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Capital-risque et intermédiation :
les fondements de l’essor
entrepreneurial dans
les biotechnologies en Allemagne
L’exemple de la région
de Berlin-Brandebourg
Biotechnologies
Ä L’Allemagne a connu un développement
fulgurant de son industrie des biotechnologies
dans la seconde moitié des années 90. En l’an
2000, elle a dépassé la Grande-Bretagne pour
devenir premier pays européen, en termes de
nombre d’entreprises des sciences de la vie.
Reposant sur une enquête empirique approfondie, cet article propose une analyse socioéconomique des mécanismes de création des
start-up de biotechnologies dans une région
allemande phare (Berlin-Brandebourg). Il met
en lumière les fondements de la dynamique entrepreneuriale allemande dans les sciences de
la vie, et permet de comprendre la persistance
de cette dynamique dans un contexte économique nettement moins favorable.
partir de la seconde moitié des années 90, l’Allemagne a connu une dynamique entrepreneuriale
dans les sciences de la vie sans précédent en
Europe. En quelques années, le nombre d’entreprises
de biotechnologies a été multiplié par plus de quatre, passant de 75 en 1995 à 350 en 2003 (Ernst &
Young, 2000, 2004) (graphique 1), dépassant ainsi la
Grande-Bretagne en l’an 2000. Comme dans de nombreux États occidentaux et dans d’autres secteurs
de haute technologie – notamment l’informatique et
les télécommunications –, ce développement a été
géographiquement très localisé, la plupart des entreprises étant créées au sein de « clusters » ou « pôles
technologiques »1. En Allemagne, une vingtaine de
clusters de biotechnologies se sont ainsi développés
dans les années 90 (Ernst & Young, 2004 ; Information
Sekretariat Biotechnologie, http://www.i-s-b.org/firmen/sme.htm).
Cet article s’intéresse au plus important de ces
pôles d’un point de vue quantitatif : la région de
Berlin, qui comprend les deux Länder de Berlin et
de Brandebourg, et rassemblait, en 2003, 165 entre-
À
NOTE
Claire CHAMPENOIS
Allocataire de recherche
Centre de sociologie des organisations (CNRS / FNSP)
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
1. Le pôle technologique le plus connu et le plus étudié est la
Silicon Valley ou Bay Area, qui rassemble des entreprises d’informatique et de biotechnologies (cf. notamment Saxenian,
1994 ; Bresnahan et al. 2001).
101
THÈME
prises (graphique 2)2. Cette région est d’autant plus
intéressante qu’elle ne compte pas au rang des quatre
« régions modèles » désignées en 1996 par le ministère
fédéral de la Recherche, dans son programme en faveur
du développement des biotechnologies commerciales,
« BioRegio ». Dans cette région, le développement du
nombre de start-up3 de biotechnologies ne s’explique
donc pas par l’obtention de ces subventions.
L’objectif est ici d’analyser les mécanismes d’enclenchement d’une dynamique entrepreneuriale au niveau
d’un territoire, autrement dit, selon nous, d’un nouveau
système d’action concret (Crozier et Friedberg, 1977 ;
Friedberg, 1993). En cela, nous nous distinguons de
nombreux travaux sur l’industrie des biotechnologies
qui s’intéressent aux mécanismes d’échanges – le plus
souvent de connaissances scientifiques – entre des
organisations relativement établies : entreprises de
biotechnologies, universités, hôpitaux, et autres firmes
(Powell et al., 1996 ; Porter Liebeskind et al. 1995 ; Zucker et al., 1998, 2001). Le choix de cette problématique
explique que nous nous concentrions davantage sur les
mécanismes de création de start-up que sur ceux de leur
développement. Les résultats empiriques présentés ici
sont guidés par une démarche théorique qui se nourrit
de trois courants sociologiques : l’économie de la qualité
(pour un aperçu, cf. Musselin et Paradeise, 2002), la
nouvelle sociologie économique américaine (Swedberg,
1994 ; Burt, 2000, 2001 ; Granovetter, 2000) et l’analyse de l’action organisée (Crozier et Friedberg, 1977 ;
Friedberg, 1993). Ces courants fournissent des outils
conceptuels pour appréhender les mécanismes sociaux à
l’œuvre dans la structuration d’échanges marchands.
Cet article se fonde sur une cinquantaine d’entretiens semi-directifs conduits dans la région de BerlinBrandebourg en septembre 2002 et janvier 2003 auprès
de start-up de biotechnologies, d’investisseurs publics
et privés (capital-risque), de centres de recherches
académiques, de pouvoirs publics locaux et nationaux
(parcs technologiques, ministères, etc.), d’entreprises
pharmaceutiques et de consultants impliqués dans
ce secteur. Ces entretiens ont été complétés par une
analyse de documents publiés par les acteurs publics
locaux de soutien et les entreprises de biotechnologies
étudiées (rapports d’activité, dossier de candidature
BioRegio, business plans, sites Internet, etc.) et de
données chiffrées.
Après une brève présentation des politiques publiques en faveur de l’innovation dans les biotechnologies mises en œuvre par les gouvernements dans
les années 90, nous caractériserons le développement
entrepreneurial connu par la région à partir du milieu
des années 90. Nous montrerons ensuite que cette
NOTES
2. Le deuxième pôle est celui de Munich qui comptait, en décembre 2003, 98 entreprises de biotechnologies (Source : BioM,
http://www.bio-m.de)
3. Jeune entreprise innovante et dynamique, à croissance rapide.
Graphique 1 - Évolution du nombre d'entreprises de biotechnologies en Allemagne (1995-2003)
400
350
365
360
2001
2002
350
332
300
279
250
222
200
173
150
104
100
75
50
0
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2003
Source : Ernst & Young
102
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
LES POLITIQUES DE SOUTIEN
AUX BIOTECHNOLOGIES
COMMERCIALES ET
AU CAPITAL-RISQUE
« BioRegio » : un soutien inédit
aux biotechnologies commerciales et
à la création d’entreprises
Si l’État fédéral a mis en place quelques dispositifs
en faveur de ce que l’on appelait alors les « techniques
biologiques et médicales » dès les années 60 (Buchholz,
1979), le secteur des biotechnologies devient l’une des
« priorités [nationales] de recherche » (Bundesministerium für Bildung und Forschung [BMBF], 1990 ; Bundesministerium für Forschung und Technologie [BMFT],
1996) pour le ministère de la Recherche au cours des
années 90. Dans ce cadre, ce ministère, souhaitant faire
de l’Allemagne le leader européen des biotechnologies, lance en 1995 un dispositif public thématique,
ambitieux et inédit : le concours « BioRegio »4. Ce pro-
gramme marque une rupture par rapport aux précédents
outils d’action publique en faveur de l’innovation, par
ses modalités (mise en concurrence de régions) et par
ses objectifs : pour la première fois, la création de startup à partir de centres publics de recherche est définie
comme un objectif. BioRegio constitue une politique
en faveur de l’essaimage à partir des institutions de
recherche publiques, dans un domaine technologique
particulier. Mais elle s’inscrit dans une politique plus
large, qui vise à rapprocher la recherche publique et
les entreprises : elle est en cela typique des priorités
que se donnent les grands pays scientifiques, dans les
années 90, en matière de politique de recherche et d’innovation (Mustar, 2003). Dans le cadre de ce concours,
le ministère demande aux régions de faire un état des
lieux de leurs compétences scientifiques et technologiques, en matière de recherche publique et privée, et
de proposer, avant l’automne 1996, un dispositif local
de valorisation des biotechnologies. Les mesures proposées par les régions doivent permettre d’intégrer les
connaissances en sciences du vivant, issues du domaine
public, dans des produits, procédés de production et services, développés et commercialisés par des entreprises
privées, et ainsi favoriser l’installation ou la création
d’entreprises de biotechnologies.
THÈME
dynamique repose sur la construction d’un marché de
financements. Enfin, nous expliquerons le maintien de
l’activité entrepreneuriale dans un contexte de contraction du capital-risque.
NOTE
4. Pour une présentation du programme BioRegio, cf. Dohse, 2000.
Graphique 2 - Évolution du nombre d'entreprises de biotechnologies dans la région de Berlin-Brandebourg (1996-2003)
200
155
157
2001
2002
165
147
150
123
107
100
78
62
50
0
1996
1997
1998
1999
2000
2003
Source : BIOTOP (2003, 2004)
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
103
La mise en place d’une politique
en faveur du capital-risque
THÈME
Parallèlement, le ministère fédéral de l’Économie
met aussi en place, à partir du milieu des années 90, des
dispositifs de développement du capital-risque, gérés
par deux institutions financières publiques, la TBG (Technologie-Beteiligungsgesellschaft) et le KfW (Kredit für
Wiederaufbau). Il s’agit d’un système de cofinancement,
par la TBG, des montants investis par les sociétés de
capital-risque dans des entreprises innovantes. Cette
aide publique prend la forme d’une participation au
capital et obéit à un principe d’abondement : dans la
limite de 1,5 million d’euros, la TBG apporte un euro
supplémentaire à tout euro investi dans le capital d’une
jeune entreprise développant une innovation technologique. Ce dispositif s’accompagne d’un système de
couverture du risque porté par l’investisseur : en cas de
faillite de l’entreprise innovante, la TBG lui rembourse
une partie (50 %) de sa mise de fonds. Un second outil de
stimulation du capital-risque propose un refinancement
des fonds investis, à hauteur de 75 %, par le KfW : sur
10 euros investis dans une start-up, l’investisseur en
reçoit 7,5 de la banque publique. Ces dispositifs offrent
ainsi la possibilité au capital-risqueur de diminuer ses
risques et d’augmenter, grâce à des fonds publics, la
valeur de son investissement, sans devoir céder de parts
supplémentaires de l’entreprise. Par ailleurs, l’État autorise en 1997 la création d’un Nouveau marché (Neuer
Markt) à la bourse de Francfort, destiné aux valeurs de
haute technologie, offrant par là une opportunité de
« sortie » aux capital-risqueurs (revente de leurs parts du
capital d’entreprises innovantes et souvent déficitaires,
via une introduction en bourse.
UN ESSOR ENTREPRENEURIAL
REPOSANT SUR LE CAPITAL-RISQUE
Brandebourg : cette dernière rassemble déjà plus de
soixante entreprises en 1996. Les bouleversements
institutionnels induits par la réunification allemande
ont en effet conduit de nombreux chercheurs d’Allemagne de l’Est, académiques ou industriels, à fonder une
entreprise, dans une optique de création d’emploi.
« Après la réunification, de nombreuses spin-off5
ont été créées par des chercheurs de l’Akademie der
Wissenschaft [organisme public national de recherche
de l’ex-RDA] qui n’avaient pas d’autres possibilités
d’emploi. Les instituts de l’Akademie der Wissenschaft
ont été fermés en 1991, et l’Institut Max Delbrueck a été
créé pour le remplacer. Mais tous les chercheurs du premier ne sont pas passés au second. Le transfert n’était
pas automatique : les chercheurs devaient postuler et
être retenus. (...) Et, il y avait seulement 350 postes à
l’Institut Max Delbrueck pour 2 000 chercheurs. » (Parc
de biotechnologies).
Néanmoins, un nouveau type d’entreprises émerge
dans la seconde moitié des années 90. Alors que les
chercheurs-entrepreneurs pionniers de la première
moitié des années 90 développent des entreprises
commerciales qui vendent des biens et services (par
exemple des kits de purification de protéines ou des
services de production à façon de molécules) sur un
marché de niche et qui connaissent une croissance
modérée, nombre de leurs successeurs fondent des
entreprises que l’on qualifiera de scientifiques, car elles
conduisent des activités de recherche-développement,
sur des technologies de pointe (par exemple en génomique ou protéomique), s’adressant à des marchés de
masse (secteur pharmaceutique, avec le développement
de nouveaux médicaments ou outils de diagnostic), et
croissant à une vitesse très importante6. Autrement
dit, la région de Berlin-Brandebourg voit se multiplier
un nouveau type d’organisations qui correspondent aux
visées des programmes publics (BioRegio et outils en
faveur du capital-risque).
NOTES
5. Structure créée au sein d’une grande entreprise qui prend
L’essor des start-up « scientifiques »
La création d’entreprises par des chercheurs n’est
pas un phénomène nouveau dans la région de Berlin104
son autonomie juridique, le plus souvent sous la forme d’une
filiale, voire d’une entreprise indépendante dans laquelle
l’entreprise d’origine n’a qu’une participation.
6. Cette dichotomie entreprises commerciales / entreprises
scientifiques se rapproche des catégories de « PME », d’une
part, et de « ventures » / « entreprises à fort potentiel »,
d’autre part, proposées par certains auteurs (Degroof, 2004 ;
Mangematin, 2001).
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
Cet essor entrepreneurial a pour corollaire l’apparition d’une offre en capital-risque. En effet, alors
qu’aucune société de capital-risque n’existait ou n’investissait dans les biotechnologies à Berlin en 1996,
de telles organisations émergent dans la région et financent, en 2001, 43 % du nombre total d’entreprises
de biotechnologies. En 2002, il existe dix sociétés de
capital-risque, subdivisables en trois catégories : des
filiales de groupes de capital-risque internationaux (tel
l’anglais 3i), de nouvelles sociétés de capital-risque privées qui investissent au niveau national, et des filiales
de capital-risque créées par les deux banques semipubliques de développement économique local de Berlin
et de Brandebourg, qui limitent leur activité à leurs régions respectives. Cet essor du capital-risque en faveur
des biotechnologies, à la fin des années 90, général à
toute l’Allemagne, s’explique par plusieurs éléments.
Les mesures du gouvernement en faveur du capitalrisque, le programme BioRegio, la révision, en 1993,
de la loi sur les techniques génétiques, allégeant les
contraintes pesant sur les industriels souhaitant poursuivre des recherches en biotechnologie, les initiatives,
émanant d’organismes privés et des gouvernements de
Länder, en faveur de l’entrepreneuriat et des biotechnologies (concours de business plans7, mesures de soutien
à l’innovation, etc.) sont autant d’actions publiques qui
créent un environnement plus favorable à la création
d’entreprises et aux biotechnologies commerciales.
En outre, les media généralistes mettent en valeur à
cette époque les potentialités des biotechnologies en
matière de thérapie et de diagnostic, et influencent
ainsi une opinion publique traditionnellement hostile
aux techniques de manipulation du vivant, assimilées
aux expériences nazies d’eugénisme.
« À partir de 1995, il y a eu le programme de la TBG,
avec des participations silencieuses : ça a été le point
de départ des créations d’entreprises. Puis, le Neuer
NOTE
7. Plan d’affaires : dossier présentant un projet chiffré de
création ou de développement d’entreprise.
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
THÈME
Le développement du capital-risque
Markt a été créé. (…) Tout cela a créé un climat d’effervescence. Les gens ont commencé à avoir l’impression
qu’on pouvait gagner de l’argent avec les nouvelles technologies. C’est comme cela que s’est construite la branche du capital-risque, à partir du milieu des années 90,
en Allemagne. Je me rappelle qu’il y avait aussi en
1995 des articles dans «Fokus» et «der Spiegel» [presse
hebdomadaire nationale] où, pour la première fois, on ne
parlait pas de manière négative des biotechnologies :
ces articles montraient le potentiel thérapeutique des
biotechnologies, par exemple avec la thérapie génique.
Ça a créé un rapport émotionnel, chez les gens, avec
les biotechnologies. L’État fédéral et les gouvernements
de Land ont aussi essayé de faire des choses pour les
biotechnologies : tout le monde voulait aider ce domaine
à l’époque ! » (société de capital-risque).
Enfin, la forte hausse des cours boursiers des valeurs de hautes technologies au Nasdaq américain et
au Neuer Markt allemand, nourrit des anticipations de
gains chez les investisseurs financiers. En conséquence,
des acteurs agissant dans les secteurs de la création
d’entreprise ou de la finance parviennent à rassembler
aisément des fonds de capital-risque auprès d’investisseurs, tandis que les banques publiques chargées du
développement local identifient le capital-risque et les
biotechnologies comme des opportunités de création
d’emplois. C’est ainsi qu’à Berlin se créent, à la fin des
années 90, de nouvelles sociétés de capital-risque (privées ou publiques) et que des groupes de capital-risque
existants choisissent d’ouvrir une succursale berlinoise,
dans le cadre d’une stratégie de croissance.
Ces nouveaux acteurs sont porteurs d’une offre de
financements particulièrement profitable aux entrepreneurs. Tout d’abord, ces investisseurs mobilisant systématiquement les dispositifs publics fédéraux qui leur
sont destinés, notamment le cofinancement de la TBG,
proposent des financements d’un volume important.
« Nous avons toujours eu recours à la TBG lorsque
nous le pouvions [i.e. lorsque l’entreprise de biotechnologies était à un stade de développement précoce, et
si elle n’avait pas déjà bénéficié des subventions de la
TBG auparavant, Ndlr]. » (société de capital-risque)
Ensuite, le moment d’euphorie boursière (1999-2000)
coïncide avec une situation de concurrence exacerbée
entre les capital-risqueurs, due à l’arrivée massive de
nouveaux entrants (offreurs) sur le marché du capitalrisque. Ce contexte conduit les financeurs à diminuer
105
THÈME
leurs exigences en termes de qualité des projets d’investissement et à baisser leur prix, de peur de céder
une opportunité d’investissement à la concurrence. À
la fin des années 90, certains entrepreneurs ont ainsi
le sentiment d’une abondance de financements.
« En 1998, tous ceux qui voulaient de l’argent pouvaient en obtenir ! Il y avait tellement d’argent (…) les
capital-risqueurs se moquaient de ce que vous pouviez
leur raconter. Quelqu’un de chez ABC (une société de
capital-risque de Berlin) est venu nous voir et nous a
posé seulement trois questions (…). Et en deux mois,
nous avons eu l’argent ! Cette personne nous a dit clairement que l’idée de notre projet lui était égal, qu’elle
devait juste pouvoir la communiquer, la vendre dans sa
société. Nous lui avons montré nos prévisions, au cas
où notre technologie [un système diagnostique pour le
cancer du foie] fonctionnerait. Nous lui avons dit qu’il y
avait des risques, mais nous n’avons pas eu besoin de
la convaincre. J’avais juste besoin de dire des mots-clés
comme “ cancer, diagnostic, dépistage précoce, traitement “, qu’elle pouvait vendre en bourse ! N’importe qui
insérant ces mots dans son projet recevait de l’argent ! »
(fondateur P-DG d’une entreprise de biotechnologies).
Par ailleurs, cette offre de financements bénéficie
principalement aux entrepreneurs locaux. On constate
en effet ex-post que les sociétés de capital-risque de la
région de Berlin-Brandebourg ont principalement investi
dans des entreprises de biotechnologies de la région.
Parallèlement, les financeurs de la région ont largement
co-investi, dans le cadre de syndicats, avec d’autres
financeurs de la région. Autrement dit, une « régionalisation » des financements au niveau du territoire de
Berlin-Brandebourg peut être observée.
Mais comment analyser ce double essor des startup scientifiques et du capital-risque ? Une explication
reposant sur le succès des programmes publics est
insuffisante. La région de Berlin-Brandebourg n’est en
effet pas retenue par le ministère de la Recherche, à
l’automne 1996, comme l’une des trois régions gagnantes au concours BioRegio et n’a donc pas accès aux
subventions réservées dans le cadre de ce programme.
Quant aux dispositifs de cofinancement de la TBG, ils
ont été mis en place dès 1989, soit bien avant l’essor
du capital-risque et des entreprises de biotechnologies.
Nous proposerons donc une analyse différente et montrerons que le fait de candidater au concours BioRegio
a permis la mise en place, au niveau local, d’une struc106
ture sociale qui favorise la rencontre entre des projets
d’entreprises innovantes et des financeurs.
LES FONDEMENTS
DE LA DYNAMIQUE
ENTREPRENEURIALE
:
L’ÉMERGENCE D’INTERMÉDIAIRES
De nouveaux acteurs et dispositifs
de soutien pour les entrepreneurs
Le fait de candidater au programme BioRegio provoque l’apparition, dans la région, d’acteurs et de dispositifs qui entendent soutenir les entrepreneurs.
En effet, à Berlin-Brandebourg, comme dans les
seize autres pôles qui se portent candidats à BioRegio,
l’annonce du concours entraîne la constitution d’un réseau local, rassemblant les universités et centres de
recherche académiques, les PME de biotechnologies
existantes, les entreprises pharmaceutiques, des institutions financières de la région, ainsi que les pouvoirs publics locaux (parcs technologiques, agences
de développement économique local, chambres de
commerce et d’industrie, etc.). Réunies en groupes de
travail, ces organisations identifient des projets et des
axes scientifiques prioritaires (par exemple, à Berlin, la
biologie structurale, la pharmacologie clinique ou les
technologies ARN), et conçoivent différents dispositifs
de soutien aux biotechnologies commerciales, notamment la création d’une agence centrale de promotion
des biotechnologies (« Biotop ») et, à l’initiative des collectivités locales, avec le soutien financier des Länder
et de l’État fédéral, de parcs technologiques dédiés à
l’accueil d’entreprises de biotechnologies.
Malgré l’échec, en 1996, au concours BioRegio, les
acteurs régionaux mettent en place les dispositifs d’accompagnement aux entreprises prévus dans le cadre de
ce concours. Ainsi, les programmes de construction de
« parcs » de biotechnologies se poursuivent : sept parcs
réservés aux start-up des sciences du vivant sont construits dans la région à partir de 1995. Ils offrent aux entrepreneurs des locaux aménagés à tarifs préférentiels
et des services d’accompagnement (mise en relation et
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
Une fonction émergente :
les intermédiaires de marché
Par leur action, et leur coopération, ces nouveaux
acteurs de soutien favorisent la rencontre entre des
projets d’entreprises scientifiques et les nouveaux
financeurs. Comme nous allons le voir, ils jouent un
quadruple rôle : celui de détecteur de projets, de
conseiller, d’entremetteur et de prosélyte8.
NOTE
8. Nous empruntons les catégories de conseiller (« counselor »), d’entremetteur (« dealmaker »), et de prosélyte à
M. Suchman qui a étudié le rôle d’intermédiation joué par
les avocats et les capital-risqueurs dans la Silicon Valley
(Suchman, 2000).
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
Tout d’abord, ces acteurs identifient des individus porteurs d’un projet d’entreprise : en ce sens,
ils sont des détecteurs de projets. Par leurs actions
visant à se faire connaître, à présenter leurs activités et à sensibiliser à la création d’entreprise, par
exemple lors de rencontres organisées localement
par les parcs technologiques, et par leur présence à
des salons professionnels nationaux ou internationaux
(« Biotechnika », « Bio »), ils attirent les porteurs de
projet d’entreprises qui leur demandent des conseils
et des informations.
Ils jouent ensuite un rôle de conseiller pour les
entrepreneurs dans la mesure où ils leur fournissent
des informations importantes pour la concrétisation
du projet d’entreprise : sur la démarche à suivre pour
créer une entreprise, sur le choix de la forme juridique,
sur la manière de déposer des brevets, sur les types de
financements existant, sur les documents à produire
devant ces financeurs, etc.
« Mon travail, c’est de soutenir les entrepreneurs.
Concrètement, ça veut dire que quand quelqu’un vient
me voir en me disant qu’il veut créer une entreprise, il
obtient de moi tout ce qu’il doit savoir. Je lui explique
comment rédiger un business plan, je lui donne un modèle, par exemple le CD Rom de la Deutsche Bank ou
le guide du concours de business plan. Je lui explique
aussi qu’il doit aller voir un avocat pour déposer les
statuts de son entreprise, avocat qui le conseillera sur
la structure juridique à adopter (GmbH ou AG). Je lui
donne des adresses d’avocats. (...) Je l’aide à trouver
des financements : par exemple, je lui indique les différents programmes publics de subventions, je lui parle du
concours de business plan. » (Parc de biotechnologies).
Dans leur activité de conseil, ils transmettent aux
entrepreneurs des informations sur les critères de financement des capital-risqueurs (technologie innovante
protégée par des brevets, existence d’un important marché commercial, absence de concurrence, implication
de dirigeants aux compétences spécifiques) et sur la
forme que doit prendre le dispositif de conviction que
les investisseurs considèreront, à savoir : le « business
plan », ou projet d’entreprise, qui doit obéir à une structure standardisée (résumé du projet, présentation de
l’entreprise et de l’équipe fondatrice, du produit, du
marché, des actions de marketing, de l’organisation,
puis des prévisions financières) et mettre en avant
certains arguments (la taille du marché commercial et
THÈME
conseils pour la réalisation du projet d’entreprise). En
outre, l’organisation régionale de coordination et de
développement des biotechnologies « Biotop », créée
dans le cadre de la candidature à BioRegio, parvient à
trouver des financements auprès des gouvernements
régionaux et à perdurer. Elle proposera des services de
mise en relation entre acteurs locaux, d’information, et
de conseils à la création d’entreprise.
Indépendamment du concours BioRegio, d’autres
acteurs ou dispositifs locaux de soutien non spécialisés
dans les sciences du vivant et le plus souvent financés
par les Länder, apparaissent aussi dans la seconde moitié des années 90, dans le cadre d’initiatives, principalement publiques, de soutien à l’innovation et aux nouvelles technologies. Par exemple, le Centre de coaching
technologique (TCC) offre aux entrepreneurs le suivi
gratuit d’un conseiller, sur des questions de création
juridique d’entreprise, de financement, de commercialisation, etc. Les concours de business plans, organisés
par la banque publique berlinoise de développement
régional (IBB), ainsi que par certaines universités de la
région, amènent les porteurs d’un projet d’entreprise
à présenter et à travailler un « business plan » (projet
d’entreprise) et récompensent les meilleurs.
Tous ces acteurs – issus ou non de BioRegio – proposent aux entrepreneurs des services d’intermédiation
(mise en relation avec les partenaires pertinents), des
informations diverses et, parfois, des ressources constitutives, par exemple des espaces de travail dans le
cas des parcs technologiques.
107
THÈME
ses perspectives de croissance, le caractère inédit de la
technologie, l’expérience des dirigeants). Au besoin, les
acteurs de soutien aident les entrepreneurs à construire
ce précieux document.
« J’ai appris comment on rédige un business plan
dans le cadre du concours de business plan. » (P-DG
fondateur d’une entreprise de biotechnologies).
« Je regarde si l’entreprise s’est posé les questions
importantes, par exemple si elle a décrit son marché
dans le business plan. » (Biotop).
« J’ai aidé l’entreprise PROTEMICS à définir son profil
propre, c’est-à-dire à montrer ce qu’elle pouvait faire, et
mieux que les autres. Avec le P-DG, nous avons construit
le « fil directeur » de l’entreprise : je l’ai aidé à structurer
ses pensées, à définir ses buts. » (conseiller TCC).
Les acteurs locaux de soutien, notamment les
parcs technologiques et Biotop, jouent également un
rôle d’entremetteur et mettent en relation, de façon
directe ou indirecte, les entrepreneurs avec différents
partenaires nécessaires à la réalisation du projet d’entreprise : des managers, des avocats généralistes pour
l’acte de création, des avocats spécialisés dans le dépôt
de brevets, des consultants, des partenaires de R&D
(centres de recherche, autres entreprises de biotechnologie), parfois des clients (entreprises de biotechnologie ou pharmaceutiques). En fait, l’activité de mise en
relation concerne principalement les investisseurs en
capital-risque. Ainsi, les acteurs des parcs ou de Biotop évoquent très systématiquement le capital-risque
comme une solution et, le plus souvent, donnent des
noms de sociétés de capital-risque, en recommandent
certaines (celles avec lesquelles ils ont des liens), voire
appellent personnellement un chargé d’affaires.
« Nous créons des contacts entre les firmes et les
sociétés de capital-risque : nous disons aux firmes
“ nous connaissons bien tels et tels capital-risqueurs ;
allez les voir ! “ Puis nous appelons le capital-risqueur
pour lui dire “ telle firme nous a contactés pour avoir des
locaux : regarde leur projet “. Cela ouvre des portes. »
(Parc de biotechnologies).
Ils mettent aussi en place de nombreux dispositifs
de rencontre entre entrepreneurs et financeurs : dans le
cadre du réseau d’investisseurs « Biofinanz » initié par
Biotop, ou du concours de business plan de la région, les
entrepreneurs sont invités à présenter leur projet devant
un groupe de capital-risqueurs, principalement locaux.
Ils organisent régulièrement des séminaires et confé108
rences, qui sont des lieux de rencontre entre sociétés de
capital-risque et entrepreneurs, comme la conférence
annuelle des sciences de la vie organisée par la banque
publique de développement local de Berlin. La mise en
relation entre entrepreneurs et capital-risqueur passe
enfin par la publication de divers supports d’informations, par exemple un annuaire régional des biotechnologies présentant, sous la rubrique « financement »,
une liste d’investisseurs en capital-risque.
Les chargés d’affaires des sociétés de capitalrisque implantées dans la région mobilisent largement
de leur côté les acteurs locaux de soutien et leurs dispositifs comme des voies d’accès aux projets. Dans le
but de s’informer sur les projets en cours de création
ou cherchant des financements, ils entretiennent ainsi
des interactions personnalisées répétées avec ces acteurs (voie informelle). De manière plus formalisée, ils
participent aussi aux concours de business plan, en
tant qu’évaluateurs, avant tout dans le but d’identifier
de nouveaux projets d’entreprises.
Par conséquent, ces investisseurs sont fortement
« encastrés » 9 dans des réseaux locaux. Cet encastrement a pour résultat une régionalisation de l’offre de
financement : les capital-risqueurs de Berlin investissent largement dans la région, avec des partenaires
issus du même territoire. Par l’intermédiaire des acteurs
et dispositifs de soutien locaux, ils prennent en effet
connaissance de projets situés dans la région et, les
jugeant de qualité suffisante, investissent localement.
Par ailleurs, fréquentant les dispositifs de rencontre ou
d’information organisés localement, les chargés d’affaires de la région nouent des liens privilégiés entre eux,
et « s’invitent » ainsi prioritairement les uns les autres
dans le cadre de tours de financement.
Encourageant certains comportements et certaines
transactions, diffusant des normes, les acteurs locaux
de soutien jouent enfin un quatrième rôle : celui de
prosélyte. En effet, en instituant par exemple des enseignements sur la création d’entreprise dans certaines
universités de la région, ils diffusent un message normatif qui présente l’entrepreneuriat comme une alternaNOTE
9. La notion d’encastrement désigne, chez M. Granovetter,
le fait que les individus ne sont pas « atomisés » mais, qu’au
contraire, ils tissent des liens qui influencent la structure des
échanges économiques (Granovetter, 1985).
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
UN SYSTÈME RÉSISTANT
À LA CRISE BOURSIÈRE
Le paradoxe de 2001-2003 :
contraction de l’offre de financements et
maintien de la dynamique entrepreneuriale
À partir de la fin de l’année 2000, la chute des valeurs boursières de haute technologie au Neuer Markt
comme au Nasdaq engendre une contraction de l’offre
en capital-risque. Tandis que le cours des actions de
biotechnologies au Neuer Markt est divisé par plus de
deux entre septembre 2000 et mars 2001 et continue
de baisser ensuite, les investisseurs en capital-risque,
comme la TBG et le KfW, enregistrent d’importantes
NOTE
10. Les investissements dits « later stage » sont dédiés aux
financements précédant une introduction en bourse.
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
pertes financières et ne peuvent plus réaliser de « sortie » sur le marché boursier (revente de l’entreprise à
des investisseurs boursiers permettant aux capitalrisqueurs de récupérer leur mise de fonds et d’enregistrer une plus-value). La TBG et le KfW réagissent à
cette situation en durcissant leurs critères, engendrant,
pour les investisseurs en capital-risque, une difficulté
accrue à bénéficier des incitations publiques. En conséquence, certaines sociétés de capital-risque, comme
GUB ou TFG à Berlin, font faillite ou changent d’activité.
D’autres, comme 3i, interrompent toute activité de (nouvel) investissement. Quant aux sociétés qui continuent à
investir, elles privilégient les entreprises dont les technologies se situent à un stade de développement relativement avancé, proche de la commercialisation (vente
de licences, codéveloppement avec l’industrie pharmaceutique) : contrairement à la période précédente,
elles fuient les investissements dits « d’amorçage » au
profit d’investissements « later stage »10. Ainsi, à partir
de 2001, l’offre en financements disponible au niveau
local est très notoirement réduite pour les créateurs
de nouvelles entreprises. Même s’ils élargissent leur
recherche en dehors de la région, les entrepreneurs,
plus particulièrement les nouveaux créateurs, rencontrent de vives difficultés à trouver des financements :
ils font souvent face à des investisseurs qui évaluent
les projets de manière beaucoup plus critique, à des
conditions d’investissement plus défavorables (prix du
capital-risque en forte hausse, multiplication des clauses de protection des investisseurs dans les contrats)
et à des refus généralisés.
« Aujourd’hui (2002), l’évaluation, pour un investissement, dure six à douze mois. En 1998, c’était trois mois.»
(directeur financier d’une entreprise de biotechnologie).
« Pour qu’un investissement soit excitant,
aujourd’hui, et que nous décidions d’investir, l’entreprise doit pouvoir démontrer beaucoup plus de choses
qu’avant.» (société de capital-risque).
« Pour obtenir deux millions d’euros, il faudrait que
je donne [aux capital-risqueurs] 50 % de notre entreprise : entre eux et nous, c’est une relation impossible ! »
(P-DG/fondateur d’une entreprise de biotechnologie).
« Le problème en ce moment (en 2003), c’est qu’il
est quasiment impossible de trouver des financements :
les introductions en bourse sont impossibles, les refinancements sont très difficiles, et il n’y a pratiquement
pas de capital-risque. » (Biotop).
THÈME
tive professionnelle intéressante pour les scientifiques.
De même, dans leur action de mise en relation avec les
sociétés de capital-risque, ils présentent ces dernières
comme des partenaires naturels pour les entrepreneurs,
gommant par là les potentiels conflits d’intérêts pouvant exister entre ces actionnaires mûs par un intérêt
financier et des fondateurs souvent davantage intéressés par des enjeux technologiques.
Au total, les acteurs locaux de soutien (Biotop,
parcs, conseillers de la TCC) et leurs dispositifs (concours de business plan) engendrent un double résultat :
par leur action de détecteurs de projets et de prosélytes,
ils participent à la construction d’une offre de projets
d’entreprises et, agissant comme conseillers et entremetteurs, ils facilitent la rencontre entre cette offre et
une demande de projets (capital-risque). La dynamique
entrepreneuriale qui prend place en Allemagne au milieu des années 90 renvoie donc à l’émergence d’un
marché de projets, indissociable de la construction d’un
marché de financements, encastré dans des réseaux
locaux. Des acteurs locaux de soutien publics, jouant le
rôle d’intermédiaires de marché, concourent largement
à la construction de cette double face du marché.
109
THÈME
De manière paradoxale, cette contraction de l’offre
en capital-risque, au niveau régional comme national,
ne met pas fin à la dynamique entrepreneuriale. Malgré
les faillites de plusieurs entreprises (une vingtaine entre
2001 et 2004), la dynamique de création se poursuit
après 2001. En baisse par rapport à la fin des années 90,
le nombre de créations dépasse pourtant celui des disparitions : le nombre d’entreprises de biotechnologies
continue ainsi de croître après l’an 2000 (graphique 1).
Ce phénomène va à l’encontre d’une logique strictement
économique. Avec la contraction du capital-risque, c’est
en effet un des déterminants de la genèse de start-up
de biotechnologie qui disparaît.
Le rôle déterminant
de la structure sociale locale
Selon nous, l’explication du précédent paradoxe
réside dans les efforts des acteurs locaux de soutien
pour poursuivre leurs actions tout en les adaptant au
nouveau contexte. Face aux difficultés économiques,
ces acteurs, en maintenant leur action d’entremetteurconseiller-détecteur de projet-prosélyte, engendrent
un triple effet. Premièrement, ils contrecarrent l’effet
démotivant du contexte financier sur les créations en
renforçant leurs actions de détection de projets et de
prosélytisme. Ils multiplient ainsi les actions de sensibilisation à la création d’entreprises. Deuxièmement,
ils poursuivent leur action de diminution des coûts de
transaction (Williamson, 1975, 1981) entre capitalrisqueurs et entrepreneurs, d’une part en faisant connaître l’identité des capital-risqueurs implantés et actifs
dans la région mais aussi, fait nouveau, en Allemagne
et internationalement, et d’autre part en diffusant les
nouveaux critères de financement (par exemple, l’intérêt
des investisseurs pour les produits rapidement commercialisables, et non plus pour les technologies dites « plates-formes », c’est-à-dire à large spectre d’applications,
nécessitant un développement encore long).
« Je vais à la conférence annuelle des sciences de la
vie organisée par l’IBB (banque de développement local
de Berlin), parce que toute la communauté biotech est
là : les entreprises, les investisseurs… Et j’y trouve des
informations importantes comme (…) le fait que tels et
tels capital-risqueurs n’ont plus d’argent à investir. » (directeur financier d’une entreprise de biotechnologies).
110
« Oui, je vais très régulièrement aux rencontres organisées dans la région. (…) Par les discussions que j’ai
eues avec des dirigeants d’entreprises de biotechnologies de la région, j’ai découvert de nouvelles sociétés
de capital-risque. J’ai aussi appris certaines choses,
comme le fait que les capitaux-risqueurs ne finançaient
plus certaines plates-formes technologiques. » (P-DG /
fondateur d’une entreprise de biotechnologie).
Troisièmement, ils aident les fondateurs d’entreprises à construire des solutions de financement
alternatives au capital-risque. Ils les orientent ainsi
vers des financements publics (subventions de R&D
proposées par les ministères fédéraux et régionaux
de la recherche et de l’économie, nouveau dispositif
de financement pour les très jeunes entreprises mis
en place par la TBG en 2001) et facilitent la rencontre
entre les entrepreneurs et de potentiels clients, par
la mise en place de dispositifs de rencontre entre ces
deux types d’acteurs.
« Nous créons des contacts entre les entreprises
de la région et des groupes industriels internationaux,
qui sont de potentiels clients pour nos entreprises. Par
exemple, en mai 2002, nous avons organisé une rencontre entre Novartis, qui est venu avec des représentants
commerciaux et des chercheurs, et quinze entreprises
de la région, qui ont fait une présentation. Nous organisons aussi des rencontres entre quelques chargés
du développement commercial, issus d’entreprises de
biotechnologies de la région, pour qu’ils s’échangent
des contacts. » (Biotop).
En outre, pour faire face à la rareté des financements en capital risque, certains acteurs locaux de
soutien incitent les entrepreneurs à développer des
stratégies alternatives pour leur start-up : concevoir
des projets de R&D plus ciblés, exercer un contrôle
strict des coûts, entamer une activité commerciale la
plus rapide possible et amener la technologie à maturité
grâce à des financements publics.
« J’ai mis au point avec les fondateurs de GENEX
une stratégie qui leur permettait de survivre, avec un
scénario où ils n’auraient pas besoin de capital-risque. »
(conseiller TCC).
Ainsi, les acteurs locaux de soutien créent un dense
maillage organisationnel au niveau local, qui met en
relation ces divers acteurs de soutien entre eux, des
dirigeants d’entreprises de biotechnologies et des investisseurs. Au sein de ce réseau local, ils assurent la
Éducation & formations − n° 73 − août 2006
Cet article met en lumière le rôle fondamental joué
par la structure locale de soutien à l’innovation dans
l’émergence d’une dynamique entrepreneuriale dans
les biotechnologies, en Allemagne, à partir du milieu
des années 90. Caractérisée par l’existence d’intermédiaires mettant en contact les entrepreneurs avec des
ressources et des informations clés pour la réalisation
de leur projet, notamment avec des financeurs, cette
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structure sociale a permis la construction d’une offre
de projets d’entreprises scientifiques et de financements en capital-risque, et a facilité leur rencontre.
Elle a aussi permis de limiter les effets dissuasifs du
retournement du marché boursier, à partir de 2001, sur
la création d’entreprise.
Mais la survie de ces nouvelles organisations demeure une question ouverte. Avec la contraction du
marché de financement, qui amène notamment les investisseurs à exiger une commercialisation plus rapide
des innovations, l’enjeu change en effet aujourd’hui de
nature, pour les jeunes entreprises allemandes : ce ne
sont désormais plus les financements en capital-risque
qui garantissent leur survie, mais le chiffre d’affaires
généré par des transactions marchandes avec l’industrie
pharmaceutique ou les grandes sociétés de biotechnologies (vente de services, ou de licences dans le cadre
d’un codéveloppement de produit pharmaceutique). Or, il
n’est pas certain que les acteurs de soutien présentés ici
puissent aussi jouer un rôle d’intermédiaires facilitant la
rencontre entre producteurs (entreprises de biotechnologies) et utilisateurs (industrie établie) d’innovations.
THÈME
circulation d’informations et de connaissances pertinentes rendant à la fois plus efficient le marché de financement du capital-risque subsistant et plus visibles,
pour les entrepreneurs, les solutions alternatives pour
survivre dans un contexte de contraction du capitalrisque. Ainsi, le paradoxal maintien de la dynamique
entrepreneuriale observé s’explique par l’existence
d’une structure sociale d’incitation et de soutien, qui
contrecarre les effets purement économiques d’une
diminution de la principale offre de financements pour
les entrepreneurs.
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À lire
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Biotop (2003). Biotech Report 2002/2003 Berlin-Brandenburg, Magazin der Biotechnologie in Berlin-Brandenburg, Ausgabe 20, mai 2003.
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