Le comité national d`éthique en France. Dans : M. Moulin (éd.)

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Le comité national d`éthique en France. Dans : M. Moulin (éd.)
KENIS Y., HEUSKIN L., Dans : M. Moulin (éd.), Contrôler la science ? La question des
comités d’éthique. Bruxelles, De Boeck-Université, 1990, 65-80.
Le comité national d’éthique en France
La création du Mouvement universel de la responsabilité scientifique (MURS) en
1974, à la suite du colloque « Biologie et devenir de l’homme » organisé à la Sorbonne
par le recteur Mallet, est souvent regardée comme un événement précurseur de la
naissance du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la
santé (CCNE) 1 - 2 . C’est d’ailleurs la même année que fut créé le comité d’éthique de
l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui peut, lui, être
considéré comme le précurseur direct du CCNE 3 . Les membres de ce comité étaient tous
biologistes ou médecins. Quelques années plus tard étaient constitués, d’abord un comité
d’éthique local à Toulouse en 1978, et ensuite des comités rattachés à des centres
hospitalo-universitaires, à Marseille, à Rouen, à Lyon et à Paris (Assistance publique en
1981, Centre hospitalier universitaire, CHU, du Kremlin-Bicêtre en 1982) 4 .
Ces institutions furent la conséquence de prises de positions éthiques au niveau
international, en particulier la déclaration d’Helsinki (1964), révisée à Tokyo (1975) et à
Venise (1983), et la déclaration de Manille (1981) 5 qui préconisaient l’examen des
protocoles d’expérimentation humaine par des comités indépendants. Ceux-ci devraient
considérer à la fois les aspects éthiques et les aspects scientifiques des programmes de
recherche, étant entendu qu’une expérimentation sur l’homme qui serait sans valeur
scientifique serait ipso facto contraire à l’éthique.
1
FAGOT-LARGEAULT, A., L’homme bio-éthique. Pour une déontologie de la recherche sur le vivant,
Paris, Ed. Maloine, 1985.
2
BERNARD, J., « Discours inaugural », Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie
et de la santé, Rapport 1984, Paris, La Documentation française, 1985, pp. 17 à 20.
3
AMBROSELLI, C., « Les institutions en question », Après-demain, 1984, 266, pp. 5 à 10.
4
JOANNET, P., « Comités d’éthique : nécessité, contrainte ou parapluie ? », Autrement, L’éthique corps et
âme, 1987, 93 (octobre), pp. 75 à 82.
5
Il s’agit, pour la déclaration de Manille, de directives proposées par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) et par le Conseil des organisations internationales des sciences médicales (CIOMS). La déclaration
d’Helsinki a été adoptée par la dix-huitième Assemblée médicale mondiale et révisée par les assemblées
de Tokyo et de Venise. Il faut rappeler ici que les premières règles éthiques ont été établies à l’occasion
des procès des crimes commis dans les camps de concentration nazis (code de Nuremberg, 1947). Ces
différents textes sont reproduits dans : Conseil d’Etat (Section du rapport et des études), Sciences de la
vie. De l’éthique au droit, Paris, la Documentation française, 1988.
1
Création, composition et fonctions du Comité consultatif national
d’éthique
Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé
(CCNE) a été créé par décret du président de la République en date du 23 février 1983 6 .
Il « a pour mission de donner son avis sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la
recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé » 7 . Dans son
allocution inaugurale, le président François Mitterand s’est demandé « qu’elles seraient
les conséquences d’un avis formulé par le comité », ce qui n’est pas explicitement
formulé dans le décret de la fondation. La réponse a été : « Dans tel ou tel cas, le
Gouvernement pourra être appelé à réglementer, le Parlement à légiférer, les
organismes de recherche à orienter leurs programmes : et c’est précisément parce qu’on
ne saurait tout prévoir que ce texte reste ouvert » 8 . Dans l’éditorial du numéro de
septembre 1989 de la Lettre d’information du CCNE, Jean Michaud, conseiller de la
Cour de Cassation et membre du comité, confirme et précise même cette attitude : « On
le (le CCNE) soupçonne ici ou là de se prendre pour le législateur, de manifester quelque
imperium. C’est bien entendu parfaitement inexact, puisque nous ne faisons que
poursuivre la tâche entreprise à nos débuts et que nous assigne le texte qui nous institue :
rendre des avis dont nous ne cessons de proclamer qu’ils n’ont aucune force
obligatoire ». Remarquons que la mission du comité, telle qu’elle est définie dans le
décret de 1983, est limitée en principe à la recherche et ne concerne donc pas les
problèmes moraux liés à la pratique médicale.
Le comité comprend, outre son président, nommé par le président de la République,
cinq personnalités, désignées elles aussi par ce dernier, et appartenant aux principales
familles spirituelles et philosophiques 9 , et seize personnalités qualifiées, choisies en
raison de leur compétence et de leur intérêt pour les problèmes éthiques 10 , désignées par
les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le vice-président du Conseil d’Etat,
le premier président de la Cour de Cassation et divers ministres (de la santé, de la
recherche, de l’éducation, etc.). Il comprend aussi quinze personnalités appartenant au
secteur de la recherche (Académie des sciences, Académie de médecine, Collège de
France, les universités, le CNRS, l’INSERM, etc.) 11 . Ces personnes – qui peuvent être
qualifiées de « chercheurs » ou de « spécialistes » – sont nommées par les dirigeants de
ces organismes. Aucun membre n’est élu par ses pairs.
L’article 6 du décret stipule que le comité est renouvelé par moitié tous les deux ans,
un tirage au sort devant être effectué à la fin de la première période. Ceci n’implique pas
6
Décret n° 83-132 du 23 février 1983 (Journal officiel du 25 février 1983), modifié par les décrets n° 83740 du 9 août 1983 (J.O. du 11 août 1983 et Rect. J.O. du 26 novembre 1983) et n° 86-174 de février 1986
(J.O. du 7 février 1986).
7
Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Rapport 1984, Paris, La
Documentation française, 1985; p. 11.
8
Ibid; p. 15.
9
Quatre membres dans le décret initial du 23 février 1983, dont à titre d’exemple, une théologienne
protestante, un philosophe marxiste et le directeur du journal La Croix.
10
Le nombre initial a été de quatorze, porté ensuite à quinze (1986), puis à seize (1987).
11
Le nombre initial était de quatorze.
2
un changement obligatoire des personnes, comme le montre sa composition actuelle qui
comprend encore de nombreux membres désignés au moment de sa création. C’est
notamment le cas de son président, le professeur Jean Bernard.
Une section technique constituée de onze membres est chargée « d’instruire les
dossiers qui seront soumis à l’examen du comité et de traiter toutes les autres demandes
d’avis qu’il ne serait pas jugé utile d’examiner en comité plénier » 12 .
Depuis 1985, le comité étudie, au sein de trois groupes de réflexion, et en dehors de
toute demande d’avis, des problèmes plus fondamentaux qui concernent, respectivement
les neurosciences, la connaissance, et la notion de personne humaine. Ces groupes de
travail peuvent faire appel à des correspondants et à des experts étrangers au comité. Le
rapport Recherche biomédicale et respect de la personne humaine a été publié en
décembre 1987 13 . Nous y reviendrons plus loin.
Le comité est chargé d’organiser à Paris et dans diverses villes de province, des
journées annuelles ouvertes au public, au cours desquelles sont exposés les résultats des
travaux de l’année écoulée et où un grand thème se rattachant à la mission du comité est
discuté, en principe, avec les auditeurs. Nous avons eu l’occasion d’assister aux journées
de 1987 et de 1988 où les thèmes choisis étaient « éthique, formation et information »
pour les premières et « éthique et connaissance » pour les secondes. Nous avons été
frappés par le caractère solennel, pompeux même de ces séances (le local choisi était le
grand amphithéâtre de la Sorbonne) et par le peu de place laissé à une discussion
approfondie, rendue difficile par le cadre et par le nombre des intervenants – peut-on dire
des participants ? Le compte rendu des journées annuelles paraît dans un Rapport publié
chaque année par la Documentation française et qui contient aussi les textes des avis,
recommandations et rapports émis l’année précédente. Le comité publie enfin une Lettre
d’information trimestrielle.
Autres instances officielles ou officieuses
Avant de présenter le contenu des principaux avis émis par le CCNE, il nous paraît
utile de citer ici quelques autres textes élaborés en France par des instances plus ou moins
officielles au cours des quatre ou cinq dernières années et qui touchent à des problèmes
de bioéthique.
En octobre 1986, paraît un rapport sur les procréations artificielles rédigé par un
groupe de cinq personnalités qui avaient été chargées par le Premier ministre de recueillir
les avis et réflexions des experts et de l’opinion sur ce sujet. Les rapporteurs font des
propositions qui ont pour but, entre autres, d’assurer la transparence des pratiques de la
procréation médicalement assistée et la gratuité des dons de gamètes et d’embryons,
d’engager un programme de prévention des maladies sexuellement transmissibles,
12
13
Comité consultatif national d’éthique, op.cit. (note 7); p. 95.
Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Recherche biomédicale et
respect de la personne humaine. Explicitation d’une démarche, Paris, La Documentation française, 1987.
3
d’approfondir la réflexion bioéthique par la multiplication des comités d’éthique locaux
et par la création d’un enseignement interdisciplinaire, d’inscrire la politique française en
matière de procréation médicalement assistée dans une démarche internationale et
d’étudier l’état du droit dans la filiation et le problème de l’accès aux origines, c’est-àdire la levée éventuelle de l’anonymat du donneur 14 .
Un autre document important émane du Conseil d’Etat qui, à la suite d’une demande
du Premier ministre, a étudié les aspects juridiques de l’éthique ou, pour reprendre les
termes mêmes du titre de l’étude, le passage « de l’éthique au droit » 15 . Comme il est dit
dans l’avant-propos, « il est apparu que l’éthique, qui demeure évidemment nécessaire,
ne suffit pas. Des règles et des institutions sont indispensables, pour tirer les
conséquences des procédés nouveaux, par exemple en matière de filiation ou pour éviter
leurs dérives telles que les manipulations génétiques » 16 . Le travail a été réalisé par un
groupe de spécialistes du droit public et du droit privé, en liaison étroite avec le CCNE.
Cette collaboration était assurée par la participation de tous les juristes du comité aux
travaux du groupe. Ce travail, très complet, envisage les problèmes posés par
l’expérimentation humaine (les essais sur l’homme) et l’utilisation des éléments et des
produits du corps humain, les questions en relation avec la procréation humaine
(procréation médicalement assistée, diagnostic prénatal, utilisation de l’embryon humain)
et le cadre institutionnel (registres épidémiologiques, comités d’éthique, garanties et
sanctions). Il présente en annexe une étude de droit comparé (couvrant huit pays et le
Conseil de l’Europe) et les textes du Code de Nüremberg, de la Déclaration d’Helsinki,
de la Déclaration de Manille, ainsi que des extraits du Code pénal, du Code civil et du
Code de la santé publique.
Certains aspects de la bioéthique sont abordés dans un ouvrage publié en 1989 par la
Commission nationale consultative des droits de l’homme à l’occasion du bicentenaire de
la Révolution française 17 . On y trouve notamment un chapitre rédigé par France Quéré,
théologienne protestante, membre du CCNE, qui attire l’attention sur les dangers
possibles des succès de la biologie et de la médecine et le risque de passer par
d’imperceptibles transitions du zygote à l’enfant, en passant par l’embryon et le fœtus, de
la mort au sommeil, par les intermédiaires du coma dépassé, de l’état végétatif chronique
et de la syncope ! D’où la nécessité de « revenir à une perception de la personne qui
ouvrirait le plus largement possible le compas, jusqu’à inclure ses formes potentielles ou
rétrospectives, où les interventions de la science ne seraient autorisées qu’en des cas
impérieux et sous contrôle de comités d’éthique » 18 .
14
ALNOT, M.O., LABRUSSE-RIOU, C., MANDELBAUM-BLEIBTREU, J., PEROL, Y.,
ROSENCZVEIG, J.P., Les procréations artificielles. Rapport au Premier ministre, Paris, La
Documentation française, « Collection des rapports officiels », 1986.
15
Conseil d’Etat, Section du rapport et des études, Sciences de la vie. De l’éthique au droit, Paris, La
Documentation française, Coll. « Notes et études documentaires », 1988.
16
Ibid; p. 7.
17
Commission nationale consultative des droits de l’homme, 1989, Les droits de l’homme en question,
Paris, La Documentation française, 1989.
18
QUERE, F., « Entre l’intolérable et l’inqualifiable », Ibid.; p. 76.
4
Trois chapitres traitent plus spécifiquement des rapports entre la bioéthique et les
droits de l’homme. Michel Tibon-Cornillot, chercheur à l’Ecole des hautes études en
sciences sociales, dans un chapitre intitulé « Respect éthique et instrumentalisation des
corps en biologie et en médecine; du génie génétique aux manipulations d’embryons » 19
fait un bon exposé des principales découvertes dans ce domaine et propose trois attitudes
possibles en face de ces découvertes, soit une valorisation de la subjectivité avec comme
conséquence une prééminence de l’individu sur la société, soit une conception holiste de
l’éthique qui privilégie l’esprit communautaire, le groupe social, la famille, soit enfin
l’attitude de beaucoup de chercheurs qui considèrent que le progrès dans la connaissance
et la discipline dans la recherche sont déjà en soi des valeurs éthiques.
René Frydman, professeur de médecine, expose les aspects scientifiques des
techniques de procréation artificielle utilisées tant pour le traitement de la stérilité que
pour la recherche. Il aborde le problème des mères porteuses, de la fécondation in vitro et
du sort des embryons surnuméraires 20 . Les aspects juridiques de ces recherches sont
étudiés par Michelle Gobert, professeur de droit, qui distingue les progrès intervenus dans
la reproduction humaine et le traitement de la stérilité (insémination artificielle, dons
d’ovules, maternité pour autrui, FIVETE) de ceux intervenus ou à venir dans le devenir
de l’homme (identification des gènes, thérapie génétique, diagnostic prénatal) 21 . Elle
adopte en général une position très ouverte qui, tout en dénonçant elle aussi la tentation
de l’eugénisme, remarque que le principe de la thérapie génique sur les cellules
somatiques, sans modification du patrimoine génétique, est généralement admis et que
dès à présent l’avortement pour cause de détresse est possible librement jusqu’à la fin de
la dixième semaine et que l’avortement thérapeutique peut être pratiqué pendant toute la
grossesse si l’enfant à naître présente une affection particulièrement grave et incurable.
En résumé, ces trois ouvrages, dans leur ensemble, présentent en détail les faits
scientifiques récents qui posent le plus de problèmes éthiques, c’est-à-dire de façon tout à
fait prépondérante ceux qui touchent à la reproduction humaine. Ils abordent à peine la
question des essais thérapeutiques 22 et ignorent complètement le débat sur l’euthanasie.
Les solutions proposées dans le domaine de la reproduction sont remarquablement
cohérentes et restent très ouvertes. Les seuls interdits absolus concernent les
manipulations du génome et le commerce du corps et des organes.
19
Ibid.; pp. 281 à 311.
FRYDMAN, R., « Incidences des progrès des sciences biologique et médicale sur le droit des personnes.
Aspects scientifiques », Ibid.; pp. 313 à 316.
21
GOBERT, M., « Incidences des progrès des sciences biologique et médicale sur le droit des personnes.
Aspects juridiques », Ibid.; pp. 317 à 322.
22
Il convient toutefois de signaler que l’expérimentation est traitée de façon plus approfondie dans un
ouvrage intitulé Expérimentation humaine et droits de l’homme, Paris, Presses universitaires de France,
1988, publié par la Fondation Marangopoulous pour les droits de l’homme (Athènes), dont nous ne
rendons pas compte parce qu’il s’agit des actes d’un colloque organisé dans l’île de Crête en mai 1988
par l’Institut de droit comparé de Paris et le Centre international de criminologie comparée de
l’Université de Montréal, et qui sort donc du cadre que nous avons choisi.
20
5
Les avis et rapports du CCNE
Depuis sa création, le CCNE a émis quatorze avis qui ont fait l’objet d’une publication
dans les rapports annuels parus de 1984 à 1988, plus quatre avis, non encore publiés, en
1989. Chaque avis est accompagné d’un rapport, parfois dissocié en rapports technique,
scientifique et éthique, qui est un document préparatoire n’engageant pas le comité. Il est
parfois signalé qu’une décision n’a pas emporté un accord unanime, mais il n’est donné
aucune indication sur des votes éventuels. A deux reprises, une note signée exprime
l’opinion divergente d’un membre.
L’annexe donne la liste des avis jusqu’au 16 décembre 1989. Nous en analyserons
sept qui peuvent être regroupés sous quatre rubriques : la reproduction humaine et la
procréation artificielle (au sens large), les états végétatifs chroniques et de mort cérébrale,
le sida, les essais de nouveaux traitements chez l’homme. La longueur des avis est très
variable : cinq fois ils ne dépassent pas une page, sept fois ils sont de une et demi à cinq
pages; les deux derniers ont respectivement neuf et dix-huit pages.
Le comité a aussi publié une brochure intitulée Recherche biomédicale et respect de
la personne humaine rédigée par Lucien Sève. Il s’agit du rapport d’un groupe de travail
mis en place en 1985 et dont le texte a été plusieurs fois discuté et modifié par le comité
plénier 23 .
Avis relatifs à la reproduction humaine
La prédominance des problèmes éthiques liés à la reproduction humaine apparaît
clairement lorsqu’on constate que le comité a émis six avis sur ce sujet (voir annexe).
Nous en retiendrons deux pour une analyse forcément un peu sommaire : le seul avis sur
la recherche sur les embryons in vitro et leur utilisation à des fins médicales et
scientifiques a dix-huit pages et les rapports qui l’accompagnent quarante-quatre pages.
Un point auquel le comité attache manifestement une grande importance puisqu’il est
repris dans chaque avis sur le sujet est la qualité de personne humaine potentielle
attribuée à l’embryon ou au fœtus 24 dès sa conception « et dont le respect s’impose à
tous ». Il est quasi symbolique que cette notion apparaisse dans la première phrase du
premier avis du comité (Avis sur les prélèvements de tissus d’embryons ou de fœtus
humains morts à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques, avril 1984). On
trouve dans ce document un rejet catégorique de toute utilisation commerciale ou
industrielle des embryons. Seule l’utilisation à des fins diagnostiques est considérée
comme légitime sans aucune réserve. L’utilisation des tissus embryonnaires dans un but
thérapeutique n’est admise que dans des cas exceptionnels, pour des maladies
particulièrement graves et pour lesquelles aucune autre méthode de traitement n’est aussi
23
24
Comité consultatif national d’éthique, op.cit. (note 13).
Dans tous les textes consacrés à la reproduction humaine, le comité ne fait pas de différence entre les
termes « embryon » et « fœtus » estimant que la limite entre ces deux stades ne peut être définie de façon
scientifique.
6
efficace. L’usage pour la recherche ne doit être permis que dans des établissements
agréés et si le but poursuivi est spécialement important et utile au progrès des
thérapeutiques. L’avis d’un comité d’éthique doit avoir été obtenu. Lorsque le fœtus
provient d’un avortement provoqué, l’équipe de chercheurs doit être totalement
indépendante de celle qui procède à l’interruption volontaire de grossesse. Enfin, le père
et la mère ont un droit de veto. Ils peuvent s’opposer aux prélèvements et expériences
évoqués plus haut mais il n’est pas indispensable d’obtenir leur consentement.
L’autre avis que nous désirons commenter concerne les recherches sur les embryons
humains in vitro et leur utilisation à des fins médicales et scientifiques (1986). Il prolonge
et complète l’avis dont nous venons de parler. Il examine les conditions d’application de
la technique de la fécondation in vitro et transfert d’embryons (FIVETE) et de ce qui en
découle, le sort des embryons surnuméraires. Avant d’aborder l’aspect éthique, nous
décrirons très brièvement les aspects scientifiques et techniques de ces méthodes. Les
ovocytes (œufs non fécondés) sont recueillis chez la femme par une ponction réalisée
sous laparoscopie, après une période de stimulation hormonale. Celle-ci est rendue
nécessaire par les besoins de réimplanter, après fécondation in vitro, plusieurs œufs
fécondés (trois est le chiffre habituellement retenu) pour avoir une chance raisonnable de
grossesse. Dans ces conditions, le taux de succès par tentative est situé entre quinze et
vingt pour cent. La réimplantation d’un nombre supérieur d’ovocytes entraîne une
fréquence trop élevée de grossesses multiples, pouvant atteindre près de vingt pour cent,
alors qu’il n’est que de un pour cent normalement en moyenne. Comme le nombre
d’ovocytes obtenus par ponction dépasse souvent le chiffre de trois, on dispose donc d’un
certain nombre d’embryons surnuméraires qui peuvent être congelés et conservés
pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, et être utilisés après ce délai pour une
nouvelle tentative de grossesse (ou pour tout autre usage, comme nous le verrons plus
loin). Signalons à ce sujet que la conservation d’ovocytes non fécondés reste aujourd’hui
extrêmement aléatoire.
Les problèmes éthiques soulevés par ces méthodes sont multiples. L’avis reprend la
notion de personne humaine potentielle déjà évoquée plus haut. Il récuse par contre le
concept de pré-embryon que certains chercheurs auraient voulu distinguer de l’embryon
et auquel ne saurait s’appliquer la qualité de personne humaine (potentielle). Ce stade
irait pour certains jusqu’au moment de l’implantation (sixième jour), pour d’autres
jusqu’à l’apparition d’un axe de symétrie, la ligne primitive (quatorzième jour),
l’argument étant, dans ce dernier exemple, que la section du pré-embryon en deux parties,
jusqu’à ce stade, peut donner naissance à des jumeaux identiques. Il est affirmé que la
finalité de la FIVETE est la naissance d’enfants et qu’il est exclu d’utiliser cette
technique pour produire des embryons en vue de la recherche. Comme dans l’avis
précédent, il faut rejeter toute commercialisation. Les fécondations et autres interventions
médicales ou scientifiques sur ce matériel ne peuvent se faire qu’avec l’accord des
géniteurs.
Le sort des embryons surnuméraires est longuement discuté. Leur destruction est
considérée comme un moindre mal. L’utilisation en vue d’une deuxième grossesse, après
succès d’une première FIVETE, n’a pas recueilli l’accord unanime du comité mais n’est
7
pas rejetée en principe. Le don d’embryon à un autre couple n’est envisagé que par
certains membres du comité et le souhait général est plutôt que des normes juridiques
soient établies, le don d’enfant n’étant pas licite dans le droit français. L’utilisation des
embryons à des fins de recherche n’est pas considérée comme souhaitable, mais elle n’est
pas exclue non plus a priori. Ces recherches doivent être contrôlées et ne pourraient être
entreprises qu’après que le projet procréatif ait été réalisé ou abandonné et seulement
après avoir reçu un avis favorable du CCNE. Un moratoire de trois ans est proposé pour
les recherches sur le diagnostic génique in vitro avant transplantation pour éviter le tri
génétique et l’eugénisme. Les recherches qui devraient être interdites sont la thérapie
génique germinale, c’est-à-dire la modification artificielle du génome humain, la
transplantation d’embryons entre l’homme et l’animal, la création de chimères, la
gestation masculine. Bien d’autres points sont développés dans ce long avis accompagné
d’un rapport plus long encore. Il n’est pas possible de les discuter ni même de les citer
ici. Notons seulement que l’accent est mis sur la détresse du couple stérile, mais que
l’intérêt des parents potentiels ne peut jamais avoir la prééminence sur l’intérêt du futur
enfant ou, pour reprendre une formule classique, qu’avant de réclamer le droit à l’enfant,
il faut penser aux droits de l’enfant.
Avis sur les états végétatifs chroniques et sur l’état de mort cérébrale
L'avis sur les expérimentations sur les malades en état végétatif chronique a été émis
en 1986 à la suite de ce qu'on a appelé « l'affaire Milhaud » : le docteur Alain Milhaud,
chef du département d'anesthésie-réanimation au Centre hospitalier universitaire
d'Amiens, avait réalisé en mai 1985 une expérience de transfusion sanguine à haut débit,
par voie intra-osseuse, chez un sujet jeune qui se trouvait dans un état végétatif chronique
depuis trois ans. L'expérience avait consisté à prélever un litre de sang au malade et à le
lui réinjecter immédiatement dans l'os iliaque en deux minutes. Le prélèvement du sang
avait entraîné une chute de tension, rapidement corrigée par l'administration d'un liquide
de substitution (le Plasmion). La transfusion du sang s'était déroulée sans incident et il n'y
eut pas de suites défavorables. Dans une lettre adressée en décembre 1985 au CCNE, le
docteur Milhaud demandait l'autorisation de répéter cette expérience chez d'autres
patients et, sur un plan plus large, de pratiquer des essais thérapeutiques sur des sujets en
état végétatif chronique. La réponse du comité fut négative sur les deux points. Elle
souligne, avec une certaine insistance, parfois même avec ironie, les insuffisances
techniques et les erreurs de la première expérience : prélèvement d'une trop grande
quantité de sang, conservation défectueuse des échantillons prélevés pour analyse,
inutilité et danger de la curarisation. Sur le plan éthique, l'avis et le rapport insistent sur le
fait que l'expérience ne pouvait avoir aucun intérêt pour le malade mais comportait des
risques non négligeables et était donc en contradiction avec l'avis sur les essais de
nouveaux traitements chez l’homme (voir plus loin) où il est nettement affirmé qu'un
malade ne peut pas faire l'objet d'un essai thérapeutique sans rapport avec le traitement de
la maladie qui l'atteint. Aucun accord du patient ne pouvait, pas définition, être obtenu.
Les proches du malade n'avaient pas été consultés et l'avis d'un comité d'éthique local
n'avait pas été demandé. En ce qui concerne la question plus générale des essais
thérapeutiques chez des patients en état végétatif chronique, le comité relève, pour s'y
opposer de façon absolue, la formule utilisée par le docteur Milhaud selon laquelle ces
8
malades seraient « des modèles humains presque parfaits et constitueraient des
intermédiaires entre l'animal et l'homme ».
On ne peut s'empêcher de penser à la lecture de cet avis que le comité a été choqué
par la demande du docteur Milhaud et qu'il a réagi d'une façon un peu précipitée et
affective, peut-être sans avoir envisagé d'une façon tout à fait sereine tous les aspects du
problème 25 . Sans utiliser les expressions contestées d'Alain Milhaud, on peut estimer que
le patient en état végétatif chronique pourrait, avec l'accord de ses proches et pour autant
qu'il n'ait pas manifesté auparavant son opposition de principe, être soumis à des
expériences difficilement réalisables dans d'autres conditions et d'un intérêt scientifique
particulièrement important.
En 1988, le comité a émis un avis sur des problèmes très proches de ceux qui ont été
examinés dans l'avis précédent, mais concernant cette fois des sujets en état de mort
cérébrale. Ce terme est considéré comme préférable à celui de «coma dépassé» qui risque
d'entraîner une confusion avec les comas prolongés. La mort cérébrale est définie comme
l'arrêt irréversible de toutes les fonctions du cerveau (hémisphères et tronc cérébral)
confirmé par cinq signes dont un électro-encéphalogramme plat constaté sur deux
enregistrements effectués à au moins six heures d'intervalle. Un tel état ne peut être
maintenu — artificiellement, grâce aux techniques de réanimation — que pendant
quelques jours. La mort cérébrale est la mort de l'individu; on peut à ce stade arrêter la
respiration et la circulation artificielles. Celles-ci peuvent être maintenues un certain
temps pour permettre le prélèvement d'organes en vue de la transplantation si le sujet n'a
pas manifesté d'opposition de son vivant (loi du 22 décembre 1976, dit loi Caillavet, et
décret du 31 mars 1978). L'avis est négatif en ce qui concerne l'expérimentation à ce
stade et stipule que la situation ne peut être comparée à celle qui vient d'être évoquée et
qui concerne le prélèvement d'organes en vue de la transplantation : «Il y a une différence
entre une transplantation d'organes susceptibles de sauver une vie humaine dans
l'immédiat, et une expérimentation dont le résultat n'est pas prévisible». Une telle
interprétation peut être contestée et l'est effectivement par Henri Caillavet lui-même dans
une lettre ouverte au professeur Jean Bernard et dont il est le co-signataire (14 décembre
1988). Il y est rappelé que l'article 2 de la loi stipule que «des prélèvements peuvent être
effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques, sur le cadavre d'une personne
n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d'un tel prélèvement». La lettre ouverte
poursuit: «Ainsi, le législateur s'est bien gardé de préciser qu'il s'agissait obligatoirement
d'organes; des prélèvements de tous types (liquides physiologiques ou pathologiques,
grandeurs physiologiques, images radiologiques ou vidéo, etc.) peuvent parfaitement
entrer dans le cadre de cet article 2». Une déclaration aussi nette de la part de l'auteur de
la loi nous paraît difficilement contestable et on peut s'étonner de l'opposition délibérée et
répétée du CCNE à toute expérimentation sur les patients en état végétatif chronique ou
en état de mort cérébrale, ces sujets ne pouvant, par définition, pas souffrir de ces
manoeuvres. Il nous semble que l'intérêt potentiel des recherches effectuées devrait être
25
Cet avis a cependant été confirmé en 1988 en annexe au rapport qui accompagne l’avis sur
l’expérimentation médicale et scientifique sur des sujets en état de mort cérébrale (Comité consultatif
national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Rapport 1988, Paris, La Documentation
française, 1989; p.22.
9
pris en considération pour les accepter ou les refuser. Le bien futur de la société ne
devrait peut-être pas être systématiquement placé dans une situation d'infériorité par
rapport au «respect» de la dépouille mortelle. Est-ce d'ailleurs manquer de respect que
soumettre celle-ci à une expérimentation utile, dans des conditions rigoureusement
contrôlées ?
Avis sur les essais de nouveaux traitements
L'avis sur les problèmes éthiques posés par les essais de nouveaux traitements chez
l'homme (Rapport 1984) concerne non seulement les essais de nouveaux médicaments
mais l'ensemble des actes à visée curative, préventive ou diagnostique. Par souci de
simplicité et de brièveté, nous n'envisagerons ici que les traitements médicamenteux.
Il est admis aujourd'hui que les nouveaux médicaments, après avoir subi les
indispensables études pharmacologiques et toxicologiques en laboratoire, in vitro et sur
plusieurs espèces animales, doivent passer par une investigation clinique en trois phases.
La première consiste à déterminer chez l'homme, en première approximation, la tolérance
et la posologie. La phase II a pour but de préciser la posologie et surtout d'établir
l'efficacité du nouveau traitement. Ces deux types d'essai ne demandent en général qu'un
nombre relativement restreint de malades (quelques dizaines). La phase III est de loin la
plus importante. Elle vise à comparer le produit testé à un traitement «classique»,
d'efficacité établie. La méthode la plus utilisée consiste à constituer deux groupes de
malades aussi comparables que possible, ce qui se fait en général par «randomisation»,
c'est-à-dire par répartition des malades entre les groupes par tirage au sort. L'évaluation
doit se faire, dans toute la mesure du possible, «en double aveugle», c'est-à-dire sans que
l'investigateur (le médecin) ni le patient ne sachent si le traitement reçu est le produit à
l'essai ou le médicament de référence (voire un placebo si la maladie traitée est de peu de
gravité). Ces essais comparatifs exigent de nombreux malades, souvent quelques
centaines. Depuis 1975, à la suite des directives européennes du 20 mai, l'autorisation de
mise sur le marché en France devait obligatoirement avoir été précédée d'une évaluation
réalisée selon la méthodologie qui vient d'être sommairement décrite. Or ce type d'étude
était illicite et leurs promoteurs étaient passibles de sanctions pénales. La loi du 12
décembre 1988 sur «la protection des personnes qui se prêtent à des recherches
biomédicales» a heureusement mis fin à ce dilemme qui existait donc encore au moment
où le CCNE a rédigé son avis. Celui-ci présente d'emblée l'essai contrôlé comme la
méthodologie la plus rigoureuse. Ceci ne peut pas nous étonner puisque le rapporteur
était le professeur Daniel Schwartz, statisticien, et autorité mondialement reconnue dans
le domaine des essais thérapeutiques. L'avis n'admet le recours à des volontaires sains
que si le risque encouru est minime. Il exclut de toute façon les détenus, les incapables,
les malades atteints d'une affection étrangère à l'étude. Les participants à l'essai doivent
donner un «consentement libre et éclairé», de préférence par écrit, et dans ce but, doivent
recevoir une information complète sur les buts de l'essai et sur les risques. Toute
rémunération devrait être interdite. Le protocole de l'essai doit être présenté à un comité
d'éthique. Ces différents points ont été repris de façon presque identique dans le rapport
du Conseil d'État cité plus haut (page 68) et ont été adoptés dans la loi du 12 décembre
1988.
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Avis concernant le sida et l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine
Le premier avis au sujet du sida a été donné en 1985. Il concerne les problèmes
éthiques posés par l'appréciation des risques du sida, par la recherche d'anticorps
spécifiques chez les donneurs de sang (Rapport 1985). Comme il est court, il paraît utile
de le transcrire ici dans son intégralité, ce qui donnera aussi un exemple du «style» du
comité :
« Le Comité rappelle qu'en l'état actuel des données scientifiques, il existe des
incertitudes. Celles-ci concernent sans doute moins les techniques elles-mêmes que
l'interprétation qu'on peut donner d'une séro-positivité. Encore convient-il de
souligner qu'il serait inadmissible que par l'effet d'une excessive pression
commerciale on en vienne à devoir suspecter les conditions d'exploitation des tests
sérologiques. Quoiqu'il en soit de cet aspect aléatoire du diagnostic sérologique, le
Comité estime qu'il est indispensable de faire dans des conditions techniques
irréprochables le dépistage de l'infection chez les donneurs de sang, mais que ceux-ci
devraient au préalable en être informés.
Devant la constatation d'une séro-positivité et compte tenu de la possibilité d'une
grave évolution de l'infection et des risques de diffusion de la maladie, le Comité
estime que le médecin du centre de transfusion doit observer une attitude de totale
franchise à l'égard de l'intéressé qui sera informé de ses responsabilités personnelles,
familiales et relationnelles.
Il convient qu'en pareille circonstance les médecins soucieux d'adapter leurs propos
à chaque cas particulier soient en mesure de transmettre, dans des conditions
acceptables souvent difficiles, un message efficace concernant le nombre, l'étendue
des investigations complémentaires et les précautions à observer vis-à-vis de
l'entourage.»
Le CCNE avait été saisi par le ministre de la Solidarité, de la Santé et de la
Protection sociale, d'une demande d'avis sur les problèmes éthiques posés par la
progression de l'infection par le virus de l'immuno-déficience humaine (Rapport
1988). Il a rédigé un long rapport de quarante-cinq pages qu'il serait évidemment
impossible de résumer ici. On ne peut rendre compte de l'avis lui-même qu'en faisant
abstraction d'un grand nombre de détails. Cet avis signale d'emblée que la gravité de la
situation justifie «une action soutenue pour prévenir cette transmission, action
légitimant des sacrifices importants, tant sur le plan financier que par les limitations
qu'elle pourrait apporter aux libertés individuelles et collectives» 26 . Une première
question posée concernait la justification du dépistage, par exemple à l'occasion d'un
examen prénuptial, en début de grossesse, lors d'une hospitalisation en vue d'une
intervention chirurgicale. Il est rappelé que la déclaration de l'infection par le virus de
l'immuno-déficience humaine (VIH) au stade de sida avéré est obligatoire depuis un
décret pris en 1986. L'avis rappelle aussi que les pouvoirs publics ont pris une série
26
Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Ethique et recherche
biomédicale, Rapport 1988, Paris, La Documentation française, 1989; p.87.
11
d'arrêtés ministériels et de circulaires qui rendent le dépistage obligatoire pour les
donneurs de sang, d'organes, de cellules, notamment de sperme. Il approuve cette
obligation. Le comité considère que le dépistage devrait être systématiquement
proposé, mais non imposé aux patients hospitalisés en vue d'une intervention
chirurgicale ou d'un examen endoscopique. En ce qui concerne le dépistage à
l'occasion de l'examen prénuptial, l'avis se contente de citer les arguments en faveur
d'un dépistage obligatoire et les raisons qui peuvent être invoquées dans le sens de la
simple obligation de proposer le test, sans prendre position. A propos de la femme
enceinte, la même ambiguïté existe. Les membres du comité se sont partagés entre ceux
qui donnaient la préférence à une proposition systématique et ceux qui jugeaient que
l'obligation aurait une grande portée symbolique et «renforcerait les pressions en faveur
de l'interruption de grossesse clans le cas où une séro-positivité serait découverte chez
la future mère» 27 . Le comité estime qu'il ne lui est pas possible de conclure à ce sujet
dans les courts délais qui lui ont été impartis.
Il considère par contre qu'il a pu se livrer à une étude complète du problème de
l'information et de l'éducation du public. Il reconnaît que d'importants efforts ont été
faits en faveur de l'information des personnes appartenant aux catégories dites « à
risque», c'est-à-dire les homosexuels, les drogués, les prostituées. Par contre, un effort
supplémentaire devrait être fait en direction de l'ensemble des personnes en âge d'activité
sexuelle, et plus particulièrement chez les jeunes. Il propose la création de groupes de
travail avec des responsables d'associations et se prononce en faveur d'un enseignement
spécialement destiné aux personnes qui sont amenées par leur profession à donner des
avis et des conseils ou à répondre à des questions sur ce sujet : les membres des professions
médicales et paramédicales et les «catégories sociales et professionnelles les plus
directement concernées» (sans préciser davantage).
Le CCNE s'est aussi prononcé, dans ce même avis, sur un certain nombre de questions
en rapport avec la lutte contre la transmission de l'infection VIH. La personne séropositive doit non seulement être informée de cette séro-positivité, mais aussi des
conséquences probables de l'infection à court, moyen et long terme, des répercussions sur
elle-même et sur ses proches, des mesures à prendre pour en limiter la propagation et des
conditions de la prise en charge médicale et sociale de ces conséquences et répercussions.
Les résultats du dépistage doivent être couverts par le secret médical. La constatation
d'une séropositivité ne devrait pas avoir d'influence sur l'embauchage ou sur l'exercice
de la profession.
Le CCNE a été le premier organisme permanent, créé à l'échelle nationale, ayant
pour mission d'étudier les problèmes moraux créés par la recherche dans le domaine de
la biologie humaine. Il est un exemple quasi unique, la plupart des autres pays ayant plutôt
opté, jusqu'à présent, pour des commissions temporaires (comme aux Etats-Unis) ou pour
des comités régionaux ou liés à des établissements hospitaliers. Le Danemark constitue l'une
des exceptions; il y a été créé en 1987 un Conseil national d'éthique pour la santé et la
recherche biomédicale. L'Australie s'est doté d'un Comité national d'éthique en
1989 28 . Plusieurs Etats semblent avoir dans leurs projets la création de comités
27
28
Ibid; p.94.
BERNARD, J., De la biologie à l’éthique, Paris, Ed. Buchet/Chastel, 1990; p.264.
12
nationaux, mais les décisions à prendre à un niveau élevé sont difficiles et souvent très
lentes, parfois freinées par des conflits de compétence. Il nous semble qu'on peut
néanmoins prévoir la création, dans plusieurs pays et dans un avenir plus ou moins
proche, d'autres comités nationaux sur le modèle du CCNE français.
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Annexe
Avis et rapports émis par le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la
vie et de la santé (liste arrêtée au 16 décembre 1989).
1984
− Prélèvements de tissus d'embryons ou de foetus humains morts à des fins
thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques*
− Problèmes éthiques posés par les essais de nouveaux traitements chez l'homme
− Problèmes éthiques nés des techniques de reproduction artificielle*
1985
− Les registres médicaux pour études épidémiologiques et de prévention.
− Problèmes éthiques posés par l'appréciation des risques du sida par la recherche
d'anticorps spécifiques chez les donneurs de sang
− Problèmes posés par le diagnostic prénatal et périnatal
1986
− Expérimentations sur les malades en état végétatif chronique
− Recherches sur les embryons humains in vitro et leur utilisation à des fins médicales et
scientifiques*
1987
− Problèmes posés par le développement des méthodes d'utilisation de cellules humaines et
leurs dérivés
− Utilisation de la mifépristone (RU 486)
− Expérience de simulation des modifications cardio-vasculaires et des tissus de soutien
observées chez l'homme en apesanteur réalisée sur des sujets volontaires sains
1988
− Expérimentation médicale et scientifique sur les sujets en état de mort cérébrale
− Comités d'éthique locaux
− Problèmes éthiques posés par la lutte contre la diffusion de l'infection par le virus de
l'immuno-déficience humaine (VIH)
1989
−
−
−
−
Dépistage des toxicomanies dans l'entreprise
Greffes de cellules nerveuses dans le traitement de la maladie de Parkinson
Techniques des empreintes génétiques
Don d'embryon et recherche sur l'embryon
Les avis sont accompagnés de rapports, les rapports technique et éthique étant parfois
distincts. Au cours de la première année, ils étaient accompagnés de «réflexions et
propositions» ou d'un «document de travail». Tous ces documents sont publiés dans un
rapport annuel (La Documentation française).
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* Ces avis et rapports ont paru aussi dans : Comité consultatif national d'éthique, Avis
de recherche sur l’embryon, édition bilingue français-anglais, Actes Sud et INSERM, Coll.
«La fabrique du corps humain», 1987, 180 p.
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