Pourquoi cet intérêt particulier pour les faits divers

Transcription

Pourquoi cet intérêt particulier pour les faits divers
INTREVIEW d'Alix de Maistre par Gwen Douguet
Mère de deux enfants, passionnée par ce qui se
passe derrière les apparences, les mécanismes
de pensée, auteur d’un court métrage sur
l’inceste, diplômée d’histoire, détentrice d’un
DEA de cinéma, Alix de Maistre s’est engagée
en 2004 dans l’écriture de Pour un fils.
Pourquoi cet intérêt particulier pour les faits divers ?
J’aime leur dramaturgie. C’est d’une puissance incroyable. Il est difficile en même temps de rester proche des
personnages quand on a des histoires aussi extraordinaires, aussi fortes. Cela demande un travail
d’intériorisation afin de trouver de l’humanité dans des histoires inhumaines. Certains m’agressent.
Le fait divers dépasse la fiction. On ne met pas l’horreur en scène car on sera toujours en dessous de la réalité.
Mais je me suis demandée pourquoi ce fait divers en particulier
a trouvé un écho en moi.
La réponse ?
L’amour. Ce garçon qui fait peur, que l’on rejette, qui est violent, dont on se méfie. Comme il est victime de
souffrances, on se demande ce qu’il va faire subir aux autres. J’ai eu envie que ce personnage se transforme en
un être en quête d’amour.
Vous avez modifié le véritable fait divers ?
Oui, car le garçon dans le vrai a pris beaucoup d’identités inventées, et deux fois celles d’enfants disparus.
Pendant trois jours il a promené les flics.
Comment rentre-t-on dans la vérité de chaque personnage?
Ce fut un très long travail afin que les personnages de cette famille puissent évoluer, changer en se confrontant à ce manipulateur. Chacun a sa vérité. J’ai conçu un journal intime racontant l’histoire du point de vue de
untel ou untel, avec son évolution, la manière dont il ressent les choses. Ce travail m’a aidé d’une manière
incroyable. Mais en avançant individuellement, en écrivant, en fouillant leur intériorité, je me suis rendu
compte que je n’avais pas été jusqu’au bout en ce qui concerne le flic. Ce fut un procédé formidable mais difficile, car il fallait rentrer dans la tête de chaque personnage.
Tout en gardant une certaine réalité ?
Ce travail ne peut se faire immédiatement. Il fait suite à une enquête. Cela a pris du temps. J’ai écrit les journaux en un an et demi, comme une nécessité. L’événement est tellement impressionnant que l’on croit qu’il va
exister seul.
Il est livré brut ?
Cela tient au fait qu’un journaliste ne donne pas son avis sur un fait divers.
Normalement !!
Il livre les faits bruts. On est tellement saisi par l’histoire que l’on s’imagine qu’elle se suffira à elle-même. Or
ce n’est pas possible, car il faut rentrer en contact humainement avec ces personnages qui ne le sont pas en
apparence.
Vous laissez des portes ouvertes ?
Je n’ai pas voulu prendre parti. Ma réponse à une histoire sombre au départ réside dans le fait que l’amour
est possible. Même si on part d’une imposture et d’un mensonge, on peut aimer vraiment.
Vous avez donné les journaux aux trois acteurs concernés ?
Je leur ai donné le choix. Ne les ayant pas écrit à leur intention, il m’a semblé que cela pourrait être un outil.
Une fois en leur possession, nous n'en n’avons plus parlé.
Comment arrive-t-on à obtenir un tel jeu tout en silences, en suggestions ? Car les personnages savent bien
qu’il y a manipulation, et ils l’acceptent...
Il fallait être dans une espèce de sincérité par rapport à soi-même. Le journal m’amenait aussi à cela. MiouMiou perçoit assez rapidement que ce n’est pas son fils. Nous sommes raccrochés à son parcours, à sa confrontation avec son quotidien, physiquement, moralement. De mon côté, j’ai découpé heure par heure tout ce qui
se passe dans la maison pendant deux jours et demi avant l’arrivée de l’enfant. De manière à ne pas raconter
l’histoire du seul point de vue des scènes fortes. Il fallait avancer pas à pas dans un quotidien, et ainsi être
confronté à l’espace capable de les accrocher à une sincérité du moment. Le doute qu’ils ont jaillit du rapport
avec le garçon. Chacun évolue. Lui ne sait pas ce que c’est que d’être aimé, et elle a de l’amour enfoui.
C’est presque un travail d’enquête judiciaire, psychiatrique…
C’est important. Je prends des notes en quantité mais j’oublie tout après. En commençant le scénario, il
m’importe de ne rester tributaire des faits, de ce que j’ai appris. J’ai parlé avec des spécialistes du profil du
garçon, j’ai rencontré un ancien enquêteur pour savoir quelle est la psychologie des flics, leur rapport aux
victimes, aux manipulateurs. J'ai vu un spécialiste de l’ADN.
C’est un film sur la culpabilité de chacun ?
Surtout du père. La mère est pleine de doutes. Le garçon est un bloc de souffrance. «Psychopathe», il se fiche
au début complètement de la souffrance. Il a un côté animal, brut, il suit son objectif comme un militaire, se
métamorphose en entrant dans cette maison au contact de cette femme. Il ne sait pas être aimé, ne sait pas y
répondre. On est handicapé lorsqu'on n’a pas été aimé, caressé par sa mère, aimé par son père. Il fallait privilégier le parcours et l’évolution de chacun. Je ne vois pas le père, ni la mère comme des victimes. Seul le flic est
perdant. Le couple a accompli son deuil. Le père est dans sa culpabilité, dans une difficulté à communiquer
avec le garçon.
Vous évoquez également les rapports parents-enfants...
Père-fils, mère-fils... Pour un père, l’adolescence de son enfant équivaut à une séparation. La période est
délicate. Je voulais aussi montrer que cela n’a rien à voir entre une mère et son fils.