revue bimestrielle de l`observatoire du droit européen

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revue bimestrielle de l`observatoire du droit européen
REVUE BIMESTRIELLE
DE L’OBSERVATOIRE DU
DROIT EUROPÉEN
Mars - Avril 2007
n° 14
___________________________________________________________
SERVICE DE DOCUMENTATION ET D’ETUDES
COUR DE CASSATION - FRANCE
SOMMAIRE
.............................................................................1
Arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme............................................2
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
COUR DE JUSTICE ET DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS
EUROPÉENNES ........................................................................................................................17
Libre prestation de services............................................................................ 18
Concurrence............................................................................................................... 22
Libre circulation des marchandises............................................................................ 25
Propriété intellectuelle................................................................................................ 29
Coopération judiciaire et policière en matière pénale ................................................ 31
Rapprochement des législations ................................................................................ 34
ACTUALITÉS ................................................................................................................................
Activités du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne .............................. 37
Actualités internationales ...................................................................................... 39
COUR EUROPÉENNE
DES
DROITS DE L’HOMME
ARRÊTS DE LA
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1
Gebremedhin c. France
26 avril 2007
req. n° 25389/05
- Violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants)
et 13 (droit à un recours effectif) - Non-violation de l’article 5 § 1 f) (droit à la liberté et à la sûreté) T Faits
:
Le requérant, ressortissant érythréen, est actuellement hébergé à Paris par une organisation
non gouvernementale.
En 1998, comme de nombreuses autres personnes, lui et sa famille furent déplacés
d'Ethiopie en Erythrée. Il y travailla comme reporter-photographe pour le journal indépendant
Keste Debena, dont le rédacteur en chef était alors le journaliste Milkias Mihretab. Les deux
hommes furent arrêtés en 2000 en raison semble-t-il de leur activité journalistique ; M.
Mihretab fut incarcéré durant huit mois et le requérant pendant six mois.
En septembre 2001, M. Mihretab fuit le pays. Arrêté et interrogé au sujet de son ami
journaliste, le requérant aurait été torturé. Il fut emprisonné pendant six mois et réussit à
s’évader de l’hôpital de la prison où il avait été transféré après avoir contracté la tuberculose.
Après avoir séjourné au Soudan, le requérant, sans papiers d’identité, serait, selon ses
dires, arrivé en France à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle le 29 juin 2005. Le 1er juillet
2005, il demanda l’autorisation d’entrer en France au titre de l’asile. Le 5 juillet 2005,
l’OFPRA (Office français des Réfugiés et Apatrides) estimant que les propos du requérant
contenaient certaines incohérences, rendit un avis de non admission sur le territoire français.
Le lendemain, le Ministère de l’Intérieur rejeta la demande du requérant et décida de le
renvoyer « vers le territoire de l'Erythrée ou, le cas échéant, vers tout pays où il sera
légalement admissible ». Le recours formé par le requérant contre cette décision fut rejeté
par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 8 juillet 2005.
Le 15 juillet 2005, la Cour européenne, devant laquelle le requérant avait introduit une
requête, indiqua au Gouvernement français qu’en application de l’article 39 (mesures
provisoires) du règlement, il était souhaitable de ne pas renvoyer l’intéressé vers l’Erythrée
avant la réunion de la chambre compétente. Le 20 juillet 2005, les autorités françaises
autorisèrent le requérant à entrer sur le territoire national puis lui délivrèrent une autorisation
provisoire de séjour. Le 7 novembre 2005, l’OFPRA lui reconnut la qualité de réfugié.
1
Les arrêts de la CEDH sont disponibles sur le site http://www.echr.coe.int/ECHR/ . Les arrêts présentés
deviendront définitifs dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.
2
T
Griefs :
Devant la Cour européenne, le requérant invoquait l'article 13 combiné avec l’article 3 de la
Convention, dénonçant l’absence en droit français d’un recours suspensif contre les
décisions de refus d’admission sur le territoire et de réacheminement, alors qu’il soutenait
avoir été exposé à un risque de torture en cas de renvoi en Erythrée.
Par ailleurs, sous l’angle de l’article 5 § 1, il se plaignait d’avoir été privé de liberté
illégalement, d’une part, du fait de son maintien en zone internationale entre le 29 juin et le
1er juillet 2005, et, d’autre part, du fait de son maintien en zone d’attente jusqu’au 20 juillet
2005.
L’ANAFE, organisation non gouvernementale dont l’objet est de fournir une aide juridique et
humanitaire aux étrangers en difficulté aux frontières françaises, a été autorisée par la Cour
à déposer des observations en tant que tierce intervenante, et portant sur la situation des
demandeurs d’asile.
T
Dispositif :
Concernant l’article 13 combiné avec l’article 3 :
- Sur la recevabilité du recours fondé sur la combinaison des articles 13 et 3 de la
Convention :
La Cour ne suit pas les autorités nationales qui alléguaient que le requérant n’étant plus
exposé à un risque d’expulsion, n’avait plus la qualité de victime au sens de la Convention.
Elle estime que “pour qu’une décision ou une mesure favorable au requérant suffise à lui
retirer la qualité de victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu,
explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention. Il est
manifeste en l’espèce que ces conditions ne sont pas remplies s’agissant du grief tiré des
articles 13 et 3 combinés” (§ 56).
- Sur le fond :
La Cour expose qu’en droit français, “une décision de refus d’admission sur le territoire fait
obstacle au dépôt d’une demande d’asile ; elle est en outre exécutoire, de sorte que
l'intéressé peut être immédiatement renvoyé dans le pays qu’il dit avoir fui” (§ 54). Elle
constate qu’en l’espèce, suite à l’application de l’article 39 du règlement de la Cour, le
requérant a été admis sur le territoire et a ainsi pu déposer une demande d’asile devant
l’OFPRA, lequel lui a reconnu la qualité de réfugié en novembre 2005.
Selon le droit français, pour déposer une demande d’asile devant l’OFPRA, un étranger doit
se trouver sur le territoire français. En conséquence, s’il se présente à la frontière, il ne peut
déposer une telle demande que s’il lui est préalablement donné accès au territoire. S’il n’est
pas en possession des documents requis à cet effet, il doit déposer une demande d’accès
au territoire au titre de l’asile ; il est alors maintenu en « zone d'attente » durant le temps
nécessaire à l’examen du caractère « manifestement infondé » ou non de la demande
d’asile qu’il entend déposer ; si l’administration juge la demande d’asile « manifestement
infondée », elle rejette la demande d’accès au territoire de l’intéressé lequel est d’office
« réacheminable» sans avoir eu la possibilité de soumettre sa demande d’asile à l'OFPRA.
La Cour énonce : “Compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 de la
Convention et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de
réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements (...), l’article 13 de la Convention
exige que l’intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif” (§ 66). Elle relève, dans
le droit français, une difficulté particulière, dans le cas où l’intéressé se présente « à la
3
frontière », à son arrivée à un aéroport par exemple, comme ce fut le cas pour le requérant
et lorsqu’il court un risque qualifiable sous l’angle de l’article 2 ou de l’article 3 de la
Convention dans son pays d’origine.
Certes, depuis la loi du 30 juin 2000, dont a bénéficié le requérant, les personnes
concernées par cette procédure, dite « procédure de l’asile à la frontière », ont la possibilité
d’exercer un recours contre la décision ministérielle de non-admission mais également de
saisir le juge des référés. Si cette dernière procédure présente a priori des garanties
sérieuses, la Cour constate cependant que “la saisine du juge des référés n’a pas d’effet
suspensif de plein droit, de sorte que l’intéressé peut, en toute légalité, être réacheminé
avant que le juge ait statué, ce que critique le Comité des Nations Unies contre la torture
notamment” (§ 65).
Citant sa jurisprudence Conka c. Belgique du 5 février 2002 et, contrairement au
Gouvernement qui soutenait que le recours requis n’avait pas à être suspensif de plein droit
du moment que la pratique allait dans le sens d’un effet suspensif, la Cour souligne qu’elle
ne peut se contenter d’une telle pratique administrative, “soumise au bon vouloir d’une partie
et révocable à tout moment et qui ne saurait se substituer à la garantie fondamentale d’un
recours suspensif” (§ 66).
Considérant que le requérant n’a “pas eu accès en « zone d'attente » à un recours de plein
droit suspensif, les juges de Strasbourg estiment qu’il n'a pas disposé d’un « recours effectif
» pour faire valoir son grief tiré de l’article 3 de la Convention” (§ 67) et concluent, à
l’unanimité, à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.
Concernant l’article 5 § 1 f) :
Eu égard aux éléments du dossier, la Cour estime que rien ne permet de considérer que le
requérant est arrivé à l'aéroport avant le 1er juillet 2005 et considère que la privation de
liberté du requérant a débuté à la date de son placement en « zone d'attente » le 1er juillet
2005 et qu’elle prit fin le 20 juillet 2005, date à laquelle l’intéressé fut autorisé à pénétrer sur
le territoire français. Dès le vingtième jour suivant son placement en zone d'attente, le
requérant se vit autoriser à pénétrer sur le territoire français et délivrer un sauf-conduit, ce
qui mit fin à sa privation de liberté. “Ainsi, non seulement la durée globale de la détention
qu’il a subie n’a pas excédé le maximum légal de 20 jours, mais en plus, son maintien en
zone d’attente du 15 au 20 juillet 2005 reposait sur une décision juridictionnelle” (§ 75).
Par ailleurs, elle expose que le requérant étant dépourvu de tout document d’identité, elle ne
voit pas de raison de douter de la bonne foi du Gouvernement en ce qu’il affirme que
l’admission du requérant sur le territoire nécessitait que les autorités procèdent
préalablement à des vérifications quant à son identité. Enfin, elle estime que “dans les
circonstances de la cause, la durée du maintien du requérant en zone d’attente à cette fin
n’a pas excédé la limite du raisonnable”. Son maintien en zone d’attente après le 15 juillet
2005 constituait donc une « détention régulière » « d’une personne pour l’empêcher de
pénétrer irrégulièrement dans le territoire ».
En conséquence, la Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 5 de la
Convention.
jjj
Vilho Eskelinen et autres c. Finlande
4
arrêt de Grande Chambre
19 avril 2007
req. n° 63235/00
- Violation des articles 6 § 1 (délai raisonnable) et 13 (droit à un recours effectif) - Non-violation des articles 6 § 1 (absence d’audience)
et 1er du Protocole additionnel n° 1 (droit de propriété) T
Faits :
Les requérants, ressortissants finlandais, faisaient partie du service de police de Sonkajärvi
(Finlande). Un accord collectif de 1986 leur donnait droit à une indemnité d’éloignement
géographique du fait qu’ils travaillaient dans une zone reculée du pays. Cette indemnité
ayant été supprimée en 1988, ils perçurent des compléments de salaire individuels
mensuels en compensation.
Le 1er novembre 1990, le service de police de Sonkajärvi fut rattaché à celui d’Iisalmi. En
conséquence, les requérants changèrent de lieu d’affectation et perdirent le bénéfice du
complément de salaire individuel. Ils prétendent que la direction provinciale de la police de
Kuopio leur avait promis la compensation du préjudice.
En juillet 1991, le ministère des Finances refusa d’accorder l’autorisation de verser aux
requérants un complément de salaire individuel.
Le 19 mars 1993, ils soumirent une demande aux fins d’obtenir la compensation de leur
préjudice. Quatre ans plus tard, leur demande fut rejetée par la préfecture de Kuopio au
motif que seul le ministère des Finances pouvait autoriser le versement d’une compensation
et qu’aucune compensation n’avait été versée dans des affaires similaires. Les requérants
interjetèrent appel de cette décision, invoquant notamment leur droit à une audience afin de
prouver l’existence d’une promesse faite par la direction provinciale de la police.
Le 27 avril 2000, la Cour administrative suprême estima que les requérants n’avaient pas de
droit légal aux compléments de salaire individuels et que la tenue d’une audience était
inutile, estimant que les promesses faites par la direction provinciale de la police n’avaient
aucune incidence sur l’affaire.
T Griefs
:
Invoquant l’article 6 § 1, les requérants se plaignaient de la durée excessive de la procédure
et de l’absence d’audience.
Invoquant l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention, ils prétendaient
également avoir été privés de complément de salaire et n’avoir perçu aucune compensation.
Ils invoquaient enfin une violation de l’article 13 de la Convention.
T
Dispositif :
Sur l’applicabilité de l’article 6 :
Le gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 au motif que, selon la jurisprudence de
la Cour, les contestations soulevées par des agents publics, tels que des policiers, quant à
leurs conditions d’emploi sont exclues du champ d’application de cet article.
2
La Cour rappelle l’évolution de sa jurisprudence : avant l’arrêt Pellegrin c. France , elle avait
déclaré que les contestations relatives au recrutement, la carrière, la cessation d’activité des
fonctionnaires, sortaient, en règle générale, du champ d’application de l’article 6 § 1 de la
Convention, sauf litige purement patrimonial ne mettant pas en cause des prérogatives
2
CEDH, Pellegrin c. France du 8 décembre 1999, req. n° 28541/95.
5
discrétionnaires de l’administration. Avec l’arrêt Pellegrin, infléchissant sa position, elle a
introduit un critère fonctionnel fondé sur la nature des fonctions et des responsabilités
exercées par l’agent. Selon cette jurisprudence, “étaient seuls soustraits au champ
d’application de l’article 6 § 1 les litiges des agents publics dont l’emploi était caractéristique
des activités spécifiques de l’administration publique dans la mesure où celle-ci agissait
comme détentrice de la puissance publique (...)”.
Dans l’arrêt du 19 avril 2007, la Cour européenne, statuant en grande chambre, estime que
cet arrêt Pellegrin “devait être replacé dans le contexte de la jurisprudence antérieure de la
Cour et compris comme une première distanciation d’avec l’ancien principe d’inapplicabilité
de l’article 6 à la fonction publique et un premier pas vers l’applicabilité partielle” (§ 57). Elle
relève cependant que les affaires tranchées depuis l’arrêt Pellegrin dans de nombreux Etats
contractants ont révélé que l’accès à un tribunal est accordé aux fonctionnaires de la même
façon que pour les salariés du secteur privé et qu’ainsi, ils peuvent présenter des
revendications relativement à leur salaire, licenciement ou recrutement.
La Cour a donc décidé d’adopter une nouvelle approche en la matière et pose deux
conditions pour que l’Etat défendeur puisse invoquer devant elle le statut de fonctionnaire
d’un requérant afin de le soustraire à la protection de l’article 6 de la Convention :
- d’une part, “le droit interne de l’Etat concerné doit avoir expressément exclu l’accès
à un tribunal s’agissant du poste ou de la catégorie de salariés en question”.
- enfin, “cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’Etat”.
La Cour estime notamment que “pour que l’exclusion des garanties de l’article 6 se justifie, il
ne suffit pas que l’Etat démontre que le fonctionnaire participait à l’exercice de la puissance
publique (...), l’Etat doit aussi démontrer que l’objet du litige se rapporte à l’exercice de la
puissance publique ou qu’il remet en cause le lien spécial de confiance et de loyauté entre le
fonctionnaire et l’Etat” (§ 62).
La Cour déclare qu’il y aura présomption que l’article 6 de la Convention trouve à s’appliquer
au litige.
Elle estime qu’en l’espèce, les requérants avaient tous accès à un tribunal en vertu du droit
national et conclut, par 12 voix contre 2, à l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention.
Sur l’observation de l’article 6 :
- Durée raisonnable :
La Cour estime que la période à considérer pour déterminer si le délai raisonnable a été
respecté a commencé à courir le 19 mars 1993 et s’est achevée par la décision de la Cour
administrative suprême du 27 avril 2000. La procédure ayant duré plus de sept ans, elle
conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
- Absence d’audience :
La Cour note que les requérants ne se sont pas vus refuser la possibilité de solliciter la
tenue d’une audience. Les juridictions administratives ayant motivé leur refus et les
requérants ayant eu la possibilité de présenter leur thèse par écrit et de répondre aux
conclusions de la partie adverse, les juges de Strasbourg estiment que les exigences
d’équité ont été respectées et qu’il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1 de la
Convention sur ce point.
Concernant l’article 13 de la Convention :
La Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 du fait de l’absence de voie de
droit qui aurait permis aux requérants de dénoncer la durée de la procédure.
6
Concernant l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention :
Rappelant qu’une créance ne peut être considérée comme une « valeur patrimoniale » que
lorsqu’elle a une base suffisante en droit interne, la Cour relève qu’en l’espèce, les
requérants “n'avaient pas d'espérance légitime d'obtenir un complément de salaire individuel
à la suite du rattachement, car ils ne pouvaient plus prétendre à cet avantage si leur lieu
d'affectation était transféré hors de Sonkajärvi” (§ 94) et conclut donc à l’absence de
violation de l’article 1er du Protocole additionnel n° 1.
A noter : l’opinion partiellement dissidente du juge Jociene et l’opinion dissidente
commune aux juges Costa, Wildhaber, Türmen, Borrego Borrego et Jociene sont annexées
à l’arrêt.
'
jjj
Evans c. Royaume-Uni
arrêt de Grande Chambre du 10 avril 2007
req. n° 6339/05
- Non-violation des articles 2 (droit à la vie), 8 (droit à la protection de la vie privée
et familiale) et 14 (interdiction de discrimination) de la Convention -
T
Faits :
A l’occasion d’un traitement de la stérilité, on découvrit que l’état de santé de la requérante
nécessitait de lui faire subir une ovariectomie. On lui proposa de se soumettre à un
traitement de fécondation in vitro (FIV). En vertu de la loi de 1990 sur la fécondation et
l’embryologie humaines, la requérante ainsi que son compagnon devaient chacun exprimer
leur consentement au traitement en question. Selon la législation britannique, chacun des
deux parents biologiques a la possibilité de retirer son consentement à tout moment tant que
les embryons n’ont pas été implantés. Six embryons furent mis en conservation. A la suite
de sa rupture avec la requérante, son compagnon révoqua son consentement à la
conservation des embryons et à leur utilisation par la requérante. La clinique informa cette
dernière qu’elle se trouvait dans l’obligation légale de détruire les embryons et qu’elle
envisageait de procéder à leur destruction. La requérante saisie la Cour européenne des
droits de l’homme qui invita le gouvernement britannique, en vertu de l’article 39 de son
règlement, à prendre des mesures nécessaires pour empêcher la destruction des embryons
jusqu’à ce qu’elle statue sur la question.
La requérante est actuellement médicalement apte à se faire implanter les embryons, seul
manque le consentement de son compagnon.
T Griefs
et procédure :
La requérante invoquait une violation des articles 8 et 14 de la Convention du fait de
l’exigence légale du consentement de son ex-compagnon pour utiliser les embryons, ainsi
que le droit des embryons à la vie au regard de l’article 2 de la Convention.
3
Le 7 mars 2006 , la Cour avait dans la même affaire rendu un arrêt de chambre, dans
3
Cf Veille bimestrielle de Droit européen, Mars-Avril 2006, n° 9, p. 21.
7
lequel elle avait conclu, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 2 de la Convention
concernant les embryons de la requérante et concernant la requérante, par cinq voix contre
deux, à la non-violation de l’article 8 et à l’unanimité à la non-violation de l’article 14 de la
Convention.
La Cour a également invité le gouvernement britannique, en application de l’article 39 de son
règlement, à continuer à prendre des mesures appropriées en vue de garantir la
conservation des embryons jusqu’à ce que l’arrêt devienne définitif ou que la Cour rende
une autre décision à cet égard.
L’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre à la demande de la requérante.
T Dispositif
:
Concernant l’article 2 :
La Grande Chambre suit sur ce point l’arrêt de chambre, estimant que les embryons créés
par la requérante et J. ne peuvent se prévaloir du droit à la vie protégé par l’article 2 et
conclut donc à la non-violation de l’article 2 de la Convention.
Concernant l’article 8 :
La Grande chambre relève que la requérante n’allègue pas qu’elle se trouve empêchée de
devenir mère au sens social, juridique, et même physique du terme, ni le droit ni la pratique
internes ne lui interdisant d’adopter un enfant, voire de donner naissance à un enfant conçu
in vitro avec les gamètes d’un donneur. La requérante se plaint du fait que la loi de 1990
relative au consentement l’empêche d’utiliser les embryons créés conjointement par elle et
J., ainsi, compte tenu de sa situation personnelle, d’avoir un enfant avec lequel elle ait un
lien génétique. Cette question plus restreinte, qui vise le droit au respect de la décision de
devenir parent au sens génétique du terme, relève également, selon la Grande chambre, de
l’article 8 de la Convention.
Le dilemme au coeur de cette affaire réside dans le fait que se trouvent en conflit les droits
puisés dans l’article 8 par deux individus : la requérante et J. Or, les intérêts de chacun sont
totalement inconciliables puisque si la requérante était autorisée à recevoir les embryons, J.
serait contraint d’être père et dans le cas contraire, la requérante se verrait privée de la
possibilité de devenir parent au sens génétique du terme.
La Grande chambre relève, à l’instar de la chambre, que cette affaire ne concerne pas
simplement un conflit entre individus. En effet, la loi de 1990 poursuit un certain nombre
d’intérêts plus vastes, d’ordre général, par exemple le principe de la primauté du
consentement et tend à promouvoir la clarté et la sécurité juridiques.
La question principale se pose sous l’angle des obligations positives des Etats au titre de
l’article 8 et revient à savoir si l’application faite en l’espèce des dispositions législatives
incriminées a ménagé un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents et si
l’Etat a agi dans le cadre de la marge d’appréciation qui lui est reconnu en ce domaine.
A cet égard, la Grande chambre rappelle que “lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des
Etats membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en
jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des
questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large” (§ 77).
Elle constate que cette affaire revêt sans conteste un caractère moralement et éthiquement
délicat et observe, comme l’avait fait l’arrêt de chambre, l’absence de consensus
international sur la réglementation des traitements FIV et l’utilisation des embryons qui en
sont sortis. L’Etat en cause disposait donc d’une ample marge d’appréciation.
8
Tenant compte notamment de cette absence de consensus européen sur la question, la
Grande chambre estime qu’il n’y a pas lieu d’accorder davantage de poids au droit de la
requérante au respect de son choix de devenir parent au sens génétique du terme qu’à celui
de son ancien compagnon au respect de sa volonté de ne pas avoir un enfant biologique
avec elle.
Or, comme l’ont fait les juridictions nationales, les juges européens estiment que J. n’avait
jamais consenti à ce que la requérante utilisât seule les embryons créés par le couple. De
plus, selon la Cour, le caractère absolu de la loi n’est pas, en soi, nécessairement
incompatible avec l’article 8. Le fait que le législateur n’a permis aucune exception dans les
dispositions de la loi de 1990 procède du souci de faire prévaloir le respect de la dignité
humaine et de la libre volonté ainsi que du souhait de ménager un juste équilibre entre les
parties au traitement par FIV. Il vise également à promouvoir la sécurité juridique et à éviter
les problèmes d’arbitraire et d’incohérence. La Cour estime que les intérêts généraux
poursuivis par la loi sont légitimes et compatibles avec l’article 8 de la Convention.
En conclusion, “eu égard à l’absence de consensus européen, au fait que les dispositions du
droit interne étaient dépourvues d’ambiguïté, qu’elles avaient été portées à la connaissance
de la requérante et qu’elles ménageaient un juste équilibre entre les intérêts en conflit, la
Grande chambre estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention” (§ 92).
Concernant l’article 14 :
La Grande chambre, à l’instar de la chambre, estime qu’il n’y a pas lieu à statuer en l’espèce
sur la question de savoir si la requérante peut se plaindre d’une différence de traitement par
rapport à une femme se trouvant dans une situation analogue, car elle considère que les
motifs qui l’ont conduite à conclure à l’absence de violation de l’article 8 constituent
également une justification objective et raisonnable aux fins de l’article 14 de la Convention.
A noter : l’opinion dissidente commune aux juges Türmen, Tsatsa-Nikolovska, Spielmann
et Ziemele est annexée à l’arrêt.
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jjj
jjj
Maslov c. Autriche
arrêt du 22 mars 2007
req. n° 1638/03
- Violation de l’article 8 de la Convention
(droit au respect de sa vie privée et familiale) T Faits
:
Le requérant, ressortissant bulgare né en 1984, entra légalement en Autriche avec ses
parents, son frère et sa soeur à l’âge de six ans. Il fut scolarisé en Autriche et parle
allemand.
Le requérant s’est vu infligé une interdiction de séjour de dix ans prononcée par la direction
9
fédérale de la police de Vienne en vertu de l’article 36 § 1 de la loi de 1997 sur les étrangers.
Il avait été condamné à deux reprises par le tribunal pour les mineurs de Vienne en
septembre 1999 et en mai 2000. La première fois, il fut condamné à 18 mois
d’emprisonnement dont 13 avec sursis avec mise à l’épreuve, entre autres pour
cambriolage, extorsion de fonds et voies de fait, et la seconde fois à 15 mois
d’emprisonnement pour cambriolage. Il fut également sommé dès la première condamnation
de commencer une cure de désintoxication pour toxicomanie, ce qu’il n’avait pas fait. Le
tribunal nota que, même s’il vivait encore avec ses parents, le jeune homme s’était
complètement soustrait à leur influence éducative, s’absentant du domicile et qu’il avait
abandonné l’école.
Le requérant fut élargi en mai 2002 et finalement expulsé en Bulgarie le 22 décembre 2003.
T Grief
:
Devant la Cour de Strasbourg, il invoquait une violation de l’article 8 de la Convention qui
garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.
T Dispositif
:
La Cour constate que l’interdiction de séjour était « prévue par la loi » et qu’elle « poursuivait
un but légitime », celui de la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales.
Toutefois, elle estime qu’eu égard à la nature des infractions, qui ne comportaient pas
d’actes de violence et relevaient de la délinquance juvénile, à la bonne conduite du
requérant après son élargissement, une fois purgée la seconde peine et à l’absence de liens
entre lui et son pays d’origine, l’interdiction de séjour de dix ans est disproportionnée à ce «
but légitime ».
La Cour conclut par quatre voix contre trois, à la violation de l’article 8 de la Convention.
'
A noter : les opinions dissidentes des juges Loucaides, Vajiƒ et Steiner.
jjj
10
Sialkowska c. Pologne
22 mars 2007
req. n° 8932/05
&
Staroszczyk c. Pologne
22 mars 2007
req. n° 59519/00
- Violation de l’article 6 § 1 (droit à un recours effectif) T
Faits :
L’affaire Sialkowska concerne l’action engagée par la requérante après le décès de son mari
afin de se voir octroyer une pension de veuvage.
L’affaire Staroszczyk concerne la procédure entamée par les requérants, à la suite de la
vente d’un terrain leur appartenant, afin de contraindre la commune sur laquelle se situe le
terrain à attribuer une parcelle à leur fils, comme elle s’y était engagée.
T
Grief :
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de l’iniquité de la
procédure. Ils estiment que l’avocat commis d’office n’a pas pris les mesures nécessaires
pour représenter effectivement leurs intérêts. De plus, il aurait refusé de former un pourvoi
en cassation devant la Cour suprême (devant laquelle la représentation par un conseil est
obligatoire) contre un arrêt de la Cour d’appel.
T
Dispositif :
La Cour rappelle qu’il n’existe pas d’obligation au sens de la Convention d’offrir une
assistance judiciaire en cas de litige civil et que la condition qu’un appelant soit représenté
par un avocat qualifié devant la juridiction suprême examinant les pourvois en cassation ne
méconnaît pas en soi le droit à un procès équitable. Cependant, elle souligne que la
méthode choisie par les autorités internes pour assurer l’accès aux tribunaux dans une
affaire donnée doit se concilier avec la Convention. De plus, l’Etat doit faire preuve de
diligence dans la protection des droits garantis par l’article 6 et le système d’aide judiciaire
doit offrir aux individus des garanties substantielles les mettant à l’abri de l’arbitraire.
Par ailleurs, les juges de Strasbourg observent que l’indépendance de la profession d’avocat
est essentielle à un bon fonctionnement de l’administration de la justice. L’Etat ne doit pas
disposer du pouvoir d’obliger un avocat, commis d’office ou non, à prendre des mesures
spécifiques quand il représente ses clients, il lui incombe au contraire, d’assurer un juste
équilibre entre l’accès à la justice et l’indépendance de la profession d’avocat.
Toutefois, la Cour estime que le refus d’un avocat commis d’office de former un pourvoi en
cassation doit répondre à certaines conditions de qualité.
Dans l’affaire Staroszczyk, elle note que, d’après le règlement interne applicable, l’avocat
commis dans le cadre de l’assistance judiciaire n’était pas tenu de préparer un avis juridique
écrit sur les chances du recours. De même, la loi ne fixait pas non plus de critères quant aux
conseils juridiques qu’il devait donner pour justifier son refus de déposer un pourvoi en
cassation. Si de telles conditions avaient été fixées, il aurait été ultérieurement possible de
déterminer objectivement si le refus avait été arbitraire.
Et dans l’affaire Sialkowska, le règlement interne applicable ne précisait pas le délai dans
lequel le requérant devait être informé du refus de préparer un pourvoi en cassation.
La Cour estime ainsi que le système d’aide judiciaire n’a pas assuré aux requérants l’accès
à un tribunal d’une « manière concrète et effective » et conclut à l’unanimité dans l’affaire
Sialkowska et par quatre voix contre trois dans l’arrêt Staroszczyk, qu’il y a eu violation de
11
l’article 6 § 1 de la Convention.
A noter : l’opinion partiellement concordante du juge Vajiƒ et la déclaration de
dissentiment commune aux juges Loucaides, Rozakis et Steiner sont annexées à l’arrêt
Staroszczyk.
'
jjj
Tysiac c. Pologne
arrêt du 20 mars 2007
req. n° 5410/03
- Violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) - Non-violation de l’article 3 (interdiction de la torture) T
Faits :
La requérante, une ressortissante polonaise, souffrait depuis des années d’une myopie
sévère. Elle consulta plusieurs médecins lorsqu’elle appris qu’elle était enceinte pour la
troisième fois, craignant que sa grossesse n’aggravât son problème.
Les trois ophtalmologues qu’elle consulta conclurent chacun qu’elle encourrait de sérieux
risques pour sa vision si elle menait sa grossesse à terme, mais refusèrent de lui délivrer un
certificat qui lui eût permis de bénéficier d’un avortement thérapeutique. La requérante
consulta également un médecin généraliste, qui lui délivra un certificat confirmant les risques
que sa grossesse lui faisait courir du fait de ses problèmes de rétine et de ceux liés à un
nouvel accouchement après deux césariennes.
Dès son deuxième mois de grossesse, un examen révéla que sa myopie s’était déjà
aggravée. Elle fut alors invitée à se rendre le 26 avril 2000 à la clinique gynécologique et
obstétricale d’un hôpital de Varsovie, en vue d’une interruption de grossesse. Le docteur R.
D qui examina la requérante estima qu’aucune raison médicale ne justifiait un avortement
thérapeutique. La requérante donna naissance à son troisième enfant en novembre 2000.
Après l’accouchement, la vue de la requérante se détériora considérablement en raison
d’une hémorragie rétinienne. Un collège de médecins constata que l’état de l’intéressée
nécessitait des soins et une assistance quotidienne et lui reconnut le statut d’invalide.
La requérante attaqua le docteur R. D au pénal, mais sa plainte fut classée par le procureur.
Ce dernier considéra qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la décision du médecin et
la détérioration de sa vision. Le médecin ne fit, par ailleurs, l’objet d’aucune sanction
disciplinaire.
La requérante, qui élève ses trois enfants seule, est aujourd’hui invalide et perçoit à ce titre
une pension mensuelle de l’équivalent de 140 euros. Elle ne peut voir à plus de 1, 50 mètre
de distance et craint d’être, à terme, atteinte de cécité.
T
Grief :
La requérante estimait que le fait qu’on ne l’eût pas autorisée à interrompre sa grossesse
malgré les risques auxquels elle se trouvait exposée constituait une violation des articles 8,
3 et 13 de la Convention. Enfin, invoquant l’article 14 de la Convention, elle soutenait qu’elle
avait fait l’objet de discriminations fondées sur son sexe et son handicap.
T
Dispositif :
Concernant l’article 3 :
12
La Cour estime que les faits ne révèlent aucune violation de cet article et estime plus
approprié d’examiner les griefs de la requérante au regard de l’article 8 de la Convention.
Concernant l’article 8 :
La Cour note que la loi de 1993 sur l’interruption de grossesse prévoit la possibilité de
pratiquer un avortement légal en Pologne dans le cas où la grossesse représentait une
menace pour la vie ou la santé de la femme. Dans ces conditions elle déclare ne pas avoir à
rechercher, en l’espèce, si la Convention garantit ou non un droit à l’avortement.
Les juges de Strasbourg rappellent qu’une législation qui réglemente l’interruption de
grossesse touche à la sphère de la vie privée dans la mesure où lorsqu’une femme est
enceinte sa vie privée devient étroitement associée au foetus qui se développe. Ils décident
d’examiner le grief du point de vue de l’obligation positive que l’article 8 fait peser sur tout
Etat de garantir l’intégrité physique des futures mères.
Tout d’abord, la Cour souligne qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation
clinique portée par les médecins quant à la gravité de l’état de la requérante. L’existence de
craintes rationnelles quant aux conséquences de la grossesse sur l’état de la requérante
suffisent à la Cour.
Elle relève que la loi de 1993 érige en infraction pénale punissable de trois ans
d’emprisonnement le fait d’autoriser un avortement si les conditions légales n’étaient pas
remplies. Les médecins se trouvent ainsi dissuadés et particulièrement réticents à se
pencher sur la question de savoir si les conditions étaient effectivement remplies, en
l’absence de procédures transparentes et clairement définies. Ainsi, la Cour précise que dès
lors que “le législateur a décidé d’autoriser l’avortement, il ne doit pas concevoir le cadre
légal correspondant d’une manière qui limite dans la réalité la possibilité d’obtenir une telle
intervention” (§ 116). Elle rappelle que “les notions de légalité et de prééminence du droit
dans une société démocratique exigent que les mesures touchant les droits fondamentaux
soient dans certains cas soumis à une forme de procédure devant un organe indépendant,
compétent pour contrôler les motifs de ces mesures et les éléments de preuve pertinents” (§
4
117) . De plus, ces procédures doivent être conçues pour que “ces décisions soient prises
en temps et en heure afin de prévenir ou limiter le préjudice qui pourrait découler pour la
santé de la femme d’un avortement tardif” (§ 118).
La Cour examine la façon dont les règles juridiques encadrant la possibilité de recourir à un
avortement thérapeutique ont été appliquées en l’espèce. Elle constate qu’un arrêté du
ministre de la Santé de 1997 prévoyait une procédure, basée sur des considérations
médicales, régissant les décisions en matière d’avortement thérapeutique. Si cette
procédure paraît simple et rapide, la Cour constate qu’aucun cadre particulier n’est prévu
pour traiter et résoudre les cas de désaccord sur l’opportunité d’un avortement
thérapeutique, soit entre la femme enceinte et les médecins, soit entre les médecins euxmêmes. De plus, elle souligne que si l’article 37 de la loi de 1996 sur la profession médicale
autorise un médecin à solliciter un avis auprès d’un collègue, en cas de doute thérapeutique
ou à la demande d’un patient, cette disposition ne donne pas au patient la garantie
procédurale d’obtenir pareil avis ou de le contester en cas de désaccord.
Ainsi, la Cour européenne estime que le droit polonais appliqué en l’espèce ne comportait
aucun mécanisme effectif permettant d’établir si les conditions permettant un avortement
thérapeutique étaient ou non remplies. Les dispositions du droit civil polonais en matière de
quasi-délits ne donnaient pas à la requérante la possibilité de faire valoir son droit au respect
de sa vie privée.
4
Rotaru c. Roumanie du 4 mai 2000, §§ 55-63 (req. n° 28341/95).
13
Pour conclure, elle précise que “eu égard aux circonstances de l’espèce prises dans son
ensemble, [l’Etat polonais n’a pas] satisfait à l’obligation positive qui lui incombait de
protéger le droit de la requérante au respect de la vie privée dans le cadre d’un désaccord
portant sur le point de savoir si elle avait le droit de bénéficier d’un avortement
thérapeutique” (§ 128). Elle déclare, par 6 voix contre une, qu’il y a donc violation de l’article
8 de la Convention.
Concernant l’article 13 :
La Cour juge qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de cette disposition.
Concernant l’article 14 combiné avec l’article 8 :
La Cour estime ne pas avoir à examiner séparément les griefs formulés par la requérante
sur le terrain de l’article 14, compte tenu des motifs qui l’ont amenée à conclure à la violation
de l’article 8 de la Convention.
A noter : L’opinion concordante du juge Bonello et l’opinion dissidente du juge Borrego
Borrego sont annexées à l’arrêt.
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Arma c. France
arrêt du 8 mars 2007
req n° 23241/04
- Violation de l’article 6 § 1 de la Convention T
Faits :
La requérante créa en 2001, la société Arma Pneu dont elle était gérante et associée
unique. En mai 2003, la liquidation de cette société fut prononcée. La requérante interjeta
appel contre la décision ayant prononcé la liquidation de la société. Cet appel fut déclaré
irrecevable aux motifs que le dirigeant d’une personne morale dissoute est privé de ses
pouvoirs de représentation et que l’appel aurait dû être interjeté par un mandataire.
T Grief
:
La requérante, invoquant une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, estimait que le fait
de déclarer irrecevable l’appel qu’elle a interjeté contre le jugement de liquidation de sa
société l’avait privée de son droit d’accès à un tribunal.
T
Dispositif :
Si le gouvernement soutient, à juste titre, que la requérante avait la possibilité de demander
la désignation d’un mandataire ad hoc afin que celui-ci interjette appel du jugement ou
régularise l’appel interjeté à titre conservatoire par ses soins, la Cour doute toutefois de la
possibilité concrète pour ce dernier d’intervenir dans le cadre du délai d’appel, lequel n’est,
en la matière, que de 10 jours.
En effet, si la possibilité d’exercer cette voie de recours à titre conservatoire apparaissait en
théorie possible, le délai d’appel, beaucoup plus bref que celui du dépôt d’un mémoire en
cassation, limitait en pratique l’effectivité de cette option. La Cour se réfère aux travaux
préparatoires de la loi du 26 juillet 2005 concernant l’actuel L.641-9 du code de commerce.
Ceux-ci laissent en effet clairement apparaître la volonté du législateur de mettre un terme
14
aux difficultés pratiques limitant l’exercice du recours en appel par la société débitrice, en
accordant à son ancien dirigeant le droit d’interjeter appel du jugement prononçant la
liquidation judiciaire et ce, dans l’optique de renforcer le respect dû aux « droits de la
défense ». La Cour estime que “la requérante, qui n’avait plus, en droit interne, la capacité
d’agir au nom de la société dont elle avait été la gérante, disposait néanmoins d’un intérêt à
agir en son nom propre devant le Cour et qu’elle a vu son droit d’accès à un tribunal limité
de manière excessive” (§ 35).
Elle conclut ainsi et à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
v
v
v
15
COUR DE JUSTICE
ET
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES
COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
5
Les arrêts de la CJCE et du TPICE sont disponibles sur le site : http://curia.europa.eu/fr
16
5
ARRETS DE LA COUR DE JUSTICE ET DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES
COMMUNAUTES EUROPEENNES
Libre prestation de services
Aikaterini Stamatelaki / NPDD Organismos Asfaliseos Eleftheron
Epangelmation (OAEE)
Arrêt de la Cour du 19 avril 2007
- Affaire C-444/05 « Restrictions à la libre prestation des services - Remboursement de frais d’hospitalisation dans
les établissements de soins privés - Justification et proportionnalité de l’exclusion »
T Faits
:
Le requérant, M. Dimitrios Stamatelakis, établi en Grèce, était assuré auprès de
l’Organismos Asfaliseos Eleftheron Epangelmation (organisme d’assurance des professions
libérales), qui a succédé au Tameio Asfaliseos Emboron (caisse d’assurance des
commerçants). Il a été hospitalisé à deux reprises dans un établissement de soins privé au
Royaume-Uni, ce qui lui a coûté 13 600 GPB. La loi grecque prévoit le remboursement des
frais d’hospitalisation dans des établissements de soins privés situés à l’étranger lorsqu’ils
concernent des enfants âgés de moins de 14 ans. Le remboursement des frais du requérant
lui a donc été refusé.
Après le décès du requérant, son épouse et héritière a introduit un recours devant le
Dioikitiko Protodikeio Athinon (Tribunal administratif d’Athènes). Ce dernier a demandé à la
Cour de justice des Communautés européennes si la législation grecque est conforme aux
principes du Traité en matière de libre prestation de services.
T
Droit communautaire en cause et question préjudicielle :
Article 49 CE qui garantit la libre prestation de service.
T Décision
:
La Cour rappelle tout d’abord qu’en l’absence d’une harmonisation au niveau
communautaire, il relève de la compétence de chaque Etat membre de déterminer les
conditions d’octroi des prestations en matière de sécurité sociale. Toutefois, les Etats
membres doivent, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire,
notamment le principe de la libre prestation des services qui interdit aux Etats membres
d’introduire ou de maintenir des restrictions injustifiées à l’exercice de cette liberté dans le
domaine des soins de santé.
La Cour observe ensuite qu’un citoyen qui reçoit des soins dans un établissement public ou
dans un établissement privé conventionné, situé en Grèce, n’a aucun frais à régler en cas
d’hospitalisation. Or, lorsqu’il s’agit d’un établissement privé situé dans un autre Etat
membre, il doit les régler sans être remboursé. De même, les frais d’hospitalisation
d’urgence dans un établissement privé non conventionné en Grèce sont remboursés au
17
patient alors qu’ils ne le sont pas lorsqu’il s’agit d’une hospitalisation d’urgence dans un
établissement privé situé dans un autre Etat membre. La Cour estime qu’une “telle
réglementation décourage, voire empêche, les assurés sociaux de s’adresser aux
prestataires de services hospitaliers établis dans les Etats membres autres que l’Etat
membre d’affiliation et constitue, tant pour ces assurés que pour ces prestataires, une
restriction à la libre prestation de services”.
Quant à la justification d’une telle réglementation, différents objectifs sont avancés tels que
le maintien de la capacité de soins ou de la compétence médicale sur le territoire national,
ou encore la sauvegarde de l’équilibre financier du régime national de sécurité sociale. La
Cour estime que le caractère absolu de l’interdiction (sous réserve des enfants âgés de
moins de 14 ans) n’est pas adapté à ces objectifs. En effet, il pourrait être envisagé des
mesures moins restrictives et plus respectueuses de la libre prestation des services, comme
un régime d’autorisation préalable respectant les exigences du droit communautaire ou
encore la définition de barèmes de remboursement.
En conclusion, “l’article 49 CE s’oppose à une législation d’un Etat membre [...] qui exclut
tout remboursement, par un organisme national de sécurité sociale, des frais occasionnés
par l’hospitalisation de ses assurés dans les établissements de soins privés situés dans un
autre Etat membre, à l’exception de ceux relatifs aux soins dispensés aux enfants de moins
de 14 ans”.
jjj
Unibet (London) Ltd et Unibet (International) Ltd / Justitiekanslern
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 13 mars 2007
- Affaire C-432/05 « Principe de protection juridictionnelle - Législation nationale ne prévoyant pas de recours
autonome pour contester la conformité d’une disposition nationale avec le droit communautaire Autonomie procédurale - Principes d’équivalence et d’effectivité - Protection provisoire »
T Faits
:
La présente espèce oppose Unibet, société spécialisée dans l’organisation de paris aux
autorités suédoises à propos de l’application de la loi suédoise sur les loteries et jeux de
hasard. La Cour suprême suédoise demande à la Cour, dans le cadre d’une question
préjudicielle, de se prononcer sur l’interprétation du principe de protection juridictionnelle
effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire.
La société Unibet avait saisi les juridictions suédoises pour faire déclarer l’article 38 de la loi
sur les loteries non conforme à l’article 49 CE, et ce en vue d’être autorisée à promouvoir en
Suède ses services, et d’obtenir la réparation du préjudice qu’elle soutient avoir subi en
raison de l’interdiction énoncée audit article 38.
Or, le droit suédois ne prévoit pas de recours autonome ayant pour objet, à titre principal, de
faire déclarer la non-conformité d’un acte adopté par le Parlement ou par le gouvernement à
une norme de rang supérieur, un tel contrôle ne pouvant être effectué que de manière
incidente dans le cadre de procédures engagées devant les juridictions de droit commun ou
devant les juridictions administratives.
T Droit
communautaire en cause :
- Principe de la protection juridictionnelle effective en tant que principe général du droit
communautaire et sa mise en œuvre.
- Article 49 CE.
T
Dispositif :
18
Concernant la première question, et citant notamment son arrêt du 16 décembre 1976,
Rewe, (aff. n° 33/76), et après avoir rappelé qu’il inc ombe aux juridictions des États
membres, par application du principe de coopération énoncé à l’article 10 CE, d’assurer la
protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, la
CJCE énonce : “les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde
des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas être moins
favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de
l’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile
l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité)”
(point 43).
Elle dit pour droit : “Le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux
justiciables par le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu’il ne requiert pas,
dans l’ordre juridique d’un État membre, l’existence d’un recours autonome tendant, à titre
principal, à examiner la conformité de dispositions nationales avec l’article 49 CE, dès lors
que d’autres voies de droit effectives, qui ne sont pas moins favorables que celles régissant
les actions nationales similaires, permettent d’apprécier de manière incidente une telle
conformité, ce qu’il appartient au juge national de vérifier”.
Concernant la deuxième question, portant sur la possibilité d’obtenir des mesures
provisoires pour suspendre l’application de dispositions nationales jusqu’à ce que la
juridiction compétente se soit prononcée sur la conformité de celles-ci avec le droit
communautaire, la Cour estime que lorsque l’octroi de telles mesures est “nécessaire pour
garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir quant à l’existence de
tels droits”.
Selon la Cour, l’octroi éventuel de telles mesures provisoires “est régi par les critères fixés
par le droit national applicable devant ladite juridiction, pour autant que ces critères ne sont
pas moins favorables que ceux concernant des demandes similaires de nature interne et ne
rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile la protection juridictionnelle
provisoire de tels droits”.
jjj
Procédures pénales / Massimiliano Placanica et aes.
Arrêt de la Cour du 6 mars 2007
- Affaires C-338/04, C-359/04, C-360/04 « Liberté d’établissement - Libre prestation des services - Interprétation des articles 43 CE et 49 CE Jeux de hasard - Collecte de paris sur des événements sportifs - Exigence d’une concession Exclusion d’opérateurs constitués sous certaines formes de sociétés de capitaux Exigence d’une autorisation de police - Sanctions pénales »
T
Faits :
Une loi italienne prévoit que l’organisation des jeux de hasard ou la collecte de paris
nécessitent au préalable l’attribution d’une concession et d’une autorisation de police. Toute
infraction à ces règles est passible de sanctions pénales pouvant aller jusqu’à une peine
d’emprisonnement.
En 1999, les autorités italiennes ont attribué des concessions de paris sur les compétitions
sportives et hippiques. Ces concessions étaient valables pour 6 ans et renouvelables une
fois. Les appels d’offre excluaient les opérateurs constitués sous la forme de sociétés dont
les actions étaient cotées sur les marchés réglementés. Parmi ces derniers se trouvait la
19
société de droit anglais Stanley International Betting Ltd., titulaire d’une licence de la
municipalité de Liverpool et faisant partie du groupe Stanley Leisure plc, société anglaise
cotée en bourse et premier tenancier de maisons de jeux au Royaume-Uni au moment des
faits. Stanley opère en Italie par le biais de « centres de transmission de données » - « CTD
» -, gérés par des opérateurs indépendants liés contractuellement à Stanley qui offrent aux
parieurs un parcours télématique leur permettant d’accéder au serveur de Stanley situé au
Royaume-Uni.
MM. Placanica, Palazzese et Sorricchio sont tous les trois des gérants de CTD liés à
Stanley. Ils ont été inculpés en 2004, devant les juridictions italiennes, pour avoir exercé une
activité organisée de collecte de paris sans l’autorisation de police requise. Ces juridictions
ont demandé à la Cour de justice des Communautés européennes si la législation italienne
relative aux jeux de hasard est compatible avec les principes communautaires de la liberté
d’établissement et de la libre prestation de service.
T
Droit communautaire en cause :
- Article 43 CE qui garantit la liberté d’établissement.
- Article 49 CE qui garantit la libre prestation de service.
T Décision
:
La Cour précise dans un premier temps qu’une loi qui interdit, sous peine de sanctions
pénales, l’exercice d’activités dans le secteur des jeux de hasard en l’absence de
concession ou d’autorisation de police délivrées par l’Etat, comporte des restrictions à la
liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation des services. De telles restrictions
peuvent toutefois se justifier par les particularités d’ordre moral, religieux ou culturel, ainsi
que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la
société qui entourent les jeux et les paris.
Il revient à la Cour d’examiner si ces restrictions peuvent être admises au titre des mesures
dérogatoires expressément prévues aux articles 45 CE et 46 CE ou justifiées, conformément
à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d’intérêt général (Voir CJCE
Gambelli e. a. 6 novembre 2003 C-243/01, Rec. p. I-13031). La Cour examine ainsi les
différentes conditions imposées par la loi italienne.
Concernant les concessions :
L’Italie poursuit une politique d’expansion dans le domaine des jeux de hasard afin de lutter
contre des activités de jeux et de paris clandestins. La Cour admet qu’un système de
concessions puisse constituer un mécanisme efficace permettant de contrôler les opérateurs
actifs dans ce domaine. Toutefois, la Cour relève qu’en vertu du système de concessions
utilisé, le nombre d’opérateurs est limité. Or, celle-ci ne dispose pas d’éléments factuels
suffisants pour apprécier la compatibilité de la limitation du nombre global des concessions
avec le droit communautaire. Elle relève que le fait que le nombre de concessions ait été
considéré comme « suffisant » pour tout le territoire national sur la base d’une estimation
spécifique ne saurait en soi justifier les entraves à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre
prestation des services résultant de cette limitation. Par conséquent, la Cour charge les
juridictions nationales de vérifier si, par cette limitation, la réglementation nationale répond
véritablement à l’objectif invoqué, c’est à dire celui visant à prévenir l’exploitation des
activités dans ce secteur à des fins criminelles ou frauduleuses.
De plus, la Cour estime que le fait d’exclure totalement les sociétés de capitaux des appels
d’offre pour l’octroi des concessions va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet
objectif. Il existe d’autres moyens pour contrôler les comptes et les activités des opérateurs,
tout en restreignant moins les libertés d’établissement et de prestation de service. La Cour
précise en outre que l’illégalité de l’exclusion de certains opérateurs des appels d’offre oblige
20
l’Etat à prévoir des modalités procédurales pour garantir les droits que ces opérateurs tirent
de l’effet direct du droit communautaire.
Concernant l’exigence d’une autorisation de police :
Selon la Cour, la procédure d’octroi d’autorisation de police présupposant une concession
est, par conséquent, entachée des mêmes vices qui affectent l’octroi des concessions. Il ne
pourra être reproché à des personnes leur défaut d’autorisation, celles-ci n’ayant pu les
obtenir du fait de leur exclusion, en violation du droit communautaire, de l’octroi d’une
concession.
Concernant les sanctions pénales :
Si la législation pénale relève de la compétence des Etats membres, cette dernière se trouve
limitée par l’obligation de ne pas restreindre les libertés fondamentales garanties par le droit
communautaire. La Cour rappelle qu’un “Etat membre ne peut appliquer une sanction pénale
pour formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est
refusé ou rendu impossible par l’Etat membre concerné en violation du droit communautaire”
6
.
La Cour dit pour droit : “Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils
s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au
principal, qui impose une sanction pénale à des personnes telles que les prévenus au
principal pour avoir exercé une activité organisée de collecte de paris en l’absence de
concession ou d’autorisation de police exigées par la législation nationale lorsque ces
personnes n’ont pu se munir desdites concessions ou autorisations en raison du refus de cet
État membre, en violation du droit communautaire, de les leur accorder”.
jjj
Concurrence
British Airways plc / Commission des Communautés européennes
Arrêt de la Cour du 15 mars 2007
- Affaire C-95/04 « Pourvoi - Abus de position dominante - Compagnie aérienne - Accords conclus avec les
agences de voyages - Primes liées à la progression des ventes de billets émis par
cette compagnie durant une période déterminée par rapport à une période de référence Primes octroyées non seulement pour les billets vendus une fois l’objectif de ventes atteint,
mais pour tous les billets écoulés pendant la période considérée »
T Faits
:
A l’origine du litige, British Airways, la plus grande compagnie aérienne du Royaume-Uni, a
conclu des accords avec des agents de voyage établis sur le territoire et ouvrant droit à une
commission sur la vente des billets et comprenant trois systèmes d’incitation financière :
6
Voir CJCE Rienks du 15 décembre 1983, C-5/83, Rec. p. 4233, points 10 et 11.
21
accords commerciaux, accords mondiaux et dans un deuxième temps, un système de primes
de résultat. En 1993, Virgin Atlantic Airways Ltd a saisi la Commission d’une plainte visant
notamment les accords commerciaux. La Commission a alors ouvert une procédure
d’enquête et diligenté une instruction. British Airways a alors mis en place le système de
primes de résultat. Dans une décision du 14 juillet 1999, la Commission a condamné les
accords et incitations financières, constitutifs d’abus de position dominante sur le marché
britannique des services d’agences de voyages aériens.
7
Le 17 décembre 2003 , le TPICE a rejeté le recours en annulation introduit par British
Airways contre cette décision. British Airways a alors introduit un pourvoi contre cet arrêt
devant la CJCE auquel le présent arrêt répond.
T Droit
communautaire en cause :
- Décision 2000/74/CE de la Commission du 14 juillet 1999, relative à une procédure
d’application de l’article 82 du traité CE et constatant la position dominante de British Airways
(JO 2000, L 30, p.1).
- Arrêt du TPICE du 17 décembre 2003, British Airways / Commission (T-219/99).
T
Décision :
La Cour rejette le pourvoi, pour partie irrecevable et pour partie infondé. En effet, il
n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation de la situation concurrentielle à celle
du tribunal, le pourvoi devant se limiter aux questions de droit. Or, en l’espèce, le requérant
remet en question l’appréciation des faits et des moyens de preuve, les griefs invoqués sont
donc irrecevables et non-fondés.
jjj
France Télécom, anciennement Wanadoo SA / Commission des
Communautés européennes et
France Télécom / Commission des Communautés européennes
Arrêts du Tribunal du 8 mars 2007
- Affaires T-339/04 et T-340/04 « Concurrence - Décision ordonnant une inspection - Coopération loyale avec les juridictions
nationales - Coopération loyale avec les autorités nationales de concurrence Article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/20 03 - Communication de la
Commission sur la coopération au sein du réseau des autorités de
concurrence - Motivation - Proportionnalité »
« Concurrence - Décision ordonnant une inspection - Coopération loyale avec les
juridictions nationales - Coopération loyale avec les autorités nationales
de concurrence - Article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 - Communication
de la Commission sur la coopération au sein du réseau des autorités
de concurrence - Motivation - Proportionnalité »
T Faits
:
A l’époque des faits, Wanadoo était une société du groupe France Télécom et rassemblait,
avec ses filiales, toutes les activités relatives à l’internet. Wanadoo Interactive assurait les
responsabilités opérationnelles et techniques liées aux services d’accès à internet sur le
7
Arrêt du TPICE du 17 décembre 2003, British Airways / Commission (T-219/99).
22
territoire français.
Le 16 juillet 2003, la Commission a constaté que le groupe France Télécom a abusé de sa
position dominante, de mars 2001 à octobre 2002, sur le marché des services d’accès à
internet haut débit pour la clientèle résidentielle. Le groupe pratiquait, selon la Commission,
des pris prédateurs ne lui permettant pas de couvrir ses coûts. Elle l’avait enjoint à s’abstenir,
dans le cadre de ses services eXtense et Wanadoo ADSL, de tout comportement qui pourrait
avoir un objet ou un effet identique ou semblable à celui de l’infraction et à lui transmettre, à
l’issue de chaque exercice, et jusqu’à l’exercice 2006 compris, le compte de ses services
ADSL.
Or, Wanadoo a annoncé une baisse de ses tarifs applicables dès janvier 2004. Selon les
informations dont la Commission disposait, plusieurs offres proposées par Wanadoo ne
couvraient pas les coûts supportés par la société.
Par décision du 11 décembre 2003, à la suite d’un avis favorable de l’Autorité française de
régulation des télécommunications, le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie
français avait homologué une baisse des tarifs de gros de France Télécom. A la suite de
cette décision, l’opérateur AOL a saisi d’une plainte le Conseil de la concurrence. Le 11 mai
2004, le Conseil de la concurrence a rendu sa décision n° 04-D-17 relative à la saisine et à la
demande de mesures conservatoires présentées par AOL, aux termes de laquelle il a rejeté
cette demande et a renvoyé sa saisine à l’instruction.
8
En conséquence, le 18 mai 2004, la Commission adopte une nouvelle décision ordonnant à
France Télécom et ses filiales de se soumettre à une inspection en vertu de l’article 20 § 4 du
règlement 1/2003. Cette décision fait l’objet de la demande d’annulation formulée par France
Télécom SA.
Par ordonnance du 27 mai 2004, le juge des libertés français avait accordé à la Commission
l’autorisation sollicitée, permettant notamment aux autorités françaises d’assister la
Commission en application du règlement 1/2003 et d’exercer les pouvoirs qu’ils tiennent des
articles L 450-4 et L 470-6 du code de commerce français.
T
Droit communautaire en cause :
- Règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1) et l’article 10 CE sur
le principe de coopération loyale en relation avec ce règlement.
- Décision C(2004) 1929 dans l’affaire COMP/C-1/38.916.
T
Décision :
La requérante soulève cinq moyens, tirés respectivement de la violation de l’article 10 CE et
du règlement n° 1/2003, de la violation de l’obliga tion pour la Commission d’examiner avec
soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce, de l’insuffisance de
motivation, de la violation du principe de proportionnalité et d’une erreur manifeste
d’appréciation.
Le Tribunal rejette l’ensemble de ces moyens et en particulier, le moyen tiré de la violation de
l’article 10 et du règlement n° 1/2003 :
Relevant que l’article 20 du règlement n° 1/2003 ét ablit une distinction claire entre,
notamment, d’une part, les décisions adoptées par la Commission sur la base du paragraphe
4 de cet article et, d’autre part, la demande d’assistance présentée à l’autorité judiciaire
nationale en vertu du paragraphe 7 de ce même article, il estime que c’est “au seul juge
national dont l’autorisation de recourir à des mesures coercitives est sollicitée en vertu de
l’article 20, paragraphe 7, du règlement n° 1/2003, éventuellement assisté par la Cour de
8
Décision C(2004) 1929 dans l’affaire COMP/C-1/38.916.
23
justice dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, et sous réserve des éventuelles voies de recours
nationales, qu’il appartient de déterminer si les informations transmises par la Commission
dans le cadre de cette demande lui permettent d’exercer le contrôle qui lui est dévolu par
l’article 20, paragraphe 8, du règlement n° 1/2003 et le mettent donc en mesure de se
prononcer utilement sur la demande qui lui a été présentée”.
Les arguments de la requérante “impliquent une remise en cause, par le Tribunal, de
l’appréciation qui a été effectuée par le juge des libertés, dans le cadre de l’article 20,
paragraphe 8, du règlement n° 1/2003, du caractère suffisant des informations qui lui ont été
présentées par la Commission afin d’obtenir l’autorisation demandée au titre de l’article 20,
paragraphe 7, du règlement”. Or, le Tribunal n’est pas compétent pour contrôler comment le
juge national saisi dans le cadre de cette disposition s’acquitte de la tâche qui lui est dévolue
par le paragraphe 8 de l’article 20.
Sur le principe de coopération loyale et son application dans la répartition des compétences
entre la Commission et les autorités nationales de concurrence, le Tribunal énonce
également :
“S’agissant de l’obligation de coopérer loyalement avec les autorités nationales de
concurrence au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 et de l’article 10
CE, il suffit de constater que la disposition du règlement n° 1/2003 énonce une règle générale
selon laquelle la Commission et les autorités nationales de concurrence sont tenues de
collaborer étroitement, mais n’impose pas à la Commission de s’abstenir d’effectuer une
inspection relative à une affaire dont une autorité nationale de concurrence serait saisie en
parallèle. Au contraire, il résulte des dispositions analysées ci-dessus, et en particulier de
l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, que le principe de collaboration implique
que la Commission et les autorités nationales de concurrence puissent, au moins aux stades
préliminaires des affaires dont elles sont saisies, travailler de manière parallèle” (point 86).
Le Tribunal estime que la décision attaquée, en précisant les caractéristiques essentielles de
l’infraction suspectée, a été suffisamment motivée par la Commission tandis que le caractère
justifié de l’inspection n’est pas contestable au vu des indices sérieux lui permettant de
soupçonner des infractions aux règles de concurrence par la requérante. Il écarte également
le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité ainsi que l’erreur manifeste
d’appréciation.
jjj
Libre circulation des marchandises
A. G. M - COS.MET Srl / Suomen Valtion, Tarmo Lehtinen
Arrêt de la Cour (Grande Chambre) du 17 avril 2007
24
- Affaire C-470/03 « Directive 98/37/CE - Mesures d’effet équivalent - Machines présumées conformes
à la directive 98/37/CE - Critiques exprimées publiquement par un fonctionnaire d’État »
T
Faits :
AGM fabrique et commercialise des ponts élévateurs pour véhicules. En 2000, le ministère a
reçu un rapport d’après lequel l’examen du pont élévateur pour véhicules fabriqué par AGM
avait révélé certaines déficiences. Le même ministère a envoyé à l’importateur pour la
Finlande de ces machines, l’entreprise Pörhön Tuontiliike (ci-après l’« importateur »), une
lettre lui indiquant l’existence probable de ces déficiences. Dans le cadre de cette procédure,
M. Lehtinen, un fonctionnaire du ministère des Affaires sociales et de la santé, a rédigé un
rapport, dans lequel il invitait le ministère des Affaires sociales et de la santé à prendre, le
plus rapidement possible, une décision limitant, voire interdisant, la cession et l’utilisation des
ponts élévateurs concernés déjà en service. Diverses réunions ont été tenues et plusieurs
rapports ont été rendus. Il avait été décidé que la décision du ministère des Affaires sociale et
de la santé ne devait pas être rendue publique, il devait revenir à l’importateur d’informer le
moment venu, les utilisateurs.
M. Lethinen a participé avec l’autorisation de son supérieur hiérarchique à un journal télévisé
au cours duquel il a exposé les dangers que pouvaient présenter les ponts élévateurs. M.
Lethinen a par ailleurs admis qu’il avait participé, dans le cadre de cette affaire, à une réunion
de la confédération du commerce technique, laquelle avait adressé au ministère des Affaires
sociales et de la santé ainsi qu’au ministre des Services sanitaires et sociaux, une lettre
faisant état des déficiences graves qui auraient été constatées sur les appareils de la gamme
AGM. Au sein du ministère, M. Lehtinen a été écarté de ce dossier ; au motif que, dans une
affaire en cours, il avait exprimé publiquement un point de vue qui divergeait de la position
officielle du ministère des Affaires sociales et de la santé et avait donc agi au mépris des
instructions et de la politique de communication de ce dernier. On lui reprochait également
d’avoir agi en violation du principe de bonne administration et d’une façon préjudiciable aux
intérêts économiques d’AGM en coopérant avec les concurrents de celle-ci.
Suite à cette mise à l’écart, un article révélant les déficiences des produits en cause était
paru dans le journal régional et avait été rédigé, selon la juridiction de renvoi, à partir d’une
interview de M. Lehtinen. Puis, la confédération des métallurgistes a adressé à ses sections
spécialisées des secteurs de la réparation automobile et de la réparation mécanique ainsi
qu’aux responsables de sécurité dans les entreprises, une note dans laquelle elle constatait
que l’appareil de levage en question, fabriqué par AGM, était sans conteste jugé dangereux.
Ladite confédération avait joint à sa note un rapport rédigé par M. Lehtinen en date du 12
février 2001.
La décision du service de la sécurité au travail du ministère des Affaires sociales et de la
santé a été rendue le 14 juin 2001. Selon ce dernier, le dossier n’avait pas révélé d’éléments
de nature à inciter le ministère à prendre des mesures de contrôle du marché à l’égard du
fabricant ou de l’importateur des ponts élévateurs pour véhicules fabriqués par AGM.
Le 1er octobre 2001, le ministère des Affaires sociales et de la santé a infligé, en vertu de la
loi portant statut des fonctionnaires de l’État, un avertissement écrit à M. Lehtinen, au motif
que celui-ci, bien que le dossier des ponts élévateurs fabriqués par AGM lui ait été retiré le 16
février 2001, avait enfreint les obligations liées à son statut de fonctionnaire en continuant de
diffuser, dans une émission d’informations ainsi que dans un mémoire adressé au service
local de la sécurité au travail, une présentation fallacieuse de la position du ministère et en
25
méconnaissant la politique de communication de ce dernier. Par décision du 6 mars 2002, la
virkamieslautakunta (commission de recours des fonctionnaires) a rejeté la réclamation de M.
Lehtinen demandant l’annulation de cet avertissement. En revanche, ladite commission a, par
la même décision, estimé que le comportement de M. Lehtinen lors de l’interview télévisée du
17 janvier 2001 n’avait pas été déplacé au point de justifier un avertissement écrit. Le 10
septembre 2003, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a confirmé cette
décision.
Parallèlement à la procédure disciplinaire dont il était l’objet, M. Lehtinen a sollicité l’avis du
Julkisen sanan neuvosto (Conseil d’autorégulation des médias en matière de déontologie et
de liberté d’expression) afin de savoir si, en lui donnant un avertissement, le ministère des
Affaires sociales et de la santé avait outrepassé ses pouvoirs et violé ainsi la liberté de parole
et d’opinion reconnue aux fonctionnaires. Dans son avis, rendu le 20 mars 2002, cette
instance a constaté qu’il était souhaitable que les fonctionnaires soient autorisés à s’exprimer
publiquement lors de débats ouverts dans les médias, étant donné que leur participation à
des débats publics intéressant leurs domaines était propre à favoriser la diffusion
d’informations importantes présentant un intérêt général. Ledit Conseil a considéré que le cas
de M. Lehtinen avait trait à une affaire dans laquelle la sécurité au travail était en jeu, que,
dans ce contexte, un débat public était tout à fait souhaitable et important, et qu’un
fonctionnaire tel que l’intéressé était en droit d’y prendre part.
Sur la base de l’ensemble de ces éléments, AGM a introduit un recours devant le Tampereen
käräjäoikeus (tribunal de première instance de Tampere) tendant à obtenir que l’État
finlandais et M. Lehtinen soient condamnés solidairement à l’indemniser pour le préjudice
qu’elle aurait subi, s’agissant notamment d’une réduction de son chiffre d’affaires en Finlande
et ailleurs en Europe.
La question se pose, selon la juridiction de renvoi, de savoir si, à la lumière de la
jurisprudence de la Cour, notamment l’arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p.
837), les échanges dans la Communauté européenne ont pu être entravés, dans les
conditions posées par l’article 28 CE, lorsque M. Lehtinen, alors fonctionnaire de l’autorité
compétente, a exprimé publiquement une opinion négative sur la conformité aux normes de
certains ponts élévateurs pour véhicules fabriqués par AGM, opinion ayant pu entraîner la
baisse des ventes des produits de cette société sur le marché finlandais. Dès lors que
l’entrave potentielle aux échanges intracommunautaires résulte non d’une décision prise par
l’autorité compétente sur le fondement de dispositions nationales, mais des comportements
d’un fonctionnaire appartenant à cette autorité accomplis avant que celle-ci ait statué dans
l’affaire concernée, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le critère
dégagé dans l’arrêt Dassonville, permet de considérer les actes d’un fonctionnaire comme
des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives, en particulier dans un cas où,
en pratique, l’effet de ces actes a été le même que si l’autorité compétente avait pris une
décision similaire en vertu de dispositions du droit national.
T Droit communautaire en cause :
La question préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 98/37/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le rapprochement des législations des
Etats membres relatives aux machines (JO L 207, p. 1), et sur les conditions d’engagement
de la responsabilité d’un Etat membre et de ses fonctionnaires en cas de violation du droit
communautaire.
T Décision
:
Sur la libre circulation des marchandises :
26
La question est de savoir tout d’abord, si le comportement de M. Lehtinen, caractérisé par les
différentes déclarations publiques faites par celui-ci, doit être imputable à l’Etat finlandais,
ensuite, s’il apparaît comme constitutif d’une entrave à la libre circulation des marchandises
au sens de l’article 28 CE et enfin dans quelle mesure un tel comportement pourrait être
justifié au titre de la liberté d’expression ou de l’objectif de protection de la sécurité et de la
santé.
Examinant la nature de la directive, de ses objectifs et du contenu de ses articles 3, 4 et 7, la
Cour constate que la directive harmonise de manière exhaustive au niveau communautaire,
notamment les règles qui concernent les comportements que peuvent adopter les Etats
membres à l’égard des machines présumées conformes à ces exigences. Ainsi, toute mesure
nationale qui relève du champ d’application des articles précités de la directive doit être
appréciée au regard des dispositions de celle-ci et non de celles du traité CE, notamment
l’article 28 CE.
La première question revient à se demander si les opinions exprimées publiquement par M.
Lehtinen peuvent être qualifiées d’entraves à la libre circulation des marchandises, au sens
de l’article 4 § 1 de la directive, imputable à l’Etat finlandais. Pour que les déclarations d’un
fonctionnaire soient imputées à l’Etat, les destinataires de ces déclarations doivent
raisonnablement supposer, dans le contexte donné, qu’il s’agit de positions que le
fonctionnaire prend avec l’autorité de sa fonction (point 57). Il appartient à la juridiction de
renvoi d’apprécier ce point suivant différents éléments d’appréciation proposés par la Cour au
point 58 de l’arrêt.
Si ces déclarations sont imputées à l’Etat finlandais, il reste à examiner si elles enfreignent
l’article 4 § 1 de la directive. La Cour rappelle que “constitue une entrave toute mesure
susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le
9
commerce intracommunautaire” . En l’espèce, malgré la présomption de conformité dont
bénéficiaient les élévateurs fabriqués par AGM, l’article 7 § 1 premier alinéa de la directive
prévoit qu’un « Etat membre est tenu de prendre toutes les mesures utiles pour retirer une
machine du marché lorsqu’il constate que celle-ci, utilisée conformément à sa destination,
risque de compromettre la sécurité des personnes ou des biens ». Or, d’après la décision de
renvoi, les autorités compétentes n’ont ni constaté l’existence d’un risque, ni adopté de
mesures visant à retirer du marché les élévateurs, ni, a fortiori, informé la Commission de
telles mesures. Ainsi, selon la Cour, “ces élévateurs [bénéficiaient] de la présomption de
conformité”, par conséquent, “l’État devait respecter l’interdiction des restrictions à leur libre
circulation édictée à l’article 4 § 1 de la directive”. Les déclarations en cause sont donc “de
nature à entraver, au moins indirectement et potentiellement, la mise sur le marché de ces
machines”.
La Cour examine ensuite si le comportement de M. Lehtinen peut être justifié par l’objectif de
protection de la santé ou au titre de la liberté d’expression. Elle estime que eu égard au fait
que les règles relatives aux exigences de sécurité en vue de la mise sur le marché des
machines qui affectent la libre circulation des marchandises sont harmonisées de manière
exhaustive au niveau communautaire, un État membre ne saurait se prévaloir d’une
justification tirée de la protection de la santé en dehors du cadre créé par l’article 7 de la
directive.
En ce qui concerne la liberté d’expression, si celle-ci est garantie à toutes les personnes
relevant de juridiction des Etats membres par l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les Etats membres ne sauraient s’en
9
voir notamment CJCE Dassonville du11 juillet 1974, C-8/74, Rec. p. 837.
27
prévaloir pour leurs fonctionnaires afin de justifier une entrave et, de ce fait, échapper à leur
propre responsabilité en droit communautaire.
Ainsi, la Cour précise qu’une “violation de l’article 4 § 1 de la directive par le comportement
d’un fonctionnaire, dans la mesure où il est imputable à l’Etat membre dont il relève, ne peut
être justifiée ni par l’objectif de protection de la santé ni au titre de la liberté d’expression des
fonctionnaires”.
Sur la responsabilité de l’Etat finlandais :
La Cour rappelle sa jurisprudence qui précise les conditions dans lesquelles un Etat membre
est tenu de réparer les dommages causés aux particuliers et qui sont au nombre de trois, à
savoir, la règle de droit violée doit avoir pour objet de conférer des droits aux particuliers, la
violation doit être suffisamment caractérisée et il doit exister un lien de causalité direct entre
la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées
10
.
S’agissant de la première question, la Cour constate que l’article 4 §1 de la directive a
pour objet de conférer aux particuliers opérant sur le marché des droits qu’ils peuvent faire
valoir à l’encontre des États membres.
S’agissant de la deuxième question, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que, lorsque
l’Etat membre ne disposait que d’une marge d’appréciation réduite, voire inexistante, au
moment où il a commis l’infraction, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à
11
établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée . Or, les obligations énoncées à
l’article 4 § 1 de la directive n’accordent pas de marge d’appréciation aux États membres. Par
conséquent, il y a lieu de considérer qu’une violation de l’article 4, § 1, de la directive par des
déclarations telles que celles en cause au principal, à supposer qu’elles puissent être
imputées à l’État membre, est suffisamment caractérisée.
Concernant la troisième question, il appartient aux juridictions nationales de vérifier s’il
existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le
dommage subi par les personnes lésées.
En conclusion, la Cour considère que le non-respect de l’article 4 § 1 de la directive résultant
de déclarations d’un fonctionnaire d’un Etat membre, pour autant qu’elles soient imputables à
cet Etat, constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire pour
engager la responsabilité dudit Etat.
De plus, à la question de savoir si le droit national peut ajouter des conditions
supplémentaires particulières en matière de réparation des dommages causés par l’Etat ou
apporter des limitations de responsabilité, la Cour répond que le droit communautaire ne s’y
oppose pas “sous réserve qu’elles soient aménagées de façon à ne pas rendre, en pratique,
impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation d’un dommage résultant
d’une violation du droit communautaire”.
Sur la responsabilité personnelle des fonctionnaires :
La Cour rappelle sur ce point qu’en “cas de violation du droit communautaire, celui-ci ne
s’oppose pas à ce que la responsabilité d’un fonctionnaire puisse être engagée en sus de
celle de l’État membre, mais ne l’impose pas”.
10
11
voir notamment CJCE Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, point 51.
Voir CJCE Norbrook Laboratories, C-127/95, Rec. p. I-1531, point 107.
28
jjj
Propriété intellectuelle
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur
(marques, dessins et modèles) (OHMI) / Kaul GmbH,
Arrêt de la Cour (Grande Chambre) du 13 mars 2007
- Affaire C-29/05 « Pourvoi - Marque communautaire - Procédure d’opposition - Présentation de faits et de preuves
nouveaux à l’appui d’un recours introduit devant la chambre de recours de l’OHMI »
T
Faits :
Le 3 avril 1996, Atlantic Richfield Co. a demandé à l’OHMI l’enregistrement, en tant que
marque communautaire, du signe verbal « ARCOL », notamment pour les « produits
chimiques destinés à conserver les aliments ». Le 20 octobre 1998, la société Kaul a formé
une opposition à l’encontre de cette demande en invoquant l’existence d’un risque de
confusion au sens de l’article 8 § 1, sous b), du règlement n° 40/94. Kaul s’est prévalue, à cet
égard, de la marque communautaire antérieure dont elle est titulaire, à savoir le signe verbal
« CAPOL », enregistrée pour des produits chimiques pour conserver les aliments. La division
d’opposition de l’OHMI a rejeté cette opposition le 30 juin 2000 en concluant à une absence
de risque de confusion. Ayant formé un recours contre cette décision, la société Kaul a
notamment fait valoir que la marque dont elle est titulaire jouit d’un caractère distinctif élevé,
si bien qu’elle devrait, conformément à la jurisprudence de la Cour, bénéficier d’une
protection accrue. À cet égard, elle a affirmé qu’un tel caractère distinctif élevé résultait non
seulement de l’absence de caractère descriptif du vocable « CAPOL » pour les produits
considérés, mais également du fait que ladite marque aurait acquis un caractère notoire par
l’usage. Aux fins d’étayer ce caractère notoire, la société Kaul a produit, en annexe à son
mémoire déposé devant la chambre de recours, une attestation sur l’honneur émanant de
son directeur général ainsi qu’une liste de ses clients.
La chambre de recours de l’OHMI a notamment considéré qu’elle ne pouvait prendre en
compte un éventuel caractère distinctif élevé de la marque antérieure qui serait lié à sa
notoriété, un tel élément et les preuves susmentionnées destinées à l’étayer ayant été
invoqués pour la première fois à l’appui du recours introduit devant elle.
12
Kaul a donc formé un recours en annulation de cette décision . La société requérante a
invoqué, notamment, un moyen tiré de la violation de l’obligation d’examiner les éléments
avancés par Kaul devant la Chambre de recours de l’OHMI. Le Tribunal a accueilli le premier
moyen et a annulé la décision sur ce chef sans se prononcer sur les autres moyens. En
13
conséquence, l’OHMI a formé un pourvoi afin que la Cour annule l’arrêt attaqué et renvoie
l’affaire au Tribunal pour qu’il statue sur les autres moyens du recours.
12
Décision de la troisième chambre de recours de l’OHMI du 4 mars 2002 (affaire R 782/2000-3).
13
Arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 10 novembre 2004, Kaul/OHMI – Bayer
(ARCOL) (T-164/02, Rec. p. II-3807).
29
T Droit
communautaire en cause :
- Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembr e 1993, sur la marque communautaire
(JO 1994, L 11, p. 1) ;
- Règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités
d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1 ) ;
- Arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 10 novembre
2004, Kaul/OHMI – Bayer (ARCOL) (T-164/02, Rec. p. II-3807) ;
- Décision de la troisième chambre de recours de l’OHMI du 4 mars 2002 (affaire R
782/2000-3).
T Décision
:
La Cour décide que l’arrêt attaqué doit être annulé au motif que le Tribunal a méconnu les
dispositions des articles 42 § 3 et 59 et l’article 74 § 2 du Règlement n° 40/94. En effet, il a
considéré que la Chambre de recours avait l’obligation de prendre en considération des faits
et preuves invoqués par la partie pour la première fois dans le mémoire qu’elle a présenté
devant cette Chambre et a annulé la décision litigieuse sur ce fondement.
De plus, la Cour décide que la décision de la Chambre de recours de l’OHMI doit aussi être
annulée au motif que celle-ci n’a pas exercé le pouvoir d’appréciation dont elle est investie et
qu’elle s’est estimée à tort dépourvue de tout pouvoir d’appréciation aux fins d’une prise en
compte éventuelle des faits et preuves en cause.
jjj
30
Coopération judiciaire et policière en matière pénale
Gestoras Pro Amnistia, Juan Mari Olano Olano,
Julen Zelarain Errasti / Conseil de l’Union européenne
Segi, Araitz Zubimendi Izaga,
Aritza Galarraga / Conseil de l’Union européenne
Arrêts de la Cour du 27 février 2007
- Affaires C-354/04 et C-355/04 « Pourvoi - Union européenne - Coopération policière et judiciaire en matière pénale Positions communes 2001/931/PESC, 2002/340/PESC et 2002/462/PESC - Mesures
relatives aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme Recours en indemnité - Compétence de la Cour de justice »
T Faits
:
Dans la première affaire, Gestoras Pro Amnistía est une organisation se donnant pour but la
défense des droits humains au pays basque et, notamment, des droits des prisonniers et des
exilés politiques. Dans la seconde affaire, Segi est une organisation se donnant pour but la
défense des revendications de la jeunesse basque, de l’identité, de la culture et de la langue
basques.
Le 28 septembre 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1373
(2001) visant l’assistance mutuelle des Etats lors des enquêtes criminelles et autres
procédures portant sur le financement d’actes de terrorisme. Considérant qu’une action de la
Communauté et des Etats membres était nécessaire afin de mettre en oeuvre cette
résolution, le Conseil de l’Union européenne a adopté le 27 décembre 2001, la position
commune 2001/931. Cette dernière a été adoptée sur la base de l’article 15 UE, relevant du
titre V du traité UE relatif aux « Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité
commune » (PESC) et de l’article 34 UE relevant du titre VI du traité UE relatif aux «
Dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale ».
Le même jour, le Conseil a également adopté la position commune 2001/930/PESC relative à
14
la lutte contre le terrorisme , le règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l’adopt ion de
mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre
15
de la lutte contre le terrorisme
et la décision 2001/927/CE établissant la liste prévue à
16
l’article 2 § 3, du règlement n° 2580/2001
. Le nom des associations requérantes a été
ajouté sur cette liste par deux positions communes (2002/340/PESC et 2002/462/PESC)
adoptées les 2 et 17 mai 2002 par le Conseil.
Celles-ci ont introduit un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés
européenne tendant à l’obtention d’indemnités en réparation du préjudice qu’ils prétendent
avoir subi du fait de l’inscription sur la liste des personnes, groupes et entités visés à l’article
1er de la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre. S’estimant
incompétent pour examiner le recours en indemnité, le Tribunal, par ordonnance du 7 juin
14
15
16
JO L 344, p. 90
JO L 344, p. 70
JO L 344, p. 83
31
2004
17
T Droit
, a rejeté le recours.
communautaire en cause :
Les requérants soutiennent que le Tribunal s’est, à tort, déclaré incompétent. Ils fondent leur
argumentation sur la méconnaissance des dispositions du titre VI du traité UE.
Ils invoquent également le respect du droit à une protection juridictionnelle effective découlant
de l’article 6 § 2 UE. Ils estiment qu’ils ne disposent d’aucun moyen pour contester
l’inscription de leurs associations sur la liste annexée à la position commune 2001/931 et que
l’ordonnance attaquée porte atteinte à leur droit à une protection juridictionnelle effective.
Enfin, ils avancent une méconnaissance de la déclaration faite par le Conseil dans sa
décision 15453/01 du 18 décembre 2001 qui précise que « le Conseil rappelle au sujet de
l’article 1 § 6, de la position commune relative à l’application de mesures spécifiques en vue
de combattre le terrorisme, et de l’article 2 § 3, du règlement sur des mesures restrictives
spécifiques dirigées contre certaines personnes et entités en vue de combattre le terrorisme,
que toute erreur quant aux personnes, groupes ou entités visés donne le droit à la partie
lésée de demander réparation en justice ».
T
Décision :
Sur les premier et troisième moyens :
La Cour écarte le premier moyen, rappelant qu’ “aucun recours en responsabilité n’est prévu
dans le cadre du titre VI du traité UE”.
Sur le troisième moyen, la Cour rappelle une jurisprudence constante selon laquelle “une telle
déclaration [du Conseil] ne suffit pas à créer une voie de droit qui n’est pas prévue par les
textes applicables et qu’elle ne peut se voir, dès lors, reconnaître aucune portée juridique ni
être retenue pour l’interprétation du droit issu du traité UE lorsque, comme en l’espèce, le
contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en
18
cause” .
Sur le second moyen :
La Cour rappelle que selon l’article 6 UE “l’Union est fondée sur le principe de l’État de droit
et respecte les droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire”.
Les institutions sont donc soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec les
traités et les principes généraux du droit, tout comme les Etats lorsqu’ils mettent en oeuvre le
droit de l’Union.
La compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel sur des questions relatives au 3ème
pilier (coopération policière et judiciaire en matière pénale) définie par l’article 35 § 1 UE ne
s’étend pas aux positions communes. Toutefois, la Cour souligne que l’objectif de cet article
vise à faire en sorte que toute disposition prise par le Conseil aux fins de produire un effet
juridique envers des tiers soit susceptible de faire l’objet d’un renvoi préjudiciel. De plus, dès
lors que la procédure de renvoi préjudiciel “tend à assurer le respect du droit dans
l’interprétation et l’application du traité, il serait contraire à cet objectif d’interpréter
restrictivement l’article 35 § 1 UE”. Ainsi, la Cour estime que “la possibilité de saisir la Cour à
titre préjudiciel doit (...) être ouverte à l’égard de toutes les dispositions prises par le Conseil,
quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit vis-à-vis
17
18
Gestoras Pro Amnistía e. a / Conseil (T-33/02) et Segi e. a. / Conseil (T-338/02).
Voir notamment CJCE Antonissen du 26 février 1991, (C-292/89), Rec. p. I-745, point 18.
32
19
des tiers” . Ainsi, elle considère qu’ “une position commune qui aurait, du fait de son
contenu, une portée qui dépasse celle assignée par le traité UE à ce type d’acte doit pouvoir
être soumise au contrôle de la Cour. Dès lors, une juridiction nationale, saisie d’un litige qui,
de manière incidente, poserait la question de la validité ou de l’interprétation d’une position
commune adoptée sur le fondement de l’article 34 UE (...) et qui aurait un doute sérieux sur
la question de savoir si cette position commune viserait en réalité à produire des effets de
droit vis-à-vis des tiers, pourrait demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel, dans les
conditions posées à l’article 35, UE” (point 54). Elle ajoute : “La Cour serait également
compétente pour contrôler la légalité de tels actes lorsqu’un recours a été formé par un État
membre ou par la Commission dans les conditions posées à l’article 35, paragraphe 6, UE”
(point 55).
Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que la position commune contestée les
laisserait sans recours, contrairement à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective,
et que l’ordonnance attaquée porterait atteinte à leur droit à une telle protection.
En conclusion, la Cour rejette le pourvoi.
jjj
19
Par analogie : CJCE Commission / Conseil du 31 mars 1971, C-22/70, Rec. p. 263, points 38 à 42.
33
Rapprochement des législations
Elaine Farrell / Alan Whitty, Minister for the Environment, Ireland,
Attorney General et Motor Insurers Bureau of Ireland (MIBI)
Arrêt de la Cour du 19 avril 2007
- Affaire C-356/05 « Assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile - Directives 72/166/CEE,
84/5/CEE et 90/232/CEE - Dommages causés aux passagers d’un véhicule - Partie
d’un véhicule non aménagée pour le transport assis de passagers »
T Faits
:
La requérante, Mme Farrell, a été victime en 1996 d’un accident de la route, alors qu’elle se
trouvait assise sur le sol de la camionnette qui n’était ni conçue ni construite pour transporter
des passagers à l’arrière. Le propriétaire et conducteur du véhicule, M. Whitty, n’étant pas
assuré, la requérante a cherché à obtenir une indemnisation auprès du MIBI. En effet, selon
une convention conclue entre cet organisme et le « Minister for the Environment » en 1988, le
MIBI s’engageait à indemniser les victimes d’accidents de la route impliquant des
conducteurs n’ayant pas souscrit l’assurance obligatoire exigée par une loi de 1961.
Cependant, Mme Farrell a vu sa demande rejetée au motif que celle-ci voyageait dans une
partie du véhicule qui n’était ni conçue ni équipée de sièges pour transporter des passagers.
Ainsi, selon le MIBI, la responsabilité des dommages corporels subis par la demanderesse
n’était pas une responsabilité pour laquelle l’assurance était obligatoire en vertu de la loi de
1961.
Mme Farrell cherchait à obtenir un jugement déclaratoire indiquant que les mesures
nationales de transposition en vigueur au moment de l’accident ne mettaient pas
correctement en oeuvre les dispositions pertinentes des première et troisième directives, en
particulier l’article 1er de cette dernière. Contesté par le MIBI et l’Irlande, cet Etat membre
faisait valoir que la troisième directive permettait de ne pas étendre l’obligation d’assurance
de la responsabilité civile aux personnes se trouvant dans une partie d’un véhicule à
propulsion mécanique qui n’avait été ni conçue ni équipée de sièges pour transporter des
passagers.
La High Court a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions
préjudicielles
T Droit
communautaire en cause et questions préjudicielles :
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er de la troisième
directive 90/232/CEE du Conseil, du 14 mai 1990, concernant le rapprochement des
législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de
la circulation des véhicules automoteurs (JO L 129, p. 33).
La High Court souhaite savoir :
1°) si l’Irlande est obligée, en vertu de l’article 1er de la troisième directive et depuis le 31
décembre 1995 (date à laquelle l’Irlande était tenue de transposer les dispositions de ladite
directive relatives aux passagers des véhicules autres que les motocycles) de rendre
34
obligatoire l’assurance de la responsabilité civile pour les dommages causés aux personnes
voyageant dans une partie d’un véhicule automoteur qui n’a été ni conçue ni construite avec
des sièges pour passagers ;
2°) et en cas de réponse positive, si l’article 1 er de la troisième directive confère des droits
que les individus peuvent invoquer directement devant les juridictions nationales.
T
Décision :
Concernant la première question :
La Cour constate que, selon l’article 1er de la troisième directive, “l’assurance obligatoire
couvre la responsabilité des dommages corporels causés à tous les passagers autres que le
conducteur résultant de la circulation d’un véhicule”. Elle relève à cet égard qu’aux termes
des quatrième et cinquième considérants de la troisième directive, cette dernière poursuit
l’objectif, notamment, “de combler les lacunes dans la couverture d’assurance obligatoire des
passagers des véhicules automobiles dans certains Etats membres et de protéger (...) les
victimes potentielles, ainsi que de garantir aux victimes d’accidents de la circulation
automobile un traitement comparable quels que soient les endroits de la Communauté où les
accidents se sont produits”. Exclure de la notion de « passager » et donc de la couverture
d’assurance, les personnes lésées ayant pris place dans un véhicule qui n’était ni destiné à
leur transport ni équipé à cette fin, serait contraire aux objectifs poursuivis par la
réglementation communautaire.
La Cour rappelle également sa jurisprudence précisant que “l’article 1er de la troisième
directive a étendu, à partir du 31 décembre 1995, la couverture obligatoire imposée à l’article
3 § 1, de la première directive, tel que précisé et complété par la deuxième directive, aux
20
dommages corporels causés aux passagers autres que le conducteur” . De plus, selon
cette même jurisprudence, la Cour avait considéré comme des « passagers », les personnes
transportées dans une partie d’un véhicule non aménagé pour le transport assis de
passagers.
De plus, aucune dérogation relative à une catégorie distincte de personnes susceptibles
d’être victimes d’un sinistre de véhicules qui ont pris place dans une partie de véhicule ni
conçue ni équipée pour le transport n’a été prévue par le législateur communautaire. De
même, compte tenu de la nécessité d’une approche uniforme de la couverture d’assurance
des passagers au niveau communautaire, les Etats membres ne sont pas en mesure
d’introduire des limitations additionnelles. Ainsi, “une réglementation nationale ne saurait
réduire la notion de « passager » et priver de la couverture d’assurance des personnes ayant
droit, conformément aux première, deuxième et troisième directives, à la réparation du
dommage causé par des véhicules automoteurs”.
Concernant la seconde question :
La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, “une disposition d’une directive a
un effet direct si elle apparaît du point de vue de son contenu, inconditionnelle et
21
suffisamment précise” . Elle constate que l’article 1er de la troisième directive permet
d’identifier tant l’obligation de l’Etat membre que les bénéficiaires, et que le contenu de ces
dispositions est inconditionnel et précis. Les critères étant remplis, cette disposition peut être
invoquée afin d’écarter les dispositions du droit national.
Toutefois, une directive ne peut être soulevée à l’encontre de particuliers mais peut l’être à
20
21
CJCE ordonnance du 14 octobre 2002, Whiters, C-158/01, Rec. p. I-8301, points 20 et 21.
Voir notamment CJCE Becker du 19 janvier 1982, C-8/81, Rec. p. 53.
35
l’encontre de l’Etat. Un organisme peut se voir opposer les dispositions d’une directive
susceptibles d’avoir des effets directs, lorsque, “quelle que soit sa forme juridique, celui-ci a
été chargé en vertu d’un acte de l’autorité publique d’accomplir, sous le contrôle de cette
dernière, un service d’intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exhorbitants par
22
rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers” . La Cour ne disposant
pas d’assez d’informations au sujet du MIBI, il incombe au juge national d’apprécier, en
tenant compte du statut du MIBI et de ses relations avec l’Etat Irlandais, si la directive peut
être invoquée à l’encontre de celui-ci.
22
Voir notamment CJCE Foster e. a. du 12 juillet 1990, C-188/89, Rec. p. I-3313, point 20.
36
ACTIVITÉS DU CONSEIL DE L’EUROPE
ET DE L’UNION EUROPÉENNE
— CONSEIL DE L’EUROPE
T Publication du Bulletin d’information sur les droits de l’homme du Conseil de l’Europe, N°
70, 1er novembre 2006 - 28 février 2007.
Ce document est téléchargeable à l’adresse suivante :
http://www.coe.int/t/E/Human_Rights/1hrib70_fr.pdf
30 avril 2007: La Commission européenne a lancé une consultation publique concernant
les biocarburants dans la nouvelle législation sur la promotion de l’énergie renouvelable. Y
sont notamment abordés les moyens d’obtenir une part de biocarburants de 10 % et de
garantir la viabilité environnementale. Cette consultation fait suite à la nouvelle politique
énergétique pour l’Europe, récemment adoptée, qui propose notamment un objectif
contraignant de 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale de
l'UE d’ici 2020 et un objectif contraignant de 10 % de biocarburants dans les transports. La
consultation a pour but d’aider la Commission à élaborer des propositions permettant de
traduire ces objectifs sous une forme législative.
T
T 17
avril 2007 : l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a exprimé un avis positif à
la demande d’adhésion du Monténégro au Conseil de l’Europe et a recommandé au Comité
des Ministres de l’Organisation que ce pays en devienne le 47ème Etat membre.
3 et 4 avril 2007 : le Comité des Ministres a tenu la deuxième de ses réunions spéciales
prévues en 2007 pour surveiller l’exécution des arrêts de la Cour européenne des Droits de
l’Homme (article 46 de la CEDH).
Il surveille le paiement par les Etats défendeurs de la satisfaction équitable due aux
requérants, l’adoption d’autres mesures individuelles destinées à offrir réparation aux
requérants et l’adoption de mesures générales afin de prévenir de nouvelles violations
similaires. Lors de cette réunion, le Comité des Ministres a examiné pour la première fois 225
nouveaux arrêts de la Cour ainsi que des projets de Résolutions finales (concernant 137
affaires) concluant que les Etats défendeurs se sont conformés à leurs obligations selon les
arrêts.
T
28 mars 2007 : le Commissaire aux droits de l’homme encourage les gouvernements à
signer la nouvelle Convention des Nations Unies sur les personnes handicapées et son
protocole facultatif. Ces textes ont été adoptés le 13 décembre 2006 et ont été ouverts à la
ratification le 30 mars 2007. La France a signé la Convention, pas le protocole facultatif.
Ces textes sont disponibles à l’adresse suivante :
http://www.un.org/french/disabilities/convention/convention_full.shtml
T
T 26-27 mars 2007 : Troisième conférence européenne des juges : « Quel Conseil pour
la justice » ?
Le Conseil Supérieur de la Magistrature italien a accueilli, à Rome, la 3ème conférence
européenne des juges du Conseil de l’Europe.
21 mars 2007 : Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.
La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI a publié une
Recommandation contenant une liste de mesures spécifiques et simples à mettre en oevre.
T
37
Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe encourage les gouvernements à prendre une
action immédiate.
La Recommandation demande aux gouvernements d’effectuer des études sur la situation des
enfants issus des groupes minoritaires dans le système scolaire, et de mettre en place des
politiques pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés ces enfants. Elle propose
également de créer un système qui permette d’observer et de sanctionner les incidents à
caractère raciste, et de sensibiliser davantage à cette question. L’ensemble du personnel
enseignant doit être préparé à travailler dans un milieu multiculturel et à répondre aux
besoins des élèves provenant de milieux différents.
T Publication
d’un ouvrage :
Bruno Haller, “Une assemblée au service de l’Europe - Une Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe 1949 - 1989” (2006).
v
v
v
—
UNION EUROPEENNE
T 30
avril 2007: La directive sur la responsabilité environnementale assure le respect du
23
principe du «pollueur payeur» .
Un acte législatif important établissant des règles en matière de responsabilité pour les
atteintes à l'environnement entrera en vigueur le 30 avril. Particulièrement novatrice, la
nouvelle directive, fruit de discussions qui ont débuté à la fin des années 80, est le premier
acte législatif européen spécifiquement fondé sur le «principe du pollueur payeur» établi dans
le traité CE. La directive permettra désormais d'éviter les atteintes à l'environnement dans
l'UE ou d'y remédier, et de mettre en cause la responsabilité des auteurs. La directive
concerne notamment les atteintes aux ressources en eau, aux habitats naturels, aux animaux
et aux végétaux, ainsi que la pollution des sols, très nocive pour la santé humaine. Les États
membres doivent transposer la directive dans leur législation nationale pour le 30 avril, mais
jusqu'à présent seules l'Italie, la Lettonie et la Lituanie se sont acquittées de cette obligation.
Disponible sur: http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l28120.htm
6 mars 2007 : visite à la Cour de Justice des communautés européennes d’une délégation
de la Cour constitutionnelle de la République de Slovénie.
T
15 mars 2007 : Adoption par la Commission d’un Livre vert sur la révision de l’acquis
24
communautaire en matière de protection des consommateurs .
Référence: communication de la Commission intitulée “Droit européen de contrats et révision
de l'acquis: la voie à suivre”.
T
22 mars 2007 : Publication du rapport annuel 2006 de la Cour de Justice des
Communautés européennes.
Des
extraits
sont
disponibles
sur
:
http://www.curia.europa.eu/fr/instit/presentationfr/rapport.htm
T
T
26 mars 2007 : Colloque organisé à la Cour de justice des Communautés
23
Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité
environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.
24
JO C 14 du 20.1.2005, COM(2004) 651 et Bull. 10-2004, point 1,4 et 63.
38
européennes dans le cadre des célébrations du cinquantième anniversaire des Traités
de Rome : ”L’influence du droit national et de la jurisprudence des juridictions des Etats
membres sur l’interprétation du droit communautaire”.
v
v
v
39
ACTUALITÉS INTERNATIONALES
T Québec
:
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a publié un
rapport sur la lutte contre l’homophobie au Québec.
http://142.213.87.17/fr/publications/docs/rapport_homophobie.pdf
Etats Unis :
Le rapport annuel du département d’Etat sur les droits fondamentaux dans le monde a été
publié le 6 mars 2007. Ce rapport, soumis au Congrès, examine le statut des droits de
l’homme dans 196 pays et entités, sans les Etats-Unis. Le rapport évoque pour la première
fois la question de la liberté d’expression sur internet, et le rôle des Etats.
Disponible sur : http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2006/
T
Concernant la France, le rapport évoque essentiellement les questions de violence policière,
les conditions d’arrestation et de détention. Il évoque le rapport 2006 du commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe, les effets de la loi sur le terrorisme du 23 janvier
2006 dénoncés par Amnesty international ainsi que l’affaire d’Outreau et les infractions
commises en matière d’asile et d’immigration. Il critique la question de la liberté de religion en
France du fait de “l’application excessivement rigide du principe de séparation de l’Eglise et
de l’Etat”.
Pour la France : http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2006/78812.htm
Organisation des Nations Unies :
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a rendu des
Observations finales à l’égard de 15 pays dont 4 pays européens : l’Autriche, la Grèce, les
Pays-Bas et la Pologne.
T
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