Prix Nobel d`économie et constitution européenne : la démocratie

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Prix Nobel d`économie et constitution européenne : la démocratie
Prix Nobel d’économie et constitution européenne :
la démocratie remise en cause
Dominique Plihon, Politis n°823, 28 octobre 2004
Le prix Nobel d’économie 2004 vient d’être décerné à deux théoriciens de la macroéconomie
néolibérale, le Norvégien Finn Kydland et l’Américain Edward Prescott qui travaillent aux
Etats-Unis. Résolument anti-keynésiens, ces deux économistes ont cherché à montrer que les
cycles économiques s’expliquent par les changements technologiques et ne proviennent pas
des fluctuations de la demande (faiblesse de la consommation ou de l’investissement). Ils en
concluent que les politiques macroéconomiques (monétaires et budgétaires) de soutien de la
demande sont impuissantes, et ont même des effets pervers. Ce qui est une remise en cause
des principes qui ont gouverné l’action des gouvernements depuis la crise des années 1930,
notamment pendant les Trente Glorieuses. Ces deux économistes se sont rendus célèbres par
un article publié en 1977, intitulé « Les règles plutôt que le pouvoir discrétionnaire », où ils
concluent qu’il est souhaitable pour la société que les gouvernements ne soient pas libres de
leurs actes en matière de politique économique. La raison en est que les marchés n’ont pas
confiance dans les gouvernements. Ces derniers sont soupçonnés, s’ils sont libres, de mener
des politiques conduisant à l’inflation, ce dont les marchés ont horreur. Ces deux économistes
ont proposé une solution : réduire les marges de manœuvre des gouvernements en leur liant
les mains par des règles contraignantes. Cette vision a exercé une grande influence au cours
des dernières décennies et a conduit de nombreux pays, dont la France, à accorder
l’indépendance à leurs banques centrales. Cette influence peut être retrouvée jusque dans
l’article 107 du Traité de Maastricht qui stipule que la Banque centrale européenne « ne peut
solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des
gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme ». Cette conception a
également inspiré les gouvernements européens lorsqu’ils ont adopté en 1996 le Pacte de
stabilité et de croissance qui limite les déficits budgétaires des Etats à 3% de leur Produit
intérieur brut.
Le projet de Traité constitutionnel est également profondément imprégné par cette doctrine
néolibérale récompensée par l’académie Nobel. Ainsi, la partie 3 du projet de Traité, portant
sur « Les politiques et le fonctionnement de l’Union », qui reprend notamment les dispositions
du Traité de Maastricht, conduirait à une « constitutionnalisation » des règles limitant les
pouvoirs des Etats en matière de politique économique. En d’autres termes, s’il était adopté, le
Traité élèverait au rang de règles fondamentales et quasi-irréversibles la limitation du pouvoir
d’action discrétionnaire des Etats. Les gouvernements n’auront plus que des marges de
manœuvre réduites pour mener des politiques de soutien à l’activité et d’aide à l’emploi. Ils
ne pourront plus mettre en œuvre des mesures de contrôle et de taxation des capitaux, jugées
contraires au bon fonctionnement des marchés et aux intérêts des détenteurs du capital
financier. Le projet de Traité constitutionnel est donc en pleine cohérence avec la logique du
capitalisme financier et de la mondialisation néolibérale.
La philosophie politique qui fonde ces principes est inacceptable, et doit être vigoureusement
combattue, car elle aboutit à un déni de démocratie : les citoyens européens ne pourront plus
élire des gouvernements dont le programme ne sera pas strictement conforme aux règles du
Traité. Tout changement de cap des politiques publiques risque d’être jugé non
constitutionnel, s’il est destiné à limiter le pouvoir des marchés et à promouvoir un autre
modèle de développement plus solidaire et écologique.
Ainsi, l’adoption du Traité constitutionnel serait un nouveau coup porté à la démocratie
représentative, déjà mal en point. Et les citoyens ne disposeront que de moyens très réduits
pour s’organiser en contre-pouvoir et développer la démocratie participative ; pour s’en
convaincre, il suffit de lire l’article I-46 du Traité sur « La démocratie participative ». Cet
article introduit la possibilité de référendum d’initiative populaire, innovation a priori
séduisante. Mais il en réduit considérablement la portée, laissant à la Commission toute liberté
pour interpréter et donner suite aux initiatives citoyennes, même si elles ont obtenu plus d’un
million de signatures !

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