PHAR-24
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EXPERIENCE Médecin hospitalier en Gran de -Bretagne : le bonheur… ou presque ! e docteur Eric Chemla est depuis quelques mois médecin hospitalier au Saint Georges Hospital à Londres, après avoir quitté ses fonctions à l’HEGP. Il nous a fait part de l’intérêt de son nouveau statut. Certes, tout n’est pas idyllique, mais les avantages compensent très largement les inconvénients. L PHAR : Quels sont les éléments qui vous ont poussé à vous expatrier et à poursuivre votre carrière à Londres ? Dr E. Chemla : Je voulais faire une carrière hospitalière,de la clinique,mais aussi de la recherche et de l’enseignement.Je m’étais fait un bon CV, j’avais publié et l’on m’avait promis un poste de PH.Mais,très vite,s’est mis en place « la spirale française » : « pas cette année », « restez encore vacataire deux ou trois ans,le temps qu’un poste se libère » et puis les aspects politiques, les conflits, la jalousie… et tout ça pour un salaire de vacataire (à peu près 2000 euros par mois hors garde),sans que je puisse connaître de façon claire la date à laquelle je pouvais être nommé. Le ras-le-bol a été tel que j’ai saisi l’opportunité qui m’a été offerte.Car il faut savoir qu’hormis la maîtrise de la langue anglaise, aucune condition n’est demandée aux candidats qui veulent faire carrière au Royaume-Uni. J’avais une vague idée du fonctionnement de la médecine hospitalière Outre-Manche, faite, entre autres, des a priori classiques : le système médical français est le meilleur au monde, c’est l’OMS qui le dit… la médecine anglaise est une catastrophe… Je suis venu sur place à plusieurs reprises et j’ai vu que, pour les médecins, sur le plan statutaire, la situation était bien meilleure en Angleterre qu’en France,avec un véritable plan de carrière sur 30 ans. En d’autres termes, j’ai un chemin clairement tracé et je ne navigue plus à vue comme en France. 12 PHAR : Vous êtes chirurgien vasculaire. Vous étiez chef de clinique assistant dans le service de chirurgie cardiaque et vasculaire de l’Hôpital Européen Georges Pompidou. Quel est votre statut actuel ? Dr E.Chemla : Je suis depuis trois mois « consultant » et « honorary senior lecturer »,soit l’équivalent français,dans mes fonctions hospitalières de professeur agrégé.Mais il faut savoir que dans le système anglais,il faut décider très vite si l’on veut devenir « un clinicien » ou un « académicien ».Ainsi, on peut dire que je suis un clinicien,praticien hospitalier,payé par l’hôpital avec un poste honoraire de professeur à la Faculté,c’està-dire une activité volontaire et gratuite. Ceux qui sont « professor » et « honorary consultant » sont, à l’inverse, payés par la Faculté pour leur activité d’enseignement et ont par ailleurs une activité clinique non rémunérée. Je précise qu’il n’existe aucune hiérarchie entre les deux statuts. PHAR : En quoi consiste votre activité d’enseignant ? Dr E.Chemla : Au départ, on m’a proposé une liste de possibilités : parrainer des étudiants pendant une année, donner des « lectures »,des conférences à la Faculté,faire de l’enseignement d’étudiants au bloc opératoire ou participer aux « interviews » des étudiants en début d’année. Il faut rappeler à ce sujet qu’il n’y a pas de concours,mais que les étudiants en médecine puis les internes sont sélectionnés à partir d’entretiens. En l’occurrence, j’ai choisi de parrainer un groupe de 5 étudiants,une fois par semaine,en chirurgie vasculaire.Cette activité d’enseignant donne beaucoup de satisfaction ainsi qu’un titre valorisant : « enseignant à la faculté de Londres, sous le haut patronage de Sa Majesté la Reine » ! TEMPS PLEIN = 28 HEURES PAR SEMAINE PHAR : Comment s’organise votre activité clinique ? Dr E. Chemla : Tout d’abord, il faut dire que pour un poste donné,on vous fournit un « job description ».Il s’agit d’un texte qui définit précisément vos droits et vos devoirs ainsi que ceux de l’administration qui vous emploie.Mon activité hospitalière est constituée de 11 « sessions » de 3 heures 30 par semaine dont 4 sont constituées par les astreintes.Dans mon cas, sur six semaines d’activité, j’ai deux semaines d’astreinte. Sur ce plan, la seule obligation a consisté pour moi à habiter dans Londres, au sud de la Tamise, c’est-à-dire du côté où se situe l’hôpital. Il n’y a pas de calculs d’heures, pas de récupération, quelle que soit la charge d’activité pendant les astreintes. Par ailleurs, je n’assure aucune garde. Sur les 7 « sessions » restantes, au moins 3 sont dédiées à la recherche ou à des activités admininistratives. En fait, ces termes peuvent, dans certains cas, recouvrir pudiquement l’activité clinique privée.Et,dans certaines disciplines,certains médecins quadruplent ainsi leur salaire grâce à l’activité privée.Il faut préciser que ces consultations privées, si elle peuvent s’effectuer au sein de l’hôpital, ne peuvent avoir lieu que le soir, en dehors des heures habituelles de travail. PHAR : Les gardes sont donc effectuées par les internes et les chefs de clinique ? Dr E.Chemla :En effet.Et ce n’est que si la situation le nécessite, qu’ils font appel au « consultant ». Le salaire d’un interne varie de 18 500 Livres à 29 000 Livres par an et atteint 35 000 Livres pour un chef de clinique. Après chaque garde, ils prennent une journée de repos. Les seules urgences admises au bloc opératoire à partir de 21 heures sont les urgences vitales, les ischémies et les transplantations.Une fracture du col du fémur,par exemple,attendra le lendemain. PHAR : Pour opérer, vous devez «acheter» vos plages opératoires. Que cela signifie-t-il ? Dr E.Chemla : En France, l’hôpital dispose d’un budget global qui est réparti par service.Ici,chaque service dispose d’un SALLES COMMUNES, ASEPSIE DOUTEUSE… PHAR : Quels sont les aspects négatifs de l’hôpital anglais public que vous avez eu le temps de percevoir ? Dr E.Chemla : Il ne faut pas espérer changer le système. Par exemple, l’échange entre praticiens ne permet pas de trouver des « arrangements » pour telle situation particulière, pour tel malade qui pose un problème spécifique. Le cadre est rigoureux. Par ailleurs, l’hygiène doit être ameliorée. C’est encore le régime des salles communes avec un rideau entre les patients. L’asepsie n’est pas toujours la préoccupation majeure. Ainsi, les patients arrivent avec leurs sous-vêtements en salle d’opération (la nudité est encore « shocking » au Royaume-Uni !), il n’y a pas partout de douche pré-opératoire, les patients ne sont pas rasés, on n’enlève pas les bagues, mais on les couvre de sparadrap…Les médecins ne travaillent pas en blouse, on entre en civil dans le bloc opératoire jusqu’à la porte de la salle d’opération, on ne met de bavettes qu’au-dessus du champ opératoire…On voit parfois des médecins enlever des pansements sans mettre de gants, voire, lors d’une anesthésie locale, piquer le malade sans avoir désinfecté la peau ! Et pourtant, il y a un CLIN. Mais, paraît-il, les audits ne montrent pas tant que d’infections nosocomiales que ça… En revanche, les « clinical governance », les critères de l’accréditation sont très respectés. Ainsi, par exemple, il faut un médecin spécialiste de la transplantation rénale pour 2 millions d’habitants, on ne prescrit pas deux AINS simultanément, il faut avoir fait tant d’heures de formation dans l’année, etc. Et tous les mois, chaque médecin participe à une réunion qui a pour objectif de vérifier que ces critères sont rigoureusement observés et où l’on tient compte du nombre de plaintes des malades. Et si ces critères ne sont pas observés, les sanctions disciplinaires peuvent tomber. PHAR : Et les listes d’attente pour les patients qui doivent se faire opérer ? Dr E.Chemla : Oui et non. C’est vrai pour la cataracte et certaines interventions non urgentes d’orthopédie. Mais, en dehors de ce cadre, les listes d’attente sont équivalentes à celles que l’on trouve en France. Cependant, il est vrai que si l’on ne peut faire pratiquer un examen à l’hôpital pour des raisons de disponibilité, il n’est pas possible de le faire pratiquer dans le privé car l’examen ne sera pas remboursé. Il n’existe d’ailleurs aucune relation entre le public et le privé. budget et il doit faire en sorte de ne pas être en déficit.Ainsi, chaque service facture l’activité qu’il offre. Par, exemple, si, dans notre service, l’on dialyse un patient qui vient du service de médecine interne,nous allons facturer à la médecine interne cet acte. De même, on « achète » au bloc opératoire des plages horaires (8h30-12h30 ou 13h30-17h30) et les services qui lui correspondent : la location de la salle, le personnel, le matériel… Depuis que je suis arrivé dans le service,du fait que l’activité a augmenté et que cela soit une nécessité médicale, il est prévu d’acheter d’autres plages horaires.Mais pour cela, il est nécessaire de rédiger un « business case ». Cela signifie qu’il faut prouver que, grâce à l’achat de ces plages opératoires supplémentaires,le service va pouvoir gagner en efficacité et faire des économies.Ainsi,je souhaiterais acheter une plage opératoire de chirurgie ambulatoire pour créer des fistules artério-veineuses quand les malades ont une créatininémie limite. Aussi, j’explique dans mon « business case » que cela va permettre de réduire le nombre d’insertions de cathéters en urgence. Or, chaque cathéter vaut 140 Livres pièce et si je réduis de 30 cathéters, j’économise 4 200 Livres… PHAR : Quelles sont les bases salariales des médecins hospitaliers ? Dr E.Chemla : Il existe une grille de salaire qui s’échelonne sur 5 ans.Puis,il existe 8 échelons discrétionnaires qui sont fonction des services rendus à la communauté : ce sont les « rewards », autrement dit des primes qui peuvent être très importantes. A titre d’exemple, je me suis porté volontaire pour être interprète bénévole à l’hôpital. Hors primes, avant impôts (prélevés à la source), le salaire brut de base est de 52 400 Livres/an (1 Livre = 1,6 euro = 10,5 F).S’ajoutent à cela une « prime de vie chère » à Londres EXPERIENCE de 2 000 Livres/an.Au bout de 5 ans,le salaire se situe aux environs de 70 000 Livres/an. En plus, je reçois une prime « d’intensity » de près de 200 Livres par mois, liée au fait que, faisant de la transplantation rénale, je suis susceptible d’être appelé à n’importe quelle heure. Par ailleurs, des discussions ont lieu en ce moment avec le gouvernement pour que les « consultants » puissent faire deux sessions supplémentaires,particulièrement des « evening sessions », c’est-à-dire des consultations entre 18 h et 21-22 heures. Dans cette hypothèse, le salaire démarrerait à 63 000 Livres pour finir à 85 000 Livres. Sur la feuille de salaire (qui comporte trois lignes), sont retirés la cotisation vieillesse (un peu moins de 300 Livres par mois), l’assurance maladie (à peu près du même montant), et les impôts. Les impôts sont calculés de la manière suivante : une déduction forfaitaire de 4 800 Livres, une déduction fonction de nombre d’enfants (4 800 Livres pour 3 enfants),puis,sur le montant restant,on paye 10 % sur les 2 000 premières Livres,20 % sur le montant au-dessus de 20 000 Livres et 40 % sur ce qui est au-dessus de 30 000 Livres. Ceci ne tient pas compte des « rewards » qui peuvent permettre d’atteindre un salaire de 95 000 Livres par an,voire 120 000 Livres par an si la négociation salariale aboutit.A la fin de l’année fiscale, en avril, on déduit des impôts les dépenses professionnelles. Mais pour être complet,je dois dire que je dispose d’avantages : mon téléphone portable et mon abonnement ainsi que mon alphapage me sont fournis par le « business manager » du service, ainsi que l’ordinateur et le scanner, etc. De même, quand je suis appelé dans un autre hôpital,je facture mes frais de déplacement. PHAR : Ce système semble très attractif. Votre exemple est-il suivi par d’autres ? Dr E.Chemla : Pour les mêmes raisons que moi, un cardiologue qui occupe un bureau voisin, est parti de l’hôpital de Kremlin-Bicêtre pour venir ici.A Harefield, un chirurgien cardiaque français a fait de même. Mais en dehors des médecins français, ce système attire énormément de médecins étrangers, de tous les pays du monde. PHAR : Mais tout n’est pas rose. Par exemple, on sait que se loger à Londres oblige quasiment à acheter un appartement et donc à s’endetter. Par ailleurs, les frais de scolarité pour les enfants sont particulièrement élevés… Dr E.Chemla : C’est vrai. Cependant, on peut emprunter sur 25 ans et choisir de ne rembourser que les intérêts, le capital n’étant remboursé qu’en fin de parcours, quitte à placer cet argent entre-temps. Quant aux écoles, soit on a la chance d’avoir près de chez soi un établissement public de bon niveau, soit il faut payer très cher l’inscription dans un établissement privé. Quant aux idées reçues sur la vie chère à Londres. Cela n’est vrai que dans le « Central London ». Dès que l’on sort de ce quartier, et ce n’est pas pour autant la banlieue, le coût de la vie n’est pas prohibitif. Propos recueillis par le Dr Gérard Gertner 13