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La Canso
800 ans apres la Croisade contre les Albigeois
n°2 - Décembre 2008
Édito
V
ous êtes nombreux à nous avoir
fait part de votre intérêt pour les
manifestations de commémoration qui
seront mises en place l’année prochaine
à l’occasion du huitième centenaire de la
Croisade contre les Albigeois.
ertains d’entre vous nous ont
communiqué
leurs
projets
(conférences, expositions, spectacles,
lectures, publications, actions pédagogiques) et nous ne pouvons que nous
en réjouir.
e moment essentiel et déterminant
de notre histoire mérite largement la
place qui lui sera faite l’année prochaine
dans notre département. Et nous voulons
qu’il soit abordé dans toute sa dimension
et toute sa complexité. C’est en tout cas ce
que tentera de faire l’exposition que les
Archives départementales présenteront
à la Maison des Mémoires de septembre à
novembre 2009 sur le thème « La société
méridionale au XIIIe siècle ».
C
C
Marcel Rainaud
Sénateur de l’Aude
Président du Conseil général
Le catharisme,
une religion chrétienne
Bons chrétiens, cathares ou Albigeois ?
L
e catharisme, phénomène médiéval
historique et religieux, est célèbre
mais mal connu. Cette phrase d’Anne
Brenon (Les cathares. Vie et mort d’une
Église chrétienne, 1996) témoigne bien
des difficultés que nous avons, aujourd’hui
encore, à donner une définition claire de
ce que fut cette dissidence religieuse, et ce
en dépit des travaux de recherche menés
par des générations d’historiens.
l faut dire que les sources les plus
nombreuses et les plus aisément
accessibles ont été rédigées par les
adversaires du catharisme, par ceux
qui l’ont condamné et combattu (traités
de polémistes catholiques, registres de
l’Inquisition). De ce fait, la vision qui
nous en est donnée est faussée, comme le
laisse clairement entendre Georges Duby :
« nous ne savons rien de l’hérésie, sinon
par ceux qui l’ont pourchassée et vaincue ».
La découverte dans les bibliothèques et la
publication, à partir du milieu du XXe siècle,
de documents d’origine authentiquement
cathare (traités et rituels) ont changé
notre façon de voir et permis de moduler
la présentation, parfois caricaturale, qui
en avait été faite.
e terme même de « cathares » qui
désigne communément aujourd’hui
ces dissidents religieux du Languedoc
est apparu tardivement : c’est l’historien
luthérien Charles Schmidt qui, reprenant
une appellation utilisée au XIIe siècle
en Rhénanie mais jamais relevée en
Languedoc, assura son succès en publiant
I
L
La Canso, S. et B. Lalou
en 1848 une Histoire et doctrine de la
secte des cathares ou Albigeois. Quant à
la signification de cette appellation, elle
reste assez obscure : probablement veutelle dire « adorateur du chat », c’est-à-dire
sorcier, même si le chanoine Eckbert de
Schönau, qui forgea le mot en 1163 à partir
d’une expression populaire, le rattachait
étymologiquement au grec « catharos »,
pur. Dénommés dans les premiers temps
hérétiques par leurs adversaires, les
dissidents qui se désignent eux-mêmes
comme « bons hommes » ou « bons
chrétiens » sont à partir du déclenchement
de la Croisade en 1209 plus communément
appelés « Albigeois ». Dans le préambule
de l’Hystoria Albigensis qu’il écrit à partir
de 1213, Pierre des Vaux de Cernay s’en
explique : « Que ceux qui liront ce livre
sachent que le nom d’Albigeois est attribué
de manière générale aux hérétiques de
Toulouse et autres lieux et bourgs, ainsi
qu’à leurs partisans, parce que les gens des
autres pays ont pris l’habitude d’appeler
Albigeois les hérétiques de la Province ».
Cette appellation est en usage chez les
croisés, chez les gens du Nord qui voient
dans Raymond Roger Trencavel, vicomte
d’Albi (et de Carcassonne), leur principal
ennemi, celui qui a laissé se développer
en toute quiétude l’hérésie sur ses terres.
Ils sont d’ailleurs confortés dans cette
idée par les Cisterciens qui considèrent
que l’Albigeois est une région totalement
acquise aux ennemis de la foi et qui
diffusent très largement cette image.
Pour en
savoir plus
De nombreux ouvrages présentent
dans le détail et avec rigueur ce
qu’est la religion cathare. Nous avons
choisi de n’en citer que trois, faciles
à trouver en bibliothèque ou en
librairie et offrant aux lecteurs une
synthèse à la fois simple et complète.
- Biget (Jean-Louis), Les cathares,
albigeois et « bons hommes »,
éditions Jean-Paul Gisserot, 2008,
128 p.
- Brenon (Anne), Petit précis du
catharisme, Toulouse, Loubatières,
1996, 143 p.
- Brenon (Anne), Les cathares,
Pauvres du Christ ou Apôtres
de Satan ?, Paris, Découvertes
Gallimard, 1997, 128 p.
Chrétiens, manichéens, dualistes ?
J
usque dans les années 1950-1960, les
historiens voient dans le catharisme le
rejeton médiéval, teinté de christianisme,
de croyances orientales anciennes.
Accordant pleine confiance aux écrits
des clercs qui, dès la fin du XIIe siècle,
dénoncent et combattent le catharisme,
ils présentent cette dissidence religieuse
comme une foi étrangère, résurgence
d’hérésies orientales comme l’arianisme
ou le manichéisme. La découverte de
traités et rituels cathares, les travaux
Le Saint-Esprit reçu
par les apôtres le jour de la Pentecôte
(Missel évangéliaire de Narbonne du XIVe
siècle, Trésor de la cathédrale Saint-Just
de Narbonne)
Édité par le Conseil général de l’Aude
Centre administratif départemental
11855 Carcassonne cedex 9
Directeur de la publication :
Alain Tarlier
Rédaction :
Archives départementales de l’Aude
41 avenue Claude Bernard
11855 Carcassonne cedex 9
Responsable de la rédaction :
Sylvie Caucanas
Photographies : A. Estieu,
A. Fernandez (Archives
départementales)
Tirage : 3 000 exemplaires,
publication gratuite
Compogravure :
t2p numéric 04 68 77 22 22
Impression :
d’historiens confirmés, comme ceux
d’Anne Brenon et ceux, récemment
parus, de Pilar Jimenez, ont largement
contribué à faire évoluer notre vision du
catharisme. Ce mouvement naît dans une
période où le monde occidental connaît
un renouveau évangélique. Les laïcs sont
plus nombreux à accéder à la culture et le
contact direct avec les Écritures, sans avoir
nécessairement recours à l’intermédiaire
du clergé, leur est désormais possible.
Prologue de l’évangile
de saint Jean (Évangéliaire de Narbonne du IXe s.,
Trésor de la cathédrale Saint-Just de Narbonne)
É
difiée autour du personnage central
du Christ, ce que l’on appelle
« l’hérésie cathare » est un christianisme.
Les Écritures sacrées de l’Église cathare
sont constituées des quatre évangiles,
des Actes des apôtres, des épîtres et de
l’Apocalypse de Jean. Ces textes qu’ils
considèrent comme fondamentaux, ils
les traduisent en langue romane afin de
les mettre à la portée des populations. Ils
n’ont qu’une seule prière, le Notre Père,
empruntée à l’évangile de saint Matthieu.
Refusant tout ce qui n’est pas le message
pur des Écritures, les cathares rejettent
l’ensemble des sacrements catholiques ;
pour eux, le seul sacrement réellement
fondé est le baptême par l’imposition des
mains (en référence au Saint-Esprit, reçu
par les apôtres le jour de la Pentecôte). Ce
baptême spirituel (désigné sous le nom
de consolamentum ou consolament)
est un engagement personnel très fort ; il
fait de celui qui le reçoit un « chrétien »,
un ministre du culte qui désormais vivra
selon les préceptes évangéliques, dans
l’abstinence et la continence, et sera un
modèle pour les « croyants ». Qualifiés
de « parfaits » par leurs adversaires,
ces femmes et ces hommes forment un
véritable clergé ; ils sont appelés « bons
hommes » ou « bonnes femmes ». Le
consolament est également conféré
aux mourants, leur donnant ainsi la
possibilité de sauver leur âme.
L
e dualisme cathare, mis en exergue
et dénoncé par les théologiens
catholiques, est réel, mais on ne saurait
en rester à l’interprétation caricaturale
qu’ils en ont faite. Le dualisme apparaît
relativement tardivement, dans les années
1160-1170. Il n’apparaît pas comme un
postulat de départ, ce qui est le cas dans
le manichéisme, mais semble découler
d’une réflexion menée à partir des
Écritures chrétiennes : comment concilier
l’existence du mal avec la bonté de Dieu.
Les cathares admettent deux principes :
le monde divin, invisible et lumineux,
domaine du Bien, le royaume du Père
annoncé par le Christ et « qui n’est pas de
ce monde » ; l’univers visible, le monde du
mal « dont Satan est le prince ». Le texte
de l’Apocalypse nourrit ce dualisme. Le
thème de la chute des anges et de Lucifer
est au centre de la réflexion : comment un
ange, créé bon par Dieu, peut-il choisir
le mal sans l’intervention d’un élément
mauvais, extérieur à Dieu ?
Représentations du Mal dans l’évangéliaire de l’église cathédrale
de Saint-Nazaire et Saint-Celse de Carcassonne XIIIe siècle
(A. D. Aude, G 288)
P
lus proche des hérésies des premiers
temps chrétiens qui portent sur la
nature divine du Christ, le catharisme
refuse l’Incarnation : le Christ n’a pu
revêtir un corps de chair, enveloppe
corruptible forgée par Satan. Il n’est pas
venu pour souffrir et mourir sur une croix.
Il est le messager du Père, venu enseigner
aux hommes les moyens du Salut. En
conséquence ils dénient toute valeur
au sacrement de l’Eucharistie, refusant
le mystère de la transsubstantiation (le
pain devenant réellement corps et le vin
réellement sang du Christ). Toutefois
en mémoire de la dernière Cène, les
« bons hommes » pratiquent un rite de
bénédiction et de partage du pain.
ette démarche spirituelle s’accompagne d’un rejet de l’Église romaine
qu’ils trouvent trop impliquée dans
C
le monde, trop attachée aux valeurs
terrestres, et du ministère des clercs.
Il existe pourtant une Église cathare
constituée. Les « bons hommes » et les
« bonnes femmes », avant d’être ordonnés,
effectuent une période de noviciat dans
des maisons religieuses qui, à la différence
des monastères catholiques, sont ouvertes
sur le monde. L’Église est structurée et
hiérarchisée : en Occitanie dans la seconde
moitié du XIIe siècle, on compte quatre
évêchés : Albigeois, Toulousain, Carcassès
et Agenais auquel s’ajoute au XIIIe siècle
l’évêché du Razès. Ces évêques, qui ont
le pouvoir de pratiquer les ordinations,
désignent des diacres qui ont pour mission
de visiter les maisons religieuses et font le
lien avec les fidèles.
ais pour quelles raisons le catharisme
s’est-il développé en Languedoc ?
M
Faute d’illustrations dans les manuscrits d’origine cathare, nous présentons ici des
documents iconographiques provenant de la statuaire ou d’ouvrages liturgiques de
l’Église romaine, en relation toutefois avec les thèmes développés par l’Église cathare.
À découvrir
Pilar Jiménez-Sanchez, Les
catharismes. Modèles dissidents
du christianisme médiéval (XIIeXIIIe siècles), Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 2008.
Pilar Jiménez-Sanchez, docteur
en histoire, chercheur associée
du Laboratoire CNRS-UMR 5136
FRAMESPA (Université de Toulouse
II-Le Mirail) vient de publier sa thèse,
un remarquable travail historique qui
ouvre de nouvelles perspectives sur
les origines du catharisme.
Saint Jean l’évangéliste, statue ornant
le chœur de la cathédrale SaintNazaire et Saint-Celse, XIVe s. (cliché
Eric Teisseidre)
Écritures cathares, un ouvrage de René Nelli qui mérite
de sortir de l’oubli
E
n 1959, René Nelli faisait connaître un
certain nombre d’écrits d’origine cathare
qui venaient renouveler l’approche que les
historiens pouvaient avoir des croyances
dénoncées par l’Église romaine au XIIIe siècle.
Depuis cette date, plusieurs de ces textes ont été
édités avec tout l’apparat critique de rigueur,
de nouveaux manuscrits ont même été mis au
jour (tel le rituel de Dublin). Il n’en demeure pas
moins que Écritures cathares, l’ouvrage de René
Nelli actualisé en 1995 par Anne Brenon avec la
rigueur scientifique qu’on lui connaît, reste un
ouvrage de référence offrant au lecteur sous
une forme accessible (en traduction française)
des textes révélant dans toute leur authenticité
ce qui fut la foi et la réalité des rites cathares.
V
oici un extrait du Livre des deux Principes
(manuscrit datant de la fin du XIIIe siècle,
Bibliothèque nationale de Florence), qui témoigne de la réflexion théologique qu’ont
pu mener les cathares sur le problème du mal :
Le Centre d’études
cathares René Nelli
Un centre ressources sur
l’histoire du catharisme
Situé dans la Maison des Mémoires,
le Centre d’études cathares créé en
1981 par Robert Capdeville, président
du Conseil général, et l’écrivain et
philosophe René Nelli, le Centre
d’études cathares
met à la disposition du public sa
riche médiathèque comprenant plus
de 12 000 références (ouvrages,
microfilms et reproductions
numériques de sources
documentaires).
Publications périodiques :
- Heresis
- Histoire du catharisme, le
magazine des hérésies et des
dissidences
I
l est évident que tout ce que l’on trouve de bon dans les créatures de Dieu vient
directement de lui et par lui. C’est lui qui a donné son être au Bien et qui en est
la cause, comme nous l’avons établi. Mais le Mal, s’il se rencontre dans le peuple de
Dieu, il ne provient pas du vrai Dieu, ni ne se manifeste par lui : ce n’est pas Dieu
qui l’a fait exister, car il n’est pas sa cause et ne l’a jamais été. Comme le dit Jésus,
fils de Syrach : « Dieu n’a commandé à personne de faire le Mal et il n’a donné à
personne la permission de pécher » (Eccl. XV, 21)… Veut-on d’autres autorités ? Le
Seigneur a dit dans l’évangile de Matthieu : « Le royaume des cieux est semblable
à un homme qui avait semé du bon grain dans son champ. Mais pendant que l’on
dormait, son ennemi vint semer de l’ivraie parmi le froment et s’en alla » (Matth.,
XIII, 24-25)… Ainsi tous ces témoignages nous donnent clairement à entendre
que, sans nul doute, l’orgueil, l’iniquité ou l’impiété, l’ « ivraie », la « souillure du
saint temple de Dieu », la « dévastation » de sa vigne ne peuvent en aucune façon
provenir – proprement et originellement – du Dieu bon ni de sa création bonne,
laquelle dépend de lui, dans toutes ses dispositions. Il s’ensuit donc qu’il existe un
autre principe – le principe du Mal – qui est la cause et la source de tout orgueil,
de tout iniquité, de toutes les souillures du peuple et, généralement, de tous les
maux.
L
a réception du consolamentum selon le Rituel cathare, manuscrit du XIIIe siècle en
langue d’oc conservé à Lyon :
…Vous voulez recevoir le baptême spirituel, par lequel est donné le Saint-Esprit
en l’Église de Dieu, avec la sainte oraison, avec l’imposition des mains des « bons
hommes »… Si vous voulez recevoir ce pouvoir et cette puissance, il convient que
vous gardiez tous les commandements du Christ et du Nouveau Testament selon
votre pouvoir. Et sachez qu’il a commandé que l’homme ne commette ni adultère
ni homicide, ni mensonge ; qu’il ne jure aucun serment, qu’il ne prenne ni ne
dérobe, qu’il ne fasse pas aux autres ce qu’il ne veut pas qu’il soit fait à soi-même
et que l’homme pardonne à qui lui fait du mal, et qu’il aime ses ennemis et qu’il
prie pour ses calomniateurs et pour ses accusateurs et les bénisse… Il convient
également que vous haïssiez ce monde et ses œuvres, ainsi que les choses qui sont
de lui… Si vous le faites bien jusqu’à la fin, nous avons l’espérance que votre âme
aura la vie éternelle. »
Pour en savoir plus
Maison des Mémoires,
53 rue de Verdun
BP 197
11004 Carcassonne cedex
04 68 47 24 66