Texte complet - Société Provancher

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Texte complet - Société Provancher
B O TA N I Q U E
Présence du matsutake dans
les forêts nordiques du Québec
Bien que l’on consommait des champignons chez les
Grecs, ce sont vraiment les Romains qui les ont apportés sur
la table, souvent pour s’en nourrir, mais aussi, à l’occasion,
pour se débarrasser de leurs ennemis.
Les peuples eurasiatiques consomment des champignons sauvages depuis fort longtemps ; selon la saison,
on trouve dans tous les marchés publics d’Europe et d’Asie,
de nombreuses espèces dont les meilleures viennent le plus
souvent de la forêt.
En Chine, plus de 200 espèces de champignons sont
offertes aux consommateurs qui en font cependant un usage
à la fois culinaire et « pharmacologique ». Plus près de nous,
au Mexique, on en consomme plus d’une centaine d’espèce.
Sur la côte du Pacifique nord-américain, l’arrivée
de nombreux asiatiques, au cours des années 1970, a créé
une véritable ruée vers l’or, avec la découverte d’un champignon consommé et vénéré par les Japonais : le matsutake ou
champignon des pins (Hosford et al., 1997). L’exportation
annuelle du matsutake, à partir du seul aéroport de Vancouver, représente plus de 40 millions de dollars annuellement.
Il faut savoir que les Japonais consomment ce champignon
de façon traditionnelle depuis des temps immémoriaux.
Son parfum unique et sa réputation aphrodisiaque, liée à sa
morphologie phalliforme avant maturité, en font un champignon très recherché. Cependant, tout comme la truffe en
France, la production de matsutake dans les forêts du Japon
est en chute libre parce que, semble-t-il, la forêt n’est plus
jardinée pour la récolte du bois de feu. Les quantités récoltées
sont le dixième de ce qu’elles étaient au début du siècle.
Cette rareté explique sans aucun doute l’intérêt soulevé par le matsutake de la côte du Pacifique. Mais ce champignon est-il un véritable Tricholoma matsutake (S. Ito & Imai)
Sing. Sa couleur, beaucoup plus pâle, et la dimension du voile
partiel ont soulevé des doutes, de sortes que Scott Redhead,
scientifique d’Agriculture Canada, l’a décrit comme espèce
distincte, soit le Tricholoma magnivelare (Peck) Redhead
(Redhead, 1984). Cette question a été récemment revue à
l’aide de la biologie moléculaire (Lim et al., 2003), pour en
arriver aux mêmes conclusions.
Pour les Japonais, le T. matsutake demeure le vrai
champignon, bien qu’ils ne dédaignent pas du tout, et loin
de là, le T. magnivelare. De plus, en Scandinavie, on trouve
un champignon parfumé qui ressemble à s’y méprendre au
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LA SOCIÉTÉ PROVANCHER D’HISTOIRE NATURELLE DU CANADA
DR SCOTT REDHEAD – AGRICULTURE CANADA
J. André Fortin
Tricholoma magnivelare : un champignons gastronomique
fort recherché, jusqu’à récemment méconnu au Québec
fameux T. matsutake. Au siècle dernier, ce champignon a reçu
le nom peu invitant de Tricholoma nauseosum (Blytt) Kytov.
Plus récemment, Bergius et Danell (2000) ont voulu en vérifier le degré de parenté avec l’entité japonaise, à l’aide de la
biologie moléculaire ; celle-ci démontre clairement que ce
champignon nord-européen est très étroitement apparenté,
sinon identique au T. matsutake, ce qui en fait une espèce
eurasiatique. Selon les règles de la taxonomie, l’appellation T. nauseosum a précédé l’appellation T. matsutake qui
devrait donc tomber. Est-ce vraiment une bonne idée ?
Quelle est la situation au Québec ? D’abord, il faut
J. André Fortin, biologiste et professeur retraité, poursuit
depuis 45 ans des recherches sur les mycorhizes, associations
symbiotiques entre les champignons et les plantes.
B O TA N I Q U E
dire que dans l’Ouest, l’intérêt créé par le matsutake s’est propagé à plusieurs espèces de champignons sauvages (chanterelles, cèpes, bolets divers, etc.) prisées par les Européens, de
sorte qu’aujourd’hui, on les trouve partout sur les marchés
publics de l’Ouest américain et canadien ; de plus, un important marché d’exportation s’est développé vers l’Europe,
atteignant des dizaines de milliers de tonnes. Pour ce qui est
du Québec, la récolte commerciale des champignons n’en est
qu’à ses débuts, avec un marché local en développement et
une exportation encore inexistante.
De 1975 à 1995, j’ai eu l’occasion de voyager sur le
territoire de la Baie James, dans toutes ses parties, un territoire aussi grand que la France et pratiquement inhabité. J’ai
toujours été fasciné par la très grande abondance de champignons comestibles qu’on peut y trouver. Bien sûr, au cours
des années sèches, leur présence est moins abondante, ce qui
est tout de même moins vrai à mesure qu’on monte vers la
tête du bassin hydrographique, où les précipitations annuelles plus élevées connaissent moins de fluctuation. Au cours
de mes visites, dont l’objet n’était pas du tout la mycologie,
j’ai eu l’occasion d’observer, surtout en septembre, un champignon relativement abondant, ressemblant au matsutake.
N’étant pas spécialiste de la taxonomie et cherchant
à partager mon enthousiasme pour la mycologie nordique
avec des collègues plus avertis que moi en taxonomie des
macromycètes, j’ai communiqué avec le Dr Yves Bégin, directeur du Centre d’études nordiques de l’Université Laval, qui
s’est laissé convaincre d’organiser une excursion mycologique dans le territoire de la Baie James. Un des objectifs était
de vérifier si les champignons parfumés que j’avais observés
dans les années 1990, surtout dans la région de la Laforge,
sont bien des matsutake (T. magnivelare). Bien que la saison
ait été particulièrement sèche dans cette région, à l’automne
2003, les participants ont réussi à dénicher suffisamment de
spécimens en bon état pour confirmer, hors de tout doute,
la présence du matsutake dans cette région. Il semble bien
qu’on le trouvera sur l’ensemble de l’aire de distribution
du Pinus banksiana, du nord de la Saskatchewan jusqu’au
Labrador.
Mais l’histoire ne se termine pas là. En effet, il reste
toujours à vérifier si l’entité qui se trouve au Québec correspond exactement au T. magnivelare ou si elle serait apparentée au T. nauseosum du nord de l’Europe. Seule l’approche
par biologie moléculaire pourra apporter réponse à cette
question lourde de conséquences pour une éventuelle commercialisation du matsutake de l’Est canadien.
Les comptes-rendus d’une conférence (Fortin et
Piché, 2000), et l’excursion à la Baie James organisée en 2003
par le Centre d’études nordiques, sont deux événements qui
ont contribué à déclencher un intérêt non seulement pour la
récolte commerciale des champignons nordiques, mais aussi
pour l’étude de leur biodiversité, de leur distribution écologique, de leur écophysiologie et, possiblement, de la fragilité
des habitats où on les trouve. 
Références
Bergius N. and E. Danell, 2000. The Swedish matsutake (Tricholoma nauseosum syn. T. matsutake) : Distribution, Abundance and Ecology. Scand.
J. For. Res., 15 : 318-325.
Boudreau, F., B. Boulet, R. Gauthier et J.-F. Paradis, 2003. Document floristique
no 6, Observations sur les macromycètes de la région de Radisson,
municipalité de la Baie-James, Québec, du 9 au 14 septembre 2003.
Herbier Louis-Marie, Université Laval, 32 p
Fortin, J. A. et Y. Piché (éditeurs), 2000. Les champignons forestiers : récolte,
commercialisation et conservation de la ressource. Centre de recherche
en biologie forestière, Université Laval, Québec, 22 et 23 février 1999,
19 p.
Lim, S.R., A. Fischer, M. Berbee and S. Berch, 2003. Is the booted tricholoma
in British Columbia really Japanese matsutake ? BC Jour. of Ecosyst.
and Manag., 3 : 1-7.
Redhead, S., 1984. Mycological observations 13-14 : Hypsizygus and Tricholoma. Trans. of the Mycol. Soc. of Japan, 25 : 1-9.
LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 128 No 2
ÉTÉ 2004
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