
Les films ont montré des images dures, à la limite
parfois de l’insoutenable, mais il était important de
les montrer. Bien que s’adressant en priorité aux
professionnels du secteur de la santé mentale,
de l’aide et l’accueil des réfugiés et demandeurs
d’asile, les participants étaient issus de différents
horizons, témoignant, non seulement de l’intérêt
de la question, mais avant tout de sa dimension
27
Film d’Anne Lainé « Rwanda, un cri d’un silence inouï »
et film de Jacques Kebadian « Mémoire arménienne ».
28
Esther Mujawajo : « Survivantes, mais bien vivantes ;
un combat nécessaire », ainsi que des témoignages de
participants.
29
Service de l’IPOG, Province de Namur, reconnu par la
Région wallone comme mission spécifique. Elle reçoit le
soutien du FER (Fond européen pour réfugiés)
Confluences n°13 mai 2006 / 13
L’accessibilité aux soins en santé mentale : aux portes du colloque
« Aux portes du soin, l’accessibilité en santé mentale », le 3ème colloque de l’Institut
Wallon pour le Santé Mentale a vécu… mais les portes ne se sont pas fermées !
Le public a répondu présent et ce sont 250 participants qui se sont mobilisés
ce 3 février dernier pour chercher ensemble des pistes dans le but d’accroître
l’accès aux soins en santé mentale… Les idées ne manquent pas. C’est le moment
de relever ses manches !
Christiane BONTEMPS et Virginie OLIVIER - IWSM
Avec l’organisation des cinq tables rondes qui
se sont penchées successivement en 2005 sur
l’accessibilité aux soins en santé mentale pour
chaque catégorie d’âge et les contributions
des quatre dossiers de Confluences, il y avait
matière à réfléchir… Les travaux du colloque
pouvaient directement aborder le volet prospectif.
Il s’agissait pour les participants de se mettre au
travail sur la recherche de solutions. Et les pistes
se sont multipliées… La tâche à mener à bien
aujourd’hui sera de hiérarchiser, prioriser, voire
sélectionner parmi les différentes propositions
celles que l’on va mettre en avant… pour pouvoir,
dès demain, se mettre au travail et « faire bouger
la santé mentale » !
Les recommandations se dessinent sur 5 axes.
Elles sont actuellement travaillées par les forces
vives de l’Institut pour être largement diffusées à
tous ceux qui pourront, qui les mettre en œuvre
concrètement, qui, les soutenir et, qui encore, en
bénéficier.
Un 1er axe porte sur le travail
à mener en amont
Soutenir un travail de prévention,
de sensibilisation, d’information.
« Parlez-moi… de santé mentale ! » pourrait être
le maître mot de ce premier axe.
Un important travail d’information pour tout
public reste en effet à poursuivre, via les médias
notamment ou dans les écoles, dans la rue
aussi… mais également dans des lieux de
Confluences n°13 mai 2006 / 14
solidarité, de liaisons sociales, comme on les
qualifie aujourd’hui, des lieux qui, il faut le dire,
restent bien souvent à (re)créer….
De l’information à diffuser largement donc, à
Monsieur et Madame Toutlemonde, question
de savoir que chacun peut être confronté à des
problèmes de santé mentale, que c’est normal
et qu’on peut être aidé. Et lorsqu’on a besoin
d’une aide, il faut encore pouvoir trouver de
l’information, juste et claire, adaptée, via des
lieux, des brochures ou des services d’aide par
téléphone, qui en facilitent l’accès.
Question sensibilisation, une attention particulière
pourrait être portée aux intervenants de première
ligne afin de leur permettre d’être plus à l’aise
pour pouvoir décoder les souffrances psychiques,
naissantes ou avérées, les accompagner ou
les relayer si nécessaire vers des services
spécialisés.
Et lorsque la maladie est là… pouvoir en parler
permet d’éviter les rechutes. La mise en place de
groupes de parole et d’entraide pour les usagers
et pour leurs familles est une formule qui semble
faire ses preuves. Les groupes de parole vont
progressivement permettre à chacun de mieux
comprendre la maladie et donc de mieux la gérer.
Un 2ème axe porte sur l’accueil des personnes
en souffrance
Adapter l’accueil
aux personnes et à leurs besoins
« En souplesse ! » pourrait être le mot clef de ce
deuxième axe qui s’appuie sur le fait que chaque
personne est unique.
Tout d’abord, il faut rappeler sans cesse que l’usager
reste acteur de son devenir. Même désorienté ou en
souffrance, l’usager est avant tout une personne,
un citoyen. Il doit pouvoir poser ses propres choix
dans les orientations qui le concernent et chercher,
lui-même, des solutions aux problèmes qui
l’affectent. Le rôle du professionnel sera essentiel
pour l’aider à trouver une réponse qui lui convient,
à la faire sienne et à préparer son autonomie
future.
Chaque demande est donc une demande nouvelle
et la réponse tiendra compte de la spécificité de
chaque situation. Les professionnels ont besoin
de repères dans le travail, mais ceux-ci sont aussi
faits pour être bousculés au profit de la personne
qui demande de l’aide… et non l’inverse !
Penser le soin pour mieux l’adapter à la demande
doit rester un questionnement permanent au sein
des équipes. Il se décline à différents niveaux :
espace, temps, cadre thérapeutique, fonctionnement
et langage.
Et pour tous ceux qui ne formulent pas de
demande…, développer une approche proactive
qui leur ouvre à eux aussi les portes du soin, par
exemple via une démarche vers un tiers, un soutien
ou un accompagnement est incontournable pour
tout qui se sent investi d’une mission de service
(au) public.
Ces différentes « bonnes intentions » se traduisent
dans des modalités concrètes comme la mise à profit
des périodes d’attente liées aux délais de prises
en charge, la promotion de l’accueil généraliste,
l’extension des horaires, le développement des
prestations hors des murs, à domicile ou dans
d’autres services.
Un 3ème axe porte sur le suivi de l’urgence
Répondre aux situations d’urgence
avec toutes les forces vives existantes
Il y a urgence et urgence !
Pour pouvoir trouver une réponse appropriée
aux situations d’urgence qui constituent – sans
conteste – une des portes d’accès aux soins en
santé mentale, il est essentiel de bien distinguer
les crises liées au contexte social ou familial des
réelles décompensations psychiatriques.
Et puisque tout n’est pas « psychiatrie », il n’y a
pas donc lieu de « psychiatriser » ce qui représente
tout de même près de trois quarts des situations
d’urgences « psy »… qu’il ne s’agit tout de même
pas non plus de banaliser. Place à l’imagination et
à la concertation pour trouver les relais adéquats
qui bien souvent existent déjà… Encore faut-il
s’organiser pour les mettre en lien , et peut-être…
un jour !… en augmenter les moyens.
En attendant le relais, trouver une place adaptée
pour ces situations, là où elles se déposent, reste
un défi ! Créer ou réserver, par exemple, quelques
lits d’urgences psycho -médico-sociales 24h
sur 24 dans les services existants ne seraient
pas du luxe !
Et pour éviter l’encombrement des services
d’urgence, pourquoi ne pas s’organiser pour que
les situations de crise puissent se déposer ailleurs,
surtout quand il s’agit de situations qui ne réclament
pas de soins médicaux à proprement parler ?
La prise en charge de ces entrées par la porte
des urgences suppose la mise en place de relais
immédiats et efficaces. On ne pourra y arriver
sans associer des intervenants de première ligne
au suivi, voire à l’accueil de ces situations. On
pense notamment aux médecins généralistes pour
garantir, tant que faire se peut, une continuité dans
le travail ou les services sociaux (CPAS, service de
logement, ...) prêts à chercher des solutions pour
rencontrer les besoins primaires de ces personnes
en crise. Il s’agit là d’un témoin à passer, si possible,
au sein même du service d’urgence, et ce au plus
vite après l’arrivée du patient.
En amont, des modalités de travail pourraient, en
outre, s’envisager pour permettre de répondre aux
urgences sans devoir faire le crochet par l’hôpital,
par exemple via des services de garde ou des
équipes mobiles, comme cela se fait dans d’autres
secteurs des soins de santé ou via l’accueil de la
crise à différents endroits, par exemple dans des
services ambulatoires.
Et pour limiter « tout ce qui arrive aux urgences
sans savoir pourquoi », peut-être la création
d’ « espaces tampons » non hospitaliers
permettrait-elle à ces personnes désorientées
de se déposer quelques jours, de souffler et
de chercher, avec de l’aide, des bonnes solutions ;
le tout au bénéfice de la prévention.
Un 4ème axe porte sur la prise
en charge proprement dite
Assurer une prise en charge
globale et continue
de nouveaux modèles) que de communication
(respect du secret professionnel, par exemple).
La concertation est un processus long et lent qui ne
se met en place que petit à petit.
Tous ceux qui ont participé à la réflexion ont en
outre souligné qu’une bonne articulation sur le
terrain ne peut se construire suffisamment bien
que sur base d’une bonne articulation au sommet,
entre autorités, respectivement, responsables des
secteurs concernés.
Un 5ème axe porte sur l’aval
Réfléchir à la post-cure
L’être humain forme un tout…
On ne peut le découper en plusieurs morceaux
qui relèveraient l’un du corps, l’autre de l’esprit,
le troisième des relations, le quatrième de
l’environnement, etc. C’est une évidence ! Et
pourtant… lorsqu’on confronte ce postulat à
l’organisation des services… il y a de la marge ! ?
Les acteurs, patients compris, sont unanimes
pour soutenir que c’est en considérant la personne
dans sa globalité qu’on lui apportera l’aide la
plus appropriée à sa situation. Même si le travail
proprement dit se répartira selon les compétences
de chacun, il est incontournable d’envisager en une
fois les différents besoins de la personne, quitte
même à collaborer, si cela s’avère nécessaire, audelà du champ de la santé mentale. Vous avez dit
RESEAU ? C’est très à la mode aujourd’hui… !
Et bien, c’est toutefois encore bien loin d’être une
réalité concrète. Si le principe semble acquis, sa
mise en oeuvre ressemble encore à un parcours
semé d’embûches …
Pour y arriver cependant, les idées ne manquent
pas… L’articulation des soins dans la continuité
peut reposer, par exemple, sur un référent qui
garantit le fil rouge du suivi du patient ; et des
expériences dans ce sens témoignent de l’intérêt
d’un réel accompagnement de la personne qui se
sent alors soutenue dans une démarche qu’elle
peut se réapproprier.
Cette réflexion sur la prise en compte de
l’ensemble de la situation suppose, en amont,
une inter-connaissance entre partenaires (via des
échanges, en paroles ou en actes !) mais aussi
l’établissement d’un processus de réflexion tant
sur les modalités de travail (le développement
« Demain commence aujourd’hui… ! ».
Penser l’autonomie ou, le cas échéant, le relais
de l’aide dès le départ semble aller de soi pour
l’ensemble de acteurs. Concrètement, pour y
arriver, il est à nouveau important de se donner les
moyens d’une solution spécifique, compte tenu de
ce qui s’est passé avant, de ce qui existe autour
et de ce qui est envisageable pour l’avenir, pour
ce patient là qui se trouve devant nous. Parfois
le temps dont on dispose est très court. Et il faut
pouvoir saisir le moment.
Ici aussi des solutions existent, pour le long
terme, lorsque quelque chose doit être mis en
place. On pense notamment aux structures dites
intermédiaires, au croisement de l’ambulatoire
et de l’hospitalier, notamment pour les patients
chroniques, stabilisés.
Un des éléments essentiels de cette réflexion est
que, avant tout, la réinsertion passe par la cité…
Et si la région dans laquelle on travaille est ouverte
aux personnes en difficultés qui pourront ainsi
facilement trouver leur place de citoyen comme
tous les autres, tant mieux ! Mais ailleurs et c’est souvent le cas - les espaces ouverts sont
à créer. C’est alors de notre responsabilité aussi
de « faire quelque chose »… pour encourager
l’intégration sociale et l’épanouissement personnel
des usagers. Les aider à atteindre ces idéaux
via des projets qui tiennent compte de
leur difficultés peut les aider à maintenir
leur santé mentale… bien au delà du moment où
on fait le premier pas.
Pour en savoir plus : « Les Cahiers de l’Institut wallon pour
la Santé Mentale » – Cahier n°3 : « Aux portes du soin,
l’accessibilité en santé mentale » – à paraître en juin 2006.
Confluences n°13 mai 2006 / 15
À lire, à découvrir
Bon à savoir - Psytoyens, le site !
À lire30
À lire30
Ca y est ! Psytoyens, la fédération
d’associations d’usagers en santé mentale
en Wallonie, a son site :
http://www.psytoyens.be.
La Santé Mentale en actes De la clinique au politique
« Aux frontières de la justice, aux
marges de la société »
On y trouve une présentation de l’association
(objectifs, activités, membres, …), ses projets,
publications, et les endroits où elle représente
les usagers au niveau régional et fédéral.
« Nous ne sommes plus dans un contexte
socio-politique aussi optimiste que celui au
lendemain de la Seconde Guerre Mondiale
et qui avait permis, en 1946, à l’OMS de
définir la santé mentale comme un bien-être
total bio-psychosocial. Une telle utopie n’est
plus à l’ordre du jour aujourd’hui car nous
sommes pris dans une guerre économique
qui fait rage ».
Une rubrique « Actualités » se fait aussi le
reflet des activités de ses membres et du
secteur de la santé mentale en général. C’est
un lieu d’échange avec la possibilité, sous
chaque « news », de réagir au sujet abordé.
D’autres idées sont encore en gestation :
un espace témoignages d’usagers, des
expositions « virtuelles », des dossiers
d’information,… Et, pour être au courant
des activités de l’association, une lettre
d’information électronique.
A noter que vos commentaires, réflexions et
attentes sont les bienvenus. Le site se fera
le relais de toute information ou initiative qui
peut intéresser les usagers. Ce sont vos idées,
vos informations, qui le feront évoluer !
A bon entendeur…
Erès 2005 – collection ERASME - 357 p.
Ces propos sont de Jean FURTOS, dans
l’introduction de l’ouvrage reprenant
les interventions faites lors du Congrès
International qui s’est tenu à Lyon en octobre
2004 sur le thème : « La santé mentale
face aux mutations sociale », organisé par
l’ONSMP.
L’ensemble des textes tend vers une définition
de la santé mentale qui « garde ouvert un
débat où la clinique, les sciences humaines,
l’économie et le politique tissent une toile
complexe, loin des perfections utopiques ».
Une telle approche de la santé mentale
va donc bien au-delà de la psychiatrie.
La santé mentale pourrait être définie
comme « la capacité de vivre et de souffrir
(la souffrance n’est pas une pathologie
en soi) dans un environnement donné et
transformable, sans destructivité mais non
pas sans révolte ».
Les politiques de santé mentale visent quant
à elles des pratiques soutenues par le souci
de maintenir ou de restaurer cette capacité.
Psytoyens
De nombreux propos repris dans cet
ouvrage ont le mérite d’interroger la Société
d’aujourd’hui dans ce qu’elle produit, outre
les richesses , de détresses multiples,
de déliaison sociale, de précarité matérielle,
de souffrance psychique … Des regards
soucieux et pertinents sur ce qui
nous entoure …
François De Coninck, Yves Cartuyvels,
Abraham Franssen, Dan Kaminski,
Philippe Mary, Andréa Rea, Luc Van
Campenhoudt, et coll., Académia
Press, Story Scientia, 2005.
De plus en plus souvent, les acteurs judiciaires
sont amenés à collaborer avec divers
intervenants issus des mondes de la Santé
Mentale, du Travail Social ou de l’Ecole, avec
à la clef, un nécessaire questionnement sur
les interventions de la Justice aujourd’hui.
Fruit d’un travail de terrain mené avec
une méthode originale « d’analyse en
groupe », impliquant acteurs judiciaires et
extra-judiciaires, ce livre analyse en
profondeur les modalités contemporaines
de l’intervention judiciaire sur différentes
« scènes de justice ». Confrontés aux
difficultés du « travail en réseau », aux
impératifs de la « gestion des risques » et
de la « responsabilisation », voire au constat
d’un appel croissant au droit et à la justice,
les acteurs de l’institution judiciaire et
les intervenants sociaux se cherchent de
nouveaux modes de collaboration.
Illustré par de nombreux extraits tirés
des « scènes de justice » travaillées (abus
sexuel, usage de drogues, violence à l’école,
aide à la jeunesse, travail social en justice,
mais aussi surendettement et chômage),
le livre met en lumière un certain nombre
de tendances lourdes qui marquent la
recomposition des rapports entre le monde
judiciaire et d’autres champs connexes.
Construit à partir des pratiques de terrain,
l’ouvrage tente une mise en perspective
transversale des enseignements récoltés
sur les différentes scènes. Il s’adresse à un
large public, mais principalement à tous les
intervenants aux prises avec les difficultés du
partenariat socio-judiciaire dans le traitement
de situations socialement problématiques.
[email protected] / [email protected]
30 Ces ouvrages sont disponibles au Centre de documentation In Folio à l’Institut Wallon pour la Santé Mentale.
Renseignements : Delphine Doucet – 081/ 23 50 12.
Confluences n°13 mai 2006 / 16
Le consentement aux soins
dans un cadre contraint
« Dans une démocratie la logique du soin ne peut pas être opposée à la logique des droits de l’homme,
tant il est évident que, notamment en psychiatrie, on ne saurait soigner quiconque au mépris
de la personne et, par conséquent, au mépris des droits de l’homme les plus élémentaires ».
P. Bernardet
dossier
Dans la foulée de la loi relative aux droits des patients du 22 août 2002 et du Colloque « Droits du
patient en psychiatrie et privation de liberté »1 , ce dossier abordera le droit des Usagers de soins
en Santé mentale sous l’angle spécifique du consentement aux soins.
Qu’est-ce que consentir ?
Cette notion de consentement aux soins traduit, dans le monde médical, les grands principes
juridiques, éthiques et politiques que sont : le droit à l’autonomie comme capacité à disposer de
soi-même et à être sujet actif de son existence, le droit à l’égalité qui veut que les personnes impliquées dans une situation y participent de la manière la plus égale possible, et le droit à l’intégrité
physique, psychique et existentielle de la personne.
Dès lors que signifie ce consentement « libre et éclairé » lorsqu’il est demandé à un malade mental
hospitalisé sous contrainte ? Peut-on encore parler de consentement dans ce cadre contraint de la
privation de liberté ? Peut-on parler de consentement lorsque les capacités de discernement
sont mises en question ? Qu’en est-il de ce principe face à des pratiques comme l’isolement,
la contention physique ou chimique ?…
Situations paroxystiques et paradoxales de l’application de la loi… situations pourtant préoccupantes pour bon nombre de soignants et de patients.
Entre non assistance à personne en danger et exigence de consentement, entre sécurité et respect
de l’intégrité et de l’autonomie, entre préoccupation sanitaire et sécuritaire, entre protection sociale
et protection de l’individu, quelle marge de manœuvre, quelles pratiques, quelles difficultés, quelles pistes, quelles prospectives… ?
Loin d’un examen exhaustif de la question, ce dossier se propose de laisser s’exprimer les points
de vues, d’offrir un panel de regards par rapport à la question posée ; regards qui seront différents
selon la position de celui qui le porte ou le cadre dont il provient ; des regards qui veulent dessiner
l’horizon sur lequel peut se détacher ce concept qui, face aux vécus et pratiques, peut se révéler
parfois bien théorique.
Loi de protection des malades mentaux, loi de défense sociale, loi de protection de la jeunesse, …
autant de cadres « contraints » qui mettent en perspective les pratiques, les vécus des soignants,
comme des soignés en matière de consentement aux soins.
Droits des usagers, ils prennent la parole pour nous livrer leur expérience ;
Principes éthiques et juridiques, des philosophes et juristes nous partagent leurs réflexions ;
Pratiques thérapeutiques, les soignants nous traduisent leurs remises en questions, leurs vécus,
leurs expériences…. Toujours à recommencer, toujours à améliorer…
« Le savoir total n’existe pas hors le monde céleste des idéalités et de son inséparable corrélat
qu’est le discours totalitaire. Le savoir est citoyen lorsqu’il est partagé, et il n’est partagé qu’à partir
de l’aveu d’un manque. C’est peut-être cela consentir, soit irrémédiablement avouer que quelque
chose ou quelqu’un manque »2.
Christine Gosselin
IWSM
1
2
Colloque organisé par l’IWSM à Hélécine le 02 juin 2004.
Jean-Paul Caverni et Roland Gori, Le Consentement, droit nouveau du patient ou imposture, Champs Libres, 2005.
Confluences n°13 mai 2006 / 17 17
Témoignage
« Mon histoire »
Marc LAPOUGE
Je ne comprenais pas... On m’a attaché...
Voici le témoignage de ma dernière « collocation », vue avec du recul,
Après, c’est devenu plus difficile. Malgré la discussion avec la psychiatre,
je ne comprenais pas ce que je faisais là. Pour moi, tout était normal.
C’était étrange. Pour tout le monde c’était évident, pour moi non. J’avais
des œillières. Je demandais des informations et j’essayais de convaincre
de la vérité de mon délire. Le personnel ne me parlait plus. Le dialogue
était rompu. Ils ne voulaient pas discuter avec quelqu’un de délirant ; ils en
avaient déjà assez vu ; ils voulaient faire leur boulot. Je me souviens avoir
dit, devant le bureau des infirmières, que si on ne me donnait pas la raison
pour laquelle j’étais enfermé (l’enfermement me faisait peur), je ferais la
grève de la faim. Je crois que la rencontre avec la psychiatre m’avait
laissé voir la possibilité de dialogue et j’aurais voulu en avoir plus. Mais
l’urgence n’était pas là. L’urgence était de prendre des médicaments.
car je comprends mieux les choses maintenant.
J’avais arrêté mon traitement quelques temps auparavant, à cause de
ses effets secondaires. Je dormais 14 à 16h par jour !
Je me sentais guéri mais intérieurement très énervé par le sevrage.
Décider d’arrêter seul, c’était là mon erreur.
Je me suis adonné à l’alcool et au cannabis.
Sûrement
pour
meubler
quelque
chose
qui
n’allait
pas,
peut-être pour adopter l’attitude des jeunes, pour être réinséré
dans la société : j’avais choisi de faire comme les jeunes sans
activité. Entre gens fragilisés, entre non-coopérants à la société,
on se soutient, on se supporte...
Ma mère a pris peur. Elle a contacté mon frère. C’est lui qui
a fait la demande.
A peu près au même moment, je suis allé à l’hôpital pour un
examen. De mon plein gré. Après une analyse de sang, j’ai signé une
Alors, ils sont sortis du bureau, très vite, ils m’ont dit : « ça suffit ».
On m’a attaché sur un lit, on m’a fait une injection sédative. Je ne sais
pas combien de temps je suis resté là... pas longtemps sûrement...
mais sur le coup, ça paraît long. De mon lit, je ne voyais pas l’extérieur.
Les fenêtres étaient feutrées pour qu’on ne puisse pas voir dans la pièce,
la lumière tamisée. Un infirmier est venu me donner à boire, à manger.
Il m’a dit qu’il me laissait encore là un petit moment.
décharge et je suis sorti. Je comptais revenir... J’avais rendez-vous
avec mon autre frère pour manger. Mais, les choses se sont emmêlées,
j’étais désorienté, je n’ai pas été au rendez-vous. Je ne le savais pas, mais
ils préparaient ma « collocation ».
Je voulais coopérer...
Un peu après, trois policiers et deux ambulanciers sont arrivés chez moi.
Ils sont entrés avec un double des clefs. J’ai dit :« je coopère tout de suite ».
A l’admission, ont m’a orienté directement vers le pavillon des
psychotiques. Ils connaissent ma situation. Ce n’était pas ma première
hospitalisation. Je suis catégorisé « schizophrène avec paranoïa affective ».
J’ai rencontré une assistante psychiatrique qui m’a posé des questions,
a constaté que j’étais contradictoire, que j’oubliais mes récits et que je
n’étais pas dans mon état normal. Elle m’a annoncé que « j’étais en
collocation ». Le contact avec cette personne a été bon. Elle a pris le temps
de parler avec moi, de m’écouter, peut-être même plus que normalement.
Cela m’a vraiment laissé l’impression d’une relation avec dimension
humaine importante. Elle a décidé de la reprise de mon traitement.
Confluences n°13 mai 2006 / 18
Puis il est revenu et m’a demandé si j’étais d’accord de prendre mon
traitement ; j’ai répondu : « bien sûr» ... La situation était impossible :
j’étais attaché, courbaturé. Il fallait que ça s’arrête !
Je ne sais pas selon quels critères ils ont estimés que je n’étais plus
délirant, que j’étais réceptif à l’information. Quand ils ont jugé que
j’avais repris pieds avec la réalité, ils m’ont détaché, et ont commencé à
m’informer, à discuter. J’avais compris que j’avais intérêt à ne rien dire,
que je devais supporter les contraintes impliquées par l’hospitalisation
et qu’il fallait pouvoir être passif, savoir attendre, quand on démarre un
traitement - choc. Je ne suis pas intervenu sur le traitement, je ne me
sentais pas vraiment compétent. Sur le mode d’administration, par contre,
j’ai demandé des injections, pour ne pas oublier.
Devant le juge de paix...
La justice de paix a ensuite pris le relais. Il y a eu une audience dans
les 15 jours, et ça a été très vite « fagoté ». On m’a demandé de signer et
j’ai signé. J’étais tout à fait d’accord, mais en contradiction avec
J’aurais voulu participer plus, coopérer... J’avais conscience que mon
état demandait des soins, un suivi. J’aurais voulu en être... Je me
sentais stressé, « brouillon ». Il y avait un avocat. C’était une procédure...
Puis il y a eu l’administration provisoire des biens. Toutes les mesures
sont venues plus ou moins en même temps...
Et voilà. Le message du Juge de paix était passé. J’étais dans un service
de Mise en observation avec sorties progressives. Mon objectif, c’était
de retrouver la liberté et une bonne santé et d’y collaborer.
J’ai cependant fugué. J’avais besoin de rassurer ma famille, de leur dire
que j’étais toujours le même. Ensuite, j’ai téléphoné à la police et ils m’ont
raccompagné à l’hôpital. Il n’y a pas eu de sanction.
J’ai été mis en Maintien pour deux ans à la suite d’une nouvelle audience.
J’étais d’accord de suivre un traitement, mais ils ont jugé préférable
de maintenir la mesure contraignante à cause de mes antécédents et
de ma réticence à être hospitalisé. Je déteste le « service de Mise en
observation ». Ce n’est vraiment pas un lieu agréable. Pourtant la dernière
hospitalisation, c’est moi qui l’ai demandée. Je suis maintenant en
postcure mais sous la tutelle d’un psychiatre de l’hôpital qui vérifie si le
traitement est correctement suivi. J’ai un calepin dans lequel on indique
la prise du traitement qu’on m’injecte en maison médicale. Il y a aussi
possibilité de vérification par les voies informatiques.
Si je me sens mal, je vais de moi-même à l’hôpital. Mais quand on
me suggère d’y séjourner, je demande toujours si c’est vraiment
nécessaire, car c’est très important de ne pas rester enfermé.
C’est une infrastructure qui fait cohabiter toutes sortes de pathologies.
C’est vrai qu’on ne se voit pas quand on est sous médicaments, délirant,
en décompensation, mais ça fait vraiment peur de voir les autres dans
cet état. J’aurais aimé être plus à l’abri de ce regard sur les autres ;
ne pas avoir à assumer leurs moments difficiles alors que je n’étais
moi-même pas en état d’assumer les miens.
Un moment, j’ai voulu avoir un second avis, avoir l’avis d’un autre
psychiatre. Mais c’est difficile. Le spécialiste que j’ai tenté de consulter
s’est vite déchargé de mon dossier en disant que c’était un cas trop
complexe, qu’il valait mieux, à cause du Maintien, que je reste chez mon
« psy » habituel. Mais il a beaucoup de boulot et j’aimerais parfois qu’il
prenne un peu plus de temps. Ce n’est pas toujours facile de comprendre.
Je n’ai pas sa formation. Il faut aussi que je trie les informations, entre
ce qui m’est utile dans l’instant, et ce que je ne dois pas oublier pour la
suite du traitement.
Dernièrement, j’ai passé un court séjour à l’hôpital car j’ai eu des
hallucinations auditives. Je n’en avais jamais eues avant. J’avais peur
de dégâts irréversibles, peur de rester dans cette décompensation.
Elles se sont résorbées. Mais elles sont chroniques. Il faut donc que
je sois attentif aux signes précurseurs et que je fasse confiance à mon
psychiatre pour les paramètres que je ne maîtrise pas. Le traitement
semble à présent mieux dosé pour parer la crise, éviter la somnolence et
continuer à être actif.
Finalement, ça s’est bien passé, le traitement a été efficace et cela va
mieux. Je dois insister sur la compétence de mon psychiatre, surtout au
niveau pharmacologique. Il a toujours été disponible également, après
ma sortie, quand les symptômes revenaient et que j’étais déstabilisé.
J’aurais pourtant souhaité que les choses se passent avec plus de
chaleur, de manière plus humaine. Quand les services sont surchargés,
les professionnels sont plus nerveux, moins disponibles, tout le monde
en souffre. Lors de la mise en observation aussi, j’aurais aimé qu’on
m’explique plus. Je connaissais déjà le traitement et le diagnostic,
ce n’était pas ma première hospitalisation, mais j’aurais quand même
voulu qu’on m’explique ce qu’on allait faire et pourquoi. Je ne sais pas
si plus d’information m’aurait permis d’éviter la contrainte...
On en garde une amertume... mais bon, si c’était le signal pour me
faire comprendre que je devais vraiment me faire soigner... c’était
peut-être justifié. Ma famille a essayé de me parler et n’y est pas arrivée.
Quelqu’un d’autre aurait-il pu le faire ? Q
Confluences n°13 mai 2006 / 19
DOSSIER
Exposition / Journée d’étude : « Isolement, un outil thérapeutique ? » - www.isolement.be
moi-même. Je suis entré dans la salle après avoir vu mon avocat quelques
minutes. Il y avait là ma mère et mes frères, le psychiatre de l’hôpital,
mon infirmier référent et le Juge. Mon médecin de famille avait été un peu
négligent, me semble-t-il, puisqu’il avait établi un certificat médical sur la
demande de mon frère sans m’avoir préalablement consulté. Je pensais :
mon frère m’a mis la justice à dos en disant que j’avais essayé d’attenter
à sa personne. Ma mère a déclaré qu’il n’y avait jamais eu d’amélioration
en 8 ans. On n’avait plus confiance en moi. Ca m’a fait mal et ça a abondé
dans mon délire de complot de famille.
Les lendemains de l’hospitalisation
Rencontre
Paroles d’usagers
La santé mentale, c’est avant tout des usagers, des patients, des personnes qui
souffrent. Ce « mal de tête » ne s’ausculte pas à travers le légendaire stéthoscope
du médecin. Mais, comme les battements d’un cœur, il se laisse entendre dans une
écoute attentive.
Cette synthèse est le fruit de cette écoute. Les usagers s’y expriment. Ce sont
leurs mots, leurs sentiments, leur vécus tels qu’ils les ont exprimés lors d’une
rencontre organisée en collaboration avec Psytoyens, autour « de la question du
consentement aux soins ».
Laissons les mots glisser, les histoires se raconter...
Propos recueillis et mis en forme par Christine GOSSELIN - IWSM
« Les mots ont bien été dits, mais disjoints, éclatés,
comme autant de pièces d’un puzzle éparpillé. [...] 3»
« Je n’allais pas bien et du jour au lendemain,
on m’a dit qu’on allait m’amener quelque
part »...« On m’a parachutée là... je ne savais
pas où j’étais »... « On m’a tapé dans un coin...
j’étais lucide... j’étais dans un état second, je ne
réagissais pas... ».
« J’étais sonnée, je dormais tout le temps, j’avais
toute ma tête, mais j’étais obsédée par l’idée de
mort... ».
« J’étais consciente mais on ne m’a pas parlé.
On m’a traitée comme un objet... Ils discutaient
avec ma famille, je ne voulais pas intervenir, je
ne me sentais pas concernée, je me fichais de
ce que j’allais devenir .... Moi, J’étais au second
plan, j’étais la personne qui allait prendre les
médicaments et qui ne réagissait pas. Je n’étais
pas intéressée par le traitement ».
Quels que soient les mots utilisés pour le dire,
le terme de désorientation semble bien traduire
l’état dans lequel l’usager se confronte à l’hôpital :
une perte des repères structurant spacio-temporels,
ou affectivo-familiers qui peut éventuellement être
doublée, dès l’abord, par des sentiments mêlés
de rejet, d’exclusion socio-familiale, d’isolement,
voire de punition ou de culpabilité.
Confluences n°13 mai 2006 / 20
« On m’avait jetée comme une vieille chaussette...
j’étais un objet, je n’existais plus ». « Je pensais
que le psy était contre moi, mes parents aussi ».
« Les infirmières ne communiquaient pas,
comme si elles avaient ordre de ne pas me
parler... je devais rester dans mon isolement...
genre : t’as fait quelque chose de mal et bien
tu paies ».
A ce stade, il ne semble pas qu’il y ait de distinction
pour l’usager entre une hospitalisation dite
« volontaire » et une hospitalisation « contrainte ».
Il ne sait pas ce qui lui arrive, ni pourquoi, et
quelque part, il ne sait pas encore s’il veut
vraiment le savoir ; il ne veut pas nécessairement
communiquer, même s’il en ressent confusément
le manque... une manière peut-être de se
protéger de cet inconnu a priori peu avenant...
peu ressemblant à l’humanité connue.
Car derrière ce premier contact, c’est déjà toute
la question de l’humain, du rapport à l’autre
qui se profile en filigrane : le patient objectivé,
et l’autre, le sujet-soignant réduit à un « ils » ou un
« on » trop anonyme.
Une écoute, un espace de parole, un échange
d’informations à ce moment aurait-il pu
changer cet état de fait ? Une communication
était-elle possible ? Peut-être pas au niveau de
l’information dans le sens de la transmission de
données objectives, mais plutôt dans ce qu’une
telle démarche peut apporter en termes de
considération et de respect, en terme de cadre
de relation, en terme, justement, d’humanité.
Tous semblent regretter « qu’on n’ait pas essayé
de communiquer, ou si peu, ou si brièvement ».
« On aurait dû m’expliquer à quoi ça sert d’être
en hôpital psychiatrique, ce que ça pouvait
m’apporter. Je ne sais pas, des trucs normaux,
m’expliquer ce qui se passe ! Moi je me disais,
je suis où là ? Un service militaire ou quoi...
c’est incroyable ».
« J’ai vu le psychiatre quand je suis rentré, puis
régulièrement après. Il n’avait pas le temps de
parler, il me voyait trente secondes et donnait
ses instructions à l’infirmière ».
« Moi, j’aurais eu un peu plus de considération,
cela aurait été parfait : expliquer, qu’on m’écoute
vraiment. Là, c’est pas humain, c’est froid.
Ils pourraient prendre plus de temps ».
« Il faudrait pouvoir avoir l’aide d’un psychologue
à ce moment là pour pouvoir communiquer,
qu’on m’aide à m’exprimer... je ne sais pas
si cela aurait pu être utile au début, mais
je crois qu’il faut quelqu’un à qui parler, autre
que le médecin ».
En amont du consentement éclairé, l’information
sur les soins est fondamentale. Quel traitement
médicamenteux, pourquoi, quels effets
secondaires, quel accès aux divers services
offerts par le personnel soignant, quel recours au
traitement contraint, à l’isolement ? Comment ces
demandes sont-elles gérées ? Comment trouventelles réponses ?
De nos rencontres, il ressort que en général,
l’information ne vient pas d’elle-même. Il faut la
demander :
Si cette démarche de participation active au traitement
est si difficile à opérer, c’est peut-être parce qu’elle
est l’aboutissement de tout un cheminement.
Il faut passer outre la relation de confiance béate :
« on fait confiance, on s’attend à ce que le
médecin propose... ; comme il est gentil... on
n’ose pas dire... » ; et passer outre une relation
de méfiance vis-à-vis du soignant qui peut
charger la demande d’agressivité et déplacer le
traitement de la demande vers le traitement de
cette agressivité :
« La communication était à sens unique... tout
ce que je pouvais dire était pris comme de
l’agressivité et du non consentement à la prise
de médicaments... tout au plus, on augmentait
les doses, ou on me rabrouait, ou on me mettait
au cabanon... je n’avais pas confiance ».
Il est intéressant de remarquer également que
du point de vue des usagers, le traitement, c’est
d’abord et avant tout un « cocktail de médicaments » :
médicaments et traitement sont tellement liés
qu’ils se confondent.
« Le psychiatre, il parlait deux minutes. Moi
je ne parlais pas, c’était mon papa, et puis
c’était fini... et on cherchait les médicaments ».
Impression de ne pas être entendu, de ne pas être
compris, de ne pas être (re)connu...
Sans la relation de confiance - participative,
les usagers ont le sentiment que le traitement
médicamenteux est une voie de facilité qui
empêche de connaître en profondeur leur situation
et leurs problèmes :
« Quand on ne connaît pas la personne, on la
met sous Aldol » résume un usager. Impression
d’être catalogué : « ils prennent leur livre
(DSM IV), regardent les symptômes et selon :
il y a telle pilule pour tel symptôme et voilà
c’est bon... en faisant ça, ils loupent plein de
choses ».
La question du traitement contraint, du traitement
à l’insu, de l’isolement et de la contention, du
rapport aux autres dans la promiscuité, des
dépendances aux drogues sont aussi évoquées
comme autant d’agressions subies au cours
d’une hospitalisation. S’il est toujours possible
de signer une décharge et de s’en aller lorsqu’il
n’y a pas de contrainte judiciaire, faut-il accepter
« pour son bien » cette violence dans le cadre de
la P.P.M.M. 4? Est-ce thérapeutique ?
« Quand je n’étais pas d’accord de prendre mes
médicaments, on me disait « ce n’est pas grave »
et on me faisait une injection intramusculaire ».
« Je comptais mes médicaments, untel pour çà,
un autre pour çà... parfois il y en avait un de
plus.... Je ne suis pas un cobaye ».
« Il mentait... il disait : non, il n’y a pas d’effet
secondaire ».
« En deux semaines, j’ai été attaché cinq ou
six fois... ils se mettaient à 6 sur moi et me
maintenaient sur le lit pendant que je me
débattais et ils m’attachaient parce que je
cassais des choses comme les téléphones ;
j’ai mis toutes les télé à fond » .
« Ils m’ont mise au cabanon. J’étais dans le noir,
toute nue là, toute seule avec des piqûres, ...
un espace avec une porte blindée, en dessous
de laquelle je respirais ».
« On mélange les femmes et les hommes...
on devient parano, ils viennent dans ta
chambre ».
Après coup, même lorsque l’issue est positive, les
récits gardent la trace de l’amertume ressentie.
Dans ces témoignages, il semblerait qu’il n’y ait
pas vraiment de consentement éclairé.
Il arrive que l’on demande au patient s’il est
d’accord avec son traitement, il arrive aussi
qu’il soit d’accord. Mais l’acceptation se fait sur
base d’une information incomplète ou parce que
« c’est la meilleure chose à faire », parce qu’il est
évident pour tout le monde qu’il faut prendre ses
médicaments, qu’on n’a pas le choix.
« Le psychiatre me parlait très gentiment,
me disant que c’était bon pour moi, qu’il ne
faillait pas que je m’inquiète. J’ai accepté, mais
je n’avais pas trop le choix vu que mes parents
étaient d’accord ».
Comment consentir dans un cadre contraint ?
Ce serait pouvoir accepter de s’en remettre à
un autre pour les soins. Mais pour que cette
acceptation puisse avoir lieu, il faut un climat de
confiance, c’est-à-dire se sentir digne de confiance
pour, à son tour, pouvoir accorder sa confiance.
C’est un processus réciproque qui ne se
construit que dans le temps. Comment retrouver
la confiance ? Pas nécessairement en obtenant
l’information la plus complète possible sur son
traitement, mais peut-être, en sentant chez l’autre
une considération, un respect, une volonté de
communiquer et un désir de prendre du temps
pour cela.
La plupart des témoignages comportent, à un
moment ou à un autre, la mention de ce contact
positif:
« Une des seules personnes avec qui j’ai parlé,
c’est une psychothérapeute » ; « J’avais un bon
contact avec un psychologue... et beaucoup de
réconfort de la part de l’ergothérapeute [...] qui
me disait que je n’étais pas une personne nulle,
que je valais quelque chose » ; « La confiance
tient dans le fait d’être considéré comme une
personne ».
L’ergothérapie peut être un moyen de recouvrer
cette dignité, « d’être quelqu’un ». Face à l’oisiveté
qui règne dans le service, « on ne propose rien
sinon la télé ou le fumoir », elle vient combler
un vide : travailler pour retrouver la confiance en
soi « c’est assez dur au début, mais c’est ça qui
ma sauvé : avoir des objectifs à réaliser, quelque
chose à faire au jour le jour... ».
Reprenons, encore les mots d’un usager pour
conclure : « Tout le travail c’est de me sentir
capable ».
3
4
Declerck Partick, Les naufragés, Terre humaine,
Plon, 2001 p.157
Protection de la Personne des Malades Mentaux
Confluences n°13 mai 2006 / 21
DOSSIER
« J’ai réussi à connaître mon traitement le jour où
je me suis dit, je vais faire l’effort de demander...
j’ai demandé des informations sur mon traitement
et je les ai reçues. A partir de là, j’ai pu poser
des questions régulièrement. On a l’impression
qu’ils considèrent que si on ne pose pas la
question, c’est comme si on ne voulait pas
savoir. C’est une démarche très difficile à faire...
il m’a fallu quinze ans ».
Humaniser les soins sous contrainte
Réflexions éthiques à partir de témoignages
5
Partant du constat que, faute d’alternatives crédibles, des traitements sous
contrainte sont actuellement inévitables dans certaines situations bien précises,
la question éthique centrale est probablement la suivante : comment rendre
ce type d’intervention la plus humaine possible, tant pour le patient que pour
les soignants ?
Jean-Michel LONGNEAUX
Philosophe, Chargé de cours aux Facultés Universitaires
Notre Dame de la Paix à Namur,
Conseiller en éthique à la Fédération des Institutions Hospitalières,
Rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica
Avant toute chose, il n’est sans doute pas inutile
de rappeler que ces mesures de contraintes
doivent toujours être considérées comme des
mesures exceptionnelles et jamais comme
une forme de soins « normale » pour certaines
catégories de patients. Malheureusement, il faut
bien en convenir, lorsqu’on travaille fréquemment
ou exclusivement avec des patients contraints,
l’extraordinaire devient l’ordinaire, l’habitude
s’installe et entraîne avec elle la banalisation
des pratiques. Il faut alors attendre un accident
relativement grave pour que les questions
éthiques réapparaissent. A moins que l’on ne
réussisse à étouffer l’affaire.
Afin d’éviter de telles dérives, le soignant doit
d’abord être au clair sur le conflit de valeurs
dans lequel il est pris, et deuxièmement être
convaincu qu’aucune alternative ne s’offre à lui,
ce qui suppose qu’il n’ait de cesse de chercher
d’autres stratégies possibles. En ce qui concerne
le conflit de valeurs dans lequel le soignant est
pris, il peut dans bien des cas s’énoncer de la
manière suivante : soit respecter la liberté du
patient au détriment de sa vie ou de sa santé
(ou de celle de tiers), soit privilégier sa vie ou
sa santé (ou celle de tiers) au détriment de sa
liberté. Si l’on opte pour la seconde option, qui
est celle des soins contraints, alors, plusieurs
règles doivent être respectées.
Confluences n°13 mai 2006 / 22
L’Autre comme sujet
La première, qui saute aux yeux à la lecture des
témoignages, c’est de continuer à considérer
le patient comme un sujet... en lui parlant. Que
lui-même ne soit pas d’humeur à se respecter
comme sujet, qu’il en soit même incapable pour
des raisons liées à sa pathologie n’autorise
personne à le traiter comme un simple objet.
Ce serait se faire complice de sa maladie.
Objectera-t-on que pour des raisons
thérapeutiques, on ne peut tout dire au patient :
même la simple annonce d’un diagnostic peut
parfois avoir des conséquences redoutables ?
Il est possible, en effet, que l’explication
du traitement amène certains patients à le
manipuler au détriment de leur santé. Mais si
on doit admettre d’une part que les médecins
et soignants ont évidemment l’obligation, pour
des raisons thérapeutiques documentées, de ne
pas parler de traitement avec certains patients,
on ne saurait en déduire d’autre part qu’il ne
faille plus parler du tout à la personne, pour
la traiter désormais comme une pathologie vide
de toute vie humaine.
Il est vrai qu’il est difficile de s’adresser à l’autre
comme à un sujet, lorsque celui-ci ne soutient plus
cette position. Mais précisément, n’est-ce pas là,
à côté de la prescription et de l’administration de
médicaments, le travail des professionnels d’être
le garant provisoire de la subjectivité de celui qui
n’a plus la force ni les moyens, ni la volonté de
l’assumer ? Et en quoi consiste cette fonction de
garant, sinon à considérer l’autre comme sujet
envers et contre tout, au lieu de le prendre au
mot et de le réduire au spectacle qu’il donne
de lui-même ? On est en effet étonné, dans les
témoignages, par l’écart qu’il y a entre l’image que
le patient donne de lui-même et son vécu intérieur
en attente d’une parole vraie. Il faut parfois des
années de psychiatrie pour découvrir que « ne pas
demander était assimilé à ne pas vouloir savoir »,
ce qui évidemment est faux. Tout se passe donc
comme si en plaçant les patients sous contrainte,
on rendait le personnel soignant sourd à leur
vécu – celui des patients, mais aussi, peut-être,
le leur.
Considérer l’autre comme un sujet, ce n’est
pas savoir « intellectuellement » qu’il en est un,
c’est agir « pratiquement » pour qu’il en reste
un, ce qui, il est vrai, est inconfortable pour les
professionnels. Pourtant, comme le confirment les
témoignages, cette exigence est déjà rencontrée
lorsqu’on s’adresse à l’autre comme à un « tu ».
Certains le disent explicitement : recevoir des
anti-dépresseurs sans qu’aucune parole ne leur
soit adressée, amène à se sentir considérés
comme objet. Etait-il inconcevable de donner ce
médicament avec une explication, même si, en
apparence, celle-ci n’est pas entendue ou reste
incomprise ? Et surtout, pourquoi donner ce
médicament si ce n’est pas en vue de rétablir
une relation ? En résumé, les récits illustrent
clairement que le souci éthique de l’autre
comme sujet n’est pas un accessoire facultatif
du traitement. C’est l’inverse qui est vrai :
ce sont les traitements médicamenteux
ou autres, même contraints, qui doivent
être considérés comme des compléments
(indispensables) à la relation à l’autre.
La deuxième règle qui devrait être
impérativement respectée en matière de soins
contraints, est probablement liée à la première :
toujours éviter que les patients subissent
certains traitements comme des punitions.
Dans plusieurs cas, c’est suite à une agression
verbale de la part du patient que les soignants
interviennent sans ménagement : à plusieurs,
ils enferment le patient pour faire taire cette
parole provocante, plutôt que d’y voir peut-être
l’occasion d’un échange. On est en droit de se
demander si, ici, les soignants ne sortent pas
des soins sous contrainte pour tomber dans la
violence gratuite ou l’abus de pouvoir. Y a-t-il eu
recherche d’alternatives ? Il semble que non, tant
la réaction des soignants, telle que décrite dans
les témoignages, fut fulgurante. Y était-il question
d’un refus de traitement ? Apparemment, non.
Y avait-il personne en danger ? On a l’impression
que non d’après ce que nous lisons dans les
récits. Enfin, l’attitude des soignants était-elle
proportionnée à la situation ? Il est difficile
de le croire.
Evidemment, nous n’avons que la version
des patients. On dira peut-être qu’il n’était
pas question de sanction ni de violence, mais
de traitement (contraignant et préventif) de
symptômes à prendre au sérieux. Et l’on
ajoutera même que c’est la pathologie du
patient (par exemple une « paranoïa affective »)
qui l’amène à y voir une punition. Mais en
ce cas, s’il n’était pas question de sanction,
pourquoi ne pas le dire avant, pendant et après
l’intervention ? Pourquoi ne pas redoubler
de vigilance pour que l’intervention, même
contrainte, garde sa dimension thérapeutique,
ou la retrouve le plus vite possible aux yeux du
patient, au lieu d’alimenter son délire ?
Considérons un autre exemple : une personne
refuse de prendre son traitement. Quelle est la
réponse du soignant ? Il dit que « ce n’est pas
grave » et fait une injection intramusculaire.
La violence n’est pas à chercher du côté de
l’injection, ni dans l’immobilisation préalable de
la patiente. La violence tient dans le « ce n’est
pas grave » qui lui est jeté en pleine figure, et
qui la nie comme sujet. En effet, cela revient
à lui dire : « tu peux penser et vouloir ce que
tu veux, on s’en fout ! ». Du coup, l’injection
sous contrainte devient elle-même violente.
Pourquoi ne pas avoir dit au contraire que sa
parole est entendue parce qu’elle est grave et
importante, même si on ne peut l’accepter ?
L’un des témoins a raison d’avancer que toute
Des soins... finalement consentis ?
Les récits soulèvent bien d’autres questions.
Relevons en une dernière.
Affirmer, comme nous le disions
pour commencer, que les soins sous contrainte
doivent rester l’exception,
c’est rappeler que, par définition, les soins
doivent toujours être consentis. Et que déroger
à ce principe – ce que parfois il faut pouvoir
assumer –, c’est commettre une transgression
pour laquelle on aura à rendre des comptes :
rendre des comptes pour les transgressions
commises, c’est ce qu’on appelle assumer
ses responsabilités.
Ce point est important, car c’est à cette condition
que non seulement on évite les dérapages, mais
surtout, que l’on donne au patient la chance de
se réapproprier ce qu’il aura dû subir, pour s’en
libérer.
Les personnes ont manifestement cheminé
depuis leur entrée en institution. Ils ont un long
parcours derrière eux. Ont-ils eu l’occasion
de revenir sur cette période de soins sous
contrainte pour comprendre ce qu’on leur fit
subir à l’époque (qu’il s’agisse des décisions
prises par la famille, de ses silences ou de ses
absences, ou qu’il s’agisse des traitements
imposés par les médecins et soignants),
pour excuser les dérapages dont ils furent
peut-être victimes, ou en tout cas, pour soulever
les malentendus ? En effet, comment un patient
pourrait-il finalement se dire soigné s’il reste
en souffrance par rapport à des traitements
qu’il juge (à tort ou à raison, peu importe)
injustes, violents et non fondés ?
5
Voir les articles : « Mon histoire » et « Paroles d’usagers »
p 18 et 20
Confluences n°13 mai 2006 / 23
DOSSIER
Exposition / Journée d’étude : « Isolement, un outil thérapeutique ? » - www.isolement.be
Pas une punition...
discussion serait vaine en ce sens qu’elle ne
permettrait pas d’éviter la contrainte. Toutefois,
ce n’est pas là son but. Mettre des mots vise
seulement à humaniser les soins contraints
pour qu’ils ne deviennent pas de l’abus
de pouvoir, du « passage à l’acte », mais restent
une opportunité pour encore soutenir le patient
comme sujet.
Réflexions d’un quidam
Qu’est-ce qui est vraiment thérapeutique ? Où commence et où s’arrête
la liberté individuelle ? Quels sont les
comportements jugés inacceptables
(‘in normaux’) par la société ?
C’est à ces questions que nous renvoie
l’auteur. Une réflexion qui, au-delà du
point de vue juridique ou sanitaire,
appelle à des choix de Société.
soins pratiqués dans le cadre de cette privation
de liberté ?
N’entend-on pas le plus souvent dire : « docteur,
il faut le soigner », même si le « patient » ne le veut
pas, comme s’il s’agissait d’une obligation.
Quels sont d’ailleurs ces soins dont les vertus
amèneront le patient à recouvrer sa santé ou, à tout
le moins, l’espoir d’une vie sociale ?
Si j’en crois les échos, ils sont nombreux
et variés. À titre d’exemple, sans être exhaustif,
6
Patrick NEDERGEDAELT
Avocat,
Président de la Commission Psychiatrique
de la Ligue des Droits de l’Homme
citons :
l’entretien
thérapeutique,
l’isolement,
physique ou chimique, les activités obligatoires,
l’interdiction de visite ou les visites sélectives, le
contrat thérapeutique, les médicaments agissant
sur les centres nerveux sources de la maladie, les
Les maladies mentales sont avec la peste, la lèpre et
médicaments corrigeant les effets secondaires des
autres épidémies, les seules maladies pour lesquelles
précédents, les sorties sous condition, etc.
la société s’estime le droit d’exclure les personnes
secondaires de la mesure thérapeutique proposée
ou le refus d’autre chose ?
- Certaines mesures thérapeutiques ne sont-elles pas
proposées ou imposées parce qu’elles constituent
un raccourci vers la disparition des symptômes les
plus socialement gênants ?
- La maladie mentale est-elle nécessairement
une maladie évolutive ?
- Les malades mentaux sont-ils tous des
Mr Hyde, Jack l’éventreur ou autres bostoniens
en puissance ?
- Faut-il donc nécessairement passer par
le traitement contraint pour élimer ce risque ?
- Dans quelle mesure la responsabilité du
médecin qui s’incline face au refus du malade
est-elle engagée face à la société, à la famille,
au patient ?
- Quels sont les intérêts à privilégier la liberté
de chacun ou la protection de tous contre
un risque potentiel (si celui-ci est avéré) ?
qui en sont affectées, de la vie en son sein.
Sans nier l’intention thérapeutique et les effets
Encore, faut-il considérer que contrairement aux
du même ordre, deux questions apparaissent
Amoureux de la liberté, j’opte pour le respect de la
maladies contagieuses, la maladie mentale ne l’est
d’emblée :
liberté de chacun et donc clairement pour le droit
pas.
- Toutes ces mesures sont-elles utilisées
exclusivement à titre thérapeutique ?
- Le patient, même dans le cadre d’une hospitalisation
sous contrainte, ne doit-il pas y apporter son
consentement après avoir été informé de la portée
des mesures proposées pour son traitement ?
du malade mental (si tel est le cas) de refuser les
A l’une des deux réponses possibles à la première
question posée ci-dessus, succède une troisième
double question : si les mesures utilisées ne sont
pas d’ordre thérapeutique, quelle est leur nature
et leur légitimité ?
et uniquement posés par des personnes affectées
De plus, la maladie mentale est aujourd’hui la seule
maladie à propos de laquelle se pose la question du
traitement sous contrainte.
Certes,
par
le
passé,
certaines
mesures
prophylactiques étaient obligatoires et on ne peut
que s’en féliciter puisque les maladies visées ont été
pratiquement éradiquées dans nos régions.
Peut-on dès lors envisager la disparition de la
maladie mentale grâce à l’exclusion et au traitement
sous contrainte ?
Je ne pense pas me tromper en affirmant que
traitements qui lui sont proposés.
Toutefois, conscient de la responsabilité qu’implique
les limites de la liberté, il est évident que certains
comportements sont humainement inacceptables,
mais ces comportements ne sont pas nécessairement
d’une maladie mentale.
Cela amène à un nouveau questionnement : quels
sont les comportements humainement inacceptables
qui justifient à l’encontre d’un malade mental la
privation de liberté et le traitement sous contrainte ?
les moyens « thérapeutiques » utilisés au profit
A la recherche des réponses, d’autres questions
Mais je n’en finirais pas de poser des questions qui
des
surgissent :
n’ont pas encore de réponse absolue.
malades
mentaux
rencontrent,
sinon
l’assentiment, à tout le moins, l’indifférence du
plus grand nombre.
Certes, encore une fois, des voix se sont élevées
à l’encontre de certains traitements choc, mais
voit-on les foules s’indigner des mesures de privation
de liberté appliquées aux malades mentaux et, pour
ce qui nous occupe ici plus particulièrement, des
Confluences n°13 mai 2006 / 24
- La personne qualifiée de malade mental est-elle
réellement malade ou simplement différente ?
- Si elle est réellement malade, est-elle en mesure
de consentir au traitement qui lui est proposé ?
- Le refus qu’elle oppose aux soins est-il la
conséquence du refus de reconnaître l’existence
d’une maladie dans son chef ou du refus des effets
6
Les propos tenus dans cet article ne sont pas écrits au
nom de la Commission Psychiatrique des Droits de l’Homme
mais à titre personnel.
Témoignage
Quelle place pour la famille ?
La première fois que l’on est confronté aux
soins psychiatriques, c’est le plus souvent en
urgence, dans une situation familiale
insupportable. Dans ces conditions, la question
du consentement aux soins ne se pose
absolument pas : d’une part, parce qu’une
famille « ordinaire » n’est pas du tout informée
des « droits du patient » ; d’autre part, parce
que, devant quelqu’un qui veut se suicider,
ou qui commence à tout casser dans la maison,
on n’a pas tellement le temps de philosopher :
on essaie de sauver sa peau, et la nôtre.
Dès l’entrée en psychiatrie, notre enfant est pris
en charge par une équipe de professionnels
et en tant que parents, nous n’avons plus
aucune prise sur la situation. Si le premier
sentiment éprouvé est, il est vrai, un sentiment
de soulagement, il n’est que temporaire.
Quelques jours plus tard, premier contact
après la crise, nous découvrons avec
épouvante une sorte de mannequin désorienté,
bavant, aux propos incohérents. Devant cette
déchéance, nous avons même regretté d’avoir
encouragé cette hospitalisation. Nous voulons
comprendre ce qui se passe, mais personne
ne nous explique. Il faudra attendre plusieurs
semaines, et faire œuvre d’une persévérance
et d’une ténacité presque gênante, pour
arriver, finalement, à obtenir un rendez-vous
avec un jeune assistant en psychiatrie qui
a pris le temps de nous expliquer la maladie
et le traitement. C’est dommage de perdre
tant de temps et de laisser s’installer, dans
l’intervalle, dans l’absence de communication,
un sentiment de méfiance ou de suspicion qui
n’était pas présent au départ.
Des hospitalisations, il y en aura d’autres,
contraintes ou non. A chaque fois, nous serons
confrontés aux mêmes problèmes : Pourquoi
les praticiens ne prennent-ils pas le temps
pour échanger avec les familles ? Pourquoi
se réfugier derrière « le secret professionnel
« ou » la majorité du patient » pour laisser
dans l’ignorance ou refuser d’écouter les
proches ? Pourquoi ne pas contacter le
psychiatre habituel et les hôpitaux précédents
pour assurer le suivi des soins ? Comment
se contenter de ce que le patient veut bien leur
en dire dans ses rares moments de lucidité ?
Comme parents, nous avons été plusieurs fois
écartés sans ménagement de toute discussion
concernant les antécédents, le vécu actuel
et les possibilités d’avenir de notre enfant. Nous
pensons pourtant, que le milieu hospitalier
obtiendrait plus facilement le consentement du
patient s’il prenait contact avec les proches au
tout début du traitement même s’il s’agit d’un
patient majeur. Expliquer d’abord aux parents
– en l’absence du patient incapable à ce stade
de comprendre, ou trop fragile pour ne pas
en être ébranlé – les raisons, le déroulement
et surtout les objectifs des soins, leur
permettrait de répercuter à leur enfant malade
le discours médical, sur un ton forcément
plus chargé d’affectif et d’humain. Si le
patient sent qu’il existe une confiance et une
collaboration entre les professionnels et sa
famille, il sera plus aisé pour lui de nouer une
réelle alliance thérapeutique.
La problématique du consentement aux soins
nous interpelle et même nous angoisse en
tant que parents. En effet, passé le stade de
l’hospitalisation – sous contrainte ou non – ,
elle reste d’une acuité lancinante car même
en dehors des crises – où il refuse tout – le
malade reste enclin à « oublier » ou à diminuer
de lui-même les médicaments et les séances
de thérapie. Avec notre enfant, nous avons
essayé la fermeté : « Si tu ne te soignes pas,
nous ne prenons pas le risque de te recevoir
chez nous, il y aurait de nouveau danger pour
toi et pour nous ; ta liberté de te soigner s’arrête
où commence la nôtre : vivre en sécurité et
dans une ambiance la plus sereine possible ».
Personne – même pas un malade – n’a le droit
de semer la terreur autour de lui, et de rendre
invivable l’existence de tous ses proches.
Nous connaissons beaucoup de familles qui en
sont là... parce que leur enfant malade refuse
de se soigner et nie sa maladie.
Une collaboration réelle entre patient, famille
et professionnels de la santé mentale est
indispensable pour instaurer un consentement
aux soins, et donc, une meilleure qualité
de vie du malade.
Confluences n°13 mai 2006 / 25
DOSSIER
La demande d’admission en soins psychiatriques survient le plus souvent lorsque
l’entourage a épuisé toutes ses ressources et qu’il se retrouve impuissant face
à un nouvel événement, une crise pour laquelle l’hospitalisation contrainte apparaît
être la seule issue possible.
Le moment est souvent vécu très douloureusement par l’usager et sa famille.
A l’incompréhension se mêle un sentiment de totale impuissance, de perte
de repères et de contrôle.
C’est un monde totalement méconnu qui s’ouvre alors avec un besoin impérieux
d’information, de communication et de respect.
Un préalable indispensable pour comprendre, et peut-être consentir au
traitement thérapeutique.
Point de vue multipartial d’une médiatrice en santé mentale
sur le consentement au traitement
Interlocutrice privilégiée dans la relation entre soignants et soignés, Patricia Wastrat
évoque les questions éthiques que lui posent les traitements sous contrainte dans
le cadre de son travail de médiatrice en institutions psychiatriques. Elle parle aussi
des interpellations concrètes relayées par les patients et resitue le cadre légal de
ce questionnement.
Patricia WASTRAT
Médiatrice en santé mentale,
Thérapeute familiale
La loi sur les droits du patient du 22 août 2002, article 8
Pour faire ce très bref commentaire, je me base essentiellement sur les travaux préparatoires de la dite loi.
L’article 8, §1, alinéa 1, parle d’un consentement éclairé préalable et libre concernant toute intervention
du praticien professionnel. Seule une disposition légale explicite permet d’y déroger : par exemple, l’aide
urgente ou le traitement forcé d’un malade mental pour lequel la loi prévoit un traitement spécifique.
Le consentement est donc requis pour toute intervention dans le cadre de la relation du praticien avec
le patient. Il doit être donné expressément. Il peut cependant être implicite - tacite ou non verbal - pour
autant que ce soit un consentement à part entière, c’est-à-dire, non équivoque et donné en connaissance
de cause. L’objectif étant d’établir, dans la mesure du possible, une relation plus égalitaire et plus responsable
entre patient et soignant, on comprend que les auteurs de la loi ont voulu limiter le recours croissant
aux formulaires de consentement.
Le § 2 concerne le contenu des informations à fournir pour que le consentement soit « éclairé » : il s’agit
de la nature de l’intervention, de son caractère douloureux, de son urgence, de sa durée, de sa fréquence,
des risques et contre-indications, des aspects financiers, des alternatives... Ces informations doivent être
fournies préalablement et en temps utiles pour que le patient puisse réellement consentir. Le patient a le
droit de refuser ou de retirer son consentement pour une intervention. Ce refus n’interrompt ni la relation
avec le praticien ni le droit à des soins de qualité. Le praticien devra proposer des alternatives ou un
transfert que le patient puisse approuver. Le patient doit être informé des conséquences de son refus.
Le § 4 précise que tout refus anticipé à l’égard d’un traitement déterminé exprimé par un patient capable
donnera lieu à une suite contraignante juridiquement. Selon les travaux préparatoires, ce refus a la
même valeur qu’un refus exprimé le jour même. Pour le conseil de l’ordre des médecins, un tel refus
n’est qu’indicatif et ne peut être contraignant. Le Conseil émet un avis très nuancé tenant compte des
circonstances et estime qu’il faut cependant « sérieusement tenir compte de ce refus anticipé» et prendre
l’avis d’un confrère et/ou de l’équipe soignante avant de ne pas le respecter.
Le § 5 règle le consentement en cas d’urgence. On tiendra compte de la volonté clairement exprimée
préalablement ou non par le patient. Si ce n’est pas clair, on exécute toute intervention nécessaire
en application de l’article 422 bis du Code Pénal. Dès que possible, le praticien respectera l’obligation liée
à l’information et au consentement.
Confluences n°13 mai 2006 / 26
Questions éthiques
En psychiatrie la question éthique est toujours
présente ; un consentement obtenu peut
être légal sans être éthique et vice-versa.
Cette question préoccupe aussi les soignants
que je rencontre. Les hôpitaux disposent pour
réfléchir à ce genre de questions fondamentales
d’un comité d’éthique. Cependant, dans certains
hôpitaux, ces comités ne fonctionnent pas bien,
souvent faute de temps. La loi ne peut répondre
aux enjeux éthiques. Elle propose un cadre
qui n’a de sens que dans un contexte : il n’y
a pas de patient, pas de soignant standards
et il faut, en permanence, réfléchir à « comment
appliquer la loi, les procédures, le règlement
de l’hôpital, concrètement ».
Incontestablement, le dialogue que demande
l’application de la loi est tout au bénéfice
de la relation patient-soignant. Cependant,
quand on vit réellement au rythme d’un hôpital,
on se rend compte très rapidement que ce type
de démarche prend du temps. Et très souvent
les praticiens n’en disposent pas. Cependant,
le fait d’être soumis à des contraintes
économiques, à des impératifs de rentabilité
qui découlent d’un certain type de politique
de santé ne dispense pas de tendre vers cette
relation de qualité inscrite maintenant dans la
loi. Comment informer, encourager à l’autonomie
de décision, permettre un consentement,
sans relation, sans temps ?
Plus spécifiquement, en ce qui concerne
la relation entre les patients et les médecins
psychiatres, j’ai observé très souvent, une
« soumission » des patients allant parfois
jusqu’à la crainte de poser une simple question.
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette
position vécue comme non égalitaire. Sans
entrer dans un débat à ce sujet, je constate
Il arrive parfois qu’on ne tienne pas compte de
l’avis du patient, par principe, puisqu’il est malade
mental. A force de fatigue, les équipes peuvent
perdre de vue que les patients gardent une partie
non malade à laquelle ils ont encore accès.
C’est cette partie là qui peut donner son accord,
même si elle n’est pas accessible tout le temps.
Pour moi, tenter d’obtenir l’accord des patients
psychiatriques à leur traitement devrait être un
effort permanent, en ce sens, que cela participe
à la restauration de leur autonomie.
En ce qui concerne les patients hospitalisés sous
contrainte, les avis varient : certains pensent que
la mise en observation implique le traitement
forcé ; d’autres, comme la Ligue des Droits
de l’Homme pensent que non. Le livre Blanc sur
la protection des droits de l’homme et de la
dignité de la personne atteinte de troubles
mentaux propose une ligne de conduite en matière
de traitements « involontaires7».
Pour moi, dans tous les cas, le principe reste le
même : il faut sans cesse revenir au patient pour
tenter d’avoir son accord, sa collaboration. Souvent
des patients sous contrainte viennent me trouver
et comme je dispose de plus de temps peut-être
que le personnel, nous arrivons à parler de ce avec
quoi ils pourraient être d’accord. La fonction de
médiation peut ainsi participer à l’exercice de ce
droit au consentement. L’état d’un patient n’est pas
définitif et il faut toujours s’inquiéter de son avis
et de ce qui motive son refus. C’est à partir d’un
dialogue sur ces points que les patients peuvent
parfois accepter temporairement un traitement.
Interpellations concrètes des patients
A propos de la médication, on relève souvent
le peu d’informations transmises ou transmises
à posteriori ; les modifications inexpliquées, sans
même avoir vu le médecin ; le manque d’alternatives
proposées ou refusées sans explication ; l’utilisation
de la prise de sang pour vérifier l’ingestion d’alcool,
quand l’alcootest aurait été moins invasif ; les
injections sédatives invoquées comme menace.
Souvent les patients se sentent infantilisés,
insécurisés... Ils disent qu’en ambulatoire, ils en
sauraient plus. Parfois, ils refusent de payer ces
injections réalisées sous la contrainte.
Autour de l’isolement et de la contention physique,
les demandes sont essentiellement centrées sur un
besoin de dialogue : anticipatif, quand le patient
est calme pour lui expliquer ce qui se passera et
pourquoi ; répétitif pendant la mesure d’isolement ;
et consécutif à la mesure, comme « conversation
post traumatique ». Concernant les conditions de cet
isolement, il y a une série de « bonnes pratiques »
locales, propres à chaque hôpital, édictées souvent
par le médecin chef, dont les infirmiers ne peuvent,
à juste titre, s’écarter. Sans intervention extérieure,
rien ne sera modifié, même si une partie de ces
mesures ne s’appliquent pas, ou ne sont pas
justifiées, dans le cas particulier de tel ou tel
patient. L’isolement présenté comme menace ou
punition est souvent questionné, ainsi que certaines
pratiques vécues comme des manques de respect :
le fait, par exemple, de n’avoir ni table, ni chaise et
la nourriture déposée par terre.
A propos des activités « programmées », le contrat
de base, ou le règlement, parfois inexpliqué, est
imposé pour pouvoir entrer dans le service et se faire
soigner. Certains points ont cependant un caractère
qui semble plus disciplinaire que thérapeutique.
De même, la sortie ou le week-end qui dépendent
du bon suivi d’un programme d’activités et se
voient refusés, en cas contraire, posent questions.
Bien sûr je rassemble ici des exemples qui
peuvent sembler jeter le discrédit sur les soignants.
Je rencontre chaque jour des soignants qui
s’efforcent de se remettre en question et
de répondre consciemment aux difficiles questions
que pose le traitement. J’ai lu avec un immense
intérêt deux articles d’Axel Liégeois qui soutiennent
la réflexion des équipes et proposent la mise
en œuvre d’un processus de décision avec les
patients qui vaudrait la peine d’être expérimenté8.
L’intervention d’une personne extérieure et
multipartiale comme le médiateur peut soutenir les
valeurs dont est imprégnée la loi sur les droits du
patient. Cependant, il est important de continuer
à revendiquer plus de place pour cette fonction.
Certains hôpitaux utilisent la fonction de médiation
organisée par la plate-forme de concertation sans
reverser à celle-ci le subside qu’ils reçoivent pour
cette fonction ; la part reversée de ce subside donne
lieu à des négociations entre hôpitaux et platesformes, négociations dont le résultat peut varier
chaque année. D’autres se donnent le droit de
déterminer la durée de travail du médiateur dans
leurs institutions, la place de son bureau (face à
la direction par exemple), son accès ou non aux
services ou aux patients en services fermés... Dans
tous ces cas, le médiateur est peu présent. Peu de
patients connaissent son existence et son rôle. Il y
a bien un document qui est remis à l’admission,
mais qui ne peut être considéré comme une
information réelle pour un patient psychiatrique.
Pratiquement, seuls les patients qui vont « bien »
s’adressent au médiateur. Le droit des patients
n’est alors pas vraiment celui de tous les patients.
La fonction de médiation encourage certainement
une attitude participative de la part des
patients et non une attitude consumériste.
Elle va à l’encontre du courant économique.
Et si ces préoccupations de gestion sont légitimes,
« jamais elles ne peuvent éclairer une action
publique – dans notre cas une action dans le
domaine de la santé – dans ses valeurs, dans ses
normes et dans ses enjeux9 ».
7
Réf. bibliographique 24
8
Liégeois A., réf. bibliographiques 22 et 23
9
De Munck J., Genard J. - L., Kuty O., & coll., réf.
bibliographique 12
Confluences n°13 mai 2006 / 27
DOSSIER
qu’elle est très répandue, contrairement à ce
que croient les psychiatres. C’est une
des raisons d’exister de la fonction de médiation :
soutenir les patients dans leur effort pour
changer de position dans cette relation si importante
pour eux.
Le consentement en psychiatrie à la lumière de la contrainte :
10
Un tour d’Europe
Personne présentant des troubles psychiques, patient, personne handicapée mentale
ou psychique, sujet, usager, client, telles sont les appellations de celui ou celle qui
était – et demeure ? – l’aliéné, le fou, le malade mental, tout particulièrement dans
les pactes et déclarations au plan international : ONU, OMS, Conseil de l’Europe,... ;
mais également dans les lois nationales des pays de l’Union Européenne ... à quinze.
Tentative de traductions simultanées de la notion de consentement en Europe11.
Claude LOUZON
Président du Comité Européen
Droit, Ethique et Psychiatrie,
Psychiatre à Paris
Des malades comme les autres !
Quatre principes fondamentaux
Il est incontestable qu’il y a, dans la logique
Le Code de Nuremberg a été déterminant
sociopolitique
l’homme
dans la promotion du consentement libre et
appliquée au champ de la santé mentale, un
éclairé. Ecrit comme condition fondamentale
empowerment, soit une augmentation de
de toute expérimentation sur le sujet humain, le
pouvoir et de contractualité en termes de
consentement a ensuite été reconnu dans le cadre
reconnaissance sociale et de droit positif.
thérapeutique. Cela tient à l’évolution — plus
Au point que la personne présentant des
ou moins radicale — des conceptions de la
troubles mentaux et la personne handicapée
thérapeutique psychiatrique et du cadre légal.
seraient à considérer désormais, et dans la
Ainsi, globalement, la personne présentant des
mesure du possible, comme des « malades
troubles mentaux doit se voir appliquer les
comme les autres » et comme des citoyens
principes et droits fondamentaux suivants :
bénéficiant d’une « discrimination positive ».
• La différenciation entre la capacité civile et
des
droits
de
Il nous faut exposer synthétiquement ce qu’il en
est du consentement.
le placement involontaire.
De la fin des années 1970 à celle des années
1990, les quinze pays de l’Union Européenne,
ont connu des réformes de leur législation.
Elles légifèrent en particulier sur ce qui
apparaît comme inséparable de la psychiatrie :
la question des libertés et de la contrainte.
Toutes ces lois se déclarent favoriser les droits
du patient et l’amélioration des soins, bien qu’il
s’agisse de mesures limitatives ou privatives
de liberté. L’application de mesures coercitives
se justifie par trois ordres de raisons, dont
l’équilibre varie selon le pays :
• La validité des droits de l’homme pour
les personnes concernées ;
• L’ordre public et la sécurité des personnes ;
• La nécessité d’un traitement adapté face
à un trouble mental sévère dûment établi.
... cadres légaux à l’appui !
Il faut noter d’abord que seuls quelques pays
européens n’ont pas de loi spécifique régissant
le placement involontaire en psychiatrie mais
des dispositions particulières intégrées dans
d’autres législations, par exemple dans la Loi
instaurant un service national de Santé pour
l’Italie, ou dans le code civil pour l’Espagne.
• Le droit à l’information éclairée et dans
une langue compréhensible par le patient ;
Le consentement volontaire du sujet
ce droit pouvant aller jusqu’à l’accès direct à
humain est absolument essentiel. Cela veut
son dossier.
dire que la personne intéressée doit jouir
• Le droit au soin au meilleur niveau de
de capacité légale totale pour consentir :
la science, dans l’environnement le moins
qu’elle doit être laissée libre de décider, sans
contraignant, avec le principe de subsidiarité
intervention de quelque élément de force,
(plus ou moins explicitement exprimé dans
de fraude, de contrainte, de supercherie, de
la loi).
duperie ou d’autres formes de contrainte
• Le droit au refus de traitement, réglementé
ou de coercition. Il faut aussi qu’elle soit
notamment par les lois sur le placement
suffisamment renseignée... »12.
involontaire.
Confluences n°13 mai 2006 / 28
Améliorer les soins en limitant la liberté?
La base de référence principielle de toutes ces
lois13 est la Convention européenne des droits
de l’homme et des libertés fondamentales14
ainsi que les arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme qui portent sur
plusieurs dizaines d’arrêts concernant
des internés en psychiatrie.
Sécurité versus santé ?
Le critère de la dangerosité est un pré-requis
dans la plupart des législations européennes
Le juge et/ou le médecin ?
Dans cette loi, c’est le maire, en qualité d’autorité
sanitaire locale, qui décide le T.S.O. Dans toutes
les autres lois, excepté en France (internement
administrtif) c’est un juge ou une autorité ayant
un pouvoir judiciaire qui décide le placement
involontaire : en Grèce, c’est le procureur, en
Angleterre, ce sont les tribunaux de révision
des affaires de santé mentale, en Espagne et en
Allemagne, c’est un juge, etc..
Le trouble légitimant le placement involontaire
doit revêtir un caractère et/ou une ampleur
probants, et être établi par une « expertise
médicale objective ». Le plus souvent deux
certificats médicaux sont donc requis : l’un,
pour la demande et l’autre, pour la validation du
placement involontaire.
Comment est garantie la prise
en compte de l’usager ...
La liberté de communication, le droit de recours
contre la mesure – à intervalles réguliers, voire
à périodicité automatique comme le droit de se
faire assister d’un conseil aussi bien juridique
(avocat, personne de confiance, advocacy15)
que médical16 – , sont affirmés. Les autorités
judiciaires sont appelées à contrôler
périodiquement la régularité du placement
involontaire et la validité de sa prolongation.
Certaines législations différencient, dans
le placement involontaire, la détention et
le traitement contraint. D’autres, comme
le Royaume -Uni, imposent le consentement
et/ou la « seconde opinion » suivant le caractère
« dangereux » ou « irréversible » du traitement.
Plus récemment, un certain nombre de pays
ont mis en place le système des directives
anticipées ou de la personne de confiance.
D’autres, encore, admettent le « psichiatric will »
ou « testament » psychiatrique17.
dire qu’il est question d’un consentement
assisté et très encadré par une réglementation
plus effective de la contrainte et du contrôle
social, qui, en même temps, veut s’écarter
d’une conception paternaliste de la médecine et
du soin. La dimension sécuritaire, par contre, se
renforce de nouveau dans l’exercice de ces lois
comme dans les projets de réforme en cours,
par exemple, en Angleterre et en France.
10
Ces thèmes sont régulièrement soulevés par le CEDEP qui
réunit régulièrement psychiatres et intervenants en santé
mentale, juristes, sociologues et usagers pour un débat
permanent sur ces questions de fond en psychiatrie. Infos :
[email protected] ou via l’IWSM (081/23.50.13)
11
Pour en savoir plus :
- Bernardet, Ph. Douraki, Th., réf. bibliographique 2
... dans le contexte actuel ?
- Koch, H-G. Reiter-Theil, S., réf. bibliographique 19
- Louzoun, Cl. et al., réf. biblographique 25
Tous les chiffres concordent sur les différences
importantes de ratios de placements
involontaires pour 100.000 habitants entre les
pays européens, mais aussi sur l’augmentation
significative des internements pour un même
pays entre les années 1970/1980 et les années
1990/2005. Il faut y voir les effets de la crise
économique et sociale, de la logique managériale
et des politiques sécuritaires. La pression
sécuritaire comme la politique de santé publique
(la santé obligatoire) et encore la volonté des
familles conduisent également à des demandes
de légiférer en faveur d’un traitement obligatoire
dans la communauté. L’Espagne, par exemple,
vient de repousser un projet de loi en ce sens.
Il faut souligner le recours (trop ?) fréquent aux
dispositifs du placement involontaire d’urgence
dans tous les pays européens.
- Louzoun, Cl. Salas D., réf. biblographiques 30 pp. 65 - 75
et 15 pp. 77 - 83
- Salize H.J. Dreßing H. Peitz M., réf. bibliographique 33
12 Jugement
du Tribunal militaire américain, Nuremberg,
1947, cas K. Brandt
13
Les criminels malades mentaux font l’objet, bien
évidemment, de dispositions spécifiques et beaucoup
plus restrictives, dont nous ne traiterons pas ici. D’autant
qu’il y a également un traitement spécifique de la question
de l’injonction thérapeutique et de l’obligation de soin.
14
Rome, 1950, notamment ses articles 5 et 6 .
15
L’advocacy (dans les pays de droit anglo-saxon) est un
système de défense de la personne elle-même. il permet
à la personne l’aide de quelqu’un qui prendra fait et cause
pour elle et la soutiendra dans ses démarches sans
« parler » à sa place.
16
Même si c’est trop souvent une disposition formelle,
l’affirmation, comme dans la loi italienne ... mais aussi
française, du principe du libre choix du médecin et du
Libres et égaux ?
lieu de traitement est fondamentale dans son essence
et pour confirmer le patient comme protagoniste de son
Le consentement participe de cette fiction
démocratique selon laquelle les hommes sont
libres et égaux en droit avec, pour la personne
présentant des troubles psychiatriques, cette
tension, ces luttes pour la reconnaissance de sa
condition de sujet de droit dans une application
effective. Dans la pratique des droits, on pourrait
traitement.
17
C’est à dire que la personne, lorsqu’elle est saine d’esprit,
peut exprimer ses volontés - et peut même les faire
reconnaître devant un juge - concernant son traitement
lors d’une phase de décompensation psychiatrique, par
exemple : ne pas subir de traitement neuroleptique, voire
plutôt : être enfermée en cellule, ... .
Confluences n°13 mai 2006 / 29
DOSSIER
pour les placements involontaires en psychiatrie.
Or, s’y confronte le modèle médical qui admet
le besoin de traitement comme un pré-requis
nécessaire et suffisant pour une minorité de
patients dont la capacité d’accepter un traitement
volontairement est gravement altérée. Dans
la loi italienne de 1978 par exemple, le critère
de la dangerosité est radicalement récusé au
profit de celui de traitement sanitaire obligatoire
(TSO) lorsqu’une personne présentant des
troubles psychiques aigus refuse un traitement
– y compris dans un cadre thérapeutique moins
restrictif que l’hospitalisation contrainte – ou
lorsque les moyens de traitement alternatifs au
placement ne sont pas disponibles ou n’existent
pas (dans ce cas l’obligation de soin se situe du
côté du soignant et de l’institution). Dans cette
loi, le législateur insiste sur la durée limitée de
la mesure et sur l’obligation de recherche du
consentement, le principe étant de trouver à
chaque fois le traitement le moins contraignant
et le plus consenti.
Pour susciter un dialogue entre juristes et cliniciens
L’article pose une série de repères juridiques et esquisse une réflexion à propos de
l’épineuse question du consentement libre et éclairé aux prestations de soins dans
le cadre de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
Christophe ADAM
Assistant social, criminologue, psychologue
Assistant et chercheur à l’école de criminologie de l’UCL,
Maître - Assistant à la Haute École Charleroi Europe Institut Cardijn et
à la Haute École namuroise catholique département social.
Quelques repères juridiques
La loi du 22 août 2002 reconnaît au patient un certain nombre de droits qui existaient déjà dans
une certaine mesure en regard de l’application des règles de droit commun18. La nouvelle
législation est néanmoins plus précise et crée de nouveaux droits. Parmi les différentes dispositions
consacrées : le patient a droit à des prestations de qualités, au libre choix du praticien professionnel
(dans certaines limites légales), à l’information sur son état de santé, au consentement libre et éclairé,
à l’intimité et à la protection de la vie privée, au traitement et au soulagement de la douleur et,
enfin, à la consultation directe de son dossier et à en obtenir une copie. Il convient de préciser que
les praticiens professionnels visés sont les médecins, les pharmaciens, les dentistes, les infirmiers,
les accoucheuses, les kinésithérapeutes et certaines professions paramédicales. Les psychologues
ne sont pas visés par la loi mais une législation nouvelle pourrait intervenir19.
Les droits du patient détenu ont fait l’objet de dispositions spécifiques dans la loi de principes
du 12 janvier 2005 concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que
le statut juridique des détenus mais elles ne sont pas encore entrées en vigueur. Cette nouvelle législation
concerne notamment l’internement des récidivistes, des délinquants d’habitude et des auteurs
de certains délits sexuels mis à la disposition du gouvernement. A titre temporaire, cette loi
s’applique aussi aux personnes internées sur base de la loi de défense sociale du 9 avril 1930.
Ces dispositions spécifiques sont restrictives. En effet : le choix de la personne de confiance du
patient est limité, il ne peut désigner que l’une des personnes suivantes : un médecin extérieur
à la prison, un avocat, un représentant de son culte ou de sa philosophie attaché ou admis
à la prison. Le patient ne peut pas obtenir de copie de son dossier mais peut demander que cette
copie soit adressée à la personne de confiance.
L’application de la loi du 22 août 2002 dans
le domaine psychiatrique pose différentes
questions. Je me limiterai à soulever celle du
consentement ou du droit au refus qui s’avère
épineuse. En 2003, le comité consultatif de
bioéthique a émis un avis20 selon lequel le
Confluences n°13 mai 2006 / 30
médecin doit vérifier la capacité de décision
et de compréhension du patient et demander
son consentement libre et éclairé. Dans la
pratique concrète on sait combien cet impératif
est difficile à rencontrer. L’idée est d’associer
autant que possible le patient aux décisions qui
le concernent. La loi de défense sociale prévoit
que l’interné puisse se faire examiner par un
médecin de son choix et lui demander un avis
avant que la commission ne statue21, cette
possibilité va dans le sens des suggestions du
comité consultatif de bioéthique.
Une distinction nécessaire
Il faut distinguer la notion de sujet de droit de
celle de sujet au sens clinique20 du terme, ce qui
permet d’éviter un certain nombre de confusions
et d’assimilations. Les argumentations dans
les travaux préparatoires de la loi du 22 août
2002 semblent essentiellement mettre en
avant la maladie somatique, sans doute plus
directement objectivable compte tenu de l’état
des savoirs scientifiques. Celle-ci reste un
modèle, un prototype qui a conduit à proposer
de nouvelles dispositions qui ont au moins
le mérite d’encourager juristes et cliniciens
à dialoguer, ceci ne pouvant se faire sans que
chacun identifie le plus clairement possible
ses positions et son éthique de travail. On sait
que la maladie mentale ne se laisse pas aussi
facilement apprivoiser par le savoir scientifique
ou juridique, elle glisse souvent des mains de
la maîtrise. Dans cette mesure, les singularités
de la maladie mentale restent à penser en
ce qu’elles mettent en lumière les contours
et limites du champ d’application de cette loi.
Certains lieux d’enfermement ont été dénoncés
comme étant des zones de non-droit où règne
l’arbitraire le plus terrible, c’est notamment
pour tenter de lutter contre ce lourd constat
que la loi de principes a été votée. Si l’on
peut reconnaître à cette vision - parfois
catastrophiste - qu’elle poursuit des buts
moraux louables et défendables, elle n’est pas
sans indirectement disqualifier les personnes,
praticiens d’expérience, qui œuvrent dans ces
Atelier photo du C.R.F. Club A. Baillon
Je voudrais mettre en garde contre la tentation
d’un regard « juridiste » au sens où le droit
expliquerait et règlerait tout, jusqu’à imposer
sa seule conception du consentement dans
le monde de la maladie mentale et de voir
en tout écart un abus. Cette dernière demeure,
lorsqu’on se propose de la rencontrer,
une aventure qui ne se sait pas d’avance,
une aventure au sens le plus fort du terme ;
autrement dit, une série d’impondérables et
d’imprévisibles où chaque clinicien doit aussi
pouvoir s’autoriser – quel que soit le prescrit
légal – à se laisser surprendre hors des sentiers
battus du droit tout en maintenant le lien avec
les exigences légales. « Consentement libre et
éclairé » telle est la fiction juridique, mais le chemin
clinique à parcourir est souvent long, obscur, périlleux
et c’est avant tout la marche elle-même qui le trace
et l’éclaire.
20
Avis du Comité Consultatif de bioéthique n°21
du 10 mars 2003.
21
Loi du 1er juillet 1964, loi de défense sociale à l’égard
des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs
de certains délits sexuels, article 16, alinéa 2
22
J’entends par ce terme : un dispositif intersubjectif encadré
par des exigences relationnelles et professionnelles,
impliqué par les professions visées supra.
23
Ma participation à la table-ronde du colloque sur les
« Droits du patient en psychiatrie et privation de liberté »
organisé par l’Institut Wallon pour la Santé Mentale en
juin 2004 m’a permis, après-coup, de faire l’observation
suivante : dans l’atelier consacré à la défense sociale
pour lequel j’étais rapporteur, j’ai pu remarquer la rareté
des cas pratiques légalement problématiques sur lesquels
la discussion devait être fondée. Je pense que l’on peut
interpréter cette rareté non comme une faible fréquence
objective mais plutôt comme un symptôme que le registre
juridique se révèle en lui même peu représentatif des
singularités du dispositif clinique et de la manière dont se
18
Pour une approche juridique plus précise et approfondie,
pose le problème du point de vue des équipes soignantes.
voir Schamps G. : réf. bibliographiques 34 à 36
19
Schamps G. : réf. bibliographique 34
Confluences n°13 mai 2006 / 31
DOSSIER
lieux de l’ombre. La nouvelle loi sur les droits du
patient vient judicieusement ré-interroger leurs
compétences qu’ils tentent d’articuler autant
que possible avec les normes juridiques, ce
qui est loin d’être une sinécure. Par conséquent,
on peut espérer que la question du consentement
se repose dans le chef des praticiens pour les
rendre plus cliniciens encore qu’ils ne l’étaient
et qu’ils saisissent cette occasion pour préciser
les différences à faire entre consentir dans
le registre juridique et consentir du point de vue
de leurs sphères de compétence professionnelle.
De façon plus radicale, sur base de mes
recherches en milieu pénitentiaire et de défense
sociale, je puis affirmer que le sujet de droit
n’épuise jamais la question du sujet au sens
clinique, les exigences juridiques ne sont parfois
pas pertinentes pour comprendre comment
fonctionnent les « institutions d’enfermement »,
ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’elle
sont dans l’illégalité ou l’« a-légalité » mais
qu’elles fabriquent leurs propres normes sur
d’autres plans que ceux couverts par le droit23.
Conjuguer contrainte et consentement
Comment la mise sous protection de personnes malades mentales est-elle gérée et
vécue au quotidien par le personnel soignant ?
Quatre infirmiers en chef du Centre Hospitalier Psychiatrique de Liège vivent au
quotidien la mise sous protection de personnes malades mentales (P.P.M.M.),
dans l’unité de soins qu’ils gèrent. Au départ d’une réflexion menée en équipe,
ils nous parlent de leur pratique : ils en passent en revue les étapes et nous livrent
leurs réflexions et leurs recommandations.
Nicole DEMETER,
Infirmière chef de service au CHP de Liège Site Agora
avec la collaboration de
L. LHOEST, A. MENTEN, V. THISQUEN et J-M DE CAO,
Poser le respect de la personne et
de ses droits dans un accueil de qualité
est essentiel.
En préliminaire vient l’envie d’insister sur le
moment de l’accueil de la personne, moment-clef
où se joue la qualité de la relation qui s’établit et
se développera. Si l’hospitalisation psychiatrique
démarre sur le non-respect du choix de la
personne hospitalisée, elle doit d’emblée intégrer
le respect de sa personne : respect de son
rythme, de sa pudeur, des demandes qui peuvent
être prises en considération… comme celles de
communiquer avec les personnes de son choix :
famille, entourage, avocat personnel… Il est
capital de parler, informer, avertir du décours,
rassurer, accompagner tout au long du processus
et encore rechercher des contacts avec la famille
et l’associer autant que possible.
La mesure, comme son nom l’indique, est une
mesure de protection ; la contrainte en est le
moyen, elle a pour but, aussi, de restaurer la
personne dans sa dignité.
Concilier « qualité de gestion »
et « urgence ».
La plupart des mesures sont prises dans
l’urgence (335 sur 356 en 2005 au C.H.P.).
Confluences n°13 mai 2006 / 32
Si certains le regrettent, ce fait étonne peu
les intervenants de la santé et de la justice
coutumiers du processus. Se résoudre à
entreprendre une mise sous protection requiert
de solides motifs ; les personnes intéressées
– familles, médecin de famille, voisins… –
attendent de ne pouvoir gérer autrement
la situation, ils attendent l’urgence d’un trouble
du comportement particulièrement inacceptable
tant pour la personne malade que pour
des tiers. Y a-t-il abus du recours ? 104 mesures
ont été levées prématurément sur décision
du Juge de Paix et 6 sur décision médicale.
104 s’arrêtent à la fin de l’observation à
40 jours. L’enregistrement des données est
partiel, nous livrant à nos seules impressions,
souvent trompeuses.
Les scénarii les plus classiques sont les suivants :
une intervention de police amène à conduire un
patient vers les urgences d’un hôpital général qui
requerront une mise sous P.P.M.M. ou encore le
Parquet sollicite la Police pour mettre en route la
P.P.M.M. à la demande d’une personne intéressée
et sur base d’un certificat médical. Dans les deux
cas, la personne est amenée par la police ou en
ambulance vers nos unités de soins. Un discours
apaisant, tant des équipes des urgences que de
la police, cherche à garantir son transfert sans
agitation, l’accent est mis sur l’aide thérapeutique.
Les propos se veulent tellement rassurants qu’à
l’arrivée, le patient ignore souvent faire l’objet
d’une mesure spécifique. L’équipe qui accueille
le patient dans le cadre de la loi de P.P.M.M. doit
poser l’interdiction de repartir. Il faut concilier
un double message : et informer de la P.P.M.M.
et créer les bases d’une relation thérapeutique !
La qualité de gestion de ce moment précis est
déterminante :
Il nous semble opportun de recourir au sein de
l’équipe à des intervenants différents pour les 2 rôles :
celui qui informe de la contrainte puis se met en
retrait et celui qui accueille et réalise l’anamnèse.
Par ailleurs, gestion requièrt prévision. L’équipe a
besoin d’anticiper. En effet, toute mise sous P.P.M.M.
sous-tend un facteur de dangerosité : quand ce
facteur est inconnu, une appréhension légitime
s’installe à l’égard de celui ou celle qui va arriver.
Au mieux l’équipe est informée, au mieux elle sera à même
d’anticiper et donc de gérer la situation et au mieux la
relation avec le patient évoluera vers la confiance
et le consentement.
A l’unanimité, les équipes insistent sur l’atout
majeur que représente la présence physique du
psychiatre à ce moment : c’est lui qui est considéré
par le patient et sa famille comme l’expert, c’est lui
qui légitime le recours à la force et à la contrainte
physique si elle est nécessaire.
Accompagner lors de l’audience.
Un pli judiciaire adressé au patient l’informera de
l’entrevue fixée avec le juge. Il est indispensable
d’accompagner le patient dans la prise de
connaissance de cette convocation, de veiller
à sa bonne compréhension, à la connaissance
de ses droits, au déroulement de la séance et
aux missions de chacun.
A nouveau, devant le juge, l’équipe a un
double rôle : accompagner le patient, mais
Oser aborder ses souffrances,
tisser des liens.
Au fil du séjour hospitalier, reste à tisser des liens
thérapeutiques avec la personne contrainte de vivre
une hospitalisation psychiatrique. Rappelons
cependant que la maladie aliène et contraint bien
davantage encore.
En osant aborder sa souffrance, le patient
peut craindre d’entraîner la prolongation de
sa contrainte dans le cadre d’un Maintien. En
cas d’antécédents, on observe un processus
d’apprentissage où le patient développe ses
habiletés à ne pas être prolongé : ne pas
communiquer ses délires, ses hallucinations, par
exemple. Certains ont la capacité d’adapter leur
comportement à ce qui est attendu. Et pourtant,
oser aborder ses souffrances, c’est reconnaître les
symptômes de sa maladie, permet d’accéder
à l’acceptation du traitement et donc de
l’hospitalisation. Souvent l’anosognosie25
prolonge la mesure. Mais il reste à y amener le
patient par une relation de confiance qui ne sera pas
démentie. Le défi n’est pas banal.
Vers une évolution des liens thérapeutiques.
Le champ culturel de ces liens évolue dans
le temps. Non seulement les approches
thérapeutiques fluctuent, mais avec elles, les
valeurs de référence, la philosophie des soins.
Ainsi de la prise de risques…
La mesure de protection sert à limiter les
risques liés à la dangerosité pour la personne
elle-même, son entourage ou/et la société :
il faut mesurer le risque de prolonger la mesure à l’aune
des risques encourus par la fin de la contrainte
aux soins. Problème de société, pas seulement
de psychiatrie…
La culture de référence chez les psychiatres
évolue. Les « anciens » psychiatres utilis(ai)ent
les prolongations à long terme dans un souci de
protection de la personne. Les plus jeunes ont
tendance à lever plus vite la mesure pour favoriser
le consentement de la personne aux soins,
pour le rendre acteur – allié de son traitement.
La prise de risque est mesurée à l’aune du bénéfice
de l’adhésion du patient à sa cure hospitalière puis
ambulatoire. L’intérêt à court, moyen et long
terme mériterait une recherche approfondie sur
les effets de cette évolution.
Et aussi de la responsabilité…
Le changement de culture a des conséquences
sur la responsabilité dans la décision de la
contrainte. Les médecins généralistes, les
psychiatres traitants ne conjuguent plus la mise
en route de P.P.M.M. et la relation thérapeutique.
Pour préserver la relation de confiance, bon nombre
s’abstiennent ou réfèrent à quelqu’un d’autre
cette décision. Les familles elles-mêmes
transmettent aux équipes leurs observations
sans se « compromettre ». C’est un long travail
que l’équipe parcourt avec la famille pour
les inviter à oser miser sur une communication
plus sincère, pour éviter l’écueil des secrets.
Et encore de la contrainte physique…
Le recours à des portes fermées, à la mise
en isolement, avec ou sans entraves, évolue
aussi. La mise sous contrainte physique devient
l’exception. Les équipes visent à créer un espace de
communication pour une action relationnelle plutôt que
recourir à une action de contrainte. Toute contrainte
physique génère des séquelles, les patients
en témoignent.
La mise en isolement mériterait de longs
développements mais ce n’est pas le propos.
En bref, la standardisation des procédures
de mise en isolement, les recommandations
de bonnes pratiques, la formation continuée
du personnel, les outils existants par lesquels
les équipes rendent compte de leurs actes
à la société, notamment le registre des
contraintes, sont autant de remparts aux risques
potentiels d’abus de pouvoir, inhérents à tout
lieu d’enfermement.
Plus il y a cohérence dans les décisions d’équipe,
plus il y a cohésion, mieux l’application des
contraintes physiques se passe et au mieux elles
sont comprises par le patient. La considération
de la pénibilité de leur travail, la prise en compte de
leur exposition à la souffrance exprimée sur un mode
violent, participent au respect qu’ils accorderont
eux-mêmes au patient.
Enfin, la P.P.M.M. est perçue comme une passerelle
pour aboutir au consentement de la personne à son
traitement, même si l’anosognosie rend parfois
le consentement relatif. Si on n’avait pas ce
début, on n’y arriverait pas autrement. Quand
on n’y arrive pas autrement, autant s’y résoudre,
même en urgence… En conclusion, conjuguer
contrainte et consentement, c’est notre challenge
au quotidien.
24
lI est à noter que, grâce à la Plate-Forme psychiatrique
de Liège, un groupe « interface Justice et Santé mentale »
permet d’aborder les difficultés rencontrées et d’améliorer
nos collaborations, nos pratiques.
25
L’anosognosie désigne la méconnaissance par l’individu
de sa maladie, voire de son état, même grave ; de la perte
de capacité fonctionnelle dont il est atteint : inconscience
ou négation du déficit.
Confluences n°13 mai 2006 / 33
DOSSIER
aussi présenter les conclusions psychiatriques
qui, éventuellement, assurent le bien-fondé
de la contrainte. Le psychiatre et l’équipe
thérapeutique se situent dans un rapport
d’expertise qui permet au juge de décider.
L’avis est rendu dans l’intérêt du patient, eu
égard à la non-assistance à personne en danger.
Il est important de poser que tant l’équipe de soins
que l’avocat sont dans le même « camp », celui du
patient, celui de ses intérêts. La mission de l’avocat
est de veiller au respect de la procédure et des
droits de la personne, plutôt que de contester le
rapport psychiatrique. Mais le principe d’être,
envers et contre tout, opposé à la contrainte,
amène certains avocats, heureusement rares,
à rechercher les fautes de procédure, à contester
la dangerosité du patient. Il confond alors les
« psy » avec « la partie civile », et le patient
déjà méfiant sera renforcé dans son opposition
à la relation d’aide. Le fait est que, parfois, des
avocats, commis d’office en qualité de Pro Deo,
interviennent sans formation ni sensibilisation au
milieu psychiatrique24. Les soignants s’adressent
au juge, et non à l’avocat. L’avocat également.
Cette triangulation est importante pour la
sérénité des débats. Les juges, souvent rôdés
et compréhensifs, garantissent aux patients et à
leur famille d’être pleinement sujets de droit.
Pratiques et vécus des soignants autour de la problématique
du consentement dans le cadre de la Mise en observation et du Maintien
26
27
Parler de pratiques, parler de vécus c’est parler de relations : relations entre soignants
et soignés ; relations entre des professionnels de la santé d’une part, investis d’une
mission et porteurs de valeur éthiques, personnelles comme professionnelles, et des
patients d’autre part, des personnes qui peuvent être vous ou moi, et qui pourtant
ne sont surtout pas vous ou moi et sur lesquelles plane l’aura du mystère de cette
irréductible différence. Si la relation ne va pas de soi dans l’hospitalisation volontaire,
elle semble biaisée dès l’abord dans le cadre de l’hospitalisation contrainte où elle
n’est pas désirée, où elle est refusée.
certaines personnes ne sont pas dangereuses
mais ont clairement besoin d’aide. Or, il faut les
laisser partir si les conditions d’application de
la mesure de protection ne sont pas rencontrées
car tout individu est libre de se faire soigner ou
pas. C’est « dérangeant » pour le soignant. Mais
n’est-ce pas plus juste et respectueux du droit à la
liberté individuelle de la personne hospitalisée ?
Christine GOSSELIN
IWSM
Entre sécurité et soins :
ambivalence pour les soignants…
Merci à Dominique Barbagli, Catherine Bertrand,
Peter Castro, Fabienne Collart, Pascal Colson,
Chantal Finfe, Thierry Fossion, Alain Freteur ,
Christian Fyon, Xavier Gernay, Daniel Gilles,
Denis Henrard, Mélanie Henri, Michel Lambert,
Aleksei Lazarev, Laurent Mallet, Patrick Mathot,
Michelle Nithelet, Jean-Paul Nizet, Marc
Pietquin, Michelle Rohart, Jean Schoenaerts,
Sophie Vilain XIIII, Alain Vivier, Micheline
Warginelle,
François-Joseph
Warlet,
Pierre Wautier, François Wyngaerden et ...
pour leur contribution à cette réflexion.
Comprendre les pratiques, c’est comprendre le
rapport paradoxal qu’entretiennent les soignants
avec la loi. Paradoxal à plusieurs égards : parce
qu’ils n’ont pas le pouvoir d’enfermer le patient,
mais bien celui de le libérer ; parce qu’ils sont tenus
par des échéances temporelles et conditionnelles
clairement établies qui ne sont pas toujours
compatibles avec le traitement à poursuivre ;
parce qu’il y a obligation d’hospitaliser mais que
la loi est muette concernant l’obligation de traiter.
Ce qui apparaît d’emblée ici c’est que la loi qui
contraint les soignés contraint aussi les soignants.
« Quand le parquet ou la justice locale nous
confie quelqu’un, on n’a pas le choix de refuser :
Vous êtes contraints, nous sommes contraints :
qu’est-ce qu’on peut faire ensemble pendant ce
temps là ? ».
Confluences n°13 mai 2006 / 34
Cette judiciarisation de la procédure – le juge
a clairement le pouvoir décisionnel dans les
mesures d’enfermement et un rôle de tiers entre
soignant et soigné – dégage un nouvel espace
pour la relation et le dialogue entre les partenaires.
Mais ce dialogue n’est fécond que si juriste et
psychiatre en portent ensemble la responsabilité
devant tous en général et devant chaque patient
en particulier. Le juge prend la décision, mais
l’avis ou le rapport du médecin est fondamental
dans la prise de cette décision. Sans cette prise
de responsabilité, le soigné risque de se sentir
floué ou abandonné : « une mesure a été prise à
mon égard et personne ne veut l’assumer ». Ce
qui peut contribuer à maintenir le soigné dans une
relation de méfiance à l’égard du soignant.
Des regards différents et complémentaires ?
Cependant, justice et médecine portent des
regards différents sur la réalité. Pour le soignant :
« cette personne a besoin ou n’a pas besoin
d’aide » ; pour la justice : « la personne est
dangereuse ou n’est pas dangereuse ». Ces deux
approches peuvent se révéler conflictuelles. De
nombreux soignants soulèvent le glissement facile
entre marginalité sociale et pathologie mentale :
certaines personnes sont dangereuses mais ne
présentent pas de pathologie mentale. C’est alors à
la justice de s’en occuper ; mais inversement aussi
Une éducatrice relève la double difficulté que
posent ces situations au niveau de la pratique :
difficulté au niveau personnel d’aider quelqu’un
contre son gré, plus encore lorsqu’il n’entre pas
dans les conditions décrites par la loi; difficulté,
au niveau de la responsabilité de le laisser sortir
avant l’audience.
C’est le cas de l’alcoolique qui arrive dans le
service dans un état « de péril » grave pour lui
ou autrui, qui refuse de se soigner, mais que la
loi (sauf exception) ne reconnaît pas comme
« malade mental ». Le « garder » n’est pas « juste »
au sens juridique ; le libérer n’est pas « éthique ».
En effet, « si tous les enfermements apparaissent
comme abusifs dès lors qu’une plainte est émise,
toutes les sorties sont considérées comme
prématurées au premier incident causé par le
patient ». Et un psychiatre de constater qu’« il y
a une certaine hypocrisie dans l’application de
la loi. D’une part en ce qui concerne la mise
en observation : face au constat de l’absence de
pathologie mentale, le médecin ne peut maintenir
la personne enfermée sans son consentement
mais, dès lors, il peut se trouver exposé à des
représailles pour non participation au maintien
de l’ordre et de la paix publique. D’autre part, la
notion de consentement n’est-elle pas, elle aussi
une hypocrisie : comment pourrait-on consentir
en étant privé de son discernement ?»
C’est le cas de la patiente mélancolique délirante
La question de la dilution de la responsabilité est
souvent mise en avant par les médecins chefs
de service. « Quand une situation est difficile,
quand un cas est tangent… on ne prend plus
de risques… Mieux vaut faire une demande de
mise en observation, de toute façon s’il n’y a
pas de problème, elle ne sera pas confirmée …
Or il est un peu trop facile de se décharger
sur le psychiatre de la responsabilité d’enfermer
ou de libérer ».
Il faut tout de même savoir qu’en général, le patient
est gardé dans le service jusqu’à l’audience, soit ±
10 jours. Le médecin chef de service a la possibilité
de libérer le patient avant cette audience. Il ne le
fera que rarement, par réserve ou prudence au
niveau du diagnostic, ou encore par manque
d’information. En effet, il semble que certaines
informations soient détenues par le Parquet ou les
forces de l’ordre et, souvent, communiquées au
personnel soignant, seulement lors de l’audience.
Une dernière difficulté concerne le certificat médical
avec lequel le patient arrive dans le service et qui
justifie la demande. Il arrive que celui-ci ne soit
pas lisible ou pas valide. Légalement, la personne
peut s’en retourner chez elle. C’est ce qui se
passe dans certains services. Mais que signifie ce
renvoi ? Le respect de la procédure ? Le respect
des droits du patient ? Ou de la non-assistance à
personne en danger ?
Hospitalisation contrainte …
et le traitement ?
Avant de tenter d’apporter des pistes de réponses
à ces questions telles qu’elles ont été réfléchies sur
La loi de Protection des Malades mentaux : quelques repères
La loi de protection de la personne des malades
mentaux du 26 juin 1990 abroge l’ancienne
loi de collocation du 18 juin 1850 qui était en
contradiction avec les principes de la Convention
de Sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (Rome, 4 novembre
1950). Elle fait passer aux oubliettes les termes
de « collocation » et « d’aliénés » avec tout ce
qu’ils véhiculent en terme d’images négatives,
pour rétablir la personne du malade mental
comme sujet de droit et affirmer l’essentialité de
la protection des droits de l’homme par rapport
à la protection de la société.
Mesure médico-juridique, elle oblige l’hôpital
psychiatrique à s’ouvrir à l’extérieur plaçant
ainsi des gardes fous à l’arbitraire qui peut
toujours s’exercer dans le cadre de la privation
de liberté.
Mesure de protection, elle pose d’emblée
pour principe que toute restriction de la liberté
individuelle est illégale, si ce n’est dans le cadre
précis de la réunion de ces trois conditions :
qu’il y ait maladie mentale avérée, avec « péril
grave » pour la santé et la sécurité de la
personne ou pour la vie et l’intégrité d’autrui
et cela, à défaut de toute autre alternative de
traitement. La personne fera alors l’objet d’un
placement autoritaire, par décision du juge,
dans un établissement psychiatrique agréé ou
en milieu familial.
La loi fait en effet une distinction, intéressante
à relever – en ce qu’elle semble peu connue
et peu exploitée – entre le traitement en milieu
hospitalier et les soins en milieu familial.
en dehors de l’hôpital. En ce qui concerne les
procédures, la loi fait la distinction entre une
procédure ordinaire via le Juge de paix et une
procédure d’urgence via le procureur du roi.
Le traitement en milieu familial est une procédure
alternative à la mise en observation dans un
service psychiatrique, dans le seul cas d’un
état de danger potentiel manifestement moins
grave. Ainsi, il ne comporte pas de procédure
d’urgence mais toutes les conditions posées
pour l’adoption de la mesure de protection
doivent être remplies. Cette disposition permet
dans « certaines circonstances » de placer
le patient dans un milieu familial à entendre
au sens large (aussi MRS , IHP, MSP…),
sous le contrôle d’un médecin, sans devoir
l’hospitaliser.
Enfin, il importe de poser une dernière
distinction entre cette mise en observation
dont nous venons de reprendre les grandes
lignes et une autre mesure médico-juridique
avec laquelle elle est encore bien trop
souvent confondue : l’internement. Même si
on parle de maladie mentale, de dangerosité,
d’hospitalisation contrainte dans les deux cas,
l’internement relève de la loi sur la défense sociale
de juillet 64 et concerne le malade mental qui a
commis un délit. Le patient mis sous protection
est potentiellement dangereux mais n’a pas
commis de délit. Il est placé en observation
du fait de sa maladie et du principe de non
assistance à personne en danger.
Christine GOSSELIN - IWSM
Le traitement hospitalier comporte deux phases :
la mise en observation, d’une durée maximale de
40 jours, et le maintien qui peut lui faire suite, par
durées maximales de deux ans renouvelables ;
une postcure, d’une durée maximale d’un an
peut prendre cours pendant cette deuxième
phase pour permettre la poursuite du traitement
Confluences n°13 mai 2006 / 35
DOSSIER
qui ne sera pas mise en observation parce qu’elle
consent à se faire soigner. Or cette personne, du
fait de sa maladie n’était pas en possession des
facultés de discernement nécessaires à un tel
consentement….
Du côté du vécu, on passe par toutes sortes de
sentiments : impuissance, révolte, exaspération
… Se posent aussi les inévitables questions liées
à l’interprétation des critères présidant à la mise
en observation : quel constat de maladie mentale,
quelle dangerosité? Entre les « urgences » et la
« mise en observation », quelles alternatives ?
le terrain, peut-être faut-il se pencher sur la manière
dont les acteurs ont abordé, esquivé, interprété
« le vide juridique » qui les sous-tend : qu’est-il
permis de faire entre l’obligation d’hospitalisation
de la mesure de protection, la dimension de soins
qui est a priori et jusqu’à nouvel ordre, le propre
du soignant, et la loi sur les droits du patient qui
réaffirme le consentement aux soins comme
droit inaliénable de la personne? Réponse de
l’infirmier chef de service : « on est constamment
en porte à faux et pour le traitement cela devient
concrètement schizophrénique ». Il faudrait
éclaircir ce vide ainsi que celui concernant les
10 jours précédant le jugement du juge de paix.
Dans la jurisprudence, il est avancé que s’il n’y a
plus de finalité thérapeutique à l’hospitalisation,
la contrainte n’a plus lieu d’être. La personne
est hospitalisée à fin « d’observation et de
traitement » dans le texte de la loi, mais
elle peut refuser l’aide qui lui est proposée.
« Faire une injection de force à une personne
est vécu comme une violence, une agression
pour la personne et le soignant. Dès lors, tant
qu’on peut l’éviter, on l’évite. Ce n’est pas parce
qu’un patient est délirant, en décompensation
qu’on va lui imposer un traitement. On va
lui proposer et insister et répéter en quoi il
est nécessaire ». Tout l’art sera de laisser
une porte ouverte pour que l’acceptation puisse
se faire.
D’aucuns mettent en avant le critère sécuritaire
pour se sortir de l’impasse : « tant que la personne
ne pose pas de problème comportemental,
ne se met pas en danger, et ne met pas en
danger les autres, il n’y a pas de raison qu’on
intervienne : le critère sécuritaire est décisif ».
Souvent, en effet, ce critère permet d’intervenir
sur un caractère plus symptomatique de la
maladie qui rend la personne dangereuse,
comme des hallucinations qu’il faut gérer.
Une fois cet aspect « traité », la personne est plus
à même de discerner, de communiquer.
A l’inverse, certains cas incitent à suspendre
tout traitement médicamenteux « à des fins
d’observation, d’écoute et d’évaluation ».
Confluences n°13 mai 2006 / 36
Ce dialogue, cette écoute thérapeutique est
véritablement la dimension du travail qui peut
être réalisé dans le cadre de la loi en étant dans
une position de soignant : « Je me souviens d’une
situation où une personne avait besoin d’un
traitement prescrit par injection. Il y avait deux
possibilités : ou bien on prenait du temps et
des risques pour discuter avec elle, ou bien on
bondissait sur elle pour la mettre en isolement
et lui faire son injection. Je me souviens avoir
passé 25 minutes à côté de la personne pour
lui expliquer que l’acte que nous voulions poser
était un acte de soin, dans le sens de pouvoir
l’aider à se retrouver. Il faut trouver les mots
justes pour la personne, les mots qui l’atteignent
dans cet état de décompensation non évident qui
est le sien ».
L’isolement, la contention…
Quand le dialogue est rompu, que la parole
n’apaise plus, que la personne est dangereuse,
il faut recourir à l’injection et/ou à l’isolement,
parce c’est le seul moyen pour retrouver la
communication et rendre quelque chose possible
autrement.
Mais, s’il s’agit parfois d’un mal nécessaire,
l’isolement laisse des séquelles chez le patient.
Dans un cadre contraint, devant le refus de soins
du patient, il convient donc d’être doublement
vigilant quant à son utilisation.
Même si on le considère comme une sorte de
« soins intensifs » permettant, par une contention
momentanée et sous accompagnement constant
(obligation d’évaluer la situation à intervalles
réguliers), de retrouver une amorce pour
entamer un traitement pharmacologique ou une
autre thérapie, cette pratique est vécue avec
appréhension par le soignant. Il s’agit toujours
d’une impuissance, d’une violence, qui remet en
cause la notion même de soins. Cependant, au
sein de cette contrainte, certaines mesures sont
mises en place par les soignants pour tenter
d’alléger les souffrances, dont la plus élémentaire
reste sans doute la persévérance à accrocher
des mots sur le silence et à faire parler les
gestes posés.
L’utilisation ou non de la contention varie en
fonction des services. Certains partent du point de
vue que souvent le seul fait d’être isolé suffit pour
recadrer le patient et qu’il n’est pas nécessaire,
dans le souci de préserver au mieux son intégrité
physique, d’attacher le patient. Mais ce point
de vue rend « risquées » les visites périodiques
dans la chambre. D’autres attachent le patient
pour permettre justement d’être au plus près de
lui physiquement sans devoir être à plusieurs
pour entrer dans la chambre, ce qui facilite peutêtre le dialogue. D’autres encore, au cas par cas,
appliquent un schéma d’isolement discontinu :
la personne sort d’isolement pour les repas ou un
temps clairement défini, ce qui permet de voir sa
sensibilité à l’ambiance du service et de pouvoir
aller progressivement dans sa réintégration.
L’obligation pour le médecin de signer un registre
de contrôle et d’examiner la personne toutes
les 24h est aussi une manière de protéger de
l’arbitraire ;de même que la décision de mise
en isolement ou de sortie, qui est toujours prise
collectivement : avis du médecin et de la majorité
de l’équipe.
Le « tour de force » du soignant, c’est de garder
du sens dans l’isolement, mais aussi en amont
et en aval. C’est ainsi que le consentement aux
soins du patient devra peut-être être recherché
du côté d’un certain bien-être né d’une relation
de confiance réciproque entre soignant et
soigné, qui ne se pose pas en terme binaire,
mais explore l’espace infini compris entre le
oui et le non… Illustrons par un exemple.
Un patient demande d’aller se recueillir sur la
tombe d’un parent défunt au jour anniversaire
de sa mort. Une partie de l’équipe refuse
tout net : le patient est un fugueur notoire, la
situation est bien trop risquée. L’autre partie
accepte : on ne peut refuser à personne
le droit de rendre hommage à un proche.
N’y a-t-il pas une troisième position, celle de
l’entre-deux, qui consisterait à questionner
ce que le patient demande effectivement
quand il formule cette requête ? Parfois le simple
fait de lui donner la parole s’avère une solution
en ce qu’elle permet l’ hommage par la libération
qu’elle opère…
L’isolement
On est là dans le cabanon
On s’ennuie, on tourne en rond
Dans la tête rien est bon
On passe le temps en faisant le con
Pompe, abdos, on frappe,
on pleure à fond
Dans l’esprit, ça rit, ça joue
Pour moi tout était flou
On tient le coup pour
pas finir à genoux
On s’ennuie, on tombe dans le trou
L’enfermement c’est dingue,
ça te rend fou
Le temps passe, les heures
s’effacent,
Tu penses aux femmes,
aux grosses liasses
Tu ris, tu pleures,
ton corps se glace
Tu t’endors comme une paillasse
T’attends en vain
que le docteur passe….
L.R.*
* Poème
de jeu, c’est déjà se positionner par rapport à
la contrainte : proposer un espace de liberté,
ne fût-ce que celui de la liberté de parole. Si la
personne est contrainte, elle n’est pas contrainte
à se taire et à subir ; elle a le droit de parler,
de crier son incompréhension, et surtout,
d’être informée des conditions légales dans
lesquelles elle se trouve.
En effet, il semble que même si son état ne
lui permet pas de comprendre tout le sens
de l’information qu’il reçoit à ce moment, le
sentiment d’avoir été « reçu » accompagne le
patient, comme le sentiment d’avoir accueilli
« quelqu’un » domine chez le soignant.
« Le soignant ne doit pas s’opposer, il doit
s’apposer » disait Jacques Salomé. On se met
l’un à côté de l’autre.
L’explicitation de la mesure….
Vers une parole propre
L’assistante sociale peut donner un maximum
d’informations au patient par rapport à la
loi, établir des liens avec la famille, avec le
médecin traitant ou avec d’autres proches
et les informer au sujet de ce qui va se passer
au cours de l’audience, moment névralgique
pour le patient et le soignant : « Il y a un aspect
symbolique important au passage en chambre
du conseil ; c’est pourquoi tout doit être mis
en œuvre pour que le patient puisse y avoir
une parole propre. Cette audience doit donc
être préparée. Si le patient doit pouvoir exprimer
ce qu’il va dire devant le juge, il faut aussi
que le soignant exprime devant le patient ce
qu’il va dire pendant l’audience. Chacun parle
en son nom. »
Approche globale et spécifique
rédigé par un usager présenté dans le cadre de
l’exposition « L’isolement, un outil thérapeutique » organisé
par le centre de formation PJT, le centre psychiatrique St
Bernard de Manage et l’hôpital St Martin de Dave.
10 jours à mettre à profit avant l’audience
L’accueil réservé au patient va marquer la
qualité de la relation ; oser le dialogue d’entrée
La question des référents attribués aux patients
ouvre sur un nouveau paradoxe de la fonction :
celui qui écoute et aide est aussi celui qui doit
rappeler le règlement d’ordre intérieur, le cadre
juridique de la mesure.
S’il est positif que le patient puisse trouver une
approche globale auprès d’une personne qui a une
formation tout azimut, il ne faut pas perdre de vue
la richesse de la pluridisciplinarité d’une équipe et
les spécificités propres à chacun dans l’approche
de la personne. A resituer bien-sûr dans un projet
thérapeutique commun.
Dix jours utiles ?
Il semble que certaines institutions aient pris
des initiatives pour se recentrer sur cette période
d’accueil de la personne en tentant d’être au plus
près des personnes28.
Bien sûr cet accueil sera fonction de différents
paramètres à prendre en compte : la structuration
et la cohérence de l’équipe, le nombre de patients
présents dans le service, la mise à disposition de
certains moyens financiers.
Ces dix jours sont cependant très longs
– subjectivement – pour la personne privée de
sa liberté puisque, dans ce délai, les conditions
« d’enfermement » ne sont, en général, pas
négociables tant que le risque de fugue n’est pas
évalué. Il n’y a donc que peu, voire pas de sortie
autorisée, peu d’activités proposées.
Très court – objectivement – pour mettre en place
tout ce qui doit l’être, pour pratiquer une anamnèse
et poser les bases d’un traitement surtout lorsque
la personne ne restera pas plus longtemps :
quand un toxicomane arrive, on a dix jours pour
commencer un sevrage physique. C’est tout juste
pour le physique mais ce n’est certainement pas
assez pour un sevrage psychologique.
Il apparaît du point de vue de la justice que ce
délai soit fort court pour mettre en œuvre les
dispositions suggérées par le législateur et pour
que l’audience soit le lieu d’un véritable débat.
En général, le patient ne voit que quelques instants
l’avocat pro-deo qui lui a été attribué et cela dans
le meilleur des cas, lorsque le patient n’a pas
d’autres problèmes de communication.
Ce délai devrait-il être prolongé ?
Des rapports différents à la temporalité sont en jeu.
Pour le soignant, il s’agit d’un temps d’observation
de la personne, mais une observation qui doit être
orientée vers un résultat visant l’amélioration de
l’état psychique du patient et la restauration de
ses capacités.
Mais le patient, lui, se trouve dans une
Confluences n°13 mai 2006 / 37
DOSSIER
Comment explorer cet espace, comment rendre
quelque chose possible autrement, quelles
pratiques de la part des soignants en termes de
consentement aux soins ?
temporalité différente : un temps figé en
fonction de la maladie d’une part, en fonction
du cadre hospitalier, de son manque d’activité,
de souplesse et d’ouverture sur l’extérieur
d’autre part.
Une porte ouverte dans un service fermé :
celle de l’ergothérapeute, de l’AS,
du psychologue
L’atelier d’ergothérapie, ses fauteuils confortables,
l’odeur du café qui s’en échappe, apparaissent
parfois comme une façon de rétablir ce dialogue
en permettant de retourner progressivement à des
activités et à toutes ces petites choses, ces « riens »
de la vie quotidienne en dehors de l’hôpital qui en
font pourtant la spécificité.
Les rencontres avec le psychologue,
généralement tout aussi facultatives, travaillent
dans le même sens : « un patient est ressorti
de mon bureau la semaine dernière en me
remerciant. Je lui réponds que je n’ai rien fait.
Il me dit : « je sais, vous, vous ne faites jamais
rien, mais j’ai pu vous parler ». Je ne suis
peut-être pas normal mais cette phrase m’a
payée pour toutes mes années de service ».
Espaces libres d’activités, de paroles, de circulation
(progressivement) permettent à l’intérieur de la
contrainte de renouer avec une nouvelle liberté
trouvée dans la gratuité et le rien et d’amener
peut-être à l’alliance thérapeutique.
Privilégier la communication
« Le rôle essentiel de l’information est le partage ;
on partage la responsabilité avec le patient : la
parole est libératoire ; il s’agit de comprendre au
sens sémantique du terme à savoir prendre avec,
savoir dégonfler la situation pour faire tomber la
pression qui pèse sur le patient, en lui donnant
des informations dont il a besoin mais sans le
charger d’un poids qu’il n’a pas à porter ». Ce
savant dosage tient parfois de l’exploit et se
doit d’être réajusté pour chaque malade, chaque
situation.
Cette information et ce dialogue sont sans cesse
à reprendre et à répéter, chaque fois que le patient
semble retrouver son discernement, pour tenter
Confluences n°13 mai 2006 / 38
de dépasser de la contrainte pure et dure vers
la négociation armée, voire un renouement, un
consentement. Un dialogie à reprendre pour tenter
aussi de prévenir la future crise en demandant
au patient de reconnaître anticipativement la
légitimité des soins et mesures de contraintes
à mettre en œuvre lors des crises aiguës de la
maladie. Ce que d’aucuns appellent le « Serment
d’Ulysse ».
Dans ce même cadre, la concertation avec les
familles peut se révéler extrêmement importante ;
les informer, les rassurer, fait partie du projet
thérapeutique à mettre en place concernant
chaque patient. L’idée de mettre en place des
permanences psycho-sociales pour les familles
au sein de l’hôpital est formulée…
Enfin, relayer au mieux l’information concernant
la fonction de médiation29 pourra aussi participer
à améliorer la relation entre soignant et soigné.
Prévenir la montée de la violence
lui sera-t-il répondu « non », alors que s’il crie,
s’il devient physiquement violent, il obtiendra
réponse positive ?
Arriver progressivement à partager
une relation de confiance
« L’important dans les soins psychiatriques,
résume un intervenant, c’est de ne pas se sentir
pris au piège ». Et, il est vrai que, dans ce cadre
particulier de la protection de la personne du
malade mental, la pratique du soignant tient un
peu de celle du funambule qui sans cesse se doit
de maintenir l’équilibre sur le mince fil qui le sépare
du vide. Il doit effectuer un travail constant de
réajustement et de requestionnement pour pouvoir
éviter les écueils et retrouver un terrain plus serein
où pourront éclore et s’épanouir les germes d’une
nouvelle relation soignant-soigné non plus placée
sous l’auspice négatif du piège, mais positif de la
confiance consentie à partager.
C’est la relation quotidienne qu’il faut travailler.
En offrant une présence écoutante à la personne
avant qu’elle ne crie, on peut tenter de limiter une
certaine agressivité d’échelle.
C’est aussi un état d’esprit à acquérir :
« ne pas savoir trop », mais plutôt « se poser les
bonnes questions ». « Le fait d’avoir peur et de
reconnaître cette peur n’est pas un signe de
faiblesse. Mettre en mots ce que l’on ressent
vraiment va permettre à l’autre de se rendre
compte de ce qui se passe. Parce que la
personne qui est en colère devant vous, n’est
pas forcément en colère contre vous ».
26 Loi
Des formations sont également proposées aux
soignants en ce domaine, par exemple sur les
attitudes qui permettent de diminuer l’anxiété ou
l’agressivité dans une situation de tension : « si
je me penche sur la personne qui est assise,
je ne vais pas inférer la même chose que si je
m’accroupis à côté d’elle ; si je ne me mets pas
en face de la personne mais plutôt de biais, je
ne vais pas prendre tout sur moi de plein fouet » ;
ou d’écouter la parole du patient : « qu’entendre
derrière ce qui est demandé par le patient,
pourquoi s’il demande à être mis en isolement
relative à la protection de la personne des malades
mentaux du 26 juin 1990.
27
Cette synthèse a été réalisée sur la base d’entretiens
avec des équipes soignantes de différentes institutions
psychiatriques pratiquant dans le cadre de la loi de
protection de la personne des malades mentaux de 1990.
Elle fait aussi écho à la Table-ronde sur le consentement
aux soins qui s’est tenue mi-février à l’IWSM.
En espérant que ce texte traduira le plus fidèlement
possible les points de vues qui se sont exprimés et les
vécus des différents acteurs.
28
Voir à ce sujet l’exemple du HAS à Fond’Roy p.39.
29 Voir
à ce sujet l’article de Patricia Wastrat pp. 26-27.
Une initiative parmi d’autres : l’hôpital d’accueil spécialisé (HAS) à Fond Roy
Témoignage d’une restructuration dans le cadre d’un projet pilote
a besoin de proximité, de disponibilité,
de simplicité, de temps. La folie a besoin d’être
accueillie, toujours. »
G. Baillon30
L’équipe de Fond Roy a repensé l’accueil des
patients qui lui sont adressés dans le cadre
de mesures de Mise en observation. Le projet
concerne une unité de 35 lits de psychiatrie
adulte dont 10 forment une entité autonome.
Diviser pour apaiser…
L’unité de 10 lits constitue l’aile A du bâtiment
et accueille le patient qui vient d’être mis
en observation. Il est ainsi pris en charge en
psychiatrie directement en « soins intensifs » :
il est accueilli par deux intervenants qui
resteront ses référents au cours des dix jours de
la première phase de son hospitalisation, afin
d’éviter une abrasion du discours et de tenter de
faire de la création d’un lien, la priorité.
Tentative d’ouverture aux familles aussi : pouvoir
leur ouvrir la porte sans attendre. Dans l’urgence,
il semble primordial de ne pas avaliser le patient
comme seule personne souffrante.
La priorité de cette prise en charge est donc
l’accueil de ce patient traumatisé et, dans la
mesure de nos possibilités, de son entourage.
Il est important de fixer les buts de ces
rencontres et de les évaluer afin de rester dans
notre objectif de travail et d’éviter que l’urgence
de la situation ne mène le jeu à notre place.
Durant ces quelques jours, les deux intervenantsréférents chercheront à établir des hypothèses
sur la crise et à adapter le cadre restreint de
cette petite unité à cette mise en forme de la
problématique.
En d’autres mots, il s’agit d’utiliser ce cadre
souple et restreint en réponse à la particularité
de chaque tableau symptomatique. Pour l’un,
il sera préférable d’avoir un seul référent qui le
sécurise, pour l’autre se coordonner à plusieurs
sera moins menaçant.
Le travail clinique au quotidien et les supervisions
nous donneront l’occasion de nous créer en
équipe des lignes de conduites claires qui nous
permettront d’être souples. Il s’agira de pêcher
dans les ressources du patient et de l’équipe
(psychiatres, psychologues, assistantes sociale,
infirmiers) une meilleure intelligence de la
situation. Tous ces moyens cliniques seront mis
en synergie pour tenter de préparer la visite du
juge. C’est une première amorce du travail de
remise en position de sujet de cette personne
qui a été engagée dans un processus de soins
contre son gré.
A l’issue de la visite du juge, où le patient sera
accompagné par ses référents, une continuité
au traitement est proposée. Soit le patient
souhaite partir, comme le juge l’y autorise, soit il
souhaite poursuivre le traitement sous le mode
ambulatoire ou hospitalier ouvert. Soit la mesure
est confirmée et nous prenons la suite de son
hospitalisation en charge. Le transfert de l’aile
A à l’aile B ou à tout autre service du groupe
se fera à l’issue d’une triangulation entre, d’une
part, le patient et son référent et d’autre part, les
représentants de l’unité qui vont l’accueillir pour
la poursuite de son hospitalisation.
Il nous semble important, même si le patient
n’est pas collaborant, que soit formulé en sa
présence et en celle de l’équipe accueillante, le
travail accompli durant ce temps d’accueil.
L’équipe fonctionne ici sur le mode
pluridisciplinaire et polyvalent.
La partie B de l’Hôpital d’Accueil Spécialisé
accueillera le patient à l’issue de ce travail de
débroussaillage et entamera la prise en charge
de soins plus spécifique. Chacun, qu’il connaisse
le patient ou non (certains paramédicaux et
assistants sociaux travaillent dans les deux
ailes), se mettra au travail selon sa spécificité et
en fonction de ce qui se sera profilé du travail de
la crise. Pour l’un, l’accent portera sur un travail
social approfondi, un autre donnera la priorité à
un travail familial, pour un troisième ce sera les
deux à la fois. L’admission dans cette partie du
service peut aussi correspondre à une mise en
observation par voie non-urgente (une minorité
de situations) ou le retour d’un patient sous
mesure de Maintien.
L’équipe fonctionne, dans cette partie,
sur le mode pluridisciplinaire et spécialisé.
Les liens entre les deux ailes de cet hôpital
seront activés dans ces échanges autour du
travail accompli avec chacun des patients, au
cours des réunions hebdomadaires cliniques
communes et des supervisions. L’échange
de personnel assure aussi la cohérence de ce
projet binômique.
L’hôpital d’accueil spécialisé inscrit
dans un réseau
La dynamique de cette entité thérapeutique qui
travaille avec des patients sous la contrainte
dans un exercice du soins de nature particulière
pourrait être celle de la fermeture. Or la volonté
de l’équipe est d’inscrire dans le travail quotidien
une dynamique centrifuge.
D’abord dans les staffs hebdomadaires,
l’ouverture sur les autres équipes de la clinique
par des éclairages cliniques de nos questions,
la préparation du passage de certains dans
d’autres unités et aussi, après un temps,
l’accueil d’autres soignants qui auraient le
projet de travailler quelques mois avec nous.
Ensuite le type d’hospitalisations brèves dans
lesquelles nous travaillons inclut d’emblée le
réseau. Il se situe en amont et en aval et le travail
ne sera possible qu’avec des collaborations.
Avec les envoyeurs, nous tentons de
ré-évaluer les envois qui nous ont été adressés,
afin d’optimaliser nos collaborations. Ceuxci sont demandeurs de ce travail notamment
au sein de la Plate forme de Concertation en
Santé Mentale, pour faire valoir une certaine
optimalisation de ce travail de protection de la
personne des malades mentaux.
Catherine Bertrand
Psychologue clinicienne
Coordinatrice du HAS de Fond’Roy
30
Guy Baillon, les urgences de la folie, l’accueil en santé
mentale, Paris, Gaëtan Morin et PUF, 1998.
Confluences n°13 mai 2006 / 39
DOSSIER
« La folie, si douce ou si violente soit-elle,
Une approche du traitement sous contrainte en Défense sociale
En guise de préambule, nous allons vous exposer succinctement le cadre de
la Défense sociale qui constitue notre contexte de travail. Les patients qui y
séjournent ont commis, à un moment de leur histoire, un ou des actes délictueux
suite auxquels une expertise mentale a établi leur démence, leur état grave de
déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant « incapables du contrôle
de leurs actions », conformément à la loi de Défense sociale de 1964. Ces
personnes ne sont donc pas jugées et condamnées pour leur(s) délit(s) mais la
Justice ordonne leur internement, qui est une mesure de sûreté entraînant bien
souvent leur placement sous contrainte au sein d’un établissement de Défense
sociale. Tous les six mois, chaque patient comparaît devant une Commission
de Défense sociale – constituée d’un magistrat président, d’un avocat et d’un
psychiatre - qui leur octroie (très) progressivement des élargissements en fonction
de leur état mental (sorties accompagnées des membres du personnel, sorties
seul, congés en famille, etc.) jusqu’à la libération à l’essai ou définitive. Cette
dernière se fait sous certaines conditions dont une tutelle médicale et sociale.
Ces conditions prennent place pour une durée indéterminée, modifiables sur
demande à la Commission et variant d’un cas à l’autre.
Adèle CLAIX, Donatien MACQUET et Marjorie MENGHINI
Psychologues au CHP Les Marronniers à Tournai
Un changement peut survenir
dans la contrainte...
Au cours de son séjour, dont la durée moyenne
est de quatre ans et demi, le patient interné
est placé dans un des pavillons du site de
Défense sociale, où il est encadré par une
équipe pluridisciplinaire qui lui est imposée,
et avec laquelle il devra composer. En tant
que psychologue, notre mission première est
d’évaluer l’état mental du patient, notamment
à l’aide de testing, et d’apporter un éclairage
aux différents intervenants et à la Commission
de Défense sociale lorsqu’elle nous sollicite.
A côté de ce travail, des entretiens de soutien
sont proposés. Le patient peut accrocher à cette
proposition d’aide ou la refuser. Néanmoins,
la Commission, représentant l’autorité judiciaire,
est attentive à l’adhésion du patient aux soins
qui lui sont proposés. Le patient est conscient
Confluences n°13 mai 2006 / 40
de cet enjeu, pouvant « choisir » de se soumettre
à cette aide-contrainte plutôt que de s’approprier
réellement cet espace psychologique.
Toutefois, certains entretiens de soutien peuvent
donner accès à un suivi psychothérapeutique
où une demande de compréhension et
de changement émane progressivement du
patient. Malgré la contrainte et le peu de
souplesse d’un tel système, un changement
peut donc prendre place.
Un travail psychothérapeutique possible ?
Néanmoins, les points de vue divergent quant à
cette question d’un travail psychothérapeutique
possible au sein d’une institution de soins sous
contrainte. En effet, nous nous retrouvons
confrontés à un paradoxe entre la mission
d’expertise/d’évaluation destinée à l’équipe et à
la Commission et la visée psychothérapeutique.
Ces différentes missions étant en charge des
mêmes intervenants. Certains estiment qu’une
relation thérapeutique authentique ne peut pas
se tisser à partir du moment où la contrainte
existe. Nous ne faisons pas abstraction de
cette difficulté mais nous tentons d’aménager
notre pratique pour qu’une demande puisse
émerger et qu’elle puisse trouver un espace où
s’exprimer et prendre forme. Notons également,
de manière générale, que le cadre d’intervention
psychiatrique et/ou psychologique apparaît bien
plus régulièrement inclus dans la contrainte
que dans la demande entièrement libre d’un
traitement. De plus, la question du secret
professionnel partagé est souvent mise en
avant pour justifier l’impossibilité d’instaurer
une relation thérapeutique. Nous dépassons
cet obstacle, d’une part en préservant une
certaine confidentialité (n’est dit à l’équipe ou
à la Commission que ce qui est nécessaire),
et d’autre part en éclairant le patient sur
le partage de certaines informations. Cet
éclaircissement donne l’occasion au patient
d’en saisir l’importance et d’y adhérer, pouvant
participer au renforcement de la relation de
confiance naissante. Dans ce cadre et au regard
de notre expérience, l’honnêteté du clinicien, sur
ce qui fait partie ou non de l’espace du possible
peut atténuer le poids de la contrainte.
Vers une responsabilisation ...
L’engagement dans un processus thérapeutique
exige de la part du patient de dépasser sa
position d’interné « irresponsable ». En formulant
une demande de changement, il se montre
capable de se réapproprier une responsabilité
dans son existence et dans la place qu’il occupe
dans le réseau social de l’hôpital ou plus
globalement de la société. L’étiquette collée par
l’expertise mentale à l’origine de l’internement
et par la psychiatrie peuvent continuer à
l’aliéner en lui donnant une identité à laquelle
il va parfois s’accrocher, l’empêchant de formuler
une demande de changement. Ces patients
se trouvent ainsi dans un paradoxe qui appelle
la chronicisation, paradoxe dans lequel le
clinicien se trouve aussi.
La limite de notre intervention thérapeutique
peut, pour certaines pathologies, se situer
dans la « rupture » avec le monde extérieur.
Ainsi, pour certains patients, l’isolement
social dû à l’internement peut entraîner une
rigidification des résistances plutôt qu’une
mobilisation psychique. Cette situation
implique que des patients ne parviennent à
formuler une demande psychothérapeutique
que lorsqu’un projet de réinsertion se dessine
pour eux. Notre travail dépend donc en
grande partie de la temporalité institutionnelle.
Tout se passe comme si l’épreuve de réalité et/
ou l’angoisse de la sortie permettait de lever –
voire d’assouplir — certaines résistances.
Une dépendance institutionnelle
Néanmoins, pour d’autres, l’approche de cette
libération peut les inciter (in)consciemment
à se mettre en échec : en effet, l’internement
leur offre, paradoxalement, un « réseau social »
que la plupart n’ont jamais réussi à mettre en
place à l’extérieur et qui peut conduire à une
dépendance institutionnelle. D’autant plus
que l’institution revêt volontiers une place de
« mère toute puissante », jouant à la fois un rôle
sécurisant et coercitif.
Nous restons donc bien conscients que la
psychothérapie ne s’adresse pas à l’ensemble
des patients internés mais nous la pensons
possible. Nous croyons même que ce cadre
contraignant permet à certains patients de
faire émerger une demande thérapeutique qui
n’aurait pas pu éclore dans un autre contexte.
Un patient peut n’avoir jamais eu recours
antérieurement à une aide psychologique par
peur, préjugé, méconnaissance mais aussi
parfois par souci financier ou parce que son
milieu socio-culturel ne l’y appelle pas.
Notre travail ne peut nous amener à n’envisager
l’aide-contrainte qu’à travers ses limites. Pour
avancer dans notre tâche, il nous est nécessaire
d’en percevoir les ressources, comme par
exemple la position de tiers que peut endosser
l’institution par rapport à la Commission,
qui s’offre comme représentation symbolique
de la Loi.
L’équipe soignante vit « en direct » les
prémisses d’un passage à l’acte avec le patient.
Elle peut progressivement l’amener à repérer
et exprimer verbalement les tensions internes
qui ne pouvaient se décharger qu’au travers
de passages à l’acte ; autrement dit, de
transformer les sensations en émotions dicibles.
Un tel travail permet de se décaler par rapport
à des scénarii de vie vécus antérieurement,
par rapport à des comportements dysfonctionnels
et/ou à une logique homéostatique rigidifiée.
Ce processus demande du temps ; temps dont
nous disposons en Défense sociale et qui peut
être un allié ou un obstacle à l’émergence d’une
demande de changement (chronicisation).
Hors contrainte, les soins peuvent être
interrompus et/ou se clôturer par le renvoi
du patient de l’institution et cristalliser
des
comportements
autodestructeurs.
La contrainte permet au moins une stabilité
et une continuité relationnelle.
Un « tour de force »
Le traitement sous contrainte peut s’apparenter
à un parcours semé d’embûches, mais il
ne relève pas d’une mission impossible.
De toute manière, dans le champ psychiatrique,
la contrainte semble davantage la règle
que l’exception, même loin du cadre de
défense sociale : contrainte familiale, sociale,
institutionnelle (scolaire, professionnelle,...),
judiciaire (mises en observation)...
Nous avons saisi l’opportunité qui nous a été
offerte de livrer ces quelques réflexions sur la
question. Elles vont peut-être relancer quelques
débats... que nous souhaitons éclairants et
riches pour les professionnels et les patients...
Enfin, précisons que nous sommes des
thérapeutes de trois orientations et sensibilités
différentes : cognitivo - comportementale,
systémique et analytique ; ce qui ne nous
empêche pas de partager une même philosophie
de base du travail sous contrainte...
Confluences n°13 mai 2006 / 41
DOSSIER
Pierre Wautier www.isolement.be
Un processus qui s’échelonne dans le temps
La question de consentement chez l’enfant
La question du consentement aux soins
se pose de manière spécifique dans
le champ de la pédopsychiatrie en raison
du statut légal du mineur mais aussi
parce que le consentement relève ici,
peut-être plus encore qu’ailleurs, d’une
relation de confiance entre l’adulte et
l’enfant. Un travail qui prend du temps,
beaucoup de temps.
Deux articles alimentent cette réflexion
au départ des pratiques qui sont menées
au Centre Hospitalier Jean Titeca
et au Centre de Psychiatrie Infantile
Les Goélands.
Principe :
Le cadre légal
La loi sur les droits du patient32 précise que « suivant
son âge et sa maturité, le patient est associé à l’exercice
de ses droits. Les droits énumérés dans cette loi peuvent
être exercés de manière autonome par le patient mineur
qui peut être estimé apte à apprécier raisonnablement
ses intérêts ».
Concrètement :
Lorsque le Tribunal de la Jeunesse (TJ)33 ordonne le placement
d’un mineur34 : il n’est pas possible d’envisager une
forme de contrainte aux soins ; la prise en charge doit se
dérouler en régime ouvert ; aucune contrainte physique
ne peut être exercée pour empêcher le jeune de quitter
l’institution (mais il sera immédiatement déclaré en
fugue) : les sorties du service (activités, loisirs, ...) sont
quotidiennement organisées ; les week-ends en famille
ou au sein d’un milieu de vie substitutif sont possibles,
en fonction des accords des représentants légaux, de
l’évaluation clinique, en concertation avec le TJ.
Le consentement comme processus
L. SERVAIS, Psychiatre, chef de service
E. JOIRET, Psychologue,
chef de service - adjoint
Unité Karibu du Centre Hospitalier
Jean Titeca
L’adhésion aux soins
La question de l’adhésion du mineur à un processus
psychothérapeutique ou socio-éducatif est au cœur
de la réflexion éthique des praticiens des secteurs
de l’aide à la jeunesse et de la santé mentale
qui interviennent dans le champ des mesures
ordonnées sous contrainte judiciaire. Ainsi, la notion
de « l’intérêt de l’enfant » se réfère, essentiellement,
aux représentations sociales et professionnelles
ainsi qu’aux textes légaux internationaux définissant
les droits fondamentaux de l’Homme et de l’Enfant.
Elle résulte de la prise en considération de principes
et de valeurs qui, à certains moments, peuvent
entrer en conflit. Le statut « d’incapable de droit »
du mineur soumis à l’autorité de ses représentants
légaux n’exclut pas pour autant qu’il dispose d’une
capacité naturelle d’exercice de ses droits lorsque
son âge, sa maturité et sa capacité de discernement
le permettent. Dans ce contexte, la question du
consentement ou de l’adhésion du patient mineur
aux soins médicaux nous parait devoir se concevoir
comme un processus dynamique qui nécessite,
outre sa stimulation et son soutien par le médecin
et son équipe pluridisciplinaire, une évaluation
régulière par l’instance judiciaire mandante.
Lorsque l’hospitalisation est ordonnée par le juge de paix35 dans
le cadre de l’application de la loi de la mise en observation :
La pratique au sein de l’unité Karibu
La prise en charge hospitalière peut se dérouler en
régime fermé ; une contrainte physique peut être exercée
pour empêcher un patient de quitter l’institution ;
Les sorties du service (participation aux activités
extérieures, sorties en week-end, ...) sont, au cas par
cas, autorisées par le médecin-psychiatre du service.
Confluences n°13 mai 2006 / 42
Pour peu que les critères d’inclusion médicaux et
administratifs soient objectivés31, la décision de
placement au sein de l’unité Karibu du CHJT peut
donc être prise par le tribunal de la jeunesse [TJ] ou par
le juge de paix.
Comme pour d’autres mesures ordonnées
par le TJ (par exemple contraindre un jeune à
« se soumettre aux directives pédagogiques et
médicales d’un centre d’orientation éducative ou
d’hygiène mentale »), l’admission du jeune au sein
du service Karibu ne suppose pas, à l’initiation de la
mesure, son adhésion pleine et entière. Notre projet
thérapeutique stipule d’une part, que cette question
doit être portée dès l’admission devant le tribunal
pour être débattue entre le jeune, son conseil, et ses
représentants légaux (avec possibilité d’appel) et,
d’autre part, qu’il s’agit d’un processus qui doit être
ponctué par des évaluations régulières de l’autorité
judiciaire pour constater l’évolution constructive
du processus d’adhésion. Pour cette raison, la
procédure d’admission et de maintien prévoit des
étapes indispensables permettant au TJ d’évaluer
l’adéquation de la mesure ordonnée. Si elle n’est
pas acquise à l’admission et que le TJ a statué en
dehors du consentement des intéressés, l’adhésion
du jeune et/ou de ses représentants légaux à la prise
en charge thérapeutique ordonnée par le tribunal
doit être immédiatement recherchée, car les soins
médicaux (programme thérapeutique) ne peuvent
être administrés valablement sans leur accord.
Une première « ponctuation » se concrétise lors de
la réunion de « clarification » qui a nécessairement
lieu au TJ, au plus tôt la troisième semaine de
l’hospitalisation, soit au terme du délai d’appel
de 15 jours. Le TJ vérifie que la prise en charge
psycho-médico-sociale hospitalière rencontre leurs
attentes et consentements quant à sa finalité
thérapeutique. Il en est de même au terme de
chaque ordonnance de trois mois. S’il apparaît, au
terme de ces réunions, que l’adhésion du mineur
et de ses représentants légaux n’est pas (ou plus)
acquise, notre équipe demandera une révision de
la mesure.
La mise en observation au sein du service pour
adolescents masculins du C.H.J. TITECA, implique
Une succession de mouvements
contradictoires
En conclusion, comme l’indiquent partiellement
certains textes légaux, le consentement, en particulier
chez les adolescents, ne peut se concevoir comme
un choix binaire. En effet, au cours de l’adolescence,
la différenciation progressive et l’autonomisation se
construisent dans une succession de mouvements
contradictoires où se remettent continuellement en
scène les questions d’appartenance et de loyauté
d’une part, et d’autre part, le besoin de se dégager
progressivement de systèmes de références
qui font le contexte socio-familial et affectif du
jeune. Dans ce processus, il est naturel que
les représentations du jeune soient fluctuantes
et paradoxales, en particulier par rapport à un
engagement aussi impliquant que l’acceptation d’un
séjour en milieu hospitalier psychiatrique. Ainsi,
du point de vue clinique, l’adhésion du jeune fait
partie intégrante du processus thérapeutique dans
le souci de le voir se différencier et s’autonomiser
de manière constructive.
Qui ne dit mot consent ? Non !
Francis Turine
Directeur du Centre de Psychiatrie Infantile
Les Goélands
Ce vieil adage populaire n’a guère de pertinence
dans le champ de la santé mentale. Nous
le constatons et vérifions régulièrement en
psychiatrie infantile !
L’enfant, l’« infans », celui qui ne parle pas, peut
consentir à l’adulte, à ce que ce dernier lui
propose et lui apporte et c’est de cette manière
que, normalement, il prend place et grandit
progressivement dans le monde.
De manière générale, lorsqu’il s’agit de mineur,
la dépendance à un autre responsable, parent
ou juge de la jeunesse, le définit, tout au
moins dans son état. Une certaine contrainte,
indiscutable donc, est présente d’emblée.
Lorsqu’il s’agit de traitement, c’est-à-dire
lorsqu’il y a eu certains « ratages », l’enfant peut
aussi y consentir, et cela sans ambiguïté, qu’il le
dise avec des mots ou non. Souvent cependant,
il lui faut du temps pour pouvoir exprimer ce
consentement.
Mais il peut arriver aussi qu’il n’y consente pas !
Nul ne peut contraindre la pensée à un système
ou à un traitement par simple décision externe
sinon, peut-être, par la contrainte chimique.
Concernant bon nombre d’enfants autistes,
nous constatons, vivons, savons d’expérience,
que le consentement à un certain dynamisme
ou engagement relationnel stable, exige
de nombreux mois, sinon des années.
Il s’agit de faire ses preuves pour qu’ils
puissent y consentir !
Illustrons ces propos par la situation de Pierre,
âgé de 11 ans, au sujet de qui le Juge de la
Jeunesse a décidé un placement en dehors
de la famille car, depuis près d’un an, il refuse
l’école, s’est enfermé à son domicile ; il occupe
living et chambre, en face à face avec la
play-station, attitudes face auxquelles ses
parents ne peuvent s’opposer, totalement
dépassés ! La décision est là, présente. Elle
permet, et c’est important, que le temps
serve d’outil à l’élaboration, à la pensée,
à l’apprivoisement.
Pendant plusieurs mois, la directrice et la
déléguée du service de protection judiciaire
se retrouvent en pleine impuissance car Pierre
s’oppose violemment à chaque tentative visant
à le faire sortir de chez lui. Les parents, quant à
eux, restent très ambivalents par rapport à un
éloignement de la famille .
Contactés par le service de protection judiciaire,
mesurant la gravité et l’impasse de la situation,
nous acceptons de rencontrer Pierre qui accepte
de se déplacer pour un premier entretien. Il se
dit prêt à venir découvrir l’institution mais, le
jour fixé, il est incapable de sortir de chez lui.
Entretiens à domicile, accord verbal de sa part
mais impossibilité psychique, donc physique,
de quitter le domicile.
Il est fait appel au Parquet. La première fois qu’il
accepte de venir visiter les lieux, accompagnés
de ses parents et conduit par deux policiers,
il accepte l’entretien mais s’oppose violemment
lorsqu’il s’agit de rester sans ses parents. Les
policiers le ramènent chez lui. Quelques jours plus
tard, la maman accompagnée de la police, qui
en a la mission, conduit Pierre. Avec des pleurs,
il laisse repartir sa maman. Le déroulement de
la semaine se passe paisiblement et il retourne
comme prévu en famille pour le week-end.
Comme on pouvait le craindre, le retour à
l’institution s’avère impossible le lundi matin.
Nouvelle intervention de la police. Ce scénario
se répétera plusieurs fois et il faudra quelques
péripéties et plusieurs allers « manu militari »retours « en détente » pour que Pierre acquière
l’assurance intime que ses week-end en famille
ne sont nullement mis en question, que nous les
lui garantissons. C’est alors qu’il peut décider
de se déplacer sans contrainte, de son domicile
à l’institution et, de celle-ci à son domicile.
Cette décision de nous faire confiance, Pierre
était seul à pouvoir la prendre. Il lui a fallu
quelques semaines, le temps nécessaire à oser
un consentement.
Le travail psychothérapique peut alors, dans ces
conditions, débuter ou se poursuivre ! ?
31
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34
35
Crf le résumé de notre projet thérapeutique disponible
sur demande.
Sur base de l’article 12,§2 de la loi sur les droits du
patient du 22/08/02.
Sur base des articles 52, 60 et 37, §2, 3° de la loi du
8/4/1965 sur la protection de la jeunesse.
« (...) dans un établissement approprié, en vue de (...)son
traitement (art 37, §2, 3°) ».
Sur base de la loi du 26/6/1990 relative à la protection
de la personne des malades mentaux, en référence à
l’art. 43 de la loi du 8/4/1965.
Confluences n°13 mai 2006 / 43
DOSSIER
que l’ensemble des critères d’inclusion du
« projet-pilote Karibu » soient réunis (adolescents
masculins, dossier au TJ , …). Il faut également
qu’une place soit disponible au sein de notre unité.
Les procédures relatives au maintien et à la levée
de la mesure de placement ordonnée par le juge de
paix sont celles décrites dans la loi du 26 juin 1990
relative à la protection de la personne des malades
mentaux. Nous ne nous attarderons donc pas sur
les aspects de cette procédure. Notons, toutefois,
que ces formes juridiques peuvent se succéder
pendant une prise en charge d’un patient.
Rencontre
En aval de l’hospitalisation contrainte,
André Lambert nous livre, dans cet
entretien, la spécificité de son travail
de suivi des malades psychotiques à
domicile. Avec passion, il entre dans ce
monde de l’autre, de ses délires, de ses
fantasmes dans lequel il s’installe de
temps en temps pour laisser advenir,
en dehors de toutes contraintes, la
confiance, condition première d’une
relation thérapeutique : c’est dans ce
rien, dans cet espace creusé par le vide
que vient se loger, pour lui, la question
du consentement aux soins.
Entretien avec André LAMBERT
Assistant social au Service de consultation
psychosociale de Jambes
Une interview réalisée par Christine Gosselin,
IWSM
- Pouvez-vous nous parler de votre travail ?
Une partie de mon travail consiste à suivre les
psychotiques lors de leur sortie de l’institution
psychiatrique. Soit après la levée de la mesure
de mise en observation, soit dans le cadre d’une
postcure pendant la période de maintien.
Lorsqu’une demande est faite, j’attends toujours
de rencontrer la personne d’abord en institution.
Cela permet d’assurer une certaine mise en
confiance et une continuité dans le suivi :
j’assure, pour elle, un rôle de repère entre le
monde hospitalier et le monde extérieur.
Je me présente comme assistant social,
ce qui est un avantage : il n’y a pas de méfiance.
Qu’elle soit ou non sous mesure de protection
ne change rien pour moi. Elle me dit des choses
qu’elle ne dit pas au psychiatre parce qu’elle sait
que je n’ai pas de compte à rendre à l’hôpital.
Entre nous, il n’y a pas de rapport de force.
Le patient fait ce qu’il veut et je peux refuser de
Confluences n°13 mai 2006 / 44
A la rencontre de l’autre
le suivre si je pense que je ne pourrai pas arriver
à une relation fructueuse avec lui.
C’est souvent le cas des patients en probatoire.
Ils viennent au centre orientés par la justice
qui leur impose de suivre une thérapie.
Or, il est impossible de vouloir commander
des psychothérapies : on ne sait pas faire
des injections de désir !
dire que la personne puisse y trouver abri et
protection lorsqu’elle délire ; autant il me semble
essentiel de garder le domicile comme espace
privé, de respecter la liberté individuelle, de
travailler dans la confiance.
- Quels sont vos rapports avec l’institution
hospitalière ?
Pour entrer chez la personne, je frappe à la
porte et j’entre lorsqu’elle me dit d’entrer. Je me
glisse alors dans son monde, qui n’a pas les
mêmes critères que le mien. Et je respecte ces
critères. Il faut que le psychotique délire sinon
son angoisse n’a pas d’objet et se transforme
en dépression. Parfois je peux passer une heure
près de lui à ne rien dire ; nous buvons une
tasse de café. L’important n’étant pas tant de faire
ou dire quelque chose que d’être simplement présent.
C’est dans ce cadre de respect de la parole,
dans cet échange que la relation de confiance
s’instaure ; dans ce cadre que, sans offenser,
je peux parler d’administration provisoire
de biens quand la situation l’impose ; que je
peux, lorsque certains critères me laissent
entrevoir une dégradation de l’état du patient,
attirer l’attention sur ces symptômes, évoquer
la possibilité d’une hospitalisation et tenter
d’obtenir un consentement. La personne sait
qu’elle peut me faire confiance, que je ne vais
pas lui mentir. L’important c’est de préserver
cette relation .
Le plus difficile à supporter, c’est ma
responsabilité face à la liberté de la personne.
Si elle me met à la porte et qu’elle délire en
disant « je vais mettre le feu », qu’est-ce que
je fais ? Jusqu’où va la confiance ? Comment
mesurer le risque ?
Chaque situation appelle une nouvelle évaluation,
un nouveau questionnement.
En général, l’hôpital me demande de prendre en
charge un patient, ou bien celui-ci me contacte
sur proposition de l’hôpital, pour assurer un
suivi lors de sa sortie. Nous collaborons pour
trouver un logement s’il n’en a pas ; pour
effectuer certaines démarches administratives.
Au fil du temps, un réseau de soins se met en
place autour du patient. Il comprend les aides
familiales, le médecin traitant, les infirmières
à domicile, l’administrateur de bien, l’assistant
social...
L’hôpital aussi fait du réseau, au départ de sa
structure, et étend ses « services » bien au-delà
de ses murs... Pour le patient, il me semble que
cette situation induit un risque certain dans la
mesure où il ne pourra sortir de l’hôpital que
s’il accepte d’être pris en charge par le réseau
hospitalier. Personnellement, je me méfie des
soins à domicile lorsqu’ils s’apparentent à
une possible psychiatrisation du domicile qui
ne laisse plus au patient la liberté de sortir du
réseau de soins psychiatriques. On lui demande
son accord, mais n’est-ce pas un leurre ? Que
devient-il s’il ne choisit pas le réseau ? Ce n’est
plus le patient qui va vers l’hôpital psychiatrique ;
c’est l’hôpital qui vient chez lui.
Autant je pense qu’il est important que l’hôpital
puisse garder aussi un rôle asilaire, c’est à
- Le respect de la liberté, c’est le maître mot
de votre démarche ?
Le consentement dans le cadre de la thérapie contrainte
D’un côté, l’aspect pulsionnel propre à la plupart
des comportements délictueux et, de l’autre, la
conscience de l’interdit qui les frappe, dressent
une clôture entre l’individu et ceux qui sont
susceptibles de le juger. Certains parviendront
à interrompre leur comportement et à demander
de l’aide. Nous l’avons dit ils sont rares.
La plupart du temps, surtout s’ils continuent,
ils se protègent par leur menace sur la victime
(« si tu parles... ») mais aussi par une rétractation
sombre et sinistre chez certains sous l’effet de la
honte, ou encore par le déni proprement dit.
Puis il y a tous les inconscients égocentriques
dont les passages à l’acte ne laissent pas
de traces au-delà de l’instant, et bien sûr les
irresponsables.
Quand le fait est révélé, la machine judiciaire
lancée, le consentement au traitement vient
vite sous la forme utilitaire : « ce sera bon pour
mon dossier ». Mais le plus souvent c’est aussi
un soulagement : la clôture évoquée tout à
l’heure cède et cela restitue au sujet la liberté
de devenir autre chose qu’un délinquant ou un
abuseur. Il le sait, confusément ou clairement.
Dans le combat entre la pulsion et l’interdiction
de pouvoir la vivre ouvertement, il est rarissime
que le choix opposé cyniquement soit de pouvoir
récidiver dès que possible.
L’observation nous enseigne que les
comportements sexuels délictueux, en
particulier, trouvent des significations externes
et internes qui engagent toujours à une analyse
extrêmement complexe : on entre dans les
méandres obscurs des plis de la conscience, sur
les marges de l’inconscient ; on est au seuil de
grottes où, plus ou moins loin dans la pénombre,
on perçoit des ombres, des signes propres au
sujet mais dont, ni lui-même, ni nous-mêmes
ne sommes jamais sûrs de ce qu’ils disent,
de ce qu’ils montrent. L’expérience nous rend
plus experts mais, à chaque fois, l’aventure
de devoir comprendre est nouvelle et souvent,
nous sortons d’une longue discussion « de cas »
étonnés qu’elle demeure à ce point ouverte.
C’est que le comportement sexuel engage l’être
tout entier, dans toutes ses instances.
Quand il subit la contrainte, celle-ci concerne la
part sociale du comportement. La protection de
la société peut conduire à appliquer aveuglément
une sanction, mais l’idéal de réhabilitation que
prône la Justice démocratique engage à placer
l’acte dans son contexte, son histoire, son
devenir, et à installer un dispositif d’aide sur le
plan psychique. La contrainte oblige à trouver
un avenir malgré tout et à instaurer un contrôle
interne qui supprimerait le risque de récidive,
c’est-à-dire, à entrer dans l’extrême complexité
dont nous venons de parler. Ce ne sera pas
seulement aider à contrôler : il faudra trouver un
homme, une femme.
C’est la mission qui nous est confiée par la
Justice. Si nous n’acceptons pas cette mission,
il ne faut pas faire ce métier. Il ne s’agit pas de
collusion mais de réhabilitation. Il faut partager
l’idéal de réhabilitation des délinquants,
c’est-à-dire la restitution de leur liberté et de la
confiance des autres à leur égard. En ajoutant
que la négation n’empêche pas l’aide et qu’il
ne faut pas oublier les quelques pour cent de
véritables erreurs judiciaires.
Infos : UPPL
Rue Despars 92 - 7500 Tournai
Tél. : 069 / 88 83 33
e-mail : [email protected]
Confluences n°13 mai 2006 / 45
DOSSIER
Parler de consentement dans le cadre d’une
thérapie contrainte pourrait être de l’ordre de
la provocation. Comment pourrait-il y avoir
consentement (étymologiquement : avoir la
même opinion) lorsque la Loi prive de leur
liberté des individus réputés libres et égaux ?
Les obliger à suivre un traitement ou une
guidance dans la foulée de la sanction, est un
processus que très peu d’entre eux auraient
imaginé, désiré comme tel, encore moins
décidé. Il existe des demandes spontanées
mais elles sont très rares.
Exposition / Journée d’étude : « Isolement, un outil thérapeutique ? » - www.isolement.be
Michel MARTIN
Psychiatre, Président de l’UPPL
(Unité de PsychoPathologie Légale)
Directeur médical de l’AIGS (Association
Interrégionale de Guidance et de Santé)
SSM de Visé.
Le consentement en traitement forcé
Le Comité Consultatif de Bioéthique a publié le 10 mars 2003 un avis concernant
le traitement forcé en cas d’hospitalisation sous contrainte36. Il est évident que
ces conditions d’hospitalisation et de traitement créent, d’un point de vue éthique,
une situation paradoxale. Alors que le respect de l’autonomie décisionnelle
des personnes forme un des piliers du respect de leur dignité, le placement et
le traitement forcés refusent cette autonomie, en principe pour protéger le patient
et son entourage des dangers qu’entraîne sa maladie. La loi du 26 juin 1990 définit
soigneusement dès lors les conditions et limites de cette « transgression », et les
recours dont dispose le patient.
Léon CASSIERS
Vice-Président du Comité National de Bioéthique,
Docteur en médecine, Psychiatre, Psychanalyste et Criminologue,
Professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain.
Comme toujours, le véritable souci éthique
déborde le juridisme des lois. Il demande
d’entretenir une sensibilité réelle envers les
souffrances que ces situations comportent pour
les patients et leur entourage. Plus que dans les
maladies somatiques la dignité de la personne est
menacée, puisque ici les fonctions psychiques
qui assurent l’autonomie sont atteintes.
Cet affaiblissement des capacités de décision
du malade n’élargit pas la liberté décisionnelle
des soignants, mais bien au contraire les appelle
à une vigilance et à une prudence accentuées.
C’est l’intérêt réel du patient et celui de son
entourage qui autorisent la contrainte et qui
doivent rester le fil conducteur permanent des
décisions prises. Cet intérêt demande aussi de
prendre en compte le sentiment subjectif de
dignité qu’éprouve le malade. Il est humiliant
de n’être plus tout à fait capable de se gérer
soi-même, et les patients le ressentent bien.
Même et surtout en situation de contrainte, tout
le contexte relationnel offert par les soignants
doit donc s’ingénier à transmettre un sentiment
de respect. Cela ne sera possible qu’à la mesure
où les soignants l’éprouvent réellement, ce
qui ne se prescrit pas par des lois. La qualité
de la relation humaine doit être chez eux un
Confluences n°13 mai 2006 / 46
souci constant, sans cesse renouvelé contre la
banalisation des routines. C’est en supposant
ce préalable acquis que nous pouvons analyser
quelques aspects pratiques des situations de
contrainte.
Droit ou devoir de traiter ?
Il est vrai que la loi de 1990 ne parle pas
du traitement forcé. Deux ou trois allusions
indirectes à celui-ci cependant, mais surtout
l’évidence qu’il s’agit bien d’hospitalisation
contrainte et que l’hôpital n’est pas d’abord une
prison de sécurité montrent clairement que le
sens de la loi est de pourvoir au traitement du
malade. Il est donc légitime de lui imposer un
traitement lorsque ce traitement est nécessaire
et qu’il ne peut y consentir. Ne pas traiter serait
un abandon.
Quant au contenu et aux visées du traitement,
des règles de prudence et de respect
s’imposent. Sont légitimes les traitements
qui visent à débarrasser dès que possible le
patient des troubles qui le rendent dangereux et
obligent à limiter sa liberté. Ils doivent suivre les
consensus médicaux de « bonnes pratiques » et
toute expérimentation de nouveaux produits est
exclue aussi longtemps que le malade ne peut
y consentir vraiment.
Si le patient présente des pathologies associées,
sans rapport avec l’hospitalisation forcée,
on ne peut les soigner sans son accord, sauf
évidemment dans la mesure où ces pathologies
demanderaient des soins urgents. Ce principe
général ne supprime pas les difficultés de
décision face à certains cas particuliers. Si, par
exemple, un patient sous contrainte refuse une
chimiothérapie alors qu’il souffre d’un cancer,
on ne peut en principe la lui imposer. Toutefois,
c’est par une attention soigneuse portée à tout
le contexte de vie habituel et à la personnalité
du patient qu’on prendra la meilleure décision,
au cas par cas. Ici comme ailleurs, la véritable
éthique s’accommode mal d’une rigidité
juridique ou de la routine, mais ne devient
effective que par une attention positive apportée
à chaque personne singulière. C’est dans
cet esprit que l’avis du Comité de Bioéthique
aborde la délicate question de la contraception
forcée. Nous ne pouvons nous y étendre ici,
non sans recommander la lecture du texte
complet de l’avis.
Le consentement
Apparemment le patient qu’il a fallu contraindre
à l’hospitalisation a perdu ses capacités
normales de jugement. Rien ne serait plus faux
cependant que de comprendre ces capacités
comme une fonction présente en tout ou rien.
Même psychiquement atteints, les hommes
et les femmes gardent sur quantité de domaines
de leur vie la capacité de juger et de se conduire
de manière normale. Plus radicalement,
considérer qu’un malade ou un handicapé
mental sont incapables de tout jugement,
c’est renoncer à leur parler, dénier leur humanité
C’est pourquoi, quelle que soit sa capacité
de consentement, tout malade, même sous
contrainte, garde toujours le droit d’être informé
de son traitement et des buts poursuivis par
celui-ci. Il faut se le rappeler inlassablement,
même devant des personnes atteintes de
démence ou de débilité grave, ou de confusion.
Seul le coma coupe la relation et le dialogue,
et dans ce cas l’entourage ou les personnes
responsables prennent le relais.
Ce n’est pas parce qu’une information, donnée
dans un vocabulaire accessible au patient, risque
de recevoir un refus ou une réponse absurde
que le consentement ne doit pas, à son tour,
être négocié et recherché. Toute personne qui a
l’expérience du terrain sait que, dans la grande
majorité des hospitalisations sous contrainte,
le traitement peut parfaitement être négocié et
s’effectuer avec le consentement réel du malade.
En outre, un premier refus ne dispense pas de
continuer à négocier un consentement tout au
long du traitement. L’état du patient évolue, et
parallèlement ses capacités de jugement, au fil
du processus thérapeutique.
Information et consentement ont pour sens de
respecter la liberté du patient autant qu’il est
possible. Ils ont un sens relationnel peut-être
encore plus important. Le patient doit rester un
interlocuteur égal en humanité, et non pas se
trouver stigmatisé comme un inférieur en raison
de ses pertes de capacité. L’asymétrie de savoir
et de pouvoir ne peut entraîner, comme elle y
invite facilement si l’on n’y prend garde, une
asymétrie de dignité humaine.
Dans la même perspective, on ne peut nourrir
une idée théorico-technique de la capacité à
consentir, ni penser dès lors que seuls quelques
tests statistiquement balisés la mesureraient.
Tout consentement humain représente toujours
une équation complexe, personnelle et subjective
entre des désirs immédiats et d’autres qui portent
sur le long terme, entre des intérêts personnels
et les intérêts des autres, entre des désirs plus
ou moins irréalistes et les limites qu’impose la
réalité. De même, tout jugement posé sur la
capacité d’un autre passe par la subjectivité
personnelle et culturelle du soignant. La liberté
ne peut ainsi se concevoir comme une entité
abstraite détachée de son enjeu. Le jugement
sur la capacité du patient appelle, du côté du
soignant, une évaluation centrée sur le danger
éventuel des décisions du malade, danger qui
seul justifie la contrainte. Cette capacité ne
peut s’évaluer sur le caractère plus ou moins
« rationnel », convenable ou conformiste, des
désirs du malade. Ainsi, par exemple, le seul
fait qu’un patient délire ne justifie pas en soi
l’hospitalisation et le traitement sous contrainte,
mais seulement le fait que ce délire le conduirait
éventuellement à des conduites dangereuses.
L’enjeu de fond : la dignité
La liberté et la dignité des patients sont d’abord
protégées par des règles et des lois. Le rapport
du Comité de Bioéthique rappelle qu’elles ne
sont pas toutes respectées, dans le domaine
du contrôle dont elles doivent faire l’objet,
ni dans les moyens mis à disposition du
patient. Les inspections prévues par la loi sont
rares et parfois inexistantes. Les malades sous
contrainte se voient privés du droit de choisir leur
thérapeute, mais gardent le droit de faire appel
à un consultant externe ou à une personne de
confiance pour évaluer leur traitement. Ils n’en
sont guère informés, et les règles de l’assurance
maladie ne leur remboursent pas la consultation
qui serait demandée à un médecin de leur choix.
Sans doute n’a-t-on pas fini de rappeler que la
protection sociale devrait concerner d’abord les
plus faibles, même lorsqu’ils ne forment pas
une cohorte d’électeurs intéressants !
Enfin, sans doute n’a-t-on jamais fini de se
rappeler que la dignité n’est pas d’abord un
principe éthique, ni la seule affaire des lois, ni
une convention de « bonnes manières » d’une
société déterminée. Elle est universelle parce
qu’elle est la reconnaissance que tout humain
doit à un autre humain de ce qu’il est un
partenaire accepté du seul fait qu’il soit présent,
comme être humain. Elle est la reconnaissance
de l’humanité de l’humain comme ayant un
statut différent de tout autre objet ou animal
et méritant ce type de partenariat relationnel
que nous dénommons « dignité ». En cela la
dignité n’est pas une qualité objectivement
visible bien que nous la ressentions fortement,
en particulier lorsqu’elle n’est pas respectée.
Pour se dire, pour exister, elle a donc besoin
de signes symboliques, que toute culture définit
selon ses conventions. Mais si les matériaux
symboliques en question sont conventionnels,
la dignité, elle, ne l’est pas.
Dans les situations de maladie mentale et de
contrainte, ces signes symboliques de la dignité
revêtent plus d’importance encore que dans
la vie courante, puisque la perte d’autonomie
menace directement le sentiment qu’a le patient
d’être respecté. Tous les indicateurs de dignité
deviennent ainsi importants : la politesse des
soignants, le respect des tenues vestimentaires,
le respect de l’hygiène et de l’intimité et jusqu’à
la qualité esthétique des locaux. On ne peut
se cacher qu’en bien des lieux de contrainte
des progrès restent à faire. Il appartient
peut-être d’abord aux soignants qui y vivent et
en sont eux-mêmes affectés de réclamer avec
ténacité ces symboles de dignité. Ce doit être
aussi le souci de tous, au nom de la sauvegarde
de notre commune dignité.
36
Le texte a été publié dans « Bioethica belgica » n°16,
juin 2004. Il peut également être consulté sur le site
http://www.health.fgov.be/bioeth
Confluences n°13 mai 2006 / 47
DOSSIER
même et tomber dans une médecine vétérinaire,
quels que soient les bons sentiments ou la
compassion qu’on y mette.
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- Loi de défense sociale à l’égard des
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des auteurs de certains délits sexuels —
1er juillet 1964
- Loi relative à la protection de la jeunesse —
8 avril 1965
Une bibliographie plus détaillée est
disponible au Centre de documentation
de l’IWSM — In-Folio 081/ 23 50 12