le catharisme dans la tradition spirituelle.indd - Tradition

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le catharisme dans la tradition spirituelle.indd - Tradition
Le catharisme
dans la tradition spirituelle
de l’Occident
Une approche de la pensée cathare
Eduard Berga Salomó
Le catharisme
dans la tradition spirituelle
de l’Occident
Une approche de la pensée cathare
Eduard Berga Salomó
Editeur: Fundación Rosacuz
Camino del pesebre, s/n
50162 Villamayor (Zaragoza)
www.fundacionrosacruz.org
[email protected]
SOMMAIRE
6
Prière cathare
9
L’origine des cathares
23
La tradition évangélique du catharisme
39
La cosmogonie cathare
1ª édición, 2012
© Fundación Rosacruz
55
La juste compréhension du Bien
67
Le consolament cathare
Traduction : Anita Graf
77
La prédication du catharisme
93
L’influence sociale du catharisme
111
Références bibliographiques
Achevé d’imprimer en août 2012
Couverture: Infinitum
Impression et mise en page : Conotrocolor
Avd. Río Ebro, 39. Cuarte de Huerva (Zaragoza)
Imprimé en Espagne
ISBN : 978-84-87055-63-8
Dépôt légal : Z-1769-2012
Tous droits réservés, y compris la traduction en
d’autres langues. Aucune partie de ce livre ne peut
être reproduite d’aucune manière que ce soit par
impression, photocopie, microfilms ou autres sans
une autorisation écrite préalable de l’éditeur
Editeur: Fundación Rosacuz
Camino del pesebre, s/n
50162 Villamayor (Zaragoza)
www.fundacionrosacruz.org
[email protected]
SOMMAIRE
6
Prière cathare
9
L’origine des cathares
23
La tradition évangélique du catharisme
39
La cosmogonie cathare
1ª édición, 2012
© Fundación Rosacruz
55
La juste compréhension du Bien
67
Le consolament cathare
Traduction : Anita Graf
77
La prédication du catharisme
93
L’influence sociale du catharisme
111
Références bibliographiques
Achevé d’imprimer en août 2012
Couverture: Infinitum
Impression et mise en page : Conotrocolor
Avd. Río Ebro, 39. Cuarte de Huerva (Zaragoza)
Imprimé en Espagne
ISBN : 978-84-87055-63-8
Dépôt légal : Z-1769-2012
Tous droits réservés, y compris la traduction en
d’autres langues. Aucune partie de ce livre ne peut
être reproduite d’aucune manière que ce soit par
impression, photocopie, microfilms ou autres sans
une autorisation écrite préalable de l’éditeur
Prière cathare
Payre sant, Dieu dreyturier de bons speritz,
qui hanc no falhist ni mentist ni errest ni duptest
per paor de mort a prendre al mon de dieu estranh,
car nos no hem del mon, nil mon no es de nos,
e dona nos a conoysher so que tu conoyshes
et amar so que tu amas.
Père saint, Dieu légitime des bons esprits,
qui n’a jamais trompé, ni menti, ni erré, ni hésité
par peur à venir trouver la mort dans le monde du dieu étranger,
car nous ne sommes pas du monde et le monde n’est pas de nous,
donne-nous de connaître ce que tu connais
et d’aimer ce que tu aimes.
Farisiens enganadors, que estat a la porta del regne,
evedaytz aquels que intrar i voldrian,
e vos autres no y voletz.
Per que prec al Paire sant de bons speritz,
que a poder de salvar las ammas,
et per bons speritz fa granar e florir,
e per raso dels bons dona vida als mals,
e fara mentre que i vaia al mon dels bons.1
Pharisiens trompeurs, qui vous tenez à la porte du Royaume,
vous empêchez d’entrer ceux qui le voudraient,
et vous autres ne le voulez pas.
C’est pourquoi je prie le Père saint des bons esprits,
qui a pouvoir de sauver les âmes,
et qui par les bons esprits fait grener et fleurir,
qui en considération des bons donne la vie aux méchants
et fera pourtant qu’ils aillent au monde des bons.
Lleida, 1323, déclaration de Joan Maurí devant les inquisiteurs
1. Jean Duvernoy, Le Registre d’Inquisi•on de Jacques Fournier, tome III, Paris,
Claude Tchou Édi!ons, 2004, p. 860.
Prière cathare
Payre sant, Dieu dreyturier de bons speritz,
qui hanc no falhist ni mentist ni errest ni duptest
per paor de mort a prendre al mon de dieu estranh,
car nos no hem del mon, nil mon no es de nos,
e dona nos a conoysher so que tu conoyshes
et amar so que tu amas.
Père saint, Dieu légitime des bons esprits,
qui n’a jamais trompé, ni menti, ni erré, ni hésité
par peur à venir trouver la mort dans le monde du dieu étranger,
car nous ne sommes pas du monde et le monde n’est pas de nous,
donne-nous de connaître ce que tu connais
et d’aimer ce que tu aimes.
Farisiens enganadors, que estat a la porta del regne,
evedaytz aquels que intrar i voldrian,
e vos autres no y voletz.
Per que prec al Paire sant de bons speritz,
que a poder de salvar las ammas,
et per bons speritz fa granar e florir,
e per raso dels bons dona vida als mals,
e fara mentre que i vaia al mon dels bons.1
Pharisiens trompeurs, qui vous tenez à la porte du Royaume,
vous empêchez d’entrer ceux qui le voudraient,
et vous autres ne le voulez pas.
C’est pourquoi je prie le Père saint des bons esprits,
qui a pouvoir de sauver les âmes,
et qui par les bons esprits fait grener et fleurir,
qui en considération des bons donne la vie aux méchants
et fera pourtant qu’ils aillent au monde des bons.
Lleida, 1323, déclaration de Joan Maurí devant les inquisiteurs
1. Jean Duvernoy, Le Registre d’Inquisi•on de Jacques Fournier, tome III, Paris,
Claude Tchou Édi!ons, 2004, p. 860.
Le catharisme
dans la tradition spirituelle
de l’Occident
Une approche de la pensée cathare
Eduard Berga Salomó
1.- L’origine des Cathares
La vision du Christ que tu vois
est l’ennemie la plus acharnée de ma vision […]
La tienne est l’amie de toute l’humanité,
la mienne parle aux aveugles en paraboles ;
la tienne aime le même monde que la mienne hait ;
les portes de ton ciel
sont les portes de mon enfer […]
Tous deux nous lisons la Bible jour et nuit,
mais tu la lis noire là où je la lis blanche.
William Blake
Il n’existe, probablement, aucune hérésie aussi connue
et étudiée que le catharisme. Aucune autre hétérodoxie chrétienne n’a provoqué autant de polémiques entre les théologiens et penseurs à l’époque où elle fut comba•ue. Quelques
dizaines de manuscrits originaux2 nous perme•ent de découvrir encore, d’une façon vivante, avec plus ou moins de détails,
l’histoire et les croyances de ce mouvement chrétien, né dans
l’Europe du XIIe siècle.
Cependant, aujourd'hui encore le catharisme se trouve toujours enveloppé d’un voile de mystère. En dépit des nombreuses
sources originales conservées, malgré l’abondante historiographie
2. En un peu plus de cent ans, depuis Eckbert de Schönau (1165) à Anselme
d’Alexandrie (1270), une quarantaine de traités théologiques contre le catharisme
ont été conservés. Certains d'entre eux, comme celui de Moneta de Cremona sont
très longs et détaillés.
9
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
L’ORIGINE DES CATHARES
produite à son sujet3 et la connaissance historique précise des
faits, nombre d’éléments clé pour comprendre le catharisme nous
sont encore inconnus.
Quelle est son origine ? Qui fut ou furent ses fondateurs ?
Quelles caractéristiques essentielles définissent ce mouvement ? Pouvons-nous identifier tous les hérétiques médiévaux
sous l’appellation de cathares, ou bien devons-nous les différencier ? Est-il correct d’utiliser l’appellation de cathares pour
les distinguer ? Les catharismes allemand, italien ou occitan
sont-ils identiques ? Quand ce•e hérésie prit-elle fin ?
Nombreux sont les questionnements suscités par le
catharisme. Les chercheurs actuels abordent des lignes d’études très différentes dudit mouvement. Toutes sont étayées par
des théories si divergentes que nous sommes loin d’y trouver
une réponse concluante.
Pendant plusieurs siècles, leur histoire et leur pensée sont
restées enfouies dans les archives ecclésiastiques. Avec l’apparition de Martin Luther (1483-1546), l’Église catholique commença à dépoussiérer les vieux traités contre les cathares afin
d’affronter la Réforme protestante. Pour ce faire, elle argua
d’une prétendue perversité de ce•e Réforme l’assimilant aux
hérétiques néo-manichéens du Moyen Âge.
De leur côté, les premiers théologiens et historiens protestants défendirent le valdéisme et le catharisme en tant que
mouvements précurseurs de leur dissidence, en particulier
pour leur traduction prématurée de la Bible en langue vernaculaire. L’historien Mathias Flacius Illyricus (1520-1575), dans
son œuvre Catalogus Tertium Veritatis, établit sa filiation vraiment chrétienne, en proclamant : « les cathares, que la calomnie a
proclamé dualistes et manichéens, appartenaient à l’Église de Dieu…
Les papistes imputent faussement aux hérétiques des enseignements
non chrétiens »4. Mais, à ce•e époque, on ne distingue pas encore
clairement vaudois et cathares. Ainsi, la deuxième partie de
l’Histoire des Vaudois (1618) du pasteur protestant Jean-Paul Perrin a pour titre : Histoire des Vaudois appelés Albigeois.
Nous voyons de façon répétitive qu’au cours des premiers
siècles de leur existence, ces dissidents médiévaux n’étaient
pas encore connus comme « cathares », mais fondamentalement comme « albigeois » ou « patarins », ou tout autre nom
propre à la région où ils apparaissaient. L’évêque catholique
Jacques Bénigne de Bossuet, dans son œuvre Histoire des variations des églises protestantes (1688), consacre tout un chapitre à
l’Histoire abrégée des Albigeois, Vaudois, Wicléfites et Hussites, et
il est le premier à distinguer clairement les uns des autres.
Peu après, le dominicain Jean Benoist écrit une Histoire des
Albigeois et des Vaudois ou Barbets (1691).
Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle, quand le pasteur
protestant Charles Schmi• fait un effort de synthèse dans
sa grande œuvre Histoire et Doctrine des Cathares (1845), qu’il
popularise le nom sous lequel aujourd’hui ce•e hérésie chrétienne est connue. Toutefois, Napoléon Peyrat, l’un des grands
précurseurs de la « renaissance cathare », intitula encore son
œuvre Histoire des Albigeois : les Albigeois et l’Inquisition (1872),
identifiant la persécution de ce mouvement à sa localisation.
Mais c’est précisément au cours du XXe siècle que l’histoire du catharisme est divulguée d’une manière extraordinaire, due principalement à l’intérêt qu’il suscita dans deux
voies de la connaissance. D’une part, le monde scientifique
commença à découvrir l’importante documentation de l’époque concernant ce mouvement. Souvent encore affiliés à
3. Une descrip!on actualisée et réduite de ce"e historiographie se trouve dans
le premier chapitre de Sergi Grau, Cátaros e Inquisición en los reinos hispánicos
(siglos XII-XIV), Madrid, Ediciones Cátedra, 2012, pp. 35-94.
4.
10
Pilar Jiménez Sánchez, Les catharismes. Modèles dissidents du chris•anisme médiéval (XIIe-XIIIe siècles), Rennes, Presses Universitaires, 2008, p. 25.
11
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
L’ORIGINE DES CATHARES
produite à son sujet3 et la connaissance historique précise des
faits, nombre d’éléments clé pour comprendre le catharisme nous
sont encore inconnus.
Quelle est son origine ? Qui fut ou furent ses fondateurs ?
Quelles caractéristiques essentielles définissent ce mouvement ? Pouvons-nous identifier tous les hérétiques médiévaux
sous l’appellation de cathares, ou bien devons-nous les différencier ? Est-il correct d’utiliser l’appellation de cathares pour
les distinguer ? Les catharismes allemand, italien ou occitan
sont-ils identiques ? Quand ce•e hérésie prit-elle fin ?
Nombreux sont les questionnements suscités par le
catharisme. Les chercheurs actuels abordent des lignes d’études très différentes dudit mouvement. Toutes sont étayées par
des théories si divergentes que nous sommes loin d’y trouver
une réponse concluante.
Pendant plusieurs siècles, leur histoire et leur pensée sont
restées enfouies dans les archives ecclésiastiques. Avec l’apparition de Martin Luther (1483-1546), l’Église catholique commença à dépoussiérer les vieux traités contre les cathares afin
d’affronter la Réforme protestante. Pour ce faire, elle argua
d’une prétendue perversité de ce•e Réforme l’assimilant aux
hérétiques néo-manichéens du Moyen Âge.
De leur côté, les premiers théologiens et historiens protestants défendirent le valdéisme et le catharisme en tant que
mouvements précurseurs de leur dissidence, en particulier
pour leur traduction prématurée de la Bible en langue vernaculaire. L’historien Mathias Flacius Illyricus (1520-1575), dans
son œuvre Catalogus Tertium Veritatis, établit sa filiation vraiment chrétienne, en proclamant : « les cathares, que la calomnie a
proclamé dualistes et manichéens, appartenaient à l’Église de Dieu…
Les papistes imputent faussement aux hérétiques des enseignements
non chrétiens »4. Mais, à ce•e époque, on ne distingue pas encore
clairement vaudois et cathares. Ainsi, la deuxième partie de
l’Histoire des Vaudois (1618) du pasteur protestant Jean-Paul Perrin a pour titre : Histoire des Vaudois appelés Albigeois.
Nous voyons de façon répétitive qu’au cours des premiers
siècles de leur existence, ces dissidents médiévaux n’étaient
pas encore connus comme « cathares », mais fondamentalement comme « albigeois » ou « patarins », ou tout autre nom
propre à la région où ils apparaissaient. L’évêque catholique
Jacques Bénigne de Bossuet, dans son œuvre Histoire des variations des églises protestantes (1688), consacre tout un chapitre à
l’Histoire abrégée des Albigeois, Vaudois, Wicléfites et Hussites, et
il est le premier à distinguer clairement les uns des autres.
Peu après, le dominicain Jean Benoist écrit une Histoire des
Albigeois et des Vaudois ou Barbets (1691).
Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle, quand le pasteur
protestant Charles Schmi• fait un effort de synthèse dans
sa grande œuvre Histoire et Doctrine des Cathares (1845), qu’il
popularise le nom sous lequel aujourd’hui ce•e hérésie chrétienne est connue. Toutefois, Napoléon Peyrat, l’un des grands
précurseurs de la « renaissance cathare », intitula encore son
œuvre Histoire des Albigeois : les Albigeois et l’Inquisition (1872),
identifiant la persécution de ce mouvement à sa localisation.
Mais c’est précisément au cours du XXe siècle que l’histoire du catharisme est divulguée d’une manière extraordinaire, due principalement à l’intérêt qu’il suscita dans deux
voies de la connaissance. D’une part, le monde scientifique
commença à découvrir l’importante documentation de l’époque concernant ce mouvement. Souvent encore affiliés à
3. Une descrip!on actualisée et réduite de ce"e historiographie se trouve dans
le premier chapitre de Sergi Grau, Cátaros e Inquisición en los reinos hispánicos
(siglos XII-XIV), Madrid, Ediciones Cátedra, 2012, pp. 35-94.
4.
10
Pilar Jiménez Sánchez, Les catharismes. Modèles dissidents du chris•anisme médiéval (XIIe-XIIIe siècles), Rennes, Presses Universitaires, 2008, p. 25.
11
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
L’ORIGINE DES CATHARES
l’Église, comme l’évêque Célestin Douais ou le dominicain
Antoine Dondaine, des historiens mirent en lumière les textes
de nombreuses sources originales, aussi bien de l’Inquisition
et des polémistes catholiques, que des cathares eux-mêmes.
D’autre part, le catharisme suscita un énorme intérêt
dans de nouveaux courants de pensée —que nous pourrions
dénommer « ésotériques »— qui recherchaient, dans la tradition occidentale même, un nouveau type de spiritualité, porteur d’un véritable modèle de réforme sociale et individuelle.
Déodat Roché (1877-1978), qui était anthroposophe, ou Antonin Gadal (1877-1962), qui s’unit à la Rose-Croix, furent des
exemples de ce•e tradition.
En réalité, la divulgation du catharisme se produisit lorsque les deux courants se fondirent en un travail commun.
Paradigme de ce•e union, la revue Cahiers d’Études Cathares,
dont le premier numéro, paru en 1949, permit la publication
de nombreux articles des deux tendances. Le philosophe
René Nelli (1906-1982), bien connu, et le juriste Jean Duvernoy (1917-2010) furent parmi les derniers grands précurseurs
scientifiques de la connaissance du catharisme à écrire dans
ce•e revue fondée par Déodat Roché.
Ainsi nous voyons comment, durant le XXe siècle, le nom
de « cathare » s’impose pour, finalement, désigner un ensemble plus ou moins hétérogène de chrétiens hétérodoxes, présents dans presque tout le territoire européen du XIIe au XIVe
siècle, et comment, dans les documents officiels, ils portent
des noms aussi divers : ariens, manichéens ou néo-manichéens,
albigeois, cathares, catafriges ou cataristes, pifles ou piphles,
tisserands, bulgares ou bougres, patarins, publicains ou populicains, gazari ou gazares, speronistes, roncaires, tisserands,
ébionites, stadings, (de la ville de Stade en Allemagne), etc.5
Mais le terme qui, dans les sources originales, prévaut pour
nommer de tels chrétiens, surtout dans les registres inquisitoriaux, est celui de « hérétique », a•ribué de manière hautement
représentative, contrairement aux autres hérésies médiévales
connues, comme les vaudois, les henriciens, pétrobrusiens,
arnaldistes, dolciniens, apostoliques ou hussites, entre autres.
Pour ce•e raison, il convient de prêter a•ention, en premier lieu, à l’étymologie du mot « hérétique » qui, en aucun
cas, ne revêtait à son origine une image péjorative.
Selon le dictionnaire étymologique de Corominas6, ce
mot provient exactement de l’occitan ancien eretge, issu du
latin tardif hæreticus qui le tient à son tour du grec hairetikós
o hairéomai, et a ses racines dans l’idée d’élection ou de choix
d’un parti déterminé, d’étayer un point de vue défini.
Comme le dit l’historienne Christine Thouzellier, « l’hérétique n’est ni un anormal ni un névrosé. C’est au contraire un homme
soucieux de vérité et que, toujours en raison de leur christianisme, le
dogme des vérités révélées ne satisfait plus. Il peut être amené à cet
état soit par des considérations personnelles d’ordre métaphysique ;
soit par des constatations sociales qui lui font percevoir, dans une
société chrétienne constituée, des anomalies et des déviations, qui ne
correspondent plus aux directives initiales. »7
L’Église catholique, dont la structure s’est consolidée
au Moyen Âge, comprit ce•e possibilité de libre choix, ce•e
5. Dans la note finale sixième du livre de Charles Schmidt, Histoire et Doctrine
des Cathares, Paris, Édi"ons Harriet, 1983, pp. 275-284, il y a une exposi"on documentée des différents noms donnés aux Cathares. Et aussi le livre d’Arno Borst,
Les Cathares, Paris, Édi"ons Payot, 1984, pp. 204-213, dédie toute une annexe aux
noms des sectes cathares.
6.
Juan Corominas, Breve diccionario e!mológico de la lengua castellana,
Madrid, Ediciones Gredos, 1997, p. 317.
7. Chris"ne Thouzellier, Hérésie et Héré!ques: Vaudois, Cathares, Patarins,
Albigeois, Roma, Edizioni di Storia e Le$eratura, 1969, p. 2.
12
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LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
L’ORIGINE DES CATHARES
l’Église, comme l’évêque Célestin Douais ou le dominicain
Antoine Dondaine, des historiens mirent en lumière les textes
de nombreuses sources originales, aussi bien de l’Inquisition
et des polémistes catholiques, que des cathares eux-mêmes.
D’autre part, le catharisme suscita un énorme intérêt
dans de nouveaux courants de pensée —que nous pourrions
dénommer « ésotériques »— qui recherchaient, dans la tradition occidentale même, un nouveau type de spiritualité, porteur d’un véritable modèle de réforme sociale et individuelle.
Déodat Roché (1877-1978), qui était anthroposophe, ou Antonin Gadal (1877-1962), qui s’unit à la Rose-Croix, furent des
exemples de ce•e tradition.
En réalité, la divulgation du catharisme se produisit lorsque les deux courants se fondirent en un travail commun.
Paradigme de ce•e union, la revue Cahiers d’Études Cathares,
dont le premier numéro, paru en 1949, permit la publication
de nombreux articles des deux tendances. Le philosophe
René Nelli (1906-1982), bien connu, et le juriste Jean Duvernoy (1917-2010) furent parmi les derniers grands précurseurs
scientifiques de la connaissance du catharisme à écrire dans
ce•e revue fondée par Déodat Roché.
Ainsi nous voyons comment, durant le XXe siècle, le nom
de « cathare » s’impose pour, finalement, désigner un ensemble plus ou moins hétérogène de chrétiens hétérodoxes, présents dans presque tout le territoire européen du XIIe au XIVe
siècle, et comment, dans les documents officiels, ils portent
des noms aussi divers : ariens, manichéens ou néo-manichéens,
albigeois, cathares, catafriges ou cataristes, pifles ou piphles,
tisserands, bulgares ou bougres, patarins, publicains ou populicains, gazari ou gazares, speronistes, roncaires, tisserands,
ébionites, stadings, (de la ville de Stade en Allemagne), etc.5
Mais le terme qui, dans les sources originales, prévaut pour
nommer de tels chrétiens, surtout dans les registres inquisitoriaux, est celui de « hérétique », a•ribué de manière hautement
représentative, contrairement aux autres hérésies médiévales
connues, comme les vaudois, les henriciens, pétrobrusiens,
arnaldistes, dolciniens, apostoliques ou hussites, entre autres.
Pour ce•e raison, il convient de prêter a•ention, en premier lieu, à l’étymologie du mot « hérétique » qui, en aucun
cas, ne revêtait à son origine une image péjorative.
Selon le dictionnaire étymologique de Corominas6, ce
mot provient exactement de l’occitan ancien eretge, issu du
latin tardif hæreticus qui le tient à son tour du grec hairetikós
o hairéomai, et a ses racines dans l’idée d’élection ou de choix
d’un parti déterminé, d’étayer un point de vue défini.
Comme le dit l’historienne Christine Thouzellier, « l’hérétique n’est ni un anormal ni un névrosé. C’est au contraire un homme
soucieux de vérité et que, toujours en raison de leur christianisme, le
dogme des vérités révélées ne satisfait plus. Il peut être amené à cet
état soit par des considérations personnelles d’ordre métaphysique ;
soit par des constatations sociales qui lui font percevoir, dans une
société chrétienne constituée, des anomalies et des déviations, qui ne
correspondent plus aux directives initiales. »7
L’Église catholique, dont la structure s’est consolidée
au Moyen Âge, comprit ce•e possibilité de libre choix, ce•e
5. Dans la note finale sixième du livre de Charles Schmidt, Histoire et Doctrine
des Cathares, Paris, Édi"ons Harriet, 1983, pp. 275-284, il y a une exposi"on documentée des différents noms donnés aux Cathares. Et aussi le livre d’Arno Borst,
Les Cathares, Paris, Édi"ons Payot, 1984, pp. 204-213, dédie toute une annexe aux
noms des sectes cathares.
6.
Juan Corominas, Breve diccionario e!mológico de la lengua castellana,
Madrid, Ediciones Gredos, 1997, p. 317.
7. Chris"ne Thouzellier, Hérésie et Héré!ques: Vaudois, Cathares, Patarins,
Albigeois, Roma, Edizioni di Storia e Le$eratura, 1969, p. 2.
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13
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
L’ORIGINE DES CATHARES
interprétation singulière des Saintes Écritures, comme une
« déviation » du dogme établi par la curie romaine. Ce que la
hiérarchie ecclésiastique appela la « perversion hérétique » est
en réalité une vision, une interprétation différente de ce que
signifie être chrétien.
Ainsi, pour le pouvoir ecclésiastique, est hérétique celui
qui pense différemment et qui, de ce fait, est tombé dans le
« péché de l’hétérodoxie » et, plus grave encore, se consacre
à diffuser ses erreurs auprès de la population, troublant les
âmes simples par ses prédications.
Tout au long des Xe et XIe siècles, l’Église romaine entreprit de nombreuses réformes en Europe occidentale. À travers des institutions telles que celle de la « Paix et Trêve de
Dieu », au moyen d’une profonde rénovation monastique et
ecclésiastique et, surtout, par ses innombrables efforts pour
dominer le pouvoir politique, elle édifia peu à peu un véritable « pouvoir spirituel » pourvu d’une voix propre et indépendante, qui s’imposa sur toutes les questions religieuses et
établit comme dogme de la foi ses propres interprétations des
Saintes Écritures.
En parallèle, la société médiévale occidentale se dégageait lentement de la précarité des siècles antérieurs. Une
augmentation de la pluviosité en Europe favorisa l’agriculture, ce qui entraîna une montée importante de la démographie et l’apparition de villes dans lesquelles un bien-être social
apparut progressivement. Le commerce entre les différents
territoires se rétablissait et les marchés bouillonnaient de l'activité des villes et des bourgs toujours plus peuplés. Artisans,
paysans, bourgeois et commerçants acquerraient toujours
plus d’importance dans un monde qui se relevait du fléau de
ses lu•es et affrontements. De jeunes gouvernements municipaux commençaient à prendre les rênes autrefois laissées à la
discrétion des nobles féodaux. Les terres étaient à nouveau
intensément cultivées, ce qui favorisa l’abondance de nourriture
et la prolifération de chemins qui reliaient les villages entre eux.
De petites industries commencèrent à se développer dans les
villes prospères et, de toutes parts, un souffle de réformes et de
rénovation devint perceptible.
Il est naturel que de ce•e effervescence culturelle, favorable à l' accroissement social et matériel, ait surgi également
une impulsion d’indépendance spirituelle et religieuse en
Europe occidentale. Déjà tout au long de XIe siècle, de nombreuses chroniques nous parlent d’hérétiques ou de groupements d’hérétiques. Dans les régions d’Arras, de Monteforte
(Italie), de Toulouse, d’Orléans et en Aquitaine, on parle des
nombreux « manichéens » et « ariens » qui dispensent leurs
enseignements pernicieux dans les villages :
14
15
En 1027, on découvrit dans la ville d’Orléans une
hérésie impudente et grossière qui, après avoir longtemps
germé dans l’ombre, avait produit une ample récolte de perdition, et finit par envelopper un grand nombre de fidèles
dans son aveuglement. Ce fut, dit-on, une femme venue
d’Italie, qui apporta dans les Gaules ce•e infâme hérésie.
Plein des artifices du démon, elle savait séduire tous les
esprits, non seulement ceux des idiots et des simples, mais
la plupart même des clercs les plus renommés pour leur
savoir n’étaient pas à l’épreuve de ses séductions.8
A ce•e époque déjà (vers 1075), on parle aussi des « ariens »
dans les Pyrénées. Dans son œuvre, Jean de Marina raconte :
8. Raoul Glaber, Chronique de l’An Mil, Clermont Ferrand, Édi!ons Paleo, 2011,
p. 120. Il est remarquable de constater que le chroniqueur décrive que l’origine
de ce"e hérésie soit 'une femme' qui ait séduit, de son art diabolique, même les
clercs le"rés.
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
L’ORIGINE DES CATHARES
interprétation singulière des Saintes Écritures, comme une
« déviation » du dogme établi par la curie romaine. Ce que la
hiérarchie ecclésiastique appela la « perversion hérétique » est
en réalité une vision, une interprétation différente de ce que
signifie être chrétien.
Ainsi, pour le pouvoir ecclésiastique, est hérétique celui
qui pense différemment et qui, de ce fait, est tombé dans le
« péché de l’hétérodoxie » et, plus grave encore, se consacre
à diffuser ses erreurs auprès de la population, troublant les
âmes simples par ses prédications.
Tout au long des Xe et XIe siècles, l’Église romaine entreprit de nombreuses réformes en Europe occidentale. À travers des institutions telles que celle de la « Paix et Trêve de
Dieu », au moyen d’une profonde rénovation monastique et
ecclésiastique et, surtout, par ses innombrables efforts pour
dominer le pouvoir politique, elle édifia peu à peu un véritable « pouvoir spirituel » pourvu d’une voix propre et indépendante, qui s’imposa sur toutes les questions religieuses et
établit comme dogme de la foi ses propres interprétations des
Saintes Écritures.
En parallèle, la société médiévale occidentale se dégageait lentement de la précarité des siècles antérieurs. Une
augmentation de la pluviosité en Europe favorisa l’agriculture, ce qui entraîna une montée importante de la démographie et l’apparition de villes dans lesquelles un bien-être social
apparut progressivement. Le commerce entre les différents
territoires se rétablissait et les marchés bouillonnaient de l'activité des villes et des bourgs toujours plus peuplés. Artisans,
paysans, bourgeois et commerçants acquerraient toujours
plus d’importance dans un monde qui se relevait du fléau de
ses lu•es et affrontements. De jeunes gouvernements municipaux commençaient à prendre les rênes autrefois laissées à la
discrétion des nobles féodaux. Les terres étaient à nouveau
intensément cultivées, ce qui favorisa l’abondance de nourriture
et la prolifération de chemins qui reliaient les villages entre eux.
De petites industries commencèrent à se développer dans les
villes prospères et, de toutes parts, un souffle de réformes et de
rénovation devint perceptible.
Il est naturel que de ce•e effervescence culturelle, favorable à l' accroissement social et matériel, ait surgi également
une impulsion d’indépendance spirituelle et religieuse en
Europe occidentale. Déjà tout au long de XIe siècle, de nombreuses chroniques nous parlent d’hérétiques ou de groupements d’hérétiques. Dans les régions d’Arras, de Monteforte
(Italie), de Toulouse, d’Orléans et en Aquitaine, on parle des
nombreux « manichéens » et « ariens » qui dispensent leurs
enseignements pernicieux dans les villages :
14
15
En 1027, on découvrit dans la ville d’Orléans une
hérésie impudente et grossière qui, après avoir longtemps
germé dans l’ombre, avait produit une ample récolte de perdition, et finit par envelopper un grand nombre de fidèles
dans son aveuglement. Ce fut, dit-on, une femme venue
d’Italie, qui apporta dans les Gaules ce•e infâme hérésie.
Plein des artifices du démon, elle savait séduire tous les
esprits, non seulement ceux des idiots et des simples, mais
la plupart même des clercs les plus renommés pour leur
savoir n’étaient pas à l’épreuve de ses séductions.8
A ce•e époque déjà (vers 1075), on parle aussi des « ariens »
dans les Pyrénées. Dans son œuvre, Jean de Marina raconte :
8. Raoul Glaber, Chronique de l’An Mil, Clermont Ferrand, Édi!ons Paleo, 2011,
p. 120. Il est remarquable de constater que le chroniqueur décrive que l’origine
de ce"e hérésie soit 'une femme' qui ait séduit, de son art diabolique, même les
clercs le"rés.
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
Guilhem Jordà, comte de la Cerdagne, poursuivait
les hérétiques ariens qui, après tant d’années, ressurgissaient dans ces contrées. Il punissait ces mauvaises gens
par l'exil, confisquant leurs biens, par l’infâmie, et la mort
qu’il donnait à ces obstinés.9
Il n'est pas étonnant de penser que dans ces régions montagneuses, éloignées des cercles du pouvoir, il restait encore des
réminiscences des traditions priscillianistes, ariennes ou adoptianistes qui, du fait de l’amélioration sociale, réapparaissaient. A
peine deux siècles auparavant, l’évêque Félix d’Urgel (781-799),
tenu dans la région pour un homme de grande rectitude et de
sainteté, avait été condamné comme hérétique adoptianiste et exilié pour le restant de sa vie, en raison de ses nombreux adeptes.
Et au cours du Concile de Toulouse, en 1119, présidé par le
Pape Calixte II, en présence des cardinaux de sa suite, d’archevêques, d’évêques et d’abbés de la Provence, du Languedoc, de
Gascogne, d’Espagne et de la petite Bretagne, il fut établi dans
le troisième canon :
Nous condamnons et chassons de l’Église, comme
hérétiques, ceux qui reje"ent le sacrement du corps et
du sang du Seigneur, le baptême des enfants et les ordres
ecclésiastiques, aussi bien que le mariage ; et nous ordonnons qu’ils soient réprimés par la puissance séculière. Ces
hérétiques étaient une secte de manichéens qui couvraient
d’un masque de piété les plus infâmes abominations.10
Cependant, à partir des sources dont nous disposons
actuellement, nous pouvons affirmer que le catharisme, sous les
L’ORIGINE DES CATHARES
différentes formes connues en Europe occidentale, n’eut aucune
relation avec le mouvement manichéen des premiers siècles. La
religion manichéenne se basait sur un « corpus » évangélique
écrit par son propre fondateur, dont aucune note n’apparaît à
ce jour dans toute la documentation concernant le catharisme.
Il n'est pas fait mention de Mani pas plus que de ses dogmes
rigides.11. Tout au plus, ce sont les polémistes catholiques qui
les accusent de « dualistes », mais, comme Simone Pètrement
l'affirme, « tout dualisme n’est pas manichéen ».12
Aussi, l’appellation de « cathares » pour désigner un
groupe de dissidents chrétiens médiévaux n’apparaît pas avant
le milieu du XIIe siècle. Bien que la le!re d’Evervin, prévôt du
monastère de Steinfeld, en Allemagne, —écrite entre 1143 et
1147, et dont nous parlerons plus loin—, décrive très précisément les lignes maîtresses de sa pensée, c’est dans l’œuvre
de l’abbé bénédictin Eckbert de Schönau, Liber contra Hereses
Katororum (vers 1162-1164), qu’est utilisée pour la première
fois au Moyen Âge, de manière spécifique, la dénomination de
‘cathare’ pour identifier les hérétiques de Bonn et de Cologne.
Dans un environnement de piété fervente —sa sœur est la
mystique Élisabeth de Schönau, à son tour amie d’Hildegarde
von Bingen, dont Johannes Trithemius (1462-1516), abbé de
Spanheim, cite un texte contre les cathares, qui n’a pas encore
été retrouvé13—, Eckbert (mort en 1184) affronte la rude tâche
d’écrire une œuvre composée de sermons, qui expose les nombreuses erreurs de ces dissidents.
Dans sa le!re à Raynald de Dassel, archevêque de Cologne
(1159-1167), auquel il dédie l’œuvre, il écrit ce qui suit :
9. Juan de Mariana, Historia General de España, tome II, Barcelona, Imprenta
Francisco Oliva, 1839, livre IX, chap. XIII, p. 335.
10. Ad.-CH. Pel!er, Dic!onnaire Universel et complet des Conciles, tome II, Paris,
J.-P. Migne Éditeur, 1847, p. 1013.
11. Voir à ce sujet l’ar!cle documenté d'Ylva Hagman, « Le catharisme: un néomanichéisme ? », paru dans la revue Heresis, no. 21, 1993, pp. 47-59.
12. Simone Pétrement, Essai sur le dualisme chez Platon, les gnos!ques et les
manichéens, Paris, Presses Universitaires de France, 1947, p. 330.
13. Du sacrement Altaris contre les Cathares, selon la cita!on de Chris!ne
Thouzellier, op. cit., p. 211.
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LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
Guilhem Jordà, comte de la Cerdagne, poursuivait
les hérétiques ariens qui, après tant d’années, ressurgissaient dans ces contrées. Il punissait ces mauvaises gens
par l'exil, confisquant leurs biens, par l’infâmie, et la mort
qu’il donnait à ces obstinés.9
Il n'est pas étonnant de penser que dans ces régions montagneuses, éloignées des cercles du pouvoir, il restait encore des
réminiscences des traditions priscillianistes, ariennes ou adoptianistes qui, du fait de l’amélioration sociale, réapparaissaient. A
peine deux siècles auparavant, l’évêque Félix d’Urgel (781-799),
tenu dans la région pour un homme de grande rectitude et de
sainteté, avait été condamné comme hérétique adoptianiste et exilié pour le restant de sa vie, en raison de ses nombreux adeptes.
Et au cours du Concile de Toulouse, en 1119, présidé par le
Pape Calixte II, en présence des cardinaux de sa suite, d’archevêques, d’évêques et d’abbés de la Provence, du Languedoc, de
Gascogne, d’Espagne et de la petite Bretagne, il fut établi dans
le troisième canon :
Nous condamnons et chassons de l’Église, comme
hérétiques, ceux qui reje"ent le sacrement du corps et
du sang du Seigneur, le baptême des enfants et les ordres
ecclésiastiques, aussi bien que le mariage ; et nous ordonnons qu’ils soient réprimés par la puissance séculière. Ces
hérétiques étaient une secte de manichéens qui couvraient
d’un masque de piété les plus infâmes abominations.10
Cependant, à partir des sources dont nous disposons
actuellement, nous pouvons affirmer que le catharisme, sous les
L’ORIGINE DES CATHARES
différentes formes connues en Europe occidentale, n’eut aucune
relation avec le mouvement manichéen des premiers siècles. La
religion manichéenne se basait sur un « corpus » évangélique
écrit par son propre fondateur, dont aucune note n’apparaît à
ce jour dans toute la documentation concernant le catharisme.
Il n'est pas fait mention de Mani pas plus que de ses dogmes
rigides.11. Tout au plus, ce sont les polémistes catholiques qui
les accusent de « dualistes », mais, comme Simone Pètrement
l'affirme, « tout dualisme n’est pas manichéen ».12
Aussi, l’appellation de « cathares » pour désigner un
groupe de dissidents chrétiens médiévaux n’apparaît pas avant
le milieu du XIIe siècle. Bien que la le!re d’Evervin, prévôt du
monastère de Steinfeld, en Allemagne, —écrite entre 1143 et
1147, et dont nous parlerons plus loin—, décrive très précisément les lignes maîtresses de sa pensée, c’est dans l’œuvre
de l’abbé bénédictin Eckbert de Schönau, Liber contra Hereses
Katororum (vers 1162-1164), qu’est utilisée pour la première
fois au Moyen Âge, de manière spécifique, la dénomination de
‘cathare’ pour identifier les hérétiques de Bonn et de Cologne.
Dans un environnement de piété fervente —sa sœur est la
mystique Élisabeth de Schönau, à son tour amie d’Hildegarde
von Bingen, dont Johannes Trithemius (1462-1516), abbé de
Spanheim, cite un texte contre les cathares, qui n’a pas encore
été retrouvé13—, Eckbert (mort en 1184) affronte la rude tâche
d’écrire une œuvre composée de sermons, qui expose les nombreuses erreurs de ces dissidents.
Dans sa le!re à Raynald de Dassel, archevêque de Cologne
(1159-1167), auquel il dédie l’œuvre, il écrit ce qui suit :
9. Juan de Mariana, Historia General de España, tome II, Barcelona, Imprenta
Francisco Oliva, 1839, livre IX, chap. XIII, p. 335.
10. Ad.-CH. Pel!er, Dic!onnaire Universel et complet des Conciles, tome II, Paris,
J.-P. Migne Éditeur, 1847, p. 1013.
11. Voir à ce sujet l’ar!cle documenté d'Ylva Hagman, « Le catharisme: un néomanichéisme ? », paru dans la revue Heresis, no. 21, 1993, pp. 47-59.
12. Simone Pétrement, Essai sur le dualisme chez Platon, les gnos!ques et les
manichéens, Paris, Presses Universitaires de France, 1947, p. 330.
13. Du sacrement Altaris contre les Cathares, selon la cita!on de Chris!ne
Thouzellier, op. cit., p. 211.
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LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
Lorsque j’étais chanoine à l’église de Bonn, moimême et Bertholphe, qui partage mes sentiments, avons
participé à des débats avec de tels hommes et prêté une
a•ention prudente à leurs erreurs et leurs défenses. Beaucoup de choses les concernant avaient été connues grâce à
ceux qui étaient sortis de leurs conventicules et qui étaient
libérés des liens du diable. D’où la très grande abondance
de ce qui provient d’eux et de ce qui peut être dit contre
eux, par moi réunis en ce livre avec les encouragements de
mon abbé, le seigneur Hildelin, et transmis à votre Altesse
en raison de notre vieille amitié.14
Il est donc important de montrer que le terme « cathare »
ne provient pas des hérétiques mêmes, mais que ce sont les
théologiens catholiques qui les désignent comme tels. Il est certain que, de même que cela se produisit avec celui de « manichéen », la dénomination originale provient d’Augustin de
Hipona (354-430). Dans son œuvre se trouve le modèle de la
réfutation catholique des hérésies de l’Antiquité chrétienne.15
Cependant, il ne serait pas surprenant qu’Eckbert
emprunta ce nom aux Étymologies d’Isidore de Séville (556636), encyclopédie médiévale par excellence, dans laquelle
apparaît une définition du mot ‘cathare’, dans le chapitre
consacré aux hérésies, très proche de la manière dont l’Église
médiévale voulait montrer ce mouvement. Il y est dit :
L’ORIGINE DES CATHARES
Les cathares sont appelés ainsi en raison de leur propreté. Ils se glorifient de leurs mérites, nient et refusent aux
pénitents le pardon de leurs péchés, reje•ent les veuves qui
se remarient, car ils les considèrent comme adultères et ils
se croient plus purs que les autres. S’ils voulaient vraiment
connaître leur nom, ils devraient plutôt s’appeler « mondains », et non « mondes » [c’est-à-dire, propres].16
Les polémistes catholiques ne voulurent pas donner
l’image que le terme de cathare possède de nos jours. Pour
eux, les dissidents médiévaux étaient des êtres orgueilleux,
rusés, pernicieux, qui trompaient, avec leur pureté hypocrite
et leurs raisonnements inspirés par le diable, même les personnes le•rées.
Ce•e description péjorative, qui ne s’accorde pas au
concept actuel, ne fut jamais utilisée par les cathares euxmêmes ni par leurs adeptes. Ils se nommaient simplement
« chrétiens », ou « vrais chrétiens » afin de se distinguer des
adeptes de la « fausse Église romaine ». Et les gens du peuple
les connaissaient comme les « bonshommes » et les « bonnes
femmes ».
De plus, la dénomination proprement dite de « parfait »
est un terme utilisé surtout par les inquisiteurs catholiques
pour signaler celui qui a reçu le consolament et le différencier
ainsi du simple « croyant ». Le moine dominicain Bernard
Gui (1261-1331), dans son Manuel de l’Inquisiteur17, définit les
cathares comme les manichéens des temps modernes et nomme
les consolés les parfaits hérétiques ou hérétiques parfaits.
14. Le#re citée par Uwe Brunn, Des contestataires aux 'cathares'. Discours de
réforme et propagande an!héré!que dans les pays du Rhin et de la Meuse avant
l'Inquisi!on, Paris, Ins!tut d'Études Augus!niennes, 2006, p. 211. Dans ce#e
œuvre est analysée de manière très réductrice l’origine de la dénomina!on de
cathares par les polémistes catholiques.
15. Augus!n de Hipona considère, dans De haeresibus, livre 46 ((Patrologie
la!ne, tome XLII, collec!on 36), qu’il existe une branche de manichéens appelés
'cataristes', selon la cita!on de Chris!ne Thouzellier, op. cit., 1969, p. 26.
16. Isidore de Seville, Étymologies, Livre VIII. Le mot «monde» provient du la!n
mundus, mundi. Son homonyme, l’adjec!f mundus signifie propre, pur.
17. Bernard Gui, Manuel de l’Inquisiteur, tome I, Paris, Librairie Ancienne Honoré
Champion Éditeur, 1926.
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LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
Lorsque j’étais chanoine à l’église de Bonn, moimême et Bertholphe, qui partage mes sentiments, avons
participé à des débats avec de tels hommes et prêté une
a•ention prudente à leurs erreurs et leurs défenses. Beaucoup de choses les concernant avaient été connues grâce à
ceux qui étaient sortis de leurs conventicules et qui étaient
libérés des liens du diable. D’où la très grande abondance
de ce qui provient d’eux et de ce qui peut être dit contre
eux, par moi réunis en ce livre avec les encouragements de
mon abbé, le seigneur Hildelin, et transmis à votre Altesse
en raison de notre vieille amitié.14
Il est donc important de montrer que le terme « cathare »
ne provient pas des hérétiques mêmes, mais que ce sont les
théologiens catholiques qui les désignent comme tels. Il est certain que, de même que cela se produisit avec celui de « manichéen », la dénomination originale provient d’Augustin de
Hipona (354-430). Dans son œuvre se trouve le modèle de la
réfutation catholique des hérésies de l’Antiquité chrétienne.15
Cependant, il ne serait pas surprenant qu’Eckbert
emprunta ce nom aux Étymologies d’Isidore de Séville (556636), encyclopédie médiévale par excellence, dans laquelle
apparaît une définition du mot ‘cathare’, dans le chapitre
consacré aux hérésies, très proche de la manière dont l’Église
médiévale voulait montrer ce mouvement. Il y est dit :
L’ORIGINE DES CATHARES
Les cathares sont appelés ainsi en raison de leur propreté. Ils se glorifient de leurs mérites, nient et refusent aux
pénitents le pardon de leurs péchés, reje•ent les veuves qui
se remarient, car ils les considèrent comme adultères et ils
se croient plus purs que les autres. S’ils voulaient vraiment
connaître leur nom, ils devraient plutôt s’appeler « mondains », et non « mondes » [c’est-à-dire, propres].16
Les polémistes catholiques ne voulurent pas donner
l’image que le terme de cathare possède de nos jours. Pour
eux, les dissidents médiévaux étaient des êtres orgueilleux,
rusés, pernicieux, qui trompaient, avec leur pureté hypocrite
et leurs raisonnements inspirés par le diable, même les personnes le•rées.
Ce•e description péjorative, qui ne s’accorde pas au
concept actuel, ne fut jamais utilisée par les cathares euxmêmes ni par leurs adeptes. Ils se nommaient simplement
« chrétiens », ou « vrais chrétiens » afin de se distinguer des
adeptes de la « fausse Église romaine ». Et les gens du peuple
les connaissaient comme les « bonshommes » et les « bonnes
femmes ».
De plus, la dénomination proprement dite de « parfait »
est un terme utilisé surtout par les inquisiteurs catholiques
pour signaler celui qui a reçu le consolament et le différencier
ainsi du simple « croyant ». Le moine dominicain Bernard
Gui (1261-1331), dans son Manuel de l’Inquisiteur17, définit les
cathares comme les manichéens des temps modernes et nomme
les consolés les parfaits hérétiques ou hérétiques parfaits.
14. Le#re citée par Uwe Brunn, Des contestataires aux 'cathares'. Discours de
réforme et propagande an!héré!que dans les pays du Rhin et de la Meuse avant
l'Inquisi!on, Paris, Ins!tut d'Études Augus!niennes, 2006, p. 211. Dans ce#e
œuvre est analysée de manière très réductrice l’origine de la dénomina!on de
cathares par les polémistes catholiques.
15. Augus!n de Hipona considère, dans De haeresibus, livre 46 ((Patrologie
la!ne, tome XLII, collec!on 36), qu’il existe une branche de manichéens appelés
'cataristes', selon la cita!on de Chris!ne Thouzellier, op. cit., 1969, p. 26.
16. Isidore de Seville, Étymologies, Livre VIII. Le mot «monde» provient du la!n
mundus, mundi. Son homonyme, l’adjec!f mundus signifie propre, pur.
17. Bernard Gui, Manuel de l’Inquisiteur, tome I, Paris, Librairie Ancienne Honoré
Champion Éditeur, 1926.
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L’ORIGINE DES CATHARES
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
Il faut aussi nuancer une autre croyance à propos du
catharisme, qui est celle de son origine présumée orientale et
de son ascendance bogomile.
L’influence bogomile orientale est indéniable, mais les
historiens modernes considèrent que ce•e filiation orientale du catharisme fut principalement initiée par l’Église
romaine comme une stratégie pour situer « l’origine du mal »
hors de son territoire et ainsi lu•er contre l’hérésie avec plus
d’efficacité, comme si une plaie extérieure s’était aba•ue sur
l’Occident.
En qualifiant la doctrine cathare de religion étrangère qui
envahissait ‘le vignoble du Seigneur’, l’Église se présentait comme
la salvatrice de l’identité véritable de l’Occident et imputait à
l’hérésie une origine orientale, extérieure à la société chrétienne
Occidentale. Rappelons qu’en même temps, la papauté romaine
se consolidait pour devenir le centre de l’universalité catholique
et qu’elle devait faire prévaloir la pureté de son lignage chrétien
face aux déviations de l’orthodoxie orientale.
L’analyse détaillée de ces groupes hérétiques médiévaux,
appelés à tort « cathares », montre que leurs racines se trouvent bien plus en Occident que les polémistes de l’époque
voulurent l’avouer. Nous lisons dans l’œuvre d’Uwe Brunn :
L’hérésie en Rhénanie émergeait du contexte d’une
réforme canoniale ouverte sur le monde laïc. Le principal
produit de ce"e réforme était la multiplication, dans les
campagnes, de communautés de clercs entourés de laïcs
qui s’étaient réunis afin de suivre le plus étroitement possible le modèle apostolique, mais dont une partie n’entretenait plus de lien avec la hiérarchie ecclésiale.
Dès que ces groupes sont apparus et qu’ils ont agi
dans les cités, ils se sont heurtés, par leur critique sévère
de la forme de vie traditionnelle des clercs, aux chapitres
20
séculiers et non-réformés. Ce sont ces chapitres qui, afin
de réduire l’opposition qu’ils subissaient, ont lancé les
premières accusations d’hérésie.18
Selon ce•e interprétation, le catharisme , surgi de façon
naturelle en Europe occidentale, était le fruit de l’impulsion
spirituelle d’une multitude de personnes qui se regroupèrent, simultanément et en divers territoires, pour vivre une
vie évangélique en cohérence avec l’enseignement des Écritures. L’importance du mouvement cathare n’est pas due seulement à son originalité ou à la profondeur de sa pensée mais
à la rapide diffusion de son éthique chrétienne. En très peu
de temps, le feu d’un christianisme plus épuré et en accord
avec le message du Nouveau Testament, s’ancra dans le cœur
d’hommes et de femmes de toute l’Europe.
Anne Brenon l’exprime ainsi :
En fait, dans le contexte du réformisme chrétien
ambiant, le catharisme —et le bogomilisme— se présentent d’abord comme une pratique religieuse, une volonté de
conformité au modèle de vie des Apôtres, un idéal de retour
aux sources de l’Église primitive. S’y greffe en corollaire la
revendication de constituer la vraie Église des Apôtres, la
seule vraie Église chrétienne par rapport à l’infidèle Église
romaine. Puis la volonté de justifier ce"e identité par le
recours aux seules autorités de l’Écriture sainte, en l’occurrence essentiellement le Nouveau Testament.
On est loin des vieilles thèses d’une invasion de
manichéens orientaux dans l’Occident médiéval. La marque de la vraie Église chrétienne, à ce qu’affirment clairement les livres cathares —les trois rituels et deux traités
18.
Uwe Brunn, op. cit., p. 105.
21
L’ORIGINE DES CATHARES
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
Il faut aussi nuancer une autre croyance à propos du
catharisme, qui est celle de son origine présumée orientale et
de son ascendance bogomile.
L’influence bogomile orientale est indéniable, mais les
historiens modernes considèrent que ce•e filiation orientale du catharisme fut principalement initiée par l’Église
romaine comme une stratégie pour situer « l’origine du mal »
hors de son territoire et ainsi lu•er contre l’hérésie avec plus
d’efficacité, comme si une plaie extérieure s’était aba•ue sur
l’Occident.
En qualifiant la doctrine cathare de religion étrangère qui
envahissait ‘le vignoble du Seigneur’, l’Église se présentait comme
la salvatrice de l’identité véritable de l’Occident et imputait à
l’hérésie une origine orientale, extérieure à la société chrétienne
Occidentale. Rappelons qu’en même temps, la papauté romaine
se consolidait pour devenir le centre de l’universalité catholique
et qu’elle devait faire prévaloir la pureté de son lignage chrétien
face aux déviations de l’orthodoxie orientale.
L’analyse détaillée de ces groupes hérétiques médiévaux,
appelés à tort « cathares », montre que leurs racines se trouvent bien plus en Occident que les polémistes de l’époque
voulurent l’avouer. Nous lisons dans l’œuvre d’Uwe Brunn :
L’hérésie en Rhénanie émergeait du contexte d’une
réforme canoniale ouverte sur le monde laïc. Le principal
produit de ce"e réforme était la multiplication, dans les
campagnes, de communautés de clercs entourés de laïcs
qui s’étaient réunis afin de suivre le plus étroitement possible le modèle apostolique, mais dont une partie n’entretenait plus de lien avec la hiérarchie ecclésiale.
Dès que ces groupes sont apparus et qu’ils ont agi
dans les cités, ils se sont heurtés, par leur critique sévère
de la forme de vie traditionnelle des clercs, aux chapitres
20
séculiers et non-réformés. Ce sont ces chapitres qui, afin
de réduire l’opposition qu’ils subissaient, ont lancé les
premières accusations d’hérésie.18
Selon ce•e interprétation, le catharisme , surgi de façon
naturelle en Europe occidentale, était le fruit de l’impulsion
spirituelle d’une multitude de personnes qui se regroupèrent, simultanément et en divers territoires, pour vivre une
vie évangélique en cohérence avec l’enseignement des Écritures. L’importance du mouvement cathare n’est pas due seulement à son originalité ou à la profondeur de sa pensée mais
à la rapide diffusion de son éthique chrétienne. En très peu
de temps, le feu d’un christianisme plus épuré et en accord
avec le message du Nouveau Testament, s’ancra dans le cœur
d’hommes et de femmes de toute l’Europe.
Anne Brenon l’exprime ainsi :
En fait, dans le contexte du réformisme chrétien
ambiant, le catharisme —et le bogomilisme— se présentent d’abord comme une pratique religieuse, une volonté de
conformité au modèle de vie des Apôtres, un idéal de retour
aux sources de l’Église primitive. S’y greffe en corollaire la
revendication de constituer la vraie Église des Apôtres, la
seule vraie Église chrétienne par rapport à l’infidèle Église
romaine. Puis la volonté de justifier ce"e identité par le
recours aux seules autorités de l’Écriture sainte, en l’occurrence essentiellement le Nouveau Testament.
On est loin des vieilles thèses d’une invasion de
manichéens orientaux dans l’Occident médiéval. La marque de la vraie Église chrétienne, à ce qu’affirment clairement les livres cathares —les trois rituels et deux traités
18.
Uwe Brunn, op. cit., p. 105.
21
LE CATHARISME DANS LA TRADITION SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT
retrouvés à ce jour— c’est la fidélité absolue aux préceptes
de l’Évangile, à l’exclusion de toutes les inventions postérieures de l’institution romaine, que ce soit en matière de
dogmes, de liturgie ou de sacrements.19
Une analyse des sources originales conservées, aussi bien
catholiques que cathares, nous permet donc de conclure que
les différents groupes de cathares ignoraient, ou du moins
n’utilisaient pas, pour la construction de leur pensée, les textes manichéens, qu’il n’y eut pas d’unité doctrinale absolue
dans ces groupes d’hérétiques médiévaux, chaque territoire
ayant ses propres particularités ; que le mouvement bogomile
ne fut pas à l’origine de ces catharismes occidentaux mais que
dans tous les cas il faut parler de courants frères ; et que la
source fondamentale sur laquelle s’édifia leur enseignement
furent les Saintes Écritures et leurs versions occidentales.
En définitive, il paraît plausible de penser que l’origine
des cathares surgit de la nécessité de vivre un christianisme
néotestamentaire apostolique enraciné dans la tradition occidentale. Ce mélange d’hellénisme néoplatonicien, johannite
et paulinien cherche dans l’interprétation spirituelle des
Écritures Saintes un chemin de salut par la purification, en
une pratique de vie exemplaire, et l’entrée dans le Royaume
des Cieux par la réception de l’Esprit Saint apostolique.
C’est ainsi qu’une croyante de la ville de Cordes, dans le
Tarn, le déclare aux inquisiteurs, vers l’an 1170 :
Les Frères Prêcheurs et Mineurs et les clercs n’ont pas
la vérité, et rien n’a de valeur que l’Évangile de saint Jean.20
2.- La tradition évangélique du catharisme
La doctrine chrétienne n’est pas comme une législation qui, introduite par la force, transforme immédiatement
la vie des hommes. Le christianisme constitue une nouvelle
conception de la vie, distincte des précédentes, supérieure.
Et ce•e nouvelle conception ne peut pas être imposée ; elle
peut seulement être assimilée en toute liberté.
Ce•e nouvelle conception de la vie ne peut être assimilée librement qu’à travers deux chemins : le chemin spirituel,
intérieur, et le chemin de l’expérience, extérieur.21
Léon Tolstoï, Le Royaume de Dieu est en vous
S’il y a un élément qui ressort de la lecture du petit nombre de textes originaux cathares conservés, il s’agit bien de
l’abondante utilisation de citations bibliques, aussi bien de
l’Ancien que du Nouveau Testament, et ce afin de soutenir
leurs enseignements et fonder leurs conclusions.22
L’utilisation fréquente des textes bibliques dans leurs
écrits constitue une preuve évidente de leur filiation chrétienne. En outre, de la lecture de ces citations, nous pouvons conclure que les Bibles utilisées sont, pour la plupart,
19.
Anne Brenon, Les Archipels Cathares, Castelnaud-la-Chapelle, L'Hydre
Édi!ons, 2003, pp. 88-89.
20. Doat, XXV, fº 57r, cité par Jean Duvernoy, La Religion des Cathares, Toulouse,
Édi!ons Privat, 1976, p. 30.
21. Léon Tolstoï, El Reino de Dios está en vosotros, Barcelona, Editorial Kairós,
2011, p. 219.
22. Jean Duvernoy, dans La religion des Cathares, consacre tout un appendice
(P 120-133) qui relève les cita!ons bibliques dans des textes cathares, dans deux
livres des polémistes et dans le registre de l’Inquisi!on de Jacques Fournier. Sans
doute, une étude plus approfondie de l’usage des cita!ons bibliques dans les sources originales pourrait nous démontrer avec plus de clarté les lignes principales de
leur pensée.
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