DROIT COMMUNAUTAIRE DES DROITS FONDAMENTAUX

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DROIT COMMUNAUTAIRE DES DROITS FONDAMENTAUX
DROIT COMMUNAUTAIRE
DES DROITS FONDAMENTAUX
Chronique de la jurisprudence
de la Cour de justice
des Communautés européennes — 2001
Institut de droit européen
des droits de l’homme (IDEDH, Université Montpellier I)
sous la direction de Frédéric Sudre, en collaboration
avec Caroline Picheral, Samuel Priso-Essawe, Hélène Surrel,
Florence Zampini et Christophe Maubernard (*)
L’actualité jurisprudentielle de l’année 2001 a conduit à modifier
le contenu de la rubrique consacrée aux droits substantiels : si les
références au droit de propriété et au libre exercice de l’activité professionnelle, ne faisant que reproduire une jurisprudence désormais
bien connue, n’appellent pas de commentaires particuliers, deux
nouvelles subdivisions ont été introduites concernant la dignité
humaine et la liberté d’association.
I. — Les rapports avec la Convention européenne
des droits de l’homme
Le Tribunal de première instance entretient d’évidence des rapports délicats avec la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans l’affaire Mannesmannröhren-Werke AG c. Commission (20 fév.
2001, T-112/98), où l’entreprise requérante avait refusé de répondre
à des demandes de renseignements dans le cadre d’une enquête
menée par la Commission en matière de concurrence, le Tribunal de
première instance tient un raisonnement circulaire. Il rappelle
d’abord, classiquement, que la Convention européenne des droits de
l’homme ne fait pas partie en tant que telle du droit communautaire et qu’il n’est donc pas compétent pour apprécier la légalité
(*) Frédéric Sudre, Professeur à l’Université de Montpellier I, Directeur de
l’IDEDH, Chaire Jean Monnet; Caroline Picheral, Maître de Conférences à l’Université de Montpellier I, Samuel Priso, Maître de conférences à l’Université de La Réunion, Hélène Surrel, Maître de conférences à l’IEP de Lyon; Florence Zampini,
Maître de conférences à l’Université de Lyon III ; Christophe Maubernard, ATER
Université de Montpellier I.
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d’une enquête de la Commission au regard de ce texte (pt. 59).
Ensuite, le Tribunal de première instance réaffirme, tout aussi classiquement, que les droits fondamentaux font partie intégrante des
principes généraux du droit communautaire dont il assure le respect
(pt. 60) et contrôle alors la légalité de l’enquête au regard du droit
de garder le silence reconnu par l’arrêt Orkem ( 1) au titre du principe général des droits de la défense ; cela le conduit à relever que
deux questions posées à la requérante emportent violation de ce
droit ( 2). Curieusement, le Tribunal de première instance, dans un
troisième temps, revient sur le fondement juridique de la solution
adoptée pour énoncer que le droit communautaire reconnaît le principe fondamental du respect des droits de la défense ainsi que celui
d’un droit à un procès équitable, « qui offrent... une protection équivalente à celle garantie par l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme » (pt. 77) : on ne saurait mieux dire puisqu’on sait
que la Cour de justice des Communautés européennes, par sa décision Baustahlgewebe ( 3) à laquelle se réfère le Tribunal, a fait application de la jurisprudence même de la Cour européenne des droits
de l’homme pour consacrer le droit à un procès équitable sous le
couvert formel, néanmoins, d’un principe général du droit ( 4). En
bref, le Tribunal de première instance n’applique pas l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme... tout en prenant
soin de s’assurer de son respect !
L’arrêt du 18 octobre 2001 X. c. Banque centrale européenne
(Aff. T-333/99), manifeste, par contre, une ignorance (délibérée ?) de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’application de l’article 6 en matière disciplinaire. En l’espèce, le requérant, agent de la Banque centrale européenne, invoquait aux fins d’annulation d’une sanction disciplinaire prononcée
par le directoire de la Banque, une violation de ses droits de la
défense dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée contre
lui. L’affirmation abrupte du Tribunal de première instance, selon
laquelle « la procédure disciplinaire n’est pas judiciaire, mais administrative, et l’administration ne saurait être qualifiée de ‘ tribunal ’ au
sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme »
(pt. 162) traduit une double méconnaissance du droit de la Conven-
(1) Cour de justice des Communautés européennes, 18 oct. 1989, in F. Sudre
(dir.), Droit communautaire des droits fondamentaux, Nemesis/Bruylant, coll. « Droit
et justice », 1999, p. 119.
(2) Voy. note L. Idot, Europe, avril 2001, comm. n o 141.
(3) 17 déc. 1998, op. cit., p. 207.
(4) Cette chron., Rev. trim. dr. h., 1999, p. 487.
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tion. D’une part, on reste confondu que le Tribunal de première instance subordonne l’applicabilité du droit à un procès équitable à un
critère organique alors que, selon une jurisprudence bien connue de
la Cour européenne, le critère décisif d’applicabilité de l’article 6 est,
d’une manière générale, un critère matériel : ainsi, une sanction disciplinaire émanant d’une juridiction ordinale relève de la « matière
civile » dès lors qu’elle met en jeu l’exercice de la profession (Cour
eur. dr. h., Le Compte, Van Leuven et De Meyere, 23 juin 1981) ; en
l’espèce X avait été licencié. D’autre part, et surtout, le Tribunal
paraît ignorer — ce qui ne manque pas de piquant — que, s’agissant du contentieux de la fonction publique, la Cour européenne des
droits de l’homme s’inspire ouvertement de la jurisprudence communautaire et retient un critère fonctionnel pour juger que les
litiges opposant l’administration aux agents publics relèvent en
principe du champ d’application de l’article 6 sauf lorsque les
agents occupent des emplois qui comportent « une participation
directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l’Etat ou des autres
collectivités publiques » ( 5) ; le Conseil d’Etat français a fait application de cette jurisprudence en matière disciplinaire ( 6). En l’espèce,
le requérant était documentaliste à la BCE...
On opposera à cette malencontreuse décision du Tribunal de première instance l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 27 novembre 2001, Z. c. Parlement européen (Aff. C-270/
99 P). Etait également en cause une procédure disciplinaire contre
un fonctionnaire communautaire qui se plaignait du non-respect
d’un délai raisonnable entre les différents actes de poursuite. La
décision de la Cour, qui rejette la prétention du requérant, est doublement remarquable par l’usage fait de la Convention européenne
des droits de l’homme. D’une part, la Cour fait une application
directe de l’article 6, § 1 er de la Convention européenne des droits de
l’homme pour, à la fois, affirmer qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 aux procédures disciplinaires prévues au statut de la fonction publique communautaire et
juger que cette disposition ne prescrit pas de délais précis et ne dispose pas que les délais prévus par un texte législatif — tel ledit statut — doivent être considérés comme péremptoires (pt. 23). D’autre
part, la Cour de justice reprend la démarche adoptée dans sa décision Baustahlgewebe (préc.) et s’appuie d’abondance sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les critères
(5) Pellegrin, 8 déc. 1999, RDP 2000, p. 711, obs. G. Gonzalez.
(6) CE 23 fév. 2000, L’Hermite, JCP G, 2000, II, 10371, note C. Maniolle.
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du « délai raisonnable » dégagés par celle-ci pour examiner la prétention du requérant au regard du principe général du droit à un
procès raisonnable.
Manifestement, le vent de la Convention européenne des droits de
l’homme ne souffle pas avec le même force sur le plateau du Kirchberg selon que l’on est à la Cour ou au Tribunal...
Frédéric SUDRE
II. — Droits substantiels
A. — Droit au respect de la dignité humaine
Dans un arrêt du 9 octobre 2001, Pays-Bas c. PE et Conseil de
l’UE (Aff. C-377/98), la Cour de justice des Communautés européenne a contrôlé pour la première fois le droit au respect de la
dignité humaine sous l’angle corporel. Les Pays-Bas demandaient
l’annulation de la directive relative à la protection juridique des
inventions biotechnologiques du 6 juillet 1998. Celle-ci dispose
qu’un élément isolé du corps humain, sous certaines conditions,
peut faire l’objet de la délivrance d’un brevet (art. 5, § 2). La
dignité humaine doit être préservée au regard des notions d’ordre
public et de bonnes mœurs, certains procédés étant expressément
exclus de la brevetabilité (art. 6, §§ 1 er et 2).
L’Etat considérait que la protection de la dignité humaine assurée sous l’angle exclusif de l’ordre public et des bonnes mœurs était
insuffisante. En outre, la directive ne prévoit pas le droit au consentement éclairé du donneur ou du receveur de cellules vivantes.
La Cour de justice des Communautés européennes a rejeté les
deux branches du moyen. En ce qui concerne le droit à la dignité
humaine elle a tout d’abord estimé que l’article 5, § 1 er de la directive prévoit que le corps humain aux différents stades de sa constitution ne peut faire l’objet de la délivrance d’un brevet (pt. 71).
Seule l’utilisation d’une technique particulière (invention) permet la
brevetabilité d’une cellule isolée qui n’est alors qu’un élément
propre à cette invention (pt. 76). Il n’existe donc aucun risque d’appropriation du corps humain (pt. 73). Par ailleurs l’atteinte à l’ordre
public ou aux bonnes mœurs exclut les inventions ou les exploitations commerciales contraires à ces derniers et l’article 6, § 2 de la
directive interdit la brevetabilité de certains procédés, comme le
clonage de l’être humain (pt. 76 et 77). Pour la Cour de justice des
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Communautés européennes ces dispositions assurent une protection
adéquate du droit à la dignité humaine.
La deuxième branche du moyen portait sur l’absence de dispositions relatives au consentement éclairé du donneur ou du receveur
de cellules vivantes. La Cour de justice des Communautés européennes balaie cet argument au motif que le champ d’application de
la directive ne s’étend pas aux opérations antérieures ou postérieures à la délivrance des brevets (pt. 80).
Cet arrêt est à la fois important et critiquable. Il est important
car il reconnaît expressément le droit à la dignité de la personne
humaine dans ce qu’il a de plus intime (le corps) voire de plus philosophique. L’article 1 er de la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne consacre désormais ce droit. Cet arrêt laisse
néanmoins planer quelques ombres. D’une part, la protection de ce
droit sous l’angle exclusif de l’ordre public et des bonnes mœurs,
notions fluctuantes d’un Etat membre à l’autre ( 7), n’emporte pas
entièrement la conviction d’une garantie homogène et effective de
celui-ci. D’autre part, la Cour de justice des Communautés européenne effectue un contrôle de légalité a minima en excluant le
contrôle du droit à l’intégrité de la personne au regard du champ
d’application de la directive ( 8).
Christophe MAUBERNARD
B. — Droit au respect de la vie privée
et familiale
Dans l’affaire D. c. Conseil du 31 mai 2001 ( 9), la Cour de justice
des Communautés européennes a confirmé l’arrêt du Tribunal de
première instance du 28 janvier 1999 rejetant le bénéfice pour le
requérant de l’allocation de foyer attribuée aux fonctionnaires communautaires du chef de son partenaire de même sexe ( 10). Le Tribunal de première instance avait considéré que le « partenariat enregistré » en Suède par M. D. ne pouvait être assimilé à « un rapport
fondé sur le mariage civil au sens traditionnel du terme » (pt. 26). Le
requérant estimait dans son pourvoi que l’état civil relève de la
(7) Par exemple Cour de justice des Communautés européennes, 9 déc. 1997 Commission des CE c. France, C-265/95.
(8) Voy. a contrario Comm. eur. dr. h., 2 mars 1983, X. c. Danemark.
(9) Aff. jtes C-122 et 125/99 P.
(10) Voy. cette Chronique, Rev. trim. dr. h., 2000, n o 43, pp. 506-507.
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compétence exclusive des Etats et qu’ainsi le « partenariat enregistré » ne doit pas faire l’objet d’une « interprétation autonome » du
juge de Luxembourg mais doit être assimilé à l’état de mariage,
comme cela est le cas en Suède (pt. 29). Le Conseil soutenait que le
« partenariat enregistré » est assimilable à l’état de mariage dans ses
effets, sauf exceptions, mais non à sa nature, le législateur communautaire n’ayant pas retenu cette hypothèse lors de l’adoption du
statut des fonctionnaires (pt. 31, 32).
La Cour de justice des Communautés européennes, toujours prudente en la matière ( 11), constate que des Etats membres se sont
dotés de régimes légaux pour les personnes de même sexe ou de sexe
différent, sans toutefois les assimiler avec l’état de mariage (pt. 3536). Elle en conclut que « de telles circonstances ne permettent pas au
juge communautaire d’interpréter le statut [des fonctionnaires] de telle
sorte que soient assimilées au mariage des situations légales qui en sont
distinctes » (pt. 37). Seul le législateur communautaire — qui n’en a
d’ailleurs pas exprimé le souhait — est en mesure de modifier cet
état du droit.
Le requérant soutenait néanmoins que l’article 8 Convention
européenne des droits de l’homme (vie privée et familiale) s’appliquait aux relations homosexuelles et interdisait l’ingérence dans la
vie privée que constituerait la transmission de données sur son état
civil à son employeur, le Conseil. La Cour de justice des Communautés européennes estime là encore que « le refus de l’octroi d’une
allocation de foyer par l’administration communautaire à l’un de ses
fonctionnaires n’affecte pas la situation de celui-ci au regard de l’état
civil et, ne concernant que les rapports entre le fonctionnaire et son
employeur, ne donne lieu, par lui-même, à aucune transmission d’informations personnelles à des personnes étrangères à l’administration
communautaire » (pt. 59).
Maintenant sa traditionnelle réserve (réticence ?) à l’égard des
droits reconnus aux homosexuels, la Cour de justice des Communautés européennes confirme sa jurisprudence sur la notion de
« mariage » mais, également, effectue un contrôle sur le fondement
de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui
est peu convaincant, l’ingérence semblant partiellement établie en
l’absence de reconnaissance des divers statuts légaux nationaux par
la Communauté européenne et ses institutions.
(11) Cour de justice des Communautés européennes 17 février 1998 L.J. Grant,
aff. C-259/96 et les obs. H. Surrel, cette Chronique, Rev. trim. dr. h., 1999, n o 39,
pp. 511-512.
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On mentionnera enfin deux arrêts du 27 septembre 2001 Kondova
(Aff. C-235/99) et Gloszczuk (Aff. C-63/99) relatifs aux accords d’association conclus par la Communauté avec la Bulgarie et la
Pologne. La Cour de justice affirme dans ces affaires que l’adoption
des mesures nationales d’accès au territoire « doit intervenir sans préjudice de l’obligation de respecter les droits fondamentaux dudit ressortissant, tels que le droit au respect de sa vie familiale et le droit au respect de ses biens, qui découle, pour l’Etat membre concerné, de la
Convention européenne des droits de l’homme [...] » (respectivement
pt. 90 et 85).
Christophe MAUBERNARD
C. — Liberté d’expression et accès à l’information
L’affaire Connolly ( 12), relative à la liberté d’expression des fonctionnaires, mérite sans doute le plus d’attention, en ce qu’elle
témoigne de l’émergence d’une norme commune en la matière.
On se souvient que le requérant avait été révoqué pour manquement à son obligation de loyauté, après avoir fait paraître — sans
autorisation — un véritable pamphlet contre la monnaie unique et
que son recours, notamment fondé sur une prétendue violation de
l’article 10 de la Convention, avait été rejeté en première instance ( 13). Devant la Cour de justice des Communautés européennes,
M. Connolly se prévaut encore de sa liberté d’expression mais ne
conteste plus tant l’obligation de réserve qui lui était imposée par
l’article 12 du Statut (la Cour rappelant d’ailleurs qu’il est légitime
dans une société démocratique de soumettre les fonctionnaires à des
obligations spécifiques) que le régime d’autorisation préalable prévue par l’article 17. Comme le souligne la juridiction communautaire elle-même, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà eu
l’occasion de juger que des restrictions de cette nature appelaient un
« examen particulier » ( 14). Et de ce point de vue, le contrôle de la
Cour de justice des Communautés européennes, dominé par le souci
de s’assurer d’un « juste équilibre » entre le droit fondamental de
l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime de l’institution à veiller à ce que ses agents œuvrent dans le respect de leurs
(12) Cour de justice des Communautés européennes, 6 mars 2001, C-274/99 P.
(13) Tribunal de première instance, 19 mai 1999, T-34/96 et T-163/96, cette Chronique, Rev. trim. dr. h., 2000, n o 43, p. 509.
(14) Cour eur. dr. h., 25 novembre 1996, Wingrove, § 58 ; 26 novembre 1991, Observer et Guardian, § 60.
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devoirs (pt. 48), s’avère tout à fait orthodoxe. Les standards de la
Convention sont non seulement connus mais rigoureusement appliqués : après avoir établi l’existence d’un but légitime (éviter une
publication de nature à mettre en jeu les intérêts de la Communauté, ce que la Cour de justice des Communautés européennes rattache à la protection des droits d’autrui au sens de l’article 10, § 2
de la Convention), la Cour de Luxembourg écarte corollairement le
grief tiré du défaut de base légale (pt. 51). A cet égard, son examen
peut sans doute sembler expéditif, l’exigence de prévisibilité étant
normalement renforcée en cas de pouvoir discrétionnaire et supposant notamment que les limites de ce dernier soient clairement précisées ( 15). Mais ce point est finalement vérifié dans les développements consacrés à la proportionnalité de la restriction : la Cour de
justice des Communautés européennes relève en effet que la délivrance de l’autorisation est clairement de principe et ne peut être
refusée que si la publication risque de causer un grave préjudice aux
intérêts des Communautés (pt. 53), le régime ne s’appliquant qu’aux
publications en rapport avec les activités de ces dernières. Elle
constate également qu’une décision de refus est susceptible de
recours : le strict respect des limites applicables à toute ingérence
dans la liberté d’expression est donc sujet à contrôle juridictionnel
(pt. 55). Enfin, la Cour de Luxembourg rappelle que l’autorité
investie du pouvoir de nomination, lorsqu’elle fait application de
l’article 17, doit mettre en balance les différents intérêts en jeu. Ces
considérations tendent à établir la « conventionnalité » du régime de
l’article 17. Il ressort de surcroît du jugement du Tribunal de première instance, que le requérant n’a pas été sanctionné seulement
parce qu’il avait omis de solliciter l’autorisation préalable de publication ou parce qu’il avait émis une opinion discordante, mais parce
que, par la virulence de ses propos, il avait irrémédiablement rompu
la confiance que la Commission est en droit d’exiger de ses fonctionnaires (pt. 62). C’est donc très logiquement que le moyen est rejeté.
Au-delà des précisions de fond, l’arrêt Connolly accuse la tendance de la Cour de justice des Communautés européennes à se référer directement à la Convention telle qu’interprétée par la Cour de
Strasbourg : en l’occurrence sept de ses arrêts sont repris à titre
liminaire, dont ceux relatifs aux droits et obligations des fonctionnaires ( 16). Les principes généraux du droit constituent un vecteur
d’application bien neutre...
(15) Cour eur. dr. h., 2 oct. 1984, Malone, § 68.
(16) Cour eur. dr. h., 26 sept. 1995, Vogt; 2 sept. 1998, Ahmed ; 28 oct. 1999,
Wille, req. n o 28396.
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Le contentieux relatif au droit d’accès du public aux documents
détenus par la Commission ou le Conseil, bien qu’abondant, ne présente pas en soi le même intérêt. Dans l’arrêt British American
Tobacco du 10 octobre 2001 (Aff. T-111/00), le Tribunal de première
instance a certes précisé les conditions de mise en œuvre de l’exception facultative tenant au secret des délibérations de la Commission : l’argument selon lequel la divulgation de l’identité des délégations met en cause la bonne tenue des délibérations ne suffit pas à
faire échec au droit d’accès. L’institution est tenue de mettre en
balance les intérêts en présence au regard du contenu de chaque
document. Or en l’occurrence, la demande d’accès portait sur des
délibérations achevées si bien que la communication ne risquait pas
de nuire à l’expression effective des positions nationales.
Mais dans l’ensemble les décisions en la matière paraissent essentiellement confirmatives.
Dans l’arrêt Hautala ( 17), la Cour valide le jugement du Tribunal
de première instance selon lequel le Conseil était tenu d’examiner
s’il convenait d’accorder un accès partiel aux données non couvertes
par les exceptions (sécurité publique, relations internationales, stabilité monétaire, procédures juridictionnelles, activités d’inspection
et d’enquête). De l’affaire Olli Mattila ( 18), il ressort que conformément à la jurisprudence Hautala, les institutions sont en droit de ne
pas accorder un accès partiel lorsque celui-ci serait dépourvu de
toute utilité et que suivant la jurisprudence WWF ( 19), elles ne sont
pas tenues d’indiquer pour chaque document les raisons impératives
justifiant sa confidentialité, sous peine de compromettre la fonction
même de l’exception. Et dans l’affaire Petrie ( 20), le juge se maintient dans la ligne des jurisprudences JT’s Corporation ( 21) et
WWF ( 22) concernant d’une part, la règle de l’auteur, qui permet à
la Commission de refuser la communication des documents émanant
de tiers, tant qu’aucune norme de rang supérieur ne prévoit le
contraire et d’autre part, la nécessité de préserver la confidentialité
des pièces rédigées lors de la phase administrative d’une procédure
en manquement, afin de ne pas compromettre un règlement amiable
du différend entre la Commission et l’Etat concerné. Au plus
(17) Cour de justice des Communautés européennes, 6 déc. 2001, C-353/99 P.
(18) Tribunal de première instance, 12 juil. 2001, T-204/99.
(19) Tribunal de première instance, 5 mars 1997, T-105/95, Rec. p. II-313.
(20) Tribunal de première instance, 11 déc. 2001, T-191/99.
(21) Tribunal de première instance, 12 oct. 2000, T-123/99, Rec. p. II-3269, cette
Chronique, Rev. trim. dr. h., 2001, n o 47, p. 805.
(22) Précité.
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notera-t-on que le nouvel article 255, dépourvu d’effet direct, ne
modifie pas l’état du droit : il n’a pas pour le Tribunal de première
instance abrogé la décision 94/90 relative à l’accès du public aux
documents de la Commission et ne détermine pas non plus la
manière dont elle doit être interprétée.
L’apport des ces différents jugements doit cependant être lu à la
lumière des articles 41 et 42 de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union (qui font du droit d’accès un attribut de la citoyenneté)
et du nouveau règlement n o 1049/2001, mettant en œuvre l’article 255 du Traité ( 23). Outre que les conditions d’exercice du droit
d’accès sont affermies, sa nature même pourrait en être clarifiée...
Caroline PICHERAL
D. — Liberté d’association
Le Tribunal s’est prononcé sur cette liberté dans un arrêt du
2 octobre 2001 ( 24).
Afin de bénéficier des avantages reconnus aux groupes politiques
au sein du Parlement européen, des députés européens non inscrits
ont décidé de créer un groupe à vocation uniquement technique. Le
Parlement a décidé de dissoudre le groupe ainsi constitué, estimant
cette initiative contraire à son règlement intérieur, qui conditionne
la formation des groupes parlementaires à l’existence d’affinités
politiques. Considérant cette dissolution contraire notamment à la
liberté d’association, les fondateurs du groupe technique indépendant en ont demandé l’annulation au Tribunal.
Pour rejeter les arguments des requérants, le Tribunal devait
résoudre deux problèmes : l’invocabilité de la liberté d’association
dans l’organisation interne du Parlement, et la conformité de la
mesure attaquée au principe du respect de cette liberté.
Sur la première question, il est constamment admis que la liberté
d’association « consacrée par l’article 11 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
résultant des traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres, fait partie des droits fondamentaux qui (...) sont protégés
(23) Voy. P.A. Feral, « L’accès du public aux documents des institutions communautaires : la consécration d’un droit fondamental de l’Union », Europe, juillet
2001, p. 5.
(24) Martinez et autres c. Parlement européen, T-222/99, T-327/99 et T-329/99.
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dans l’ordre juridique communautaire » ( 25). Et si la question de l’applicabilité de ce principe aux partis politiques n’a pas encore été
posée au juge communautaire, on ne saurait valablement douter
qu’il adopte la position de la Cour de Strasbourg : les partis politiques font partie, assurément, des associations visées par l’article 11 ( 26). Mais en l’espèce, la question était plutôt de savoir si la
constitution de groupes parlementaires au sein du Parlement européen relevait elle aussi de la liberté d’association. Le Tribunal n’y
répond pas, ne considérant cet aspect que comme un postulat
(pt. 232).
Examinant ensuite la décision du Parlement au regard de la
liberté d’association, le Tribunal considère qu’elle restreint cette
liberté pour des motifs légitimes : l’exigence d’affinités politiques
pour la constitution des groupes politiques va notamment dans le
sens d’une rationalisation et d’une meilleure efficacité dans la procédure de codécision, ainsi que du renforcement de l’intégration dans
le cadre de l’article 191 du traité communautaire.
Samuel PRISO-ESSAWE
III. — Les droits de nature procédurale
A. — Le droit à une protection juridictionnelle
effective devant les juridictions internes
Le droit à une protection juridictionnelle effective a été en plusieurs occasions réaffirmé au cours de l’année 2001.
Dans l’arrêt Smits et Peerbooms du 12 juillet 2001 (Aff. C-157/99),
la Cour a incidemment rappelé qu’une décision de refus, dans le
cadre d’un régime d’autorisation administrative préalable qui
déroge à une des libertés fondamentales du Marché intérieur, doit
« pouvoir être mise en cause dans le cadre d’un recours juridictionnel »
(pt. 90).
Dans les arrêts Kofisa Italia (Aff. C-1/99) et Siples (Aff. C-226/99)
du 11 janvier 2001, elle fait application de sa jurisprudence Factor-
(25) Cour de justice des Communautés européennes, 15 déc. 1995, U.R.B.S.F.A.
e.a. c. J.M. Bosman e.a., C-415/93.
(26) Cour eur. dr. h., 30 janv. 1998, Parti Communiste Unifié de Turquie c. Turquie.
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tame I ( 27), pour juger que si l’article 244 du Code communautaire
des douanes attribue la faculté de surseoir à l’exécution d’une décision attaquée aux seules autorités douanières, il ne saurait limiter
le pouvoir dont disposent les autorités judiciaires saisies d’un
recours « d’ordonner un tel sursis pour se conformer à leur obligation
d’assurer la pleine efficacité du droit communautaire » (pt. 49). Car
cette disposition textuelle ne peut contrevenir à l’exigence d’un
contrôle juridictionnel, principe général du droit communautaire
« qui découle des traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la
Convention » (pt. 46).
La formule, en soi très classique, se retrouve dans l’arrêt du
27 novembre 2001, Commission c. Autriche (Aff. C-424/99) : en l’occurrence, l’Etat défendeur se voyait reprocher le système de recours
mis en place dans le cadre de la directive 89/105 du 21 décembre
1988 relative à la transparence des mesures régissant la fixation des
prix des médicaments et leur inclusion dans le champ d’application
des systèmes d’assurance maladie. En cas de rejet d’une demande
d’inscription, en effet, il était simplement permis aux entreprises
pharmaceutiques de saisir le « petit conseil technique », et en cas de
nouvel avis négatif, le « grand conseil technique ». Or, aux yeux de
la Cour, des recours devant des experts indépendants n’assurent pas
une protection juridique effective : d’abord parce que lesdits experts
relèvent de la fédération elle-même, donc d’une autorité administrative ; ensuite parce que ni le petit ni le grand conseil technique n’ont
de compétence décisionnelle. A cet égard, l’analyse évoque implicitement la jurisprudence européenne des droits de l’homme qui fait
de la compétence de décider un attribut inhérent à la notion de « tribunal » au sens de l’article 6 ( 28). L’argument supplémentaire, tiré
de ce que l’exigence d’un contrôle juridictionnel est un principe
général de droit communautaire..., confirme que la Cour de Luxembourg est tout aussi attachée que son homologue de Strasbourg au
« droit au juge ». Et vu son insistance à souligner la nature non juridictionnelle des instances de contrôle, il n’est pas exclu qu’elle en
retienne une conception peut-être moins « matérielle ».
Caroline PICHERAL
(27) Cour de justice des Communautés européennes, 19 juin 1990, C-213/89, Rec.
p. I-2433.
(28) Cour eur. dr. h., 23 octobre 1985, Benthem.
Rev. trim. dr. h. (2002)
671
B. — Le droit à une protection juridictionnelle
effective devant le juge de Luxembourg
Si la Cour et le Tribunal de première instance n’ont pas toujours
exactement la même conception de la protection juridictionnelle
effective, en particulier en matière de référés, ils peuvent, bien
entendu, être d’accord sur des « fondamentaux ». L’affaire Area
Cova ( 29) en témoigne. Face à un acte normatif de portée générale,
qui pour eux, portait atteinte à leurs intérêts, des armateurs espagnols faisaient valoir que le refus éventuel de leur reconnaître qualité pour agir au titre de l’article 173 CEE (230 CE) les priverait du
moyen de se défendre utilement, étant donné l’impossibilité de saisir
un juge national, la voie de recours offerte par l’article 177 CEE
(234 CE) ne constituant pas un droit du requérant — mais une prérogative du juge — et une cause d’allongement considérable de la
durée des procédures. Le grief tiré du refus d’une protection effective et d’une atteinte au droit fondamental d’accès à la justice,
consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme, lu en combinaison avec l’article F § 2 du TUE (article 6,
§ 2 TUE) n’a pas ému le Tribunal de première instance et pas
davantage la Cour de justice des Communautés européennes, qui se
prévaut de la cohérence — la « systématique » — des voies de droit
et du rôle imparti au juge... Rappelant les limites du pourvoi (questions de droit, moyens tirés de l’incompétence du Tribunal de première instance, irrégularités de procédure devant le Tribunal de première instance portant atteinte aux intérêts de la partie requérante
ou la violation du droit communautaire par ce dernier), elle refuse
qu’il « constitue en réalité une demande visant à obtenir un [...] réexamen de la requête ». Elle ne doute pas de l’effectivité des recours
devant les juges nationaux, lesquels « ont la faculté de prendre des
mesures provisoires et, le cas échéant, d’opérer un renvoi préjudiciel
[...], qui permet une coopération effective entre les juridictions nationales et la Cour de justice ». Telle est « l’essence même du système communautaire de protection juridictionnelle ». « Quant à l’argument selon
lequel l’une de ces voies de droit ne serait pas effective dans le cas d’espèce, cette circonstance, à la supposée établie, ne saurait autoriser une
modification, par la voie juridictionnelle, du système des voies de
recours et des procédures établi par les articles 173 et 177 [...], ainsi que
178 du traité [CEE] » et « en aucun cas, [...] ne permet de déclarer recevable un recours en annulation formé par une personne physique ou
(29) Cour de justice des Communautés européennes, Ord. 1 er fév. 2001, C-300/99P
et C-388/99P.
672
Rev. trim. dr. h. (2002)
morale qui ne satisfait pas aux conditions posées par l’article 173 al. 4
du traité ».
Réitérant sa conviction s’agissant de l’efficacité de la protection
juridictionnelle nationale et des conditions de recevabilité du
recours de l’article 230 CE, le juge dans l’affaire Coillte Teoranta ( 30), n’est pas non plus sensible aux arguments contestant
une solution dans la logique de l’arrêt TWD ( 31). Alors que l’invalidité d’un règlement est invoquée, la Cour ( 32) souligne qu’une décision qui n’a pas été attaquée dans le délai de l’article 230 CE
devient définitive, les délais visant à sauvegarder la sécurité juridique, mais aussi que l’article 241 CE exprime un principe général du
droit qui assure la possibilité d’exciper de l’illégalité de l’acte communautaire, sans s’opposer à ce qu’un règlement devienne définitif
pour un particulier qui aurait pu en demander l’annulation et l’obtenir, particulièrement pour un règlement anti-dumping — pour
preuve l’invalidité du droit antidumping en cause admise dans les
arrêts NTN Corporation et Koyo — arrêts mis en exergue par la
requérante, à qui l’on rappelle la jurisprudence Assi-Domän ( 33)...
Reste que si « la gravité du prétendu manquement de l’institution
concernée ou l’importance de l’atteinte qui en découlerait quant au respect des droits fondamentaux ne permettraient pas, en tout état de
cause, d’écarter l’application des critères de recevabilité fixés expressément par le traité », pas plus que la méconnaissance du principe
d’équilibre institutionnel, qui constitue une garantie fondamentale,
n’ouvre le recours en annulation pour les particuliers ( 34), le
juge ( 35), qui doit « mettre en balance le droit du justiciable à une protection juridictionnelle effective, qui compte parmi les principes généraux du droit communautaire [...] et qui implique que le justiciable doit
pouvoir disposer d’un délai suffisant pour évaluer la légalité de l’acte
lui faisant grief et préparer le cas échéant sa requête », visant aussi
l’exigence de la sécurité juridique (pt. 52), admet qu’en l’absence de
précision relativement aux délais dans le règlement de la BEI relatif
aux voies de recours et d’indication dans le traité, « il appartient au
Tribunal de combler une lacune dans le régime des voies de recours »
(30) Tribunal de première instance (ord.), 25 avril 2001, T-244/00.
(31) Cour de justice des Communautés européennes, 9 mars 1994, C.188/92, Rec.
p. I-833.
(32) 15 févr. 2001, Nachi, C-239/99.
(33) Cour de justice des Communautés européennes, 14 sept. 1999, C-310/97P,
Rec. p. I-5363.
(34) Cour de justice des Communautés européennes (ord). 10 mai 2001, FNAB,
C.345/00P.
(35) 6 mars 2001, Dunnet, T-112/99.
673
Rev. trim. dr. h. (2002)
(pt. 51)... Il peut aussi ( 36) sanctionner le caractère exécutoire de ses
arrêts en condamnant l’institution à réparation du préjudice moral.
La méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de
la défense est évidemment sanctionnée ( 37), notamment pour production tardive de preuves sans aucun motif, alors que la requérante n’avait présenté aucune offre de preuve dans sa requête. Et
des conclusions soulevées à l’audience, fussent-elles qualifiées de
subsidiaires doivent être rejetées comme irrecevables. De même, « si
l’absence de communication de l’avis émis par le comité consultatif en
matière d’ententes et de position dominante n’est pas contraire au principe du respect des droits de la défense, dans la phase administrative
d’une procédure de mise en œuvre de l’article 81 [...], en revanche, sauf
circonstances exceptionnelles, une partie à une procédure juridictionnelle ne saurait, sans porter atteinte au principe du contradictoire,
invoquer au soutien de ses prétentions, un document qu’elle ne peut verser au débat » ( 38). Le Tribunal est évidemment le seul juge de la
nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information et du
caractère probant des pièces dont il dispose ( 39). Le fait qu’il déclare
recevable le recours fondé sur une erreur d’appréciation et une violation de l’article 176 CEE, mais rejette comme irrecevable le
moyen nouveau produit en cours d’instance tiré de ce que le délai
dans lequel la Commission a statué est déraisonnable, en ne soulevant pas d’office un tel moyen, ne méconnaît pas l’exigence d’un
procès équitable, telle que prévue notamment par l’article 6, § 1 er de
la Convention européenne des droits de l’homme et reconnue, en
tant que principe général du droit communautaire ( 40).
Florence ZAMPINI
C. — Droit à une procédure administrative équitable
Si l’adoption d’un règlement anti-dumping suppose le respect des
droits de la défense, un éventuel vice, auquel on a remédié, n’enta(36) Tribunal de première instance, 12 déc. 2001, M. Hautem, T-11/00.
(37) Tribunal de première instance, 31 janv. 2001, Sunrider/OHMI, T-24/00.
(38) Tribunal de première instance, 28 mars 2001, Institut des mandataires agréés,
T-144/99, pt. 133.
(39) Cour de justice des Communautés européennes 10 juil. 2001, Ismeri, pt. 2728.
(40) Cour de justice des Communautés européennes 20 sept. 2001, Asia Motor, C1/01P, pt. 33 ; voy. Cour de justice des Communautés européennes 17 décembre 1998,
Baustahlgewebe, C-185/85, Rec. p. I-8417.
674
Rev. trim. dr. h. (2002)
chant néanmoins pas le règlement définitif ( 41), dans l’affaire Kaufring e.a. ( 42), alors que la Commission exigeait que les Etats
concernés réclament aux importateurs de téléviseurs fabriqués en
Turquie, le paiement des droits de douane, « au vu des circonstances
particulières de l’espèce, le Tribunal décide d’examiner successivement
le moyen tiré d’une violation des droits de la défense et de l’article 13,
§ 1 er du règlement n o 1430/793 ». L’irrecevabilité soulevée par la
Commission, pour qui, « il serait singulier d’autoriser une partie intervenante à invoquer un tel moyen, alors qu’il n’a pas été soulevé par la
partie qui est censée être protégée par le principe en question », est
balayée par le juge, car « le respect des droits de la défense, constitue
une forme substantielle, dont la violation peut être soulevée d’office »
(pt. 130-136). Manifestement, non seulement aucune des requérantes n’a été mise en mesure, préalablement à l’adoption des décisions attaquées, de prendre position et de faire connaître utilement
son point de vue sur les éléments retenus par la Commission, mais
celle-ci a manqué à son devoir de diligence en n’avertissant pas au
plus vite, les importateurs des risques potentiels encourus et failli à
ses obligations en ne s’adressant pas en temps utile au conseil d’association et aux différentes instances qui en relèvent, dont le comité
de coopération douanière, afin de clarifier la situation et de prendre,
si nécessaire, les mesures qui s’imposaient, afin d’obtenir le respect
par les autorités turques des termes de l’accord. La Commission
n’ayant pas apporté la preuve d’une négligence manifeste des requérantes et les moyens tirés d’une violation des droits de la défense,
du règlement n o 1430/79 ou du code des douanes s’avérant fondés,
le juge annule les actes en cause.
Les arguments de Kvitsjoen, auteur de pêches illicites, mettant en
avant une violation du principe de proportionnalité des sanctions,
voire la non-impartialité de l’administration néerlandaise ( 43), la
violation du règlement n o 2943/95 (qui suppose une coopération
visant la fourniture d’informations par les autorités nationales),
mais aussi une violation des droits de la défense et du « principe de
publicité de l’action administrative », ont eu moins de poids, bien qu’il
soit reproché à la Commission un manque de soin et de diligence i.e.
(41) Cour de justice des Communautés européennes, 3 mai 2001, Ajinomoto, C-76/
98P et C-77/98 P.
(42) Tribunal de première instance, 10 mai 2001, T-186/97,T-187/97, T-190/97 à
T-192/97.
(43) Voy. pt. 28.
Rev. trim. dr. h. (2002)
675
une violation du principe de bonne administration et un détournement de pouvoir ( 44).
Il n’en reste pas moins que « les principes généraux de droit communautaire régissant le droit d’accès au dossier de la Commission
visent à garantir un exercice effectif des droits de la défense, dont celui
d’être entendu [..], lequel, s’agissant des procédures de concurrence [...]
du traité CECA, est prévu à l’article 36 al. 1 du même traité, aux
termes duquel la Commission, avant de prendre une décision imposant
une des sanctions pécuniaires [...], doit mettre l’intéressé en mesure de
présenter ses observations ». La jurisprudence « CE » sur l’accessibilité
des documents à charge et à décharge vaut aussi pour le contentieux « CECA ». Certes, « de même que les principes généraux du droit
communautaire régissant le droit d’accès au dossier de la Commission
[...] ne s’appliquent pas, en tant que tels, à la procédure juridictionnelle
[...], les dispositions régissant cette dernière ne sauraient être appliquées à la procédure administrative », mais il est constant que « le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir
à des sanctions constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé [...], même s’il s’agit d’une procédure de
caractère administratif. Le respect effectif de ce principe exige que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, dès le stade de la procédure
administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués ainsi que sur les
documents retenus par la Commission à l’appui de ses allégations [...].
Il en résulte que celle-ci ne peut retenir que des faits sur lesquels les
intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer » ; i.e. le principe du contradictoire doit être effectif ( 45). Et de même que, lorsque l’entreprise
a un successeur, doit être en principe sanctionné l’auteur des faits,
il doit être tenu compte, s’agissant du calcul de l’amende, de la coopération de l’entreprise, du principe d’égalité, et la Commission doit
prouver la participation à l’entente et la durée de celle-ci ( 46).
Il est donc bien incontestable que le droit de la concurrence, terre
d’élection des références plus ou moins directes à la Convention
européenne des droits de l’homme ( 47) suppose des obligations pour
la Commission, notamment le respect du principe de motivation —
(44) Tribunal de première instance, 11 déc. 2001, T-46/00.
(45) Tribunal de première instance, 13 déc. 2001, Krupp Thyssen e.a., T-45/98 et
T-47/98, pt. 44, pt. 55.
(46) Tribunal de première instance, 13 déc. 2001, Acerinox, T-48/98.
(47) Voy. Tribunal de première instance, 20 fév. 2001, Mannesmannröhen, T-112/
98, supra F.S.
676
Rev. trim. dr. h. (2002)
relevé d’office par le juge ( 48) —, un examen de tous les éléments
effectué avec soin et impartialité, y compris lorsqu’elle rejette des
plaintes, ce qui n’est pas rare. L’arrêt SODIMA ( 49), qui est à inscrire, avec d’autres du même jour ( 50) dans la saga des plaintes rejetées en matière automobile, le répète. Les requérantes ayant invoqué le manquement de la Commission à ses obligations concernant
le traitement de la plainte, dans son rôle de « police de la concurrence », du fait d’un renvoi inapproprié aux juges nationaux et plus
particulièrement à son obligation de procéder à un examen soigneux
et objectif de la plainte, du fait d’une insuffisance de motivation et
d’une erreur manifeste d’appréciation de l’intérêt communautaire,
le Tribunal de première instance ne manque pas de faire référence
à l’arrêt UFEX ( 51). Ainsi rappelle-t-il que si la Commission peut
rejeter une plainte pour défaut d’intérêt communautaire suffisant,
sauf lorsque son objet relève de ses compétences exclusives, son
pouvoir discrétionnaire n’est pas sans limites. Elle est astreinte à
une obligation de motivation « suffisamment précise et détaillée pour
mettre le Tribunal en mesure d’exercer un contrôle effectif sur l’exercice
par la Commission de son pouvoir discrétionnaire », étant néanmoins
entendu que le contrôle « ne doit pas conduire le juge communautaire
à substituer son appréciation de l’intérêt communautaire ». Le moyen
tiré d’une violation du principe du contradictoire et l’invocation de
l’égalité des armes, les plaignantes n’ayant qu’un accès limité au
dossier, n’ont pas convaincu le juge qui, « en substance » est amené
à examiner les droits procéduraux découlant des articles 19, § 2 du
règlement n o 17 et 6 du règlement n o 99/63, qui confèrent le droit
d’être entendu. Le grief tiré du refus d’accès au dossier « manque en
fait ». Le septième moyen est également apparu inopérant. La
requérante se fondait sur l’arrêt Guérin ( 52) pour faire valoir qu’un
délai de quatre ans et demi est excessif. Le Tribunal ne le nie pas,
« la Commission est obligée, conformément à la jurisprudence citée [...],
de statuer dans un délai raisonnable, sur une plainte au titre de l’article 3 du règlement n o 17 », mais « le dépassement d’un tel délai, à le
supposer établi, ne justifie pas nécessairement, en soi, l’annulation de
la décision attaquée ». Celui-ci « ne peut constituer un motif d’annulation que dans le cas d’une décision constatant des infractions, dès lors
(48) Tribunal de première instance, 21 mars 2001, Métropole Télévision, T-206/99.
(49) 14 fév. 2001, T-62/99.
(50) SEP, T-115/99 ; Trabisco, T-26/99.
(51) Cour de justice des Communautés européennes, 4 mars 1999, C-119/97P, Rec.,
p. I-1341.
(52) Cour de justice des Communautés européennes, 18 mars 1997, C-282/95P,
Rec., p. I-1503.
677
Rev. trim. dr. h. (2002)
qu’il a été établi que la violation de ce principe a porté atteinte aux
droits de la défense des entreprises concernées. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de statuer dans un délai
raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative au titre du règlement n o 17 (voy. arrêt du Tribunal de première
instance, 20 avril 1999, LVM (PVC II), Rec., p. II-931, pt. 121 et
122) ». Pragmatique, le juge ajoute que « dans une situation où une
partie plaignante en droit de la concurrence reproche à la Commission
d’avoir violé le principe du respect d’un délai raisonnable, lors de
l’adoption d’une décision rejetant sa plainte, l’annulation de la décision pour ce motif aurait pour seul effet une prolongation supplémentaire de la procédure devant la Commission, ce qui serait contraire aux
intérêts de la partie plaignante »... ! Le raisonnement ne diffère pas
dans l’affaire Trabisco (précitée). Il est dans le même ordre d’idée,
dans l’arrêt Asia Motor ( 53). La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé
qu’un éventuel délai excessif pour le traitement d’une plainte pour
violation de l’article 85 CEE ne saurait en principe avoir d’incidence
sur le contenu même de la décision finale de la Commission, car ce
délai ne saurait, sauf situation exceptionnelle, modifier les éléments
de fond qui, établissent l’existence ou non d’une infraction, ou qui
justifient que la Commission ne conduise pas une instruction. Si un
plaignant est en droit d’être fixé sur le sort de sa plainte par une
décision de la Commission susceptible de faire l’objet d’un recours
juridictionnel ( 54) — en l’espèce rejet d’une plainte dans le secteur
du service postal —, la Cour de justice des Communautés européennes ( 55) souligne que l’article 3 du règlement n o 17 ne confère
pas au plaignant le droit d’exiger une décision définitive quant à
l’existence ou à l’inexistence de l’infraction et n’oblige pas la Commission à poursuivre en tout état de cause la procédure jusqu’au
stade d’une décision finale.
Florence ZAMPINI
IV. — Le principe de non-discrimination
A. — La clause générale de non-discrimination
Une loi belge de 1974 institue le droit à un minimum de revenus
d’existence — le minimex — dont le bénéfice est réservé, à partir de
(53) Cour de justice des Communautés européennes, 20 sept. 2001, C-1/01P.
(54) Voy. arrêt Guérin précité.
(55) 17 mai 2001, IECC, C-449/98P.
678
Rev. trim. dr. h. (2002)
1987, pour les ressortissants d’autres Etats membres, aux seuls travailleurs au sens du règlement n o 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs. Un étudiant français qui réside en Belgique se
voit ainsi refuser le bénéfice du minimex dans la mesure où il ne
remplit pas cette condition. La Cour est interrogée sur le point de
savoir si le fait d’imposer aux ressortissants d’autres Etats membres
une condition qui n’est pas exigée des nationaux pour bénéficier de
cet avantage social non contributif est contraire aux articles 6 et 8
(12 et 17) du TCE et subsidiairement aux articles 6 et 8A (18) du
TCE et à la directive 93/96 relative au droit de séjour des étudiants ( 56).
Pour la Cour, le statut de citoyen de l’Union a seulement « vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres »,
leur permettant d’obtenir, lorsqu’ils se trouvent dans des situations
comparables à celles des nationaux d’un Etat, « le même traitement
juridique » (pt. 31). En l’absence d’autonomie des dispositions du
TCE relatives à la citoyenneté, la Cour fait une utilisation combinée
de la clause générale de non-discrimination à raison de la nationalité
et de l’article 8 du TCE qui institue une citoyenneté européenne. Un
citoyen de l’Union qui réside légalement sur le territoire d’un Etat
membre d’accueil peut en effet se prévaloir de l’article 6 mais à
condition toutefois que la législation incriminée entre dans le champ
d’application ratione materiae du Traité ( 57). Or, plusieurs Etats ont
jugé nécessaire de faire valoir que l’octroi de la prestation en cause
échappait à l’emprise du Traité, cette question ne relevant pas de
la compétence de la Communauté. Cependant, la position de la Cour
est différente. Elle a déjà pu auparavant privilégier une conception
libérale de cette condition comme dans l’arrêt Bickel et Franz dans
lequel elle estime que les situations relevant de l’exercice de la
liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres
telle que conférée par l’article 8A TCE entrent dans le champ d’application du Traité ( 58). Pour autant, l’article 8A octroie la liberté
de circulation et de séjour à tout citoyen de l’Union sous réserve des
limitations et conditions prévues par le Traité et le droit dérivé.
Aussi la Cour se livre t-elle à une analyse des conditions qui assortissent le droit de séjour des étudiants au terme de la directive 93/
96 pour conclure en définitive que la différence de traitement incriminée est contraire aux articles 6 et 8A du TCE. La directive en
effet n’exclut pas les étudiants qui ne sont pas des nationaux de
(56) 20 sept. 2001, C-184/99, M. Grzelczyk.
(57) 12 mai 1998, Martinez Sala, C-85/96, Rec. I-2691, pt. 63.
(58) 24 nov. 1998, C-274/96, Rec., I-7637, pt. 15 et 16.
Rev. trim. dr. h. (2002)
679
l’Etat d’accueil du bénéfice des prestations sociales, ne prévoit pas
de conditions de ressources d’un montant déterminé mais uniquement une déclaration permettant à l’étudiant d’assurer qu’il a des
ressources et exige seulement que les intéressés — dont la situation
peut d’ailleurs évoluer — ne deviennent pas une charge financière
« déraisonnable » pour l’Etat d’accueil.
B. — L’égalité de traitement
entre les hommes et les femmes
1. L’égalité des rémunérations
Dans l’affaire Griesmar ( 59), un magistrat français, père de trois
enfants, s’estime victime d’une discrimination fondée sur le sexe
parce qu’il n’a pas bénéficié, lors du calcul de sa pension de retraite,
de la bonification d’anncienneté allouée aux seules femmes pour
chacun de leurs enfants.
Il est de jurisprudence constante que des avantages relevant de
prestations de sécurité sociale peuvent être inclus dans la notion de
rémunération au sens de l’article 119 TCE (141) s’ils découlent du
rapport d’emploi entre le travailleur et l’employeur ( 60). Tel est le
cas de la pension servie au titre du régime français de retraite des
fonctionnaires qui, versée à l’intéressé en raison de la relation de
travail qui existait entre lui et son ancien employeur, satisfait au
critère d’emploi dégagé dans l’arrêt Beune ( 61). Elle est en effet
directement fonction du temps de service accompli et son montant
est calculé en fonction du traitement perçu par le fonctionnaire
durant les six derniers mois de son activité. Il revient alors à la
Cour de déterminer si les fonctionnaires féminins et masculins qui
sont parents se trouvent dans des situations comparables au regard
de l’octroi de ladite bonification. On sait qu’à ses yeux, une différence de traitement peut être objectivement justifiée par la grossesse et la maternité. En revanche, les mesures qui favorisent les
femmes en leur qualité de parents, qualité que peuvent également
avoir les travailleurs masculins, sont jugées discriminatoires ( 62).
Aussi, pour la Cour de justice des Communautés européennes, la
bonification ne pourrait être licite que dans la mesure où elle aurait
pour finalité de compenser des désavantages professionnels résul(59)
(60)
(61)
(62)
29
25
28
25
nov. 2001, C-366/99.
mai 1971, Defrenne, 80/70, Rec. 445, pt. 7 et 8.
sept. 1994, C-7/93, Rec. I-4471, pt. 23 et 43.
oct. 1988, Commission c. France, 312/86, Rec. 6315, pt. 14.
680
Rev. trim. dr. h. (2002)
tant pour les femmes de leur éloignement du travail en raison de
l’état de grossesse.
La loi incriminée établit une distinction entre deux catégories
d’enfants. Pour la première (enfants légitimes, naturels et reconnus), la bonification est accordée à la travailleuse du seul fait de sa
qualité de mère. En revanche, pour les enfants de la seconde catégorie (par exemple, enfants placés sous tutelle), elle n’est allouée qu’à
la condition qu’ils aient été élevés pendant neuf ans au moins par
l’intéressée. Cette distinction est utilisée par M. Griesmar à l’appui
de son argumentation. Il estime en effet que sa situation, en tant
que parent, est comparable à celle d’une femme mère d’enfants de
la première catégorie. Cette position suscite l’assentiment de la Cour
pour laquelle il est clair que la loi n’établit pas de lien entre la bonification et d’éventuels désavantages de carrière qui résulteraient
d’un congé de maternité. Preuve en est qu’elle n’exige pas que les
enfants soient nés à un moment où leur mère était fonctionnaire et
que la bonification est accordée pour des enfants adoptifs sans être
liée à l’octroi préalable à l’intéressée d’un congé d’adoption. Et le
juge communautaire d’estimer que, la bonification étant octroyée
en raison de la période consacrée à l’éducation des enfants, la réglementation consacre une différence de traitement au détriment des
« fonctionnaires masculins qui ont effectivement assumé l’éducation de
leurs enfants » (pt. 58). Il lui reste alors à s’interroger sur le point de
savoir si cette dernière peut être justifiée au titre de l’article 6, § 3,
de l’accord sur la politique sociale lequel permet aux Etats de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques
destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par les
femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages professionnels
dans leur carrière. Tel n’est pas le cas dans la mesure où la bonification en cause ne porte pas remède aux problèmes que les femmes
peuvent rencontrer lors de leur carrière. La législation française
consacre donc une discrimination contraire à l’article 119 du TCE.
La solution retenue, sur des conclusions contraires de l’avocat
général, M. Siegbert Alber, encourt deux reproches principaux.
En premier lieu, il est clair que la position du juge communautaire n’a subi aucun infléchissement : l’égalité formelle prime toujours l’égalité réelle. La Cour utilise deux éléments à l’appui de sa
démonstration : la finalité de la norme et le résultat de son application sans que l’on discerne toujours aisément quel est le critère
déterminant. Elle accorde, à notre sens, une importance excessive
au fait que les travaux préparatoires de la loi de 1924 montrent que
la finalité de l’octroi de la bonification était de favoriser la cessation
Rev. trim. dr. h. (2002)
681
d’activité des femmes afin que celles-ci se consacrent exclusivement
à l’éducation des enfants. L’interprétation exégétique d’une loi
modifiée à deux reprises (1964 et 1982) dans un contexte social différent n’emporte guère la conviction (voy. concl. pt. 87). La Cour
tient également compte de l’application de la loi dont elle souligne
qu’il est « significatif » qu’elle n’ait pas permis de remédier aux difficultés que rencontrent les femmes dans leur carrière (pt. 66). En
définitive, la lecture qu’elle livre de la loi paraît assez formaliste
dans la mesure où elle repose sur une négation de la réalité sociale,
ce qui n’est pas sans heurter le commentateur. Il n’est pas contesté
que même lorsque les pères participent activement à l’éducation des
enfants, leur carrière n’en souffre pas d’une façon comparable à celle
des femmes. Et pourtant la Cour demeure insensible aux données
statistiques fournies par le gouvernement qui attestent notamment
que dans la fonction publique française les femmes n’ayant pas eu
d’enfants ne rencontrent pas les mêmes difficultés dans l’évolution
de leur carrière que celles qui en ont eu. Au surplus, elle est indifférente au fait que la loi prend par ailleurs en compte l’effort d’éducation indépendamment du sexe par l’octroi de majorations de pension au titre des enfants en faveur de tous les fonctionnaires (voy.
concl. pt. 76). Pour la Cour de justice des Communautés européennes, « la circonstance que les fonctionnaires féminins sont plus
touchés par les désavantages professionnels résultant de l’éducation des
enfants parce que ce sont en général les femmes qui assument cette éducation n’est pas de nature à exclure la comparabilité de leur situation
avec celle d’un fonctionnaire masculin qui a assumé l’éducation de ses
enfants et a été, de ce fait, exposé aux mêmes désavantages de carrière »
(56).
En second lieu, on peut se demander comment les juridictions
nationales ou le législateur pourront se conformer à la réponse donnée par la Cour. Comment les fonctionnaires masculins vont-ils
« prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants » pour bénéficier de
la bonification et quels seront les critères qui permettront d’apprécier la pertinence des preuves fournies ? Autant d’interrogations qui
ne manquent pas de rendre le commentateur dubitatif quant à la
solution ici dégagée a fortiori à propos d’un haut fonctionnaire.
La volonté de prendre en compte l’effort d’éducation de quelques
« pères exemplaires » justifie-t-elle le recours à une solution somme
toute peu satisfaisante ? Sans doute ce choix est-il guidé par un
souci d’équité.
Tout autre est la situation de M. Mouflin qui dénonce à juste titre
la violation de l’article 119 TCE (141) par la législation française
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laquelle réserve aux seules femmes fonctionnaires le droit de faire
valoir leurs droits à une pension de retraite à jouissance immédiate
pour soigner leur conjoint atteint d’une infirmité ou d’une maladie
incurable l’empêchant d’exercer une profession. Il est en effet indubitable que les hommes et les femmes se trouvent dans une situation comparable et ont également besoin du temps et de la sécurité
matérielle nécessaires pour s’occuper de leur conjoint. La différence
de traitement incriminée n’est pas objectivement justifiée ( 63).
Dans l’arrêt D. et Suède c. Conseil (préc.), la Cour confirme l’interprétation qu’elle avait donnée de l’article 119 du TCE dans l’arrêt
Grant ( 64).
A l’appui de leur pourvoi, les requérants invoquent la violation
de l’article 119 (141) du TCE et du principe de l’égalité de traitement, moyen qui avait fort peu de chances de prospérer en l’état
actuel du droit communautaire. Effectivement, pour la Cour de
Luxembourg, la disposition statutaire incriminée n’est pas contraire
à l’article 119 du TCE dans la mesure où elle s’applique de la même
manière aux fonctionnaires de sexe masculin et à ceux de sexe féminin. Le principe de l’égalité de traitement ne saurait quant à lui
trouver à s’appliquer qu’à des personnes placées dans des situations
comparables. Or, comme on l’a vu (voy. supra), le partenariat enregistré, pas plus qu’une relation stable entre deux personnes du
même sexe — comme dans l’affaire Grant —, ne peut être assimilé
au mariage.
2. Les conditions de travail
Deux arrêts préjudiciels précisent l’étendue de la protection
octroyée aux femmes enceintes lorsqu’elles sont liées à leur
employeur par un contrat à durée déterminée et se trouvent donc
dans une situation forcément plus précaire. Dans l’affaire Tele Danmark A/S ( 65), M me Brandt-Nielsen, employée pour six mois par une
entreprise, s’est engagée lors de l’entretien d’embauche à suivre une
formation durant les deux premiers mois de la durée de son contrat.
Par la suite, elle informe son employeur de sa grossesse et est rapidement licenciée avec effet au 30 septembre 1995 alors que son
congé de maternité aurait dû commencer le 11 septembre. Dans l’af-
(63) 13 déc. 2001, C-206/00, Henri Mouflin.
(64) 17 févr. 1998, C-249/96, Rec., I-621.
(65) 4 oct. 2001, C-109/00.
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faire M me Jiménez Melgar ( 66), l’intéressée qui a été employée dans
le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée estime que son
dernier contrat n’a pas été renouvelé en raison de sa grossesse.
La Cour de justice est interrogée sur le point de savoir si ces licenciements sont licites au regard des directives 76/207 (art. 5, § 1 er) et
92/85 (art. 10). A ses yeux, la protection accordée par ces normes ne
saurait varier en fonction de la durée de la relation de travail. Si le
législateur avait voulu que ce soit le cas, il l’aurait expressément
précisé d’autant que les contrats à durée déterminée représentent
une part importante des relations de travail. Il est donc clair que
le licenciement de M me Brandt-Nielsen est contraire aux directives
dans la mesure où son incapacité de travail à l’origine de son licenciement est due à sa grossesse.
Le non-renouvellement du contrat à durée déterminée de M me
Jiménez Melgar qui était arrivé à son terme normal n’est pas en soi
contraire à la directive 92/85. Toutefois, il pourrait constituer un
refus d’embauche. Or, il est de jurisprudence constante qu’un refus
d’engagement en raison de l’état de grossesse de l’intéressée est une
discrimination directe fondée sur le sexe contraire à la directive 76/
207 ( 67). Il revient donc à la juridiction nationale de déterminer si
le non-renouvellement du contrat a été effectivement motivé par la
grossesse de l’intéressée.
Hélène SURREL
✩
(66) 4 oct. 2001, C-438/99.
(67) 8 nov. 1990, Dekker, C-177/88, Rec., I-3941, pt. 12.