L`HEURE ESPAGNOLE ET GIANNI SCHICCHI DONNÉS EN

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L`HEURE ESPAGNOLE ET GIANNI SCHICCHI DONNÉS EN
L’HEURE ESPAGNOLE ET GIANNI SCHICCHI DONNÉS EN DIPTYQUE À NANCY
Le 3 octobre 2016 par Pierre Degott
La Scène, Opéra
Nancy. Opéra national de Lorraine. 29-IX-2016. Maurice Ravel (1875-1937) : L’Heure espagnole, opéra en un acte sur un livret de Franc-Nohain d’après sa pièce. Giacomo Puccini
(1858-1924) : Gianni Schicchi, opéra en un acte sur un livret de Giovacchino Forzano. Mise en scène : Bruno Ravella. Décors et costumes : Annemarie Woods. Lumières : D.M. Wood.
Avec : David Margulis, Torquemada ; Eléonore Pancrazi, Concepción et La Ciesca ; Gilen Goicoechea, Ramiro et Betto di Signa ; Thibault de Damas, Don Iñigo Gomez et Maestro
Spinelloccio ; Jean-Michel Richer, Gonzalvo ; Adrien Barbieri, Gianni Schicchi ; Laura Holm, Lauretta ; Jérémie Schütz, Rinuccio ; Yaël Raanan Vandor, Zita ; Bozhidar Bozhkilov,
Simone ; David Margulis, Gherardo ; Jennifer Michel, Nella ; Oleg Loza, Marco ; Alejandro Gábor, Ser Amantio di Nicolao ; Lancelot Nomura, Pinellino ; Mathieu Gourlet, Guccio.
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction : Michael Balke.
France
Grand Est
Nancy
Présentés au cours de la même soirée, les deux ouvrages en un
acte font appel à toutes les ressources du comique pour
enchanter la salle. Succès assuré, grâce à une mise en scène
qui tisse des fils entre les deux intrigues et par des jeunes
interprètes au jeu parfaitement rôdé.
Particulièrement astucieuse, la mise en scène de Bruno Ravella se plaît à
tisser des liens entre deux œuvres conçues à la même époque, toutes
deux ressortissant du registre du comique mais d’esprit et de tonalité
radicalement différents. On voit mal en effet, de prime abord, ce qui peut
relier le subtil marivaudage de Ravel, plein de sous-entendus volontiers
grivois, à la farce de Puccini, encore toute empreinte des conventions et
de l’esprit de la commedia dell’arte. Autant Gianni Schicchi est imprégné
de références à la ville de Florence – superbe vue sur le Duomo en toute
fin de spectacle –, autant L’Heure espagnole est marquée de renvois à
Tolède, au Guadalquivir, à l’Estrémadure et à tous les clichés associés au
monde ibérique. Si l’ouvrage de Ravel raconte les déboires d’un ménage
aux prises avec les épreuves du temps, celui de Puccini n’évoque qu’en
filigrane les amours juvéniles de Lauretta et de Rinuccio, pourtant les
grands triomphateurs au final du stratagème ourdi par Schicchi. C’est
donc un élément scénique fort, adapté aux nécessités et aux spécificités de l’action, qui va unir les deux ouvrages pratiquement contemporains, reliés
ici par la présence monumentale d’une immense horloge permettant de signifier aussi bien le passage de la fameuse heure « espagnole » chez Ravel
que l’arrêt du temps, avec la mort de Buoso Donati, chez Puccini. Dans L’Heure espagnole, l’essentiel de l’action est donc situé à l’intérieur de
l’horloge, notamment dans la partie supérieure censée représenter l’intérieur de la chambre de Concepción ; les ébats qui s’y déroulent – ou plutôt qui
ne s’y déroulent pas, au grand dam de la dame… – sont suggérés par l’espace tronqué que laisse entrevoir le fronton de l’horloge, légèrement soulevé.
Dans Gianni Schicchi, la pendule à l’arrêt est remisée sur le côté de la scène, mais elle reste un élément central dans la chambre du défunt. À la fin de
l’acte, elle figurera le clocher d’où les jeunes amants contemplent la superbe vue sur Florence. C’est ainsi dans ces deux ingénieux décors, situés
respectivement dans les années 1940 et 1980, qu’évoluent de jeunes et brillants acteurs, dont le jeu parfaitement rôdé irait presque jusqu’à évoquer
cette mécanique parfaitement huilée, autant pour le batifolage de Concepción et de ses quatre soupirants que pour les agissements crapuleux de la
famille et des connaissances de Buoso Donati. La mise en scène, pour les deux ouvrages, fourmille d’idées et de gags à la grande joie d’un public
conquis dès les premiers instants de la soirée.
Coproduit avec Nancy Opéra Passion, une association destinée à
promouvoir la carrière de jeunes chanteurs, le spectacle permet de faire
découvrir une distribution essentiellement composée d’interprètes peutêtre peu expérimentés sur le plan vocal, mais parfaitement convaincants
dans leur rôle. L’ouvrage de Ravel aura sans doute davantage permis à
quelques individualités de se mettre en avant, à commencer par la
pétillante Concepción d’Éléonore Pancrazi, également distribuée pour le
petit rôle de La Ciesca dans Puccini. Belles performances également de la
part de David Margulis, Gilen Goicoechea, Thibault de Damas et surtout
Jean-Michel Richer, ténor à la diction particulièrement soignée qui
convient idéalement au personnage du poète Gonzalve. Dans Gianni
Schicchi, c’est surtout l’esprit d’équipe qui aura prévalu, même si l’on
aurait tort de ne pas distinguer les sympathiques Lauretta et Rinuccio de
Laura Holm et Jérémie Schütz. Pour un rôle où il faut une présence
vocale et scénique écrasante, Adrien Barbieri n’était peut-être pas tout à
fait à la hauteur en Schicchi, même si l’idée de le représenter en «
métèque » des années 1980, dans cet univers résolument et tristement «
petit bourgeois », était en soi plutôt convaincante. Sous la baguette
précise et alerte de Michael Balke, l’Orchestre symphonique et lyrique
était peut-être plus à son affaire dans les subtilités de l’orchestration
ravélienne que dans les élans lyriques dont regorge la partition de Puccini. Une belle soirée, néanmoins, pour un pari musical et théâtral qui n’était
pas forcément gagné d’avance.
Crédit photographique : © Opéra national de Lorraine