L`équilibre travail-vie et la profession enseignante au Canada
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L`équilibre travail-vie et la profession enseignante au Canada
L’équilibre travail-vie et la profession enseignante au Canada par Bernie Froese-Germain Recherche et Information Juillet 2014 Table des matières Mise en contexte de l’équilibre travail-vie des Canadiens et Canadiennes ................1 Ce que nous savons sur la charge de travail des enseignantes et enseignants ........2 Sondage de la FCE sur la recherche de l’équilibre travail-vie par le personnel enseignant ............................................................................................6 Les conditions de travail du personnel enseignant sont les conditions d’apprentissage des élèves .......................................................................................8 Références ............................................................................................................... 10 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante Mise en contexte de l’équilibre travail-vie des Canadiens et Canadiennes Depuis quelques dizaines d’années, le Canada doit faire face à d’importants changements démographiques, sociaux, économiques et technologiques. Ces changements ont de grandes répercussions sur l’équilibre travail-vie des Canadiennes et Canadiens, c’est-à-dire sur leur capacité d’équilibrer leurs responsabilités professionnelles et personnelles. Linda Duxbury et Christopher Higginsi, éminents spécialistes du bienêtre organisationnel, étudient les questions liées à l’équilibre travail-vie au Canada depuis le début des années 1990. Ils estiment qu’en plus des importants changements démographiques, y compris [traduction libre] « une plus grande espérance de vie et un taux de fécondité en déclin, [ce qui] signifie que la population du Canada, comme sa maind’œuvre, vieillit » (Duxbury et Higgins, p. 3), la structure des familles canadiennes a changé radicalement au cours des dernières décennies. Ils dressent ainsi le portrait complexe des familles contemporaines : [Traduction libre] Les familles canadiennes d’aujourd’hui sont bien différentes de celles d’hier. Non seulement leurs structures et leurs modes de fonctionnement et de transmission du patrimoine sont plus diversifiés, mais elles sont plus petites, plus complexes, moins stables, moins susceptibles d’avoir autant de temps libre et plus susceptibles de se diviser. On observe aujourd’hui un plus grand nombre : 1) de familles à deux revenus; 2) de familles monoparentales dont le chef travaille; 3) de femmes de tous les âges sur le marché du travail; 4) de mères qui travaillent, en particulier des mères de jeunes enfants; 5) d’hommes ayant des responsabilités familiales directes; 6) de travailleurs et travailleuses devant prendre soin de parents ou de proches vieillissants; 7) de travailleurs et travailleuses de la « génération sandwich » qui doivent prendre soin à la fois de leurs enfants et de leurs parents. (Duxbury et Higgins, 2013, p. 3) Les facteurs économiques ont également une influence sur notre capacité d’équilibrer notre vie professionnelle et notre vie personnelle. Mentionnons par exemple la multiplication des emplois atypiques (et souvent mal rémunérés) dans le secteur des services, la baisse du nombre d’emplois syndiqués bien rémunérés dans le secteur manufacturier ainsi que les ambitieux exercices de réduction ou de rajustement des effectifs menés par les organisations canadiennes (publiques, privées et sans but lucratif) qui ont souffert du ralentissement économique aux États-Unis et en Europe. De plus, comme l’indiquent Duxbury et Higgins, l’évolution rapide des technologies a eu une incidence sur les conditions de travail en créant des attentes sur le plan de la rapidité d’intervention et de la disponibilité 24 heures sur 24, et en éliminant souvent la frontière entre le travail et la maison. [Traduction libre] Les avancées technologiques qui ont commencé il y a plusieurs dizaines d’années ont exacerbé bon nombre de ces problèmes en permettant aux gens de travailler « n’importe quand et n’importe où ». Dans bien des cas, ces avancées ont brouillé les frontières entre le travail et la maison, augmenté le rythme de travail et transformé les attentes relatives à la prestation de services. (p. 4) Certains de ces facteurs ont également une incidence sur l’équilibre travail-vie des membres de la profession enseignante. Il n’est pas étonnant que le déséquilibre travail-vie au Canada ait un cout économique élevé. Selon Duxbury et Higgins, [traduction libre] « notre incapacité à équilibrer notre vie professionnelle et notre vie personnelle coute aux entreprises du Canada environ 10 milliards de dollars par année en raison de l’absentéisme, de la perte de production, de la baisse de productivité, des échéances non respectées et des clients mécontents » (McKenna, 2012). 1 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante Ce que nous savons sur la charge de travail des enseignantes et enseignants Les problèmes liés à la charge de travail du personnel enseignant sont bien documentés au Canada comme dans beaucoup d’autres pays. Un grand nombre des études à ce sujet ont été menées par les syndicats de l’enseignement eux-mêmesii. Dans une revue de la littérature sur la charge de travail du personnel enseignant préparée par la section locale no 38 du personnel enseignant des écoles publiques de Calgary de l’Alberta Teachers’ Association (ATA) et l’ATA pour une étude sur la vie au travail des enseignantes et enseignants des écoles publiques de Calgary, les auteurs indiquent ceci : [Traduction libre] Les études menées au Canada montrent invariablement que les enseignantes et enseignants travaillent de 50 à 55 heures par semaine en moyenne. Lorsqu’on leur demande d’évaluer le temps qu’ils consacrent à des activités liées au travail, les enseignants et enseignantes ont tendance à le sous-estimer. Bien que les heures travaillées déclarées varient généralement selon le sexe, les années d’expérience, la situation géographique et les tâches à accomplir, ces corrélations sont relativement faibles, ce qui laisse supposer que la surcharge de travail constitue un problème universel qui touche les enseignantes et enseignants non seulement au Canada, mais dans d’autres pays comme au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, à Hong Kong, en Suède et aux États-Unis. (ATA, 2012, p. 11) Que nous disent les études, de plus en plus nombreuses, sur la charge de travail du personnel enseignant? Voici les conclusions tirées de la revue de la littérature (extraites du rapport sur la vie au travail des enseignantes et enseignants de Calgary, p. 11-12) : Les enseignantes et enseignants travaillent de 10 à 20 heures par semaine en dehors de l’horaire scolaire régulier. Ces longues heures créent du stress et de la fatigue, ce qui mène à des taux élevés d’absentéisme et d’épuisement professionnel (Naylor et White, 2010). Les enseignantes et enseignants ont un travail complexe qui comporte des tâches très diverses. Ils doivent donc souvent multiplier les tâches pendant la journée de travail, ce qui les empêche parfois de se concentrer sur des activités moins pressantes mais tout aussi importantes, comme la planification, le perfectionnement professionnel et la réflexion sur leurs façons de faire, qui leur permettraient presque certainement d’améliorer leur efficacité à long terme. Les élèves ont des besoins d’apprentissage très variés, mais les membres du personnel enseignant n’ont pas le soutien et les ressources dont ils ont besoin pour appuyer une population scolaire de plus en plus diversifiée. L’insistance actuelle sur le testage à grands enjeux et la responsabilisation oblige les enseignantes et enseignants à consacrer plus de temps au travail administratif, à l’évaluation des élèves et à la communication du rendement (Day et Gu, 2010). Une étude sur la charge de travail du personnel enseignant menée récemment par la Northwest Territories Teachers’ Association (NWTTA) en collaboration avec l’Association des enseignantes et des enseignants du Yukon (AEY) et la Nunavut Teachers’ Association (NTA), grâce au soutien de l’Alberta Teachers’ Association (ATA), jette un éclairage nouveau sur les réalités et les conditions de travail des éducatrices et éducateurs du Nord. Cette étude, qui indique que les enseignantes et enseignants survivent mais sont loin de s’épanouir (p. 6), signale plusieurs facteurs qui nuisent aux conditions de travail des enseignantes et enseignants du Nord, y compris les suivants (extrait du rapport, p. 5) : 2 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante Les demandes externes de communication du rendement et les programmes cadres, auxquels il est particulièrement difficile de répondre lorsqu’on doit en plus tenir compte des divers besoins et aptitudes dans la classe; Le stress dû aux questions non liées à l’enseignement comme le comportement des élèves, les problèmes de santé mentale ou de dépendance des élèves et des membres de la famille, et la pauvreté. Les enseignantes et enseignants soulignent qu’il faut répondre aux besoins fondamentaux des élèves pour que l’apprentissage puisse se faire; Le manque de connaissances culturelles des enseignantes et enseignants, nécessaires pour enseigner aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. Ce problème est exacerbé par le cycle perpétuel des enseignantes et enseignants débutants qui commencent leur carrière dans des communautés rurales ou éloignées et qui quittent ensuite ces communautés, ou qui quittent carrément la profession à cause de l’isolement et du stress. En 2012, la Fédération des enseignantes et des enseignants de la Saskatchewan a retenu les services de la Saskatchewan Instructional Development and Research Unit (SIDRU) (Unité de développement et de recherche pédagogique de la Saskatchewan) de la Faculté d’éducation de l’Université de Regina pour réaliser une étude visant à mieux comprendre la complexité du temps de travail du personnel enseignant en Saskatchewan et les défis qui y sont associés. La SIDRU a donc mené un sondage en ligne auprès de 950 éducateurs et éducatrices ainsi que 10 entrevues détaillées avec des enseignantes et enseignants. Les résultats du sondage et des entrevues ont permis de dégager les trois grands thèmes suivants : 1. Engagement et intérêt du personnel enseignant pour l’éducation : Ce thème touche les aspirations des enseignantes et enseignants, leurs idéaux et leur volonté de répondre aux besoins des élèves, ainsi que les aspects de leur travail qui leur procurent de la satisfaction, de l’autonomie et une capacité d’agir. En ce qui concerne l’importance de l’autonomie professionnelle, les auteurs font remarquer que, pour les enseignantes et enseignants, [traduction libre] l’autonomie professionnelle veut dire pouvoir choisir des activités de perfectionnement professionnel qui répondent davantage à leurs besoins et intérêts qu’aux intérêts ou priorités de la division scolaire ou du ministère de l’Éducation. Pour les enseignantes et enseignants, l’autonomie professionnelle se traduit par une plus grande souplesse et un plus grand pouvoir de décision par rapport à ce qu’ils enseignent et à leur façon d’enseigner. Bien que l’ensemble des participants et participantes reconnaissent le besoin de rendre des comptes sur l’atteinte des objectifs du programme d’études, les enseignantes et enseignants apprécient qu’on leur fasse confiance et qu’on les laisse exercer leur jugement; (p. 12) 2. Obstacles au succès du personnel enseignant et des élèves : Ce thème concerne les principales conséquences de l’intensification du travail. Les enseignantes et enseignants doivent faire face à un nombre croissant de changements rapides et profonds, répondre à des attentes accrues en matière de responsabilisation et composer avec une réduction des mesures de soutien offertes aux élèves; 3. Freins à l’engagement du personnel enseignant à l’égard de l’éducation : Ce thème englobe les conséquences indirectes de l’intensification du travail, soit un manque apparent d’appréciation et de soutien à l’égard des enseignantes et enseignants en tant que professionnelles et professionnels, et des pressions accrues sur leur vie personnelle, leur santé et leur bienêtre. Les auteurs de l’étude, Carol Schick, Ph. D., et James McNinch, de la SIDRU, affirment que l’augmentation de la charge de travail du personnel enseignant et l’intensification du travail doivent être examinées et interprétées dans le contexte des politiques et tendances générales en éducation : 3 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante [Traduction libre] On ne saisit pas encore parfaitement la complexité du temps de travail des enseignantes et enseignants. Jusqu’à maintenant, on a abordé la question sous un angle étroit sans tenir compte de l’environnement politique, social et professionnel dans lequel les enseignantes et enseignants évoluent. De plus, les tendances dans le domaine de l’éducation à l’échelle locale, nationale et internationale exercent de plus en plus de pression sur la profession enseignante. (p. 1) Schick et McNinch affirment également ceci : [Traduction libre] Les réformes en éducation s’inscrivent dans les vastes programmes que mettent en œuvre de nombreux pays pour remodeler et restructurer leurs institutions publiques, en croyant qu’en se soumettant au marché, ils amélioreront manifestement leur efficacité. En effet, les discussions sur les changements en éducation ne peuvent être dissociées des grands débats idéologiques sur la prestation des services publics. De nombreux enseignants et enseignantes choisissent la profession enseignante parce qu’ils désirent aider les enfants à apprendre, mais les influences du marché sur la politique de l’éducation minent leur impulsion idéaliste et leur satisfaction au travail. De plus, les tentatives centralisées visant à contrôler le processus d’enseignement pour le soi-disant bien économique du pays, de l’État ou de la province ont également des effets délétères sur la profession enseignante. (p. 13) Par exemple, comme il a déjà été mentionné, les cadres de responsabilisation centralisés et fondés sur les tests demeurent une caractéristique marquante du mouvement de réforme de l’éducation. Les enseignantes et enseignants qui ont participé à l’étude se disent frustrés de ne participer que si peu à la prise de décisions, malgré leurs connaissances et leur expertise sur les questions touchant l’éducation, qui ont des répercussions sur leurs conditions de travail. De telles décisions leur sont imposées par [traduction libre] « des personnes qui n’ont pas ou n’ont que peu d’expérience en salle de classe et qui, par conséquent, sont loin de pouvoir reconnaitre ce qui est dans l’intérêt des élèves et des enseignantes et enseignants en classe » (p. 13). Une étude de l’Alberta Teachers’ Association (ATA) sur l’équilibre travail-vie du personnel enseignant menée par Duxbury et Higgins a permis de comparer des données provenant d’un échantillon de près de 2 500 membres du personnel enseignant de l’Alberta avec des résultats nationaux provenant de plus de 25 000 travailleuses et travailleurs canadiens. Cette étude a révélé que les enseignants et enseignantes travaillent davantage d’heures par semaine que la plupart des Canadiennes et Canadiens, et qu’ils [traduction libre] « ont une lourde surcharge de travail, vivent un important déséquilibre travail-vie et sont beaucoup moins susceptibles de bénéficier de modalités de travail souples » (ATA, 12 mars 2013). L’étude a également révélé que [traduction libre] « la charge de travail et le déséquilibre travail-vie ont peutêtre des effets négatifs sur le bienêtre d’une grande proportion d’enseignantes et d’enseignants en Alberta » (Duxbury et Higgins, p. 51). À ce sujet, la majorité des enseignantes et enseignants ont indiqué des niveaux de stress ressenti (défini dans l’étude comme la mesure dans laquelle une personne considère sa situation comme imprévisible, incontrôlable et pénible) beaucoup plus élevés que les niveaux observés dans l’échantillon total. Près de la moitié des enseignantes et enseignants (47 %) ont déclaré des niveaux d’humeur dépressive (définie comme un état caractérisé par une énergie faible et des sentiments permanents d’impuissance et de désespoir) encore une fois plus élevés que les niveaux observés dans l’échantillon total. 4 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante D’après J.-C. Couture, coordonnateur associé de la Recherche à l’ATA, [traduction libre] la principale conclusion de l’étude est claire : « La souplesse en matière d’horaires et de lieux de travail peut permettre la conciliation des responsabilités professionnelles et des exigences familiales en augmentant la capacité d’un employé ou d’une employée à contrôler, à prédire et à absorber le changement dans le cadre de ses rôles professionnels et familiaux. Malheureusement, les données provenant de cette étude sont sans équivoque : les enseignantes et enseignants de l’Alberta ont très peu de souplesse au travail ou de contrôle sur leur lieu ou leur horaire de travail. » (Couture, 2013) Bien que ce manque de souplesse soit en partie attribuable à la nature même du travail des enseignantes et enseignants (le temps qu’ils passent au travail correspond à une journée d’école déterminée), il peut aussi être lié à la culture organisationnelle en place (définie dans l’étude comme les règles non écrites et les normes organisationnelles qui dictent comment les choses sont faites, comment l’organisation fonctionne, ce qui doit être fait et ce qui est valorisé dans l’organisation, c’est-à-dire « la façon dont les choses se font ici »). L’étude a examiné deux types de cultures organisationnelles (Duxbury et Higgins, p. 53-54) : L’organisation valorise les employées et employés qui gardent leur vie personnelle en dehors du lieu de travail; L’organisation valorise les employées et employés qui donnent toujours la priorité au travail. Il est intéressant de constater que les enseignantes et enseignants faisant partie de l’échantillon de l’ATA étaient beaucoup plus susceptibles que les personnes faisant partie de l’échantillon total de considérer que leur employeur valorise et récompense les employés et employées qui séparent leur travail et leur vie familiale, et qu’il valorise également ceux et celles qui sont disponibles 24 heures sur 24 (Duxbury et Higgins, p. 53-54). Il est aussi intéressant de noter que, d’après l’échantillon de l’ATA et l’échantillon total, la division traditionnelle des tâches domestiques entre les femmes et les hommes ne semble pas avoir changé autant que nous voudrions le croire; les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de déclarer être les principales responsables des soins aux enfants dans la famille. Les auteurs mentionnent que [traduction libre] « cette constatation laisse entendre que les attentes relatives au rôle de parent des hommes et des femmes n’ont pas beaucoup évolué au fil du temps malgré l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail rémunéré. Elle indique également que de nombreuses femmes au Canada et de nombreuses enseignantes en Alberta “font un deuxième quart de travail à la maison”. » (Duxbury et Higgins, 2013, p. 48) Duxbury signale que les Canadiennes et Canadiens qui exercent des « professions altruistes », par exemple les infirmières et infirmiers, les enseignantes et enseignants, et les policières et policiers, risquent davantage de souffrir d’épuisement professionnel que celles et ceux qui exercent d’autres professions (ATA Magazine, juin 2012). L’étude que la NWTTA a menée avec ses collaborateurs se penche sur certaines des raisons qui peuvent expliquer cette réalité : [Traduction libre] Dans les métiers des services à la personne qui impliquent beaucoup de contacts avec les autres (par exemple les métiers d’infirmier ou infirmière, d’écclésiastique, d’enseignante ou enseignant, de travailleuse ou travailleur social et de technicienne ou technicien de services à l’enfance), la protection et la préservation du « capital humain » deviennent particulièrement importantes. En effet, ces métiers entrainent un risque plus élevé que la moyenne d’épuisement professionnel en raison de la nécessité de « travailler très souvent avec d’autres personnes, notamment des personnes en détresse ou qui ont des problèmes » (Maslasch, 2003, p. 2). Hautement performatif et structuré, l’enseignement exige 5 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante beaucoup de nos capacités humaines à répondre aux besoins des autres. Voilà pourquoi l’enseignement figure toujours parmi les métiers les plus stressants (Burke et McAteel, 2007). (p. 6) Sondage de la FCE sur la recherche de l’équilibre travail-vie par le personnel enseignant En février et mars 2014, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE) a mené un sondage en ligne auprès des enseignantes et enseignants de l’élémentaire et du secondaire sur l’équilibre travail-vie, et plus précisément sur ce qui suit : les facteurs qui contribuent au stress et au déséquilibre travail-vie; les facteurs qui peuvent contribuer à améliorer l’équilibre travail-vie. Ce sondage a été distribué aux enseignantes et enseignants par l’intermédiaire des organisations Membres de la FCE. La participation au sondage a été exceptionnelle. En effet, plus de 8 000 enseignantes et enseignants de tout le pays y ont répondu, soit le plus grand nombre de personnes ayant participé à un sondage de la FCE jusqu’ici. Voici certains des principaux résultats : La vaste majorité des enseignantes et enseignants disent se sentir déchirés entre leurs responsabilités professionnelles et leurs responsabilités à l’extérieur du milieu de travail, 54 % disant se sentir très déchirés (« beaucoup »). Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de dire se sentir ainsi déchirées; La majorité des enseignantes et enseignants (79 %) estiment que leur stress lié au déséquilibre travail-vie a augmenté dans les cinq dernières années, alors que seulement 4 % considèrent qu’il a diminué au cours de cette période; Au total, 85 % des enseignantes et enseignants considèrent que le déséquilibre travail-vie nuit à leur capacité à enseigner comme ils aspirent à le faire, et 35 % considèrent qu’il y nuit beaucoup; Les enseignantes et enseignants ont été invités à indiquer les sources de stress associées à leurs conditions d’exercice. Ils nous ont dit que le principal facteur de stress dans leur milieu de travail était l’incapacité de consacrer tout le temps désiré à chacun des élèves. Voici d’autres sources importantes de stress : o les questions liées à la composition des classes et aux élèves ayant des besoins particuliers, dont l’élaboration et la mise en œuvre de plans d’enseignement individualisés (PEI) et l’adaptation ou la modification du programme pour les élèves qui n’ont pas forcément besoin d’un PEI ou qui n’ont pas été identifiés comme en ayant besoin; o le manque de temps de planification avec les collègues; o le manque de temps pour corriger et noter le travail des élèves; o des ressources humaines et matérielles insuffisantes pour appuyer le programme d’études; o le manque de temps de préparation. 6 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante On remarque que le manque de temps est un thème qui revient dans plusieurs sources de stress indiquées par les enseignantes et enseignants; En ce qui concerne l’autonomie du personnel enseignant (définie dans le sondage comme la capacité des enseignantes et enseignants d’exercer leur jugement professionnel dans leurs tâches quotidiennes), les répondants et répondantes ont indiqué que les aspects pour lesquels ils ont le plus d’autonomie sont les méthodes pédagogiques dans la classe, les activités parascolaires et les pratiques d’évaluation des élèves. Ils nous ont dit que les aspects pour lesquels ils ont le moins d’autonomie sont l’élaboration et la mise en œuvre du programme d’études, le perfectionnement professionnel et la charge de travail; Bien que plus de la moitié des enseignantes et enseignants (parmi celles et ceux qui enseignent depuis au moins cinq ans) considèrent que leur autonomie professionnelle a diminué (un peu ou beaucoup) au cours des cinq dernières années, la majorité des répondantes et répondants nous ont dit qu’une plus grande autonomie professionnelle aurait une incidence positive sur leur équilibre travail-vie en général; La plupart des enseignantes et enseignants ont indiqué qu’ils éprouvent du stress parce qu’ils n’ont pas suffisamment de temps à consacrer à leurs propres enfants, à leur conjoint ou conjointe, à des membres de leur famille ou à des amis qui ont besoin d’eux, ou à leurs activités récréatives personnelles. Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes à éprouver du stress parce qu’elles n’ont pas suffisamment de temps à consacrer à leurs enfants, à des membres de leur famille ou à des amis qui ont besoin d’elles, ou à leurs activités récréatives personnelles; Les personnes sondées ont également été invitées à sélectionner, parmi 14 mesures proposées, les quatre les plus susceptibles d’améliorer leur équilibre travail-vie et de leur permettre de devenir une enseignante ou un enseignant plus efficace. Bien que certaines personnes nous aient dit avoir eu du mal à en choisir seulement quatre, la mesure considérée comme prioritaire est la réduction de la taille des classes. Les trois autres mesures prioritaires sont les suivantes : o améliorer le soutien aux élèves ayant des besoins particuliers; o augmenter le temps de préparation et de planification; o réduire les demandes non liées à l’enseignement (travail administratif). Les enseignantes et enseignants ont eu la possibilité de faire des commentaires sur l’atteinte d’un plus grand équilibre travail-vie. Voici quelques-unes des nombreuses observations judicieuses que nous avons pu lire (les commentaires sont reproduits dans leur langue d’origine) : Smaller class sizes at all levels will help to deal with the varied ability levels and behavioural issues that are now being seen in the classroom. [Les] classes [sont] trop nombreuses et [on] manque de temps pour corriger et pour donner un appui individualisé aux élèves avec des besoins particuliers. More support for students is … important, but I believe it goes along with class sizes. If class sizes were smaller, less support would be needed. 7 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante Reduce class sizes so teachers can actually manage their classes more effectively, and deliver the curriculum with more authenticity and diversity to the benefit of each child … it’s just common sense! On nous demande un enseignement de qualité qui respecte les styles d’apprentissage de tous les élèves, mais on n’a pas le temps de tout préparer et on n’a pas les ressources humaines pour nous appuyer. I truly believe that increasing teachers’ sense of work/life balance will directly and proportionately translate into improved student achievement. Feeling less stressed will increase teachers’ ability to be more ‘present’ and attuned to the current academic and personal needs of their students, and to be able to better address those needs. Ces résultats de recherche concordent dans l’ensemble avec les données provenant des autres recherches réalisées sur la charge de travail et l’équilibre travail-vie du personnel enseignant, et viennent s’ajouter au nombre croissant d’études sur ces sujets. Les conditions de travail du personnel enseignant sont les conditions d’apprentissage des élèves On demande aux enseignantes et enseignants d’en faire plus avec moins. Comme l’indiquent les auteurs de l’étude sur la vie au travail des enseignantes et enseignants des écoles publiques de Calgary, [traduction libre] « les études sur la charge de travail et l’intensification du travail des membres du personnel enseignant laissent entendre que ceux-ci doivent faire face à la fois à une augmentation de leurs responsabilités et à une réduction des mesures de soutien et des ressources dont ils ont besoin pour s’acquitter de ces responsabilités, ce qui constitue un mélange toxique ». (ATA, 2012, p. 15) Cette situation a des répercussions sur le recrutement et le maintien en poste des enseignantes et enseignants, sur leur santé physique et mentale, et sur la qualité de l’enseignement. Les recommandations de Linda Duxbury sur l’atteinte d’un équilibre travail-vie par le personnel enseignant peuvent s’appliquer à d’autres secteurs au Canada. Elle soulève d’importantes questions sur l’avenir de la profession enseignante : [Traduction libre] Duxbury ne voit pas le déséquilibre entre les sexes [dans la profession enseignante] comme un problème, mais plutôt comme un défi. Les conseils scolaires doivent gérer différemment une main-d’œuvre dominée par les femmes. La majorité des personnes qui prennent soin des jeunes enfants et des parents vieillissants sont des femmes. À mesure que la population vieillira, la question des services aux ainés deviendra encore plus importante. Cela signifie que, de plus en plus, les employeurs devront offrir aux employés et employées des horaires flexibles ainsi que des ressources et du soutien… Il est temps que les conseils scolaires revoient ce que leurs politiques et pratiques disent à propos de leurs priorités. Duxbury recommande aux conseils scolaires de se poser les questions suivantes : Valorisons-nous le travail professionnel des enseignantes et enseignants? Offrons-nous aux enseignantes et enseignants la souplesse dont ils ont besoin pour s’occuper de leurs parents vieillissants ou de leurs enfants? Comment attirons-nous les jeunes dans la profession enseignante? À leur tour, les éducateurs et éducatrices doivent eux aussi se poser certaines questions, notamment les suivantes : Les technologies ont-elles changé la façon d’enseigner? S’agit-il d’un bon ou d’un mauvais changement? Avons-nous perdu de vue l’espace relationnel dans lequel s’effectue le véritable apprentissage? À quoi l’apprentissage devrait-il ressembler? 8 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante Les enseignantes et enseignants, comme les autres Canadiennes et Canadiens, sont de plus en plus conscients du besoin d’équilibrer leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Ils comprennent également que leurs conditions de travail ont une incidence sur leur efficacité et, par conséquent, sur les conditions d’apprentissage des élèves. Il va de soi que, pour améliorer la qualité de l’enseignement pour tous les élèves, y compris et surtout ceux qui ont les plus grands besoins, il est nécessaire de consacrer davantage d’efforts à l’amélioration des conditions de travail des enseignantes et enseignants. La présidente de la NWTTA, Gayla Meredith, fait remarquer ceci : [Traduction libre] Tout comme leurs collègues dans les écoles du Canada, les enseignantes et enseignants du Nord travaillent là où leurs élèves apprennent. Il est donc clair que les conditions d’exercice des enseignantes et enseignants ont une incidence sur l’environnement d’apprentissage des élèves et vice versa. Il est essentiel que les associations de l’enseignement, les ministères de l’Éducation, les décisionnaires, les membres du personnel enseignant, les parents et le grand public tiennent compte de cet aspect lorsqu’ils se demandent comment améliorer l’éducation. (NWTTA et autres, p. 3) Dans le contexte d’une réforme mondiale de l’éducation, la professeure Nina Bascia, de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto, spécialiste des relations entre les syndicats de l’enseignement et le gouvernement, souligne qu’« il est impossible de séparer les conditions de travail des enseignant(e)s des possibilités d’apprentissage des étudiant(e)s » : Au cours des dernières années, une dégradation des conditions de travail des enseignant(e)s a été constatée dans le monde entier : un affaiblissement du pouvoir décisionnel des enseignant(e)s; des contraintes plus importantes sur les programmes et la pédagogie; un contrôle accru, une intensification du travail; et le détournement des ressources éducatives du secteur public vers le secteur privé. Des mesures d’austérité réduisent la mise à disposition des fonds nécessaires pour la mise en œuvre d’une politique éducative et d’une pratique éducative, notamment pour les enfants qui vivent en état de précarité socio-économique. Les enseignant(e)s se trouvent de toute évidence au cœur des démarches éducatives les plus actuelles, soit parce que les réformes elles-mêmes sont axées sur les enseignant(e)s ou parce que les propositions de réformes ont une incidence directe sur leur travail et les syndicats d’enseignants sont sur un pied d’alerte pour répondre aux préoccupations des enseignant(e)s. L’attention que les syndicats portent aux conditions de travail des enseignant(e)s depuis longtemps est perçue par de nombreuses personnes en dehors du domaine de l’éducation comme étant d’un « intérêt personnel » et, dans l’éventualité où les conditions de travail s’amélioreraient, ce serait aux dépens des étudiant(e)s et comme dans une équation où les différents termes se compensent. Cependant, cette analyse est inexacte car la dégradation des conditions de travail des enseignant(e)s s’accompagne d’une dégradation équivalente des conditions d’apprentissage. Il est impossible de séparer les conditions de travail des enseignant(e)s des possibilités d’apprentissage des étudiant(e)s. Un affaiblissement du pouvoir de décision des enseignant(e)s ainsi que des contraintes plus lourdes affectant les programmes et la pédagogie signifient que la capacité des enseignant(e)s à façonner la performance pédagogique pour répondre aux besoins académiques des étudiant(e)s est à son tour bridée. L’intensification du travail pour les enseignant(e)s, notamment si cela implique qu’une plus grande partie de leur temps est consacrée aux tâches administratives, impliquent que les enseignant(e)s peuvent consacrer moins de temps et d’attention à leurs étudiant(e)s. [C’est nous qui soulignons] Comme les organisations de l’enseignement le disent depuis longtemps, les conditions de travail du personnel enseignant sont les conditions d’apprentissage des élèves. 9 L’équilibre travail-vie et la profession enseignante Références BASCIA, Nina. « Conditions optimales : Pour des relations productives entre les syndicats d’enseignants et les gouvernements propices à une éducation de haute qualité pour les jeunes », Mondes de l’éducation, [en ligne], no 43, avril 2014. [www.worldsofeducation.org/fr/magazines/articles/221]. COUTURE, J.-C. « Teachers spend 10 hours more per week on work than other professionals – National study confirms Alberta teachers experiencing high volumes of work », The ATA News, [en ligne], 12 mars 2013. [www.teachers.ab.ca/Publications/ATA%20News/Volume%2047%202012-13/Number-13/Pages/Teachersspend-10-hours-or-more.aspx]. DUXBURY, Linda, et Christopher HIGGINS. 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Notes i Linda Duxbury est professeure à la Sprott School of Business de l’Université Carleton; Christopher Higgins est professeur à l’Ivey School of Business de l’Université Western Ontario. ii Voir par exemple le bref résumé des études sur la charge de travail du personnel enseignant canadien dans Reflections on Teaching: Teacher Efficacy and the Professional Capital of Alberta Teachers, The Alberta Teachers’ Association, avril 2014, p. 9-12. 11