Quelques rappels théoriques sur les équations différentielles
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Quelques rappels théoriques sur les équations différentielles
1. INTRODUCTION 1 Quelques rappels théoriques sur les équations différentielles ordinaires 1 Introduction Le but de ces notes est de rappeler quelques résultats sur la résolution des équations différentielles ordinaires (EDO) qui sont des équations de la forme : ẏ(t) = f (t, y(t)) dans ]a, b[ , y(t0 ) = y0 ∈ Rn . Dans ce problème, l’inconnue est la fonction y :]a, b[→ Rn alors que la fonction f :]a, b[×Rn → Rn , le temps t0 ∈]a, b[, et la donnée initiale y0 ∈ Rn sont des données. En fait, en pratique, l’intervalle ]a, b[ sera souvent à déterminer. Nous rappelons tout d’abord que l’EDO ci-dessus, bien que ne faisant intervenir qu’une dérivée première de y, est la forme générale des équations différentielles ; en effet, si on veut résoudre l’équation : y (n) = g(t, y(t), ẏ(t), ÿ(t), · · · , y (n−1) (t)) , il suffit de poser Y (t) := (y(t), ẏ(t), ÿ 0 (t), · · · , y (n−1) (t)) qui satisfait une équation de la forme : Ẏ (t) = G(t, Y (t)) , avec G(t, y0 , y1 , · · · , yn−1 ) = (y1 , · · · , yn−1 , g(t, y0 , y1 , · · · , yn−1 )). Pour simplifier l’exposé, on va supposer que t0 = 0 (1) et en résolvant sur un intervalle de la forme [0, T ] (2) . Dans les cas non-linéaires, on supposera que f : [0, T ] × Rn → Rn est une fonction continue (même si la continuité en t n’est pas vraiment nécessaire). 2 Équations linéaires On résout, dans cette section, l’équation : ẏ(t) = Ay(t) dans R , y(0) = y0 ∈ Rn , où A est une matrice n × n. Le résultat est le : (1). ce qui n’est pas restrictif car on peut toujours s’y ramener en considérant ỹ(·) = y(t0 + ·), solution de l’équation avec la donnée f (t0 + ·, ·) (2). on pourrait résoudre de manière analogue sur un intervalle de la forme [−T, 0] 2 Théorème 1. Cette équation a une unique solution sur R, donnée par : y(t) := exp(tA)y0 . Preuve : La preuve se déroule en deux temps : on vérifie d’abord que exp(tA)y0 est une solution puis on fournit un argument d’unicité. On commence par le Lemme 1. Si B est une matrice n × n alors la fonction : t 7→ exp(tB) := +∞ k X t 0 k! Bk , est bien définie sur R, elle y est C ∞ et on a : d (exp(tB)) = B exp(tB) . dt Avant de donner une courte preuve de ce lemme, nous remarquons que B et exp(tB) sont des matrices qui commutent. Preuve du lemme : on remarque que la série qui donne l’exponentielle est normalement convergente sur tout intervalle de la forme [−R, R]. En effet, si || · || est une norme matricielle : || tk k |t|k |t|k Rk (R||B||)k B || ≤ ||B k || ≤ ||B||k ≤ ||B||k = , k! k! k! k! k! et on reconnait le terme général de la série donnant exp(R||B||). La série dérivée terme à terme satisfaisant les mêmes propriétés, on en déduit que exp(tB) est dérivable. De plus, la dérivée de exp(tB) est la limite quand K tend vers +∞ de : K K X X t(k−1) k t(k−1) (k−1) B =B B , (k − 1)! (k − 1)! 1 1 et cette limite est donc B exp(tB) par le changement d’indice k̃ = k − 1. Il en résulte immédiatement que exp(tA)y0 est solution de l’EDO linéaire puisque sa dérivée est A exp(tA)y0 . Pour l’unicité, on calcule : d (exp(−tA)y(t)) = − A exp(−tA)y(t) + exp(−tA)y 0 (t) dt = − A exp(−tA)y(t) + exp(−tA)Ay(t) =0 , 3. ÉQUATIONS NON LINÉAIRES 3 puisque A et exp(−tA) commutent. Donc la fonction exp(−tA)y(t) est constante et elle vaut donc y0 . Il reste à montrer que : exp(tA) exp(−tA) = Id . Ce résultat s’obtient soit en dérivant et en s’apercevant que la dérivée du membre de gauche est nulle (donc la fonction est constante et la valeur en 0 se calcule aisément), soit grâce à un théorème (plus général) de sériesproduit. Remarque 1. On pourrait se demander si, quand A dépend de t, c’est-àdire quand l’EDO est de la forme : ẏ(t) = A(t)y(t) dans R , Rt on a un résultat analogue en introduisant exp( 0 A(s)ds) à la place de exp(tA). Hélas, ce résultat est faux en général comme le montre l’exemple (non complètement satisfaisant) suivant : on considère deux matrices A1 et A1 telles que exp(A1 + A2 ) 6= exp(A1 ) exp(A2 ) donc qui, en particulier, ne commutent pas. On pose alors : A2 si t ∈ [0, 1] A(t) = A1 si t ∈]1, 2] R2 Au temps t = 2, la formule “analogue” donnerait y(2) = exp( 0 A(s)ds)y0 = exp(A1 +A2 )y0 mais cette formule est incorrecte car on peut résoudre l’équation linéaire sur [0, 1] (où A(t) = A2 est constante) puis sur [1, 2] (où A(t) = A1 est constante) ; la formule correcte est donc y(2) = exp(A1 ) exp(A2 )y0 qui est différente de la première. 3 Équations non linéaires Pour mettre en lumière les points importants à comprendre quant à l’existence et l’unicité des solutions, nous considérons d’abord trois exemples typiques d’EDO dans R. • ẏ(t) = y(t), y(0) = y0 . Il s’agit d’une équation linéaire dont la solution est donnée par : y(t) = y0 exp(t). On a donc existence et unicité “globale” de la solution (c’est-àdire pour tous temps, positifs et négatifs). Une situation idéale. • ẏ(t) = [y(t)]2 , y(0) = y0 . On peut calculer une solution qui est donnée par : y(t) = y0 . 1 − ty0 4 La situation est un peu moins favorable car la solution n’est pas définie pour tout t ∈ R mais seulement si ty0 6= 1. Dans ce cas, on va avoir existence et unicité “locale” (typiquement sur un intervalle du type ] − 1/|y0 |, 1/|y0 |[ si y0 6= 0) mais pas globalement en temps car |y(t)| → +∞ quand t tend vers 1/y0 . On a donc un exemple où la solution ne peut pas être prolongée à R tout entier. • ẏ(t) = [y(t)]1/3 , y(0) = y0 et avec y0 = 0. Dans ce dernier cas, on peut aussi calculer des solutions : par exemple, y(t) = 0 est solution mais on a aussi une autre solution de la forme y(t) = ct3/2 si t > 0 et y(t) = 0 si t < 0. Le résultat fondamental pour les EDO non linéaires (et même linéaires à coefficients non constants) est le théorème de Cauchy-Lipschitz qui donne l’ “existence et l’unicité locale de la solution” quand la fonction f (t, y) est “localement lipschitzienne” en y, ce qui est le cas des deux premiers exemples. Le troisième exemple relève du théorème de Peano qui donne l’existence locale (mais pas l’unicité) quand f est seulement continue ; il montre que le caractère lipschitzien de f est surtout utile pour l’unicité. Pour démontrer le théorème de Cauchy-Lipschitz, nous allons procéder en deux étapes : (i) le cas “globalement Lipschitz” qui sera techniquement assez simple puis (ii) l’extension au cas “localement Lipschitz”. Nous supposons d’abord : (GL) La fonction (t, y) 7→ f (t, y) est continue sur [0, T ] × Rn et il existe une constante L > 0 telle que : |f (t, y1 ) − f (t, y2 )| ≤ L|y1 − y2 | , pour tous t ∈ [0, T ] et y1 , y2 ∈ Rn . Théorème 2. (théorème de Cauchy-(globalement) Lipschitz) Sous l’hypothèse (GL), il existe une unique solution de l’EDO : ẏ(t) = f (t, y(t)) sur [0, T ] , n y(0) = y0 ∈ R . qui est définie pour tous temps, i.e. sur [0, T ]. Preuve : On utilise le processus itératif habituel en introduisant la suite de fonctions (yk )k≥1 définie par y1 (t) = y0 pour tout t ∈ [0, T ] et : Z t yk+1 (t) = y0 + f (s, yk (s))ds pour t ∈ [0, T ] . 0 Mais l’idée est ici de faire une estimation ponctuelle plus précise que l’estimation habituelle de la norme de yk+1 − yk dans l’espace C([0, T ]) qui est généralement utilisée pour l’argument de point fixe. 3. ÉQUATIONS NON LINÉAIRES 5 On commence par écrire : Z t (f (t, y2 (s)) − f (t, y1 (s))) ds , y3 (t) − y2 (t) = 0 ce qui donne, en utilisant l’inégalité triangulaire et (GL) : Z t L|y2 (s) − y1 (s)|ds ≤ Lt||y2 − y1 ||∞ . |y3 (t) − y2 (t)| ≤ 0 Puis : Z t (f (t, y3 (s)) − f (t, y2 (s))) ds , y4 (t) − y3 (t) = 0 donne, en utilisant encore une fois l’inégalité triangulaire et (GL) : t Z L|y3 (s) − y2 (s)|ds. |y4 (t) − y3 (t)| ≤ 0 Mais on emploie, cette fois, l’estimation plus précise de |y3 (s) − y2 (s)| : Z |y4 (t) − y3 (t)| ≤ t L2 s||y2 − y1 ||∞ ds = 0 (Lt)2 ||y2 − y1 ||∞ . 2 En répétant le même argument, on prouve aisément, par récurence, que : |yk+1 (t) − yk (t)| ≤ M (Lt)(k−1) , (k − 1)! où M := ||y2 − y1 ||∞ . P Il en résulte immédiatement que la série de fonctions k≥1 (yk+1 − yk ) est normalement convergente sur [0, T ] et donc que : yK = K−1 X (yk+1 − yk ) + y1 , k=1 converge uniformément vers une fonction (continue) sur [0, T ] (car une démonstration par récurrence montre que tous les yk sont continus). En utilisant (GL), on montre facilement que f (s, yk (s)) converge uniformément vers f (s, y(s)) et en passant à la limite dans la relation de récurrence qui définit les yk , on obtient : Z t y(t) = y0 + f (s, y(s))ds . 0 Le second membre étant dérivable puisque l’intégrand est continu, y est dérivable et on retrouve l’équation en dérivant. 6 a: Pour l’unicité, on procède par l’absurde : si y, ỹ sont deux solutions, on Z t y(t) − ỹ(t) = (f (s, y(s)) − f (s, ỹ(s)))ds , 0 et grâce à (GL) : Z t L|y(s) − ỹ(s)|ds . |y(t) − ỹ(t)| ≤ 0 Rt En notant χ(t) := 0 |y(s) − ỹ(s)|ds, on voit que χ est dérivable et que l’inégalité ci-dessus équivaut à : χ0 (t) ≤ Lχ(t) . De plus, χ(0) = 0. On écrit l’inégalité ci-dessus sous la forme χ0 (t) − Lχ(t) ≤ 0 et on multiplie par exp(−Lt) faisant ainsi apparaitre la derivée de exp(−Lt)χ(t) qui est donc négative. Il en résulte que exp(−Lt)χ(t) ≤ χ(0) = 0 ; mais χ est une fonction positive donc χ et χ0 = |y − ỹ| sont identiquement nulles, ce qui donne le résultat. Pour le théorème de Cauchy-Lipschitz, on affaiblit l’hypothèse (GL) : (LL) La fonction (t, y) 7→ f (t, y) est continue sur [0, T ] × Rn et, pour tout 0 < T 0 < T et pour tout R > 0, il existe une constante L(T 0 , R) telle que : |f (t, y1 ) − f (t, y2 )| ≤ L(T 0 , R)|y1 − y2 | , pour tous t ∈ [0, T 0 ] et |y1 |, |y2 | ≤ R. Théorème 3. (théorème de Cauchy-(localement) Lipschitz) Sous l’hypothèse (LL), il existe 0 < τ ≤ T tel que l’EDO ait une unique solution sur l’intervalle [0, τ ]. Preuve : On note B(y0 , R) la boule de centre y0 et de rayon R et on introduit une fonction C ∞ à support compact ϕ : Rn → R qui vaut 1 sur B(y0 , 1) et 0 en dehors de B(y0 , 2). Pour tout 0 < T 0 < T , on vérifie facilement (3) que f˜ := ϕ(y)f (t, y) satisfait (GL) sur [0, T 0 ] × Rn et donc l’EDO : ẏ(t) = f˜(t, y(t)) dans ]0, T 0 ] , y(0) = y0 ∈ Rn , a une unique solution définie sur [0, T 0 ]. Mais la fonction y est continue et donc il existe 0 < τ ≤ T 0 tel que y(t) ∈ B(y0 , 1) si t ∈ [0, τ ]. (3). Le faire ! 3. ÉQUATIONS NON LINÉAIRES 7 Comme f˜(t, y) = f (t, y) sur [0, T 0 ] × B(y0 , 1), la fonction y est solution de l’EDO initiale (avec f ) sur [0, τ ]. D’où l’existence. Pour l’unicité, si y et ỹ sont deux solutions définies respectivement sur [0, τ ] et [0, τ̃ ], on raisonne sur le plus petit intervalle [0, min(τ, τ 0 )]. Sur cet intervalle, y et ỹ sont bornés et donc on reste dans une boule fixe de Rn où f est lipschitzienne (en diminuant éventuellement le temps min(τ, τ 0 ) pour qu’il soit strictement inférieur à T ). L’argument du théorème précédent s’applique alors. Remarque 2. Il est à noter que cette méthode de résolution permet de traiter des cas où l’hypothèse ”localement lipschitzienne” est encore plus générale car il suffit que f satisfasse cette hypothèse dans un voisinage de y0 puisque l’on “tronque” f en dehors de ce voisinage. Par exemple, dans R, on peut résoudre localement l’équation : y 0 (t) = 1 , y(t) à condition que y0 ne soit pas nul. Nous nous intéressons maintenant à la question de l’existence sur un intervalle de temps maximal. Théorème 4. Sous l’hypothèse (LL), ou bien la solution y de l’EDO est définie pour tout t ∈ [0, T ], ou bien il existe τmax ≤ T tel que y est défini − . sur [0, τmax [ et |y(t)| → +∞ quand t ↑ τmax Ce théorème montre que le deuxième exemple présenté ci-dessus est typique d’une situation d’existence locale qui n’est pas globale car on a toujours “explosion” de la solution au temps maximal d’existence (τmax ). Il est à noter qu’il est aussi valable dans le cas où T = +∞ (en modifiant tres légèrement l’énoncé). Preuve : Nous allons formuler un certain nombre de lemmes d’un intérêt indépendant. Lemme 2. (Minoration du temps d’existence) Pour tout R > 0, il existe 0 < τR < T tel que, si y0 ∈ B(0, R), alors la solution y de l’EDO existe sur l’intervalle [0, τR ]. Preuve : Cette propriété résulte immédiatement de la preuve d’existence à condition de la remanier de la manière suivante : on introduit une fonction C ∞ à support compact ϕ : Rn → R qui vaut 1 sur B(0, 2R) et 0 en dehors de B(0, 3R) et on résout l’EDO avec f˜(t, y) = ϕ(y)f (t, y). Comme dans la preuve du théorème de Cauchy-Lipschitz, tant que y(t) ∈ B(0, 2R), on résout l’EDO initiale avec f . De plus, si on suppose que t ≤ T /2, on a aussi : |f (t, y(t))| ≤ M2R := max [0,T /2]×B(0,2R) |f (t, y)| . 8 Comme y0 ∈ B(0, R), on a : |y(t) − y0 | ≤ M2R t . Ceci implique que y(t) reste dans B(0, 2R) pour un temps au moins égal à τR = R/M2R (en fait, à min(R/M2R , T /2) puisqu’on a supposé que t ≤ T /2). Lemme 3. (Recollement de trajectoires) On suppose que la solution y de l’EDO existe sur l’intervalle [0, τ ] et, pour un temps t0 ∈]0, τ ], on résout l’équation : ż(t) = f (t, z(t)) dans ]t0 , T [ , z(t0 ) = y(t0 ) . On suppose que la solution z existe sur l’intervalle [t0 , τ 0 ]. Alors la fonction ỹ définie sur [0, τ 0 ] par : y(t) si t ∈ [0, t0 ], , ỹ(t) = z(t) si t ∈ [t0 , τ 0 ], est solution de l’EDO sur [0, τ 0 ]. Évidemment ce lemme n’est intéressant que si τ 0 > τ : il montre que l’on peut éventuellement “prolonger” un peu le temps d’existence en repartant d’un point y(t0 ) où t0 est proche de τ . Preuve : La double difficulté de la dérivabilité de ỹ et de la résolution de l’équation se résout simplement en utilisant la version intégrale : d’une part, il n’y a pas de problème si t ≤ t0 et d’autre part, si t > t0 : Z t f (s, ỹ(s))ds ỹ(t) =ỹ(t0 ) + t0 Z =y0 + t0 Z t f (s, ỹ(s))ds + 0 f (s, ỹ(s))ds . t0 En effet, sur chacun des intervalles [0, t0 ] et [t0 , τ 0 ], y et z sont donnés par ces formules intégrales et coı̈ncident avec ỹ. La relation de Chasles et la continuité de ỹ permettent de conclure. Pour terminer la preuve du théorème, on introduit : τmax := sup{τ ∈ [0, T ] ; il existe une solution définie sur [0, τ ]} . Si τmax = T alors la solution est définie sur [0, τ ] pour tout τ < T et l’unicité montre que les solutions correspondantes coı̈ncident sur l’intersection de 3. ÉQUATIONS NON LINÉAIRES 9 deux intervalles de la forme [0, τ ] et [0, τ 0 ]. Donc y est bien définie et unique sur [0, T [. Si τmax < T alors il existe une trajectoire y définie sur [0, τmax − ε] pour tout ε > 0. Soit R > 0. Si y(τmax − ε) appartenait à B(0, R), on a vu que l’on pouvait résoudre l’équation sur un intervalle de temps τR ne dépendant que de R : en utilisant le Lemme 3, la trajectoire y pourrait être prolongée à [0, τmax − ε + τR ]. Si ε est assez petit, on aurait τmax − ε + τR > τmax , ce qui contredirait la définition de τmax . Donc nécessairement y(t) ∈ / B(0, R) pour t proche de τmax , ce qui est la définition du fait que |y(t)| → +∞ quand − . t ↑ τmax Se pose maintenant la question : quand a-t-on τmax = T ? La réponse est la suivante : on peut toujours le faire si f est sous-linéaire, i.e. si f satisfait : (CSL) Il existe K > 0 tel que : |f (t, y)| ≤ K(1 + |y|) , pour tout t ∈ [0, T ] et y ∈ R. Le résultat est le : Théorème 5. On suppose que f satisfait (LL) et (CSL). Alors la solution y existe sur [0, T [. Ce théorème termine la boucle d’existence et d’unicité en montrant la différence essentielle entre les cas f (y) = y et f (y) = y 2 . Preuve : L’objectif est d’estimer la norme de y et pour cela on introduit la fonction ψ : Rn → Rn définie par : ψ(y) = (1 + |y|2 )1/2 . Il est à noter que ψ est une fonction de classe C 1 sur Rn et que : y Dψ(y) = . (1 + |y|2 )1/2 On a donc : |Dψ(y)| = |y| |y| ≤ =1. 1/2 2 (1 + |y| ) (|y|2 )1/2 On calcule, pour t ∈ [0, τmax ] : d [ψ(y(t))] = Dψ(y(t)) · y 0 (t) = Dψ(y(t)) · f (t, y(t)) . dt On va noter χ(t) := ψ(y(t)) et on remarque que, par l’inégalité de CauchySchwarz (utilisée de deux manières différentes) et (CSL) : |Dψ(y(t)) · f (t, y(t))| ≤|Dψ(y(t))|.|f (t, y(t))| ≤K(1 + |y(t)|) √ ≤K 2(1 + |y(t)|2 )1/2 = K̃χ(t) . 10 Il en résulte que : χ0 (t) ≤ K̃χ(t) . Comme dans la preuve de l’unicité pour l’EDO, on réécrit cette inégalité comme χ0 (t) − K̃χ(t) ≤ 0, on multiplie par exp(−K̃t) et on obtient que la fonction t 7→ exp(−K̃t)χ(t) est décroissante. En particulier : (1 + |y(t)|2 )1/2 = χ(t) ≤ exp(K̃t)χ(0) = exp(K̃t)(1 + |y0 |2 )1/2 . Cette borne sur la solution empêche tout phénomène d’explosion et montre donc que τmax = T . Nous avons utilisé à plusieurs reprises des formes simplifiées d’un résultat général que nous énonçons maintenant : Lemme 4. (Lemme de Gronwall) Si χ : [0, T ] → R est une fonction continue qui satisfait : Z t χ(t) ≤ χ(s)ψ(s)ds + r(t) , 0 où ψ ≥ 0 et r sont aussi des fonctions continues alors : Z t Z t χ(t) ≤ r(s)ψ(s) exp ψ(τ )dτ ds + r(t) . 0 s Rt Idée de preuve : on pose f (t) = 0 χ(s)ψ(s)ds. En multipliant l’inégalité satisfaite par χ par ψ(t), on aboutit à : f 0 (t) ≤ ψ(t)f (t) + r(t)ψ(t) , et on laisse la suite à la libre imagination du lecteur... NB : une estimation de f donne une estimation de χ puisque χ(t) ≤ f (t) + r(t). 3.1 Effets des perturbations Pour diverses raisons, théoriques et numériques, il est important de mesurer l’effet des perturbations sur l’EDO : erreurs sur les données ou erreurs d’arrondi, incertitudes sur le modèle...etc. Cette section va montrer comment ces perturbations se transmettent au cours du temps, soit par une estimation “grossière” qui utilisera un outil fondamental de l’étude des EDO, le lemme de Gronwall énoncé ci-dessus, soit par une approche un peu plus précise, la linéarisation. On considère maintenant la solution yε de l’EDO perturbée : y˙ε (t) = f (t, yε (t)) + ε1 g(t) dans ]0, T [ , 3. ÉQUATIONS NON LINÉAIRES 11 auquel on associe une condition initiale perturbée : yε (0) = y0 + ε0 α , où ε = (ε0 , ε1 ), ε0 , ε1 étant des paramètres petits, g est une fonction continue et α ∈ Rn . Pour simplifier, on se place dans le cas de l’hypothèse (GL) et comme conséquence, ce problème admet, bien sûr, une solution par le théorème de Cauchy-(globalement) Lipschitz. On note y la solution du problème non perturbé. Le résultat sur les perturbations est le : Théorème 6. Pour tout t ∈ [0, T ], on a : Z |yε (t) − y(t)| ≤ |ε0 α| exp(Lt) + t exp(L(t − s))|ε1 g(s)|ds . 0 De plus, si f (t, y) est de classe C 1 en y sur Rn pour tout t ∈ [0, T ] et si la dérivée (partielle) par rapport à la variable y, Dy f (t, y), est une fonction continue de t et y, alors : |yε (t) − y(t) − ε0 z0 (t) − ε1 z1 (t)| = o(ε0 ) + o(ε1 ) , où les correcteurs z0 , z1 satisfont les équations linéarisées : ż1 (t) = Dy f (t, y(t))z1 (t) + g(t) ż0 (t) = Dy f (t, y(t))z0 (t) et z1 (0) = 0 . z0 (0) = α Preuve : Pour le premier résultat, on choisit δ > 0 petit et on pose : χ(t) = (|yε (t) − y(t)|2 + δ)1/2 . On s’intéresse aux propriétés de cette fonction où l’on a omis la dépendance en δ pour simplifier les notations. On a clairement : χ(t) ≥ |yε (t) − y(t)| pour tous t , et par des arguments analogues à ceux utilisés dans la preuve du théorème 5 : 1 (yε (t) − y(t)) · (f (t, yε (t)) + ε1 g(t) − f (t, y(t))) χ(t) 1 ≤ |yε (t) − y(t)|(|f (t, yε (t)) − f (t, y(t))| + ε1 |g(t)|) χ(t) 1 ≤ |yε (t) − y(t)|(L|yε (t) − y(t)| + ε1 |g(t)|) χ(t) ≤ Lχ(t) + ε1 |g(t)| . χ̇(t) = 12 On se retrouve dans une situation quasi-analogue à celle de preuve du théorème 5 : cette inégalité implique : (exp(−Lt)χ(t))0 ≤ ε1 exp(−Lt)|g(t)| , et il suffit d’intégrer de 0 à t puis de multiplier par exp(Lt) pour obtenir : Z t ε1 exp(L(t − s))|g(s)|ds . χ(t) ≤ exp(Lt)χ(0) + 0 Et on conclut en faisant tendre δ vers 0. Pour la seconde partie du résultat, on remarque d’abord que les solutions z0 , z1 des équations linéarisées existent en vertu du théorème de Cauchy-(globalement) Lipschitz : ces équations sont linéaires mais, comme Dy f (t, y(t)) est une fonction qui dépend du temps, la remarque 1 montre que l’on n’a pas de formule explicite “simple” pour résoudre ces équations et l’emploi du théorème de Cauchy-(globalement) Lipschitz est nécessaire pour obtenir l’existence et l’unicité de ces solutions. On introduit la fonction φ(t) = yε (t) − y(t) − ε0 z0 (t) − ε1 z1 (t) , et on calcule : φ0 (t) =yε0 (t) − y 0 (t) − ε0 z00 (t) − ε1 z10 (t) , =f (t, yε (t)) + ε1 g(t) − f (t, y(t)) − ε0 Dy f (t, y(t))z0 (t) − ε1 Dy f (t, y(t))z1 (t) − ε1 g(t) On écrit alors que la fonction λ 7→ f (t, y1 + λ(y2 − y1 )) est l’intégrale de sa dérivée, ce qui donne : Z 1 f (t, y2 ) = f (t, y1 ) Dy f (t, y1 + λ(y2 − y1 )) · (y2 − y1 )dλ , 0 que l’on réécrit sous la forme : f (t, y2 ) =f (t, y1 ) + Dy f (t, y1 ) · (y2 − y1 )+ Z 1 [Dy f (t, y1 + λ(y2 − y1 )) − Dy f (t, y1 )] · (y2 − y1 )dλ . 0 On l’utilise avec y2 = yε (t) et y1 = y(t), ce qui donne : f (t, yε (t)) = f (t, y(t)) + Dy f (t, y(t)) · (yε (t) − y(t)) + le terme de reste où le terme de reste est : Z 1 [Dy f (t, y(t) + λ(yε (t) − y(t))) − Dy f (t, y(t))] · (yε (t) − y(t))dλ . 0 3. ÉQUATIONS NON LINÉAIRES 13 On examine le terme de reste en prenant en compte la première partie du résultat : comme on a |yε (t) − y(t)| = O(ε0 ) + O(ε1 ) où les O sont uniformes en temps, on a : |[y(t) + λ(yε (t) − y(t))] − y(t)| ≤ O(ε0 ) + O(ε1 ) , et par l’uniforme continuité de Dy f sur le compact [0, T ] × B(0, R) pour R assez grand afin que les trajectoires yε , y soient incluses dans B(0, R) (cf. théorème 5), on a : |Dy f (t, y(t) + λ(yε (t) − y(t))) − Dy f (t, y(t))| ≤ oε0 ,ε1 (1) , où le oε0 ,ε1 (1) est uniforme en t et λ. Finalement le terme de reste est un o(ε0 ) + o(ε1 ) uniforme en t. Comme : φ0 (t) = f (t, yε (t)) − f (t, y(t)) − ε0 Dy f (t, y(t))z0 (t) − ε1 Dy f (t, y(t))z1 (t) , et : f (t, yε (t)) = f (t, y(t)) + Dy f (t, y(t)) · (yε (t) − y(t)) + o(ε0 ) + o(ε1 ) il en résulte que : φ0 (t) = Dy f (t, y(t)) · φ(t) + o(ε0 ) + o(ε1 ) , et il existe donc M > 0 tel que : |φ0 (t)| ≤ M |φ(t)| + o(ε0 ) + o(ε1 ) . Comme : Z |φ(t)| = | t 0 Z t φ (s)ds| ≤ 0 |φ0 (s)|ds , 0 Rt un argument de type Gronwall permet d’estimer χ(t) := 0 |φ0 (s)|ds et on obtient que φ(t) = o(ε0 ) + o(ε1 ), ce qui est le résultat annoncé. Remarque 3. Régularité de la solution en fonction de la donnée initiale : comme cas particulier du théorème 6 (ou plutôt de sa preuve), on a la régularité de la solution de l’EDO en fonction de la donnée initiale. Si on note Y (t, y0 ) la solution de cette EDO, faisant apparaı̂tre ainsi la dépendance en y0 , on voit que Y est de classe C 1 en y0 si f est de classe C 1 en y (au sens du théorème 6) et Dy0 Y (t, y0 ) est la solution de l’équation : ż0 (t) = Dy f (t, Y (t, y0 ))z0 (t) , z0 (0) = Id . 14 4 À propos du théorème de Peano On va utiliser ici le : Théorème 7. (théorème d’Ascoli) Soit K un compact de Rn . Toute famille de fonctions continues sur K qui est équibornée et équicontinue est relativement compacte dans l’espace des fonctions continues sur K muni de la topologie de la convergence uniforme. Autrement dit, de toute suite de fonctions continues qui sont équibornées et équicontinues sur K, on peut extraire une sous-suite qui converge uniformément. Quelques remarques sur ce théorème. Comme K est compact, toute fonction continue sur K est uniformément continue et pour une telle fonction f à valeurs dans (pour simplifier) Rp , on peut définir un module de continuité ωf : R+ → R qui satisfait : ωf (t) → 0 quand t ↓ 0 , et : ||f (x) − f (y)|| ≤ ωf (|x − y|) , pour tous x, y ∈ K, où || · ||, | · | désignent les normes sur Rp et Rn respectivement. On peut aussi supposer que ωf est une fonction croissante. NB 1 : le module de continuité standard pour une fonction f uniformément continue est donné par : ωf (t) = sup ||f (x) − f (y)|| , |x−y|≤t et on pourra vérifier que cette expression satisfait toutes les propriétés énoncées ci-dessus. NB 2 : Le module de continuité apparaı̂t naturellement dans la définition des fonctions lipschitziennes (ωf (t) = Ct pour une certaine constante C) ou höldériennes (ωf (t) = Ctα pour un α ∈]0, 1[ et une certaine constante C). Une suite (fk )k de fonctions continues sur K est équicontinue s’il existe un module de continuité commun à tous les fk , c’est-à-dire si on peut choisir ωfk indépendant de k. Les fk sont équibornées s’il existe une constante M telle que, pour toute k et pour tout x ∈ K : ||fk (x)|| ≤ M . Théorème 8. (théorème de Peano) Si la fonction (t, y) 7→ f (t, y) est continue sur [0, T ]×Rn , il existe 0 < τ ≤ T tel que l’EDO ait au moins une solution sur l’intervalle [0, τ ]. 4. À PROPOS DU THÉORÈME DE PEANO 15 Preuve : Le lecteur un tant soit peu attentif aura remarqué que l’on peut supposer que f est uniformément borné, par le même argument qui permet de passer du cas globalement Lipschitz au cas localement Lipschitz. On va introduire un schéma d’Euler comme pour résoudre numériquement l’EDO : pour N ∈ N grand, on va se donner des points ti = iT N et on va n construire une fonction affine par morceau yN : [0, T ] → R de la manière suivante : yN (0) = y0 yN (ti+1 ) = yN (ti ) + ∆tf (ti , yN (ti )) , T où ∆t = N est la valeur commune des tj+1 − tj . Cette procédure permet de calculer chaque yN (ti ) pour i = 1, 2, · · · , N et ensuite si t ∈ [ti , ti+1 ] : yN (ti+1 ) = yN (ti ) + (t − ti )f (ti , yN (ti )) . Il s’agit maintenant de prouver que la suite (yN )N est constituée de fonctions équibornées et équicontinues sur [0, T ]. Comme f est bornée, on voit que, si on note M := ||f ||∞ , on a : |yN (ti+1 )| ≤|yN (ti )| + ∆t|f (ti , yN (ti ))| ≤|yN (ti )| + ∆tM et on en déduit que |yN (ti+1 )| ≤ |y0 | + (i + 1)∆tM . Il en résulte facilement que : |yN (t)| ≤ |y0 | + T M . Ce qui montre que les yN sont équibornées. Sur chaque intervalle [ti , ti+1 ], yN satisfait : |yN (t) − yN (s)| = |(t − s)f (ti , yN (ti ))| ≤ M |t − s| . Cette inégalité s’étend à tous t, s ∈ [0, T ] en écrivant si (par exemple) ti ≤ t < ti+1 < · · · < tj ≤ s < tj+1 |yN (t) − yN (s)| =|(yN (t) − yN (ti+1 )) + (yN (ti+1 ) − yN (ti+2 )) + · · · + (yN (tj ) − yN (s))| ≤M |t − ti+1 | + M |ti+1 − ti+2 | + · · · + M |tj − s| = − M (t − ti+1 ) − M (ti+1 − ti+2 ) − · · · − M (tj − s) ≤ − M (t − s) = M |t − s| Ce qui montre que les yN sont équicontinues (et même équi-lipschitziennes). Avant d’extraire une sous-suite et de passer à la limite, on remarque que, pour tout t ∈ [0, T ] : Z t yN (t) = yN (0) + f (s, yN (s))ds + o(1) , 0 16 où le o(1) est uniforme en t et N . Pour s’en convaincre, on considère la situation sur chaque intervalle : si t ∈ [ti , ti+1 ], on a : yN (t) =yN (ti ) + (t − ti )f (ti , yN (ti )) Z t =yN (ti ) + f (ti , yN (ti ))ds ti t Z =yN (ti ) + f (s, yN (s))ds ti Z t Z t − f (s, yN (s))ds − f (ti , yN (ti ))ds , ti ti et on doit estimer l’erreur : Z t Z t Z t f (s, yN (s))ds − f (ti , yN (ti ))ds| = | [f (s, yN (s)) − f (ti , yN (ti ))ds| . | ti ti ti Les yN étant uniformément bornés par |y0 | + T M , si ωf désigne le module de continuité de f sur [0, T ] × B(0, |y0 | + T M ), cette erreur est estimée par : Z t ωf (|s − ti | + |yN (s) − yN (ti )|)ds . ti Or on peut choisir le module de continuité croissant et en tenant compte du fait que |s − ti | + |yN (s) − yN (ti )| ≤ (1 + M )∆t, on en déduit une erreur en ∆tωf ((1 + M )∆t). Il reste à accumuler les erreurs commises sur chaque intervalle pour obtenir le résultat annoncé, le o(1) étant estimé par ωf ((1 + M )∆t). En utilisant le théorème d’Ascoli, il existe une sous-suite (yN 0 )N 0 qui converge uniformément sur [0, T ] vers une fonction continue y. Par passage à la limite dans l’égalité : Z t yN 0 (t) = yN 0 (0) + f (s, yN 0 (s))ds + o(1) , 0 en utilisant le fait que f (s, yN 0 (s)) converge uniformément vers f (s, y(s)) grâce à l’uniforme continuité de f , on obtient : Z t y(t) = y0 + f (s, y(s))ds , 0 et donc y est bien la solution de l’EDO. Remarque 4. Une autre preuve (peut-être un peu plus simple) du théorème de Peano consiste à procéder par régularisation de la fonction f : en supposant toujours f borné, on peut construire, via un argument standard de 4. À PROPOS DU THÉORÈME DE PEANO 17 convolution, une suite (fε )e de fonctions localement lipschitziennes (et uniformément bornées) qui converge localement uniformément vers f . On résout alors : ẏε (t) = fε (t, yε (t)) , yε (0) = y0 , et il suffit d’appliquer le théorème d’Ascoli à la suite (yε )ε , ce qui ne présente pas de difficulté puisque les fε sont uniformément bornés. Exercice 1. Pour ceux qui se sentent bien à l’aise avec toutes les notions... Soit f : Rn → R une fonction de classe C 2 et soient a < b deux réels. On suppose que l’ensemble : K := {x ∈ Rn : a ≤ f (x) ≤ b} , est compact et que Df (x) 6= 0 sur K. Montrer que les ensembles {x : f (x) = a} et {x : f (x) = b} sont difféomorphes. Indications : on pourra résoudre l’EDO : Ẋ(t, x) = Df (X(t, x)) , |Df (X(t, x))|2 X(0, x) = x ∈ {x : f (x) = a} . Il s’agit de montrer qu’il y a existence locale, puis de calculer f (X(x, t)) et montrer que le flot existe jusqu’au temps τ := b−a et de voir que x 7→ X(τ, x) est le difféomorphisme cherché.