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LE GARÇON ET LE MONDE Avant la séance Le Garçon et le monde est un dessin animé brésilien réalisé en 2014 par Alê Abreu. Dans ce film, le cinéaste retrace l'itinéraire d'un enfant qui se lance à la recherche de son père, parti travailler dans une grande ville. Il va alors rencontrer un vieil homme qui récolte du coton, puis un homme plus jeune qui tisse le coton dans une usine avant de se lier avec un troisième personnage, qui est musicien de rue. La structure narrative semble simple mais le final modifie notre perception de l'histoire. Il y a donc plusieurs lectures possibles, celle du premier visionnage et une seconde, accessible complètement au terme de ce premier visionnage. Le voyage du garçon est plus métaphorique que réel. C'est d'abord une quête personnelle pour celle du héros mais aussi un prétexte pour le cinéaste pour sensibiliser le public aux évolutions économiques du Brésil et d'ailleurs. Alê Abreu conçoit un tel scénario alors qu'il est en train de préparer un film d'animation documentaire retraçant l'histoire du monde latino-américain. Il imagine alors comment un enfant découvrirait ce monde, ce qu'il en retiendrait et ce qu'il en ferait. Le Garçon et le monde repose sur une approche lyrique plutôt que directe et limpide. Après la projection, il s'agira de reconstituer le parcours du personnage principal afin mieux comprendre où mène sa quête. Alê Abreu compose un film dans lequel les images se répondent entre la vision de l'enfant et d'un temps passé, la vision du temps présent mais aussi la vision de l'avenir. À travers le trajet physique et temporel de son personnage, c'est à la fois la disparition de l'humain et sa réapparition qui rythment le film, constituant ainsi petit à petit la morale de cette fable écologiste. Il s'agira également de comprendre comment le lyrisme est transmis à partir du graphisme et des matériaux employés pour fabriquer le film. Le cinéaste choisit un trait simple, les crayons de couleurs, les pastels, pour se rapprocher du dessin tel qu'il pourrait être fait par un enfant. Épousant son point de vue, Alê Abreu réduit au maximum la représentation dessinée, se focalisant sur ce que l'enfant perçoit plutôt que sur ce qu'un adulte percevrait. Aussi, une partie des images est très épurée, symbole du regard de l'enfant sur le monde tandis qu'une autre partie des images est saturée, symbolisant le regard d'un adulte sur le monde. Enfin, ce film transmet les sentiments par le geste, les musiques et les bruitages et non par la parole. Dans Le Garçon et le monde, les dialogues sont rares et inaudibles, reflétant l'incompréhension de l'enfant sur les préoccupations des adultes et leur conduite. Toutes les émotions passent par des moyens autres traduisant les deux visions du monde et son évolution, entre humain et mécanique et entre singularité et uniformité. 1 LE GARÇON ET LE MONDE Après la séance I DÉCOUVRIR LE MONDE1 Le Garçon et le monde est un long métrage dont la structure paraît simple à la première lecture mais dont la dernière partie révèle que la narration superpose deux temporalités. La toute fin du film permet de remettre dans l'ordre les morceaux et de comprendre que le petit garçon est également le vieillard, le tisserand, le musicien et le jeune adulte. Ce n'est donc pas tant la quête du père qu'Abê Abreu montre dans Le Garçon et le monde mais plutôt la biographie de ce petit garçon. Une narration éclatée2 Voici comment se compose ce parcours : 1) Le3 père joue avec un fruit. Les récoltes sont abondantes. 2) Les4 récoltes deviennent plus minces, les5 parents plantent un arbre avec le garçon, signe d'un renouveau futur 3) Le6 père joue de la flûte avec le fils 4) Le7 père s'en va 5) 8L'arbre pousse 6) 9Le fils décide de partir à la recherche du père (mais rien n'atteste qu'il ait réellement pris de train). S'en suit un grand saut temporel. 7) Le10 fils devenu jeune adulte part à son tour et l'arbre a déjà grandi 8) Le11 fils, jeune adulte, travaille dans une usine de transformation du coton en tissu et se fabrique un poncho 9) Le12 peuple créé un oiseau, symbole de sa lutte et de ses revendications 10) Le13 jeune adulte est mis au chômage. Toute une perspective sociale et de début de misère s'annonce 11) Le 14jeune adulte vit dans le bidon-ville et fait l'homme orchestre sur un marché 12) 15L'oiseau du peuple et l'oiseau de l'industrie se battent. L'oiseau du peuple meurt. Nouvelle ellipse temporelle. Le temps passe. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 Image 1 Image 2 Image 3 Image 4 Image 5 Image 6 Image 7 Image 8 Image 9 Image 10 Image 11 Image 12 Image 13 Image 14 Image 15 2 13) Le16 fils, devenu vieux, est ramasseur de coton mais il se fait renvoyer car il est malade 14) Le17 vieillard rentre à la campagne, dans la maison de son enfance 15) Le18 vieillard arrive au pied de l'arbre qu'il a planté Cette chronologie humaine va en sens inverse de celle de l'industrialisation du pays. L'ordre en serait le suivant : l'exode de la campagne vers la ville pour trouver du travail, la récolte du coton à la main, la fin de cette activité manuelle, le passage du coton dans l'usine, fermeture de l'usine au profit de machines faisant le travail à la place de l'homme, migration des populations pauvres vers les zones péri-urbaines, petits emplois précaires, retour à la campagne et à la culture de la terre. Il y a donc plusieurs manières de regarder Le Garçon et le monde et plusieurs strates d'histoires imbriquées les unes dans les autres. 19 D'une quête personnelle La première, celle induite par le titre du film, se construit autour de la quête personnelle d'un petit garçon à la recherche de son père. Ce20 qui caractérise le personnage c'est d'abord son absence de bouche, il ne parle pas. C'est aussi un costume : tee-shirt rayé rouge et blanc et short noir. Il est unique et tous les enfants à la fois, produisant une universalité du personnage d'autant qu'il n'a pas de prénom. Il est également léger, aérien. Ses traits sont autant ceux de l'insouciance des enfants que des données physiologiques de spectres. En effet, le garçon n'est que le souvenir de l'enfance des autres personnages. Ce qui créée l'ambiguïté du statut de ce petit garçon, c'est le parti pris d'Alê Abreu de montrer le monde à travers son point de vue. Il21 y a plusieurs exemples dans le film et notamment quand, dans la plantation de coton, il regarde le ciel et découvre un avion. L'enfant est au milieu de l'image, il regarde vers le haut. Le plan suivant montre ce qu'il voit : la cime des arbres et un avion passant au-dessus de lui. C'est que l'on appelle un plan subjectif puisque la caméra est à la place du regard du personnage. C'est également sa manière de percevoir les objets qui démontre que le regard porté sur le monde est celui d'un enfant : les machines ont des attributs qui les apparentent à des animaux. Les22 extracteurs de pétrole ressemblent à des girafes ou des chevaux (le cou, les grandes jambes, les rouages assimilés à des yeux), le 23 tank ressemble à un porc-épic (les yeux pour les ouvertes, les piquants pour les mitraillettes), le24 train ressemble à chenille fumeuse de pipe (n'étant pas sans rappeler Absolum dans Alice au pays des merveilles qui fume le narguilé). Le garçon ne fait qu'observer, rendre compte de sa perception du monde par des effets d'analogies, il ne change jamais le cours de l'histoire, il y prend part de manière ludique mais passive. Hormis avec ses parents, il25 n'est jamais vraiment en interaction avec les autres personnages. Il reste dans la carriole du vieil homme, personne ne se rend compte de sa présence ni dans la plantation, ni dans 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Image 16 Image 17 Image 18 Image 19 Image 20 Image 21 Image 22 Image 23 Image 24 Image 25 3 l'usine, même26 quand le jeune homme le porte, placé sur le sac à dos, alors que le jeune homme marche depuis un long moment. Le petit garçon devient le symbole du sac de plus en plus lourd, ce poids supplémentaire étant matérialisé par le petit garçon. La fatigue se lit également sur les deux visages montrant bien qu'il s'agit en fait d'un seul et même personnage mais à deux âges différents de sa vie. La quête initiatique du petit garçon n'aboutit pas. 27Quand l'enfant croit avoir retrouvé son père, il se retrouve face à un train rempli de pères qui, à leur tour, ne voient pas l'enfant. À partir de ce moment-là de l'histoire, l'intrigue bascule du côté d'une fable écologiste. 28 À une fable écologiste En effet, la construction narrative du film permet de comprendre l'évolution de l'industrialisation du pays de manière accélérée afin de révéler l'écueil d'une telle transformation. Alê Abreu invite le spectateur à se détacher des personnages pour se focaliser sur leurs actions, ce qui constitue le monde autour d'eux. Au fur-et-à-mesure, l'humain disparaît de la chaîne de production. Il29 introduit d'ailleurs une rupture entre les images animées et les images en prise de vue réelles pour montrer que son histoire n'est pas strictement fictive. Le dessin de la forêt laisse place aux images réelles. Les images filmées sont issues de documentaires, ce sont donc des images de la réalité. Elles montrent la destruction de la nature par le feu 30, les ravages humains liés à la mauvaise gestion de l'industrie (les fumées d'usine, les déchets dans la nature, la pollution et 31 viennent en échos avec l'aventure du petit garçon puisqu'elles se retrouvent illustrées en dessins dans la suite de l'aventure, par le ruisseau devenu marron par exemple ou la forêt calcinée. Cependant, ce n'est pas un constat totalement pessimiste qu'Alê Abreu met en place dans ce film même s'il nous dit qu'il est déjà bien tard pour agir. Au 32 contraire, le fait que le vieillard, revenant à la campagne, vive entouré d'enfants et de culture raisonnée montre bien qu'il y a une issue possible aux problèmes économiques et aux catastrophes écologiques qui en découlent. La solution demande de la réflexion et un retour aux besoins primordiaux de l'homme, excluant la consommation à outrance. Alê Abreu nous incite à réagir afin de remettre l'avenir de l'humanité au cœur des problème. EXTRAIT FIN 1'05'00 à 1'11'34 33 ANIMER LE MONDE À TRAVERS LE REGARD D'UN ENFANT Pour figurer ces différents partis pris critiques et faire passer un maximum de sensations par l'image et le son, Alê Abreu travaille la matière elle-même. Il fait mine de faire brûler le support de son film et il emploie différentes techniques d'animation pour rendre compte de l'évolution du monde. C'est également à travers un jeu sur les textures, les couleurs et l'agencement des espaces 26 27 28 29 30 31 32 33 Image 26 Image 27 Image 28 Image 29 Image 30 Image 31 Image 32 Image 33 4 qu'il parvient à faire ressentir des émotions. Il va même jusqu'à matérialiser les sons afin de rendre compte du regard de l'enfant sur le monde. 34 Les Techniques d'animation Le cinéaste choisit différents modes de production des images animés dans Le Garçon et le monde. Il utilise un trait proche de celui du dessin d'enfant, correspondant à la fois à la représentation de son personnage, un petit garçon, et simulant la manière dont il pourrait lui-même dessiner le monde. Il35 s'agit de dessins aux crayons de couleur, au pastel, au stylo bic, à la gouache et à l'acrylique, des instruments accessibles à l'enfant. Les lignes sont très simples, épurées, minimalistes : un rond pour la tête de l'enfant, deux traits pour signifier les yeux, quelques lignes pour figurer les rayures du tee-shirt, des aplats bleu pour le ciel, des traits rapides pour représenter les herbes et les fleurs. La36 représentation de la ville et celle du domaine de l'industriel utilise d'autres codes permettant de bien distinguer les deux univers. Si les personnages sont toujours représentés grâce à quelques coups de crayons, l'environnement est beaucoup plus complexe. 37 Alê Abreu utilise des systèmes de collage de papier imprimé pour composer une image avec de la texture et parfois des allures de publicité. Ce point est particulièrement marquant sur les présentateurs télé et le décor qui les entoure. La composition du visage et des yeux reste la même que pour le petit garçon sauf que ces personnages ont des cheveux issus de photos de magazines, tout comme leur bouche, comme s'ils étaient composés de différents corps. À l'arrière plan, la carte de la Terre est sens dessus-dessous, montrant le désordre d'une société composée d'images éparses et dépourvue d'unité. L'image du monde est inversée, rendant complexe la lecture de l'image et donnant une valeur universelle à ce qui est raconté. Le système de collage est également assez facile à reproduire par l'enfant. Le monde naturel disparaît complètement dans la représentation de la ville pour être remplacé par sa simulation. Ici 38, les personnages sortent d'une porte épousant la forme et la couleur d'un tronc d'arbre, rappelant de quoi elle est originellement faite, au milieu d'un faux paysage de campagne découpé et peint sur le mur de la ville. L'image complète figure aussi sur des boîtes de conserve, le mur devenant donc une publicité géante. Les formes du tronc et du feuillage laissent voir la découpe enfantine du papier, révélant la facticité de cette nature et son remplacement par l'image de la nature, comme si elle avait complètement disparue et n'existait plus que dans les magazines. Elle est imaginaire et peut être librement représentée et interprétée par l'enfant. 39 Couleurs et espaces Ces quelques photogrammes montrent également comment le cinéaste focalise l'attention du spectateur sur un personnage et quelques éléments en particulier ou sur une ambiance générale. Pour traduire les différents niveaux de pureté, de crasse ou de noirceur du monde, Alê Abreu se sert de supports en papier coloré. Les 40 fonds blancs appartiennent au domaine de l'enfance et de l'imaginaire. Les dessins disparaissent bien souvent pour simplement laisser des éléments forts comme la marque du souvenir. C'est notamment le cas au début du film, quand le père s'en va. Il y a 34 35 36 37 38 39 40 Image 34 Image 35 Image 36 Image 37 Image 38 Image 39 Image 40 5 le père, le quai de la gare, les rails et, au fur et à mesure, ces éléments disparaissent pour finir par ne plus rien laisser comme si le souvenir s'émoussait petit à petit. L'usage du papier coloré décrit déjà une émotion, un moment de la journée (la nuit par exemple, ou le jour) et un regard critique par rapport à ce qui est représenté sur la feuille. Ce 41 sont des marrons, des violâtres, des bleuâtres. Ces variantes de gris donnent l'impression d'un univers pollué, dans lequel il est difficile de respirer. Alê Abreu joue des symétries pour exprimer à travers l'espace et la couleur le désordre du monde et aussi son évolution. La dégradation de la situation est aussi signifiée grâce au papier coloré dans le retour du personnage vieux à la campagne. 42Il quitte l'univers blanc, géométrique et épuré de la ville, allant à contre-sens des autres carrioles. Sur43 un fond orangeâtre, il parcourt une campagne vide, l'image est coupée par des barbelés comme s'il y avait une zone infranchissable, par delà le chemin et que le personnage était prisonnier au milieu de cet univers stérile. Le 44 fond est ensuite beige, le chemin noir (asphalte) avec des panneaux d'indication et d'interdiction, le décor est de plus en plus épuré et abstrait comme s'il ne fallait pas aller plus loin, que le trajet devenait dangereux. Les panneaux sont inversés, illisibles, ce sont des collages, vestige de la création matérielle de la ville. La 45 quatrième étape ramène le personnage sur un fond marronâtre vers une campagne désolée aux arbres calcinés dans laquelle tout est détruit. Il y a un semblant de décor avec des troncs morts à l'avant plan, rapidement dessinés, et une ligne d'horizon comme un plateau ou une brume nauséabonde. Enfin 46, la dernière étape du étape du périple est représentée sur un fond bleu-verdâtre signifiant l'avancée du jour et la tombée de la nuit accompagnée de l'arrivée de la pluie, comme un ajout supplémentaire au malheur du personnage. 47 L'Image des sons L'image est donc vecteur de sens à différents niveaux aussi bien du point de vue narratif que par sa construction de l'image elle-même. Afin de transmettre un maximum d'informations à travers elle, le cinéaste matérialise des éléments purement sonore, offrant ainsi une part poétique à son film. En effet48, les notes de musique sortent des instruments sous la forme de petites bulles de couleur orange et peuvent être capturées. Le garçon emprisonne le son de la flûte et le chant de la mère dans une boîte et, collant son oreille sur cette dernière, il ré-entend le son et revient au souvenir heureux auquel la mélodie se rattache. Ces49 petites bulles sont légères, elles sont vivantes et symbolisent aussi la joie de vivre et le partage. Ce50 sont les notes de musique qui, assemblées les unes aux autres permettent la création de l'oiseau du peuple et aussi de l'oiseau militaire. EXTRAIT L'HOMME-ORCHESTRE (43'02 à 45'32) 51 III DES ÉMOTIONS VISUELLES 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 Image 41 Image 42 Image 43 Image 44 Image 45 Image 46 Image 47 Image 48 Image 49 Image 50 Image 51 6 À travers ces partis graphiques, Alê Abreu travaille sur l'affect du spectateur et se détache de la trame narrative. Les émotions passent par le choix des couleurs, du graphisme des dessins et sur l'utilisation de la musique. Grâce à ces éléments-là, il oppose plusieurs univers, l'humain et le mécanique, le singulier et l'uniforme. 52 Bruitages et musique L'une des particularités du film Le Garçon et le monde est d'être dépourvu de dialogue audible. D'ailleurs, les personnages n'ont pas de bouches pour parler 53. Ils s'expriment donc par d'autres biais. Quand il y a une sorte de dialogue, il est inaudible, il s'agit de portugais à l'envers. En compensation, les bruitages et la musique prennent une grande importance car ils permettent de transmettre les émotions et les sensations des personnages, à 54l'instar du froid et de la peur résumés par un ''trait-coup de vent''. La55 musique naît d'instruments traditionnels, d'une musique corporelle mais aussi d'éléments de fortune, exprimant l'idée d'une musique non conventionnelle qui se fabrique de bric-et-de-broc. Les instruments de cuisine deviennent instruments de musique pour le jeune homme au chômage. Si la musique dans le film est produite par des objets de fortune, Alê Abreu reproduit le même schéma en composant la musique de son long métrage avec des objets de récupération. À cette idée s'ajoute celle de la musique populaire, qui permet de tisser un lien entre les individus, créant un oiseau représentant leur communauté meurtrie mais joyeuse. Cette production atypique de la musique signifie qu'il faut se faire entendre, par tous les moyens. Attirer l'attention pour retrouver ses droits. C'est une manière de manifester sa présence, avec des moyens modestes mais efficaces. 56 Humain et mécanique À partir de cette base-là, le cinéaste peut construire deux types de représentation, un corps communautaire humain, aux multiples couleurs, multi-ethnique et un corps uniforme, mécanique, noir, militaire et répressif. Alê Abreu montre une société qui tend à rendre l'organique mécanique. C'est le cas des animaux-machines mais aussi des humains57. D'un côté, il y a un peuple marchant et dansant librement, avec un oiseau dessiné grâce à des courbes libres. De l'autre côté, la marche sur en rang, en rythme, tous les personnages vont dans le même sens, l'oiseau est géométrique, symbolisant la dureté de la société. Les58 cueilleurs, filmés dans des plans de plus en plus larges, se mettent à ressembler à des fourmis puis se perdent dans un ensemble géométrique dans lequel l'humain, le singulier, l'unique n'a pas sa place au point que l'industrie l'écarte progressivement jusqu'à59 ce qu'il disparaît totalement de la chaîne de production. Il est remplacé à l'écran par des conteneurs puis la production devient complètement abstraite, se réalisant toute seule, sans l'aide de qui que ce soit, presque par magie. Les animaux-machines disparaissent eux aussi peu à peu pour laisser la place à un univers purement virtuel qui ressemble aux premiers jeux vidéos. Les lignes sont de plus en plus géométriques, s'opposant aux formes rondes et irrégulières des personnages humains. 52 53 54 55 56 57 58 59 Image 52 Image 53 Image 54 Image 55 Image 56 Image 57 Image 58 Image 59 7 60 Du singulier et de l'uniforme Ce qu'Alê Abreu montre à travers Le Garçon et le monde, c'est la disparition du singulier, du naturel, dans ce qu'il peut avoir d'imparfait, pour accéder à l'uniforme, au rigide, mais aussi à des éléments qui n'ont pas de profondeur, pas d'âme. Le cinéaste oppose deux conceptions du monde : une61 simple, composée de quelques éléments, des données essentielles à l'existence du garçon : une maison, même délabrée, un poncho, un bonnet, des fleurs et quelques terres cultivables. La 62 seconde conception du monde est surchargée d'informations, difficilement lisible, pleine d'éléments facultatifs qui ôtent toute objectivité au regard car il ne sait pas où se poser. Il ne peut pas voir l'essentiel et donc le perd à force d'être sollicité. EXTRAIT RETOUR EN VILLE AVEC LE JEUNE HOMME APRÈS LA JOURNÉE À L'USINE Le Garçon et le monde est un film dont la construction narrative est complexe car elle suit plusieurs niveaux de lecture et les rompt en cours de route. Il peut être perçu pour son histoire stricte mais aussi pour le travail graphique du cinéaste qui joue des textures et des matériaux pour construire une œuvre composite et métaphorique. Il assimile les animaux à des machines afin de s'approcher au plus près de la vision que pourrait avoir son personnage principal, essayant de faire comprendre au spectateur l'évolution de son pays, le Brésil, à travers le regard d'un enfant universel, cherchant ainsi à rendre compréhensible au plus grand nombre les enjeux du monde contemporain. 60 Image 60 61 Image 61 62 Image 62 8