Culture et recherche 118-119, automne-hiver 2008-2009

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Culture et recherche 118-119, automne-hiver 2008-2009
C&R118-119_4-cor_Dom+MC-2:C&R dossier
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DOSSIER
Usages numériques :
patrimonialisation et/ou création ?
E
n quinze ans, les technologies de l’infor-
moine culturel dans les pratiques culturelles
L’éditorialisation et l’ouverture à la réutilisa-
mation et de la communication (TIC)
reste un facteur dominant. Pour autant, les
tion des données publiques culturelles sont,
qui fournissent progressivement un
usages divergent aussi selon l’âge et la caté-
dans ce contexte, les conditions de cette liaison
mode d’accès élargi aux biens et services
gorie sociale, de sorte qu’on observe une
nécessaire entre création et patrimoine, horizon
culturels sont devenues partie intégrante de la
tendance au déclin de la culture de l’imprimé
unique des politiques culturelles.
vie quotidienne des ménages. Tendant à se
au profit d’une culture multimédia éloignée
Philippe Chantepie
sédimenter, les nouveaux usages semblent
de la culture dite légitime, en particulier chez
Ministère de la Culture et de la Communication
conforter quelques tendances, en termes de
les jeunes générations.
(SG / Département des études,
créativité et de patrimonialisation. S’ils répon-
de la prospective et des statistiques)
siques révélés par les analyses des pratiques
La création : horizon des usages
numériques du patrimoine.
culturelles, ils semblent aussi favoriser un
Dans le même temps, les usages numériques
basculement peut-être radical de la culture,
du patrimoine, parmi les plus réduits, sont
qui interroge non seulement le patrimoine et
renouvelés chaque fois qu’ils servent la créa-
la création, mais surtout les politiques d’arti-
tion. C’est que cette dernière est au cœur du
culation entre création et patrimoine au début
du XXIe siècle, et donc les politiques numé-
renouvellement des usages et du développe-
riques ou de numérisation.
culier à travers les outils dits du web 2.0. Cette
dent, pour une large part, aux ressorts clas-
ment de consommateurs-créateurs, en partiobservation plus récente, qui s’appuie sur le
La patrimonialisation des usages
culturels numériques
déploiement des réseaux et qui s’est fondée
Avec la baisse tendancielle des prix des équi-
la longue traîne, en dépit de ses faibles véri-
pements numériques (informatique, électro-
fications, manifeste que le patrimoine numé-
nique grand public, abonnement au réseau
rique sert d’abord la création numérique.
sur des offres organisées selon l’hypothèse de
Internet), l’essor du haut débit, la multiplica-
Digital uses: heritage and/or creation?
tion rapide de nouvelles fonctionnalités, la
En conséquence, l’enjeu des usages numé-
diffusion et l’utilisation des TIC se sont inten-
riques patrimoniaux consiste en ce que les
sifiées et démocratisées, même si ces techno-
politiques patrimoniales se tournent davan-
logies et leurs usages continuent de dépendre
tage vers la création, sans délaisser naturel-
du niveau d’éducation, des revenus et de l’âge
lement les objectifs nécessaires de conser-
des usagers. On compte ainsi que près des
vation. Il est certainement indispensable
deux tiers des ménages européens sont
d’assurer la numérisation la plus large des
équipés d’un ordinateur et la moitié d’un accès
siècles d’imprimés et de les mettre à dispo-
à Internet. Les usages culturels numériques
sition du public ; cependant, la numérisation
ont aujourd’hui atteint une taille critique qui
des fonds phonographiques et audiovisuels
facilite une observation plus assurée.
n’a été que rarement prioritaire, alors qu’elle
suscitait la plus forte demande. De même les
En termes de tendances, bien des usages
jeux vidéo, en dépit de leurs courtes vies
numériques reproduisent nombre d’usages
technique et commerciale, suggèrent une
réels. Car, fondamentalement, les usages
logique patrimoniale désormais installée dans
numériques ne rompent pas avec les facteurs
les usages.
déterminants des usages culturels, en particulier la loi du cumul selon laquelle les
L’horizon long du patrimoine doit donc
usages culturels se multiplient avec la
s’accorder avec l’horizon court des usages patri-
pratique culturelle, et selon laquelle les
moniaux, en particulier des jeunes générations
usages culturels réels déterminent les usages
plus ouvertes au multimédia qu’à l’imprimé.
culturels numériques.
Sans ce ré-accord, la fracture entre logique
patrimoniale et logique créative pourrait – avec
De même les usages culturels numériques se
les effets générationnels – se creuser définiti-
concentrent sur une population relativement
vement, et assécher la création du patrimoine
éduquée et urbaine. Le déterminisme du patri-
qui l’innerve.
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C U LT U R E E T R E C H E R C H E
Over the last fifteen years, information and communication technologies have gradually broadened access to
cultural goods and services and become an integral part
of our domestic lives. These new uses, which have a
tendency to develop over time, appear to support certain
trends in the field of creativity and heritage use. Although
the analysis of cultural practices shows that they mainly
respond to conventional needs, they may also presage a
radical change of direction in the field of culture, which
raises questions not only about heritage and creation
but, above all, about strategies linking creation and
heritage in the digital age at the beginning of the 21st
century.
Digitale Anwendungen: Verwaltung
von Kulturgut und/oder Neuschöpfung?
Innerhalb von fünfzehn Jahren sind die Informationsund Kommunikationstechnologien, die schrittweise
erweiterten Zugang zu den Kulturgütern und kulturellen
Dienstleistungen verschaffen, zum festen Bestandteil
im Alltag privater Nutzer geworden. Mit zunehmender
Verbreitung scheinen die neuen Anwendungen
bestimmte Trends in Bezug auf Kreativität und die Pflege
und Verwaltung des vorhandenen Kulturguts zu
verstärken. Wenngleich sie größtenteils den durch die
Analyse der Kulturpraxis entwickelten konventionellen
Ressorts entsprechen, scheinen sie auch eine möglicherweise radikale Umkehr in der Kultur voranzutreiben,
bei der nicht nur das kulturelle Erbe und die Neuschöpfung von Werken hinterfragt werden, sondern vor allem
die Politiken zur Verknüpfung von Neuschöpfung und
traditionellem Kulturgut zu Beginn des 20. Jahrhunderts,
und somit die Digitalisierungspolitiken.
n° 118- 119 • automne-hiver 2008-2009